(1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XXX. Profanation du dimanche : étrange explication du précepte de la sanctification des fêtes. » pp. 109-116
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(1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XXX. Profanation du dimanche : étrange explication du précepte de la sanctification des fêtes. » pp. 109-116

XXX. Profanation du dimanche : étrange explication du précepte de la sanctification des fêtes.

Pour ce qui regarde les dimanches, notre auteur commence par cette remarque : « Que les saints jours nous sont donnés non seulement pour les sanctifier, et pour vaquer plus qu’aux autres au service de Dieu, mais encore pour prendre du repos à l’exemple de Dieu même »  : d’où il conclut « que le plaisir étant le repos de l’homme », selon Saint Thomas, il peut prendre au jour de dimanche celui de la comédie, pourvu que ce soit après l’office achevé : à quoi il tâche encore de tirer Saint Thomas, qui premièrement ne dit rien de ce qu’il lui fait dire ; et secondement quand il le dirait, on n’en pourrait rien conclure pour la comédie qui est le sujet dont il s’agit.
J’aurais tort de m’arrêter davantage à réfuter un auteur qui n’entend pas ce qu’il lit : mais il faut d’autant moins souffrir ses profanations sur l’écriture et sur le repos de Dieu, qu’elles tendent à renverser le précepte de la sanctification du Sabbat. Il est donc vrai que nous lisons ces paroles dans l’Exode : « Vous travaillerez durant six jours : le septième, vous cesserez votre travail, afin que votre bœuf et votre âne, et, en leur figure, tous ceux dont le travail est continuel, se reposent, et que le fils de votre esclave et l’étranger se relâchent. » Nous pouvons dire ici avec Saint Paul : « Est-ce que Dieu a soin des bœufs ? Numquid de bobus cura est Deo ? » Non sans doute il n’en a pas soin pour faire un précepte exprès de leur repos : mais sa bonté paternelle, qui « sauve les hommes et les animaux », comme dit David, pourvoit au soulagement même des bêtes, afin que les hommes apprennent par cet exemple à ne point accabler leurs semblables de travaux ; ou bien c’est que cette bonté s’étend jusqu’à prendre soin de nos corps, et jusqu’à les soulager dans un travail qui nous est commun avec les animaux ; en sorte que ce repos du genre humain est un second motif moins principal de l’institution du Sabbat. Conclure de là que les jeux : et encore les jeux publics aient été permis à l’ancien peuple ; c’est tellement en ignorer la constitution et les coutumes, qu’on ne doit répondre que par le mépris à de si pitoyables conséquences. Le repos de l’ancien peuple consistait à se relâcher de son travail pour méditer la loi de Dieu, et s’occuper de son service. Rechercher son plaisir et encore un plaisir d’une aussi grande dissipation que celui de la comédie, quand on aurait songé alors à de semblables divertissements, eût été une profanation manifeste du saint jour. Isaïe y est exprès, puisque Dieu y reproche aux Juifs trois à quatre fois « d’avoir fait leur volonté » , d’avoir cherché leur plaisir « en son saint jour » : d’avoir regardé « le Sabbat comme un jour de délices », ou comme un jour « d’ostentation et de gloire » humaine : il leur montre la délectation qu’il fallait chercher en ce jour : « Vous vous délecterez, dit-il, dans le Seigneur » . D’autres le tournent d’une autre manière, mais qui va toujours à même fin, puisqu’il demeure pour assuré que les délices et la gloire du Sabbat est de mettre son plaisir en Dieu : et maintenant on nous vient donner le plaisir de la comédie, où les sens sont si émus, comme une imitation du repos de Dieu et une partie du repos qu’il a établi. Mais laissons les raisonnements aussi faibles que profanes de cet auteur : quiconque voudra défendre les comédies du dimanche par ses raisonnements ou par d’autres, quels qu’ils soient, qu’il nous dise quel privilège a le métier de la comédie par-dessus les autres, pour avoir droit d’occuper le jour du Seigneur, ou de s’en approprier une partie ? est-ce un art plus libéral ou plus favorable que la peinture et que la sculpture, pour ne point parler des autres ouvrages plus nécessaires à la vie ? Les comédiens ne vivent-ils pas de ce travail odieux ? et comment peut-on excuser ceux qui les font travailler, en leur donnant le salaire de leur ouvrage ? En vérité on pousse trop loin la licence : les commandements de Dieu, et en particulier celui qui regarde la sanctification des fêtes sont trop oubliés, et bientôt le jour du Seigneur sera moins à lui que tous les autres ; tant on cherche d’explication pour l’abandonner à l’inutilité et au plaisir.
Après cela, je ne daignerais répondre à la vaine excuse qu’on fournit à la comédie dans les jours de fête, sous prétexte qu’elle ne commence qu’après l’office, et comme dit notre auteur, « lorsque les églises sont fermées ». Qui empêchera que par la même raison, l’on ne permette les autres ouvrages, sans doute plus favorables et plus nécessaires ? qui a introduit ce retranchement du saint jour, et pourquoi n’aura-t-il pas ses vingt-quatre heures comme les autres ? J’avoue qu’il y a des jeux que l’église même ne défend absolument que durant l’office ; mais la comédie ne fut jamais de ce nombre. La discipline est constante sur ce sujet jusqu’aux derniers temps, et le Concile de Reims sur la fin du siècle passéai, au titre des fêtes, après avoir nommé au chapitre III certains jeux qu’on ne doit permettre tout au plus qu’après l’office : met ensuite, au chapitre VI, dans un rang entièrement séparé, « celui du théâtre qui souille l’honnêteté et la sainteté de l’église », comme absolument défendu dans les saints jours. Saint Charlesaj avait prononcé de même : tous les canons anciens et modernes parlent ainsi sans restriction. Saint Thomas qu’on ne cesse de nous alléguer pour autoriser la licence, exige, comme on a vu , pour une des conditions des divertissements innocents, « que le temps en soit convenable » : pourquoi, si ce n’est pour nous faire entendre qu’il y en a qu’il faut exclure des saints jours, quand ils seraient permis d’ailleurs ? Au reste on ne doit pas demander des passages exprès de ce saint docteur, ou des autres, contre cet indigne partage qu’on fait des jours saints : ils n’avaient garde de reprendre dans leur temps ce qui était inouï, ni de prévoir une profanation du dimanche, qui est si nouvelle que nos pères l’ont vu commencer. Que sert donc de nous alléguer un mauvais usage, contre lequel tous les canons réclament ? Il ne faut pas croire que tout ce qu’on tolère à cause de la dureté des cœurs, devienne permis ; ou que tout ce que la police humaine est obligée d’épargner, passe de même au jugement de Dieu. Après tout, que sert aux comédiens et à ceux qui les écoutent, qu’on leur laisse libre le temps de l’office ? y assistent-ils davantage ? ceux qui fréquentent les théâtres songent-ils seulement qu’il y a des vêpres ? en connaît-on beaucoup, qui affectionnés au sermon et à l’office de la paroisse, après les avoir ouïs ; aillent perdre à la comédie dans une si grande effusion d’une joie mondaine l’esprit de recueillement et de componction, que la parole de Dieu et ses louanges auront excité ? Disons donc, que les comédies ne sont pas faites pour ceux qui savent sanctifier les fêtes dans le vrai esprit du christianisme, et assister sérieusement à l’office de l’église.