XXVI. Sentiment de Saint Antonin.
Après Saint Thomas, le docteur qu’on nous oppose le plus, c’est Saint
Antonin ; mais d’abord on le falsifie en lui faisant dire ces paroles dans sa seconde
partie :
« La comédie est un mélange de paroles et d’actions agréables pour son divertissement ou pour celui d’autrui, etc. »On ajoute ici dans le texte le terme de comédie, qui n’y est pas : Saint Antonin parle en général
« des paroles ou des actions divertissantes et récréatives »: ce sont les mots de ce saint qui n’emportent nullement l’idée de la comédie, mais seulement celle ou d’une agréable conversation, ou en tout cas des jeux innocents :
« tels que sont, ajoute-t-il, la toupie pour les enfants, le jeu de paume, le jeu de palet, la course pour les jeunes gens, les échets pour les hommes faits », et ainsi du reste, sans encore dire un seul mot de la comédie .
Il est vrai qu’en cet endroit de sa seconde partie, après un fort long discours où il
condamne amplement le jeu de dés, il vient à d’autres matières, par exemple à plusieurs
métiers, et enfin à celui des histrions, qu’il approuve au même sens et aux
mêmes conditions que Saint Thomas, qu’il allègue
sans s’expliquer
davantage : de sorte qu’il n’y a rien ici autre chose à lui répondre que ce qu’on a dit
sur Saint Thomas.
Dans sa troisième partie il parle expressément des représentations qui étaient en vogue
« de son temps▶ », cent cinquante ans environ après saint Thomas :
« repraesentationes quae fiunt hodie »: pour indiquer qu’elles étaient nouvelles et introduites depuis peuaa, et il déclare qu’elles sont défendues en certains cas et en certaines circonstances qu’il remarque ; dont l’une est,
« si on y représente des choses malhonnêtes : turpia ». Nous pouvons tenir pour malhonnête tout ce qui flatte la concupiscence de la chair ; et si Saint Antonin n’a pas prévu le cas de nos comédies ni les sentiments de l’amour profane dont on fait le fond de ces spectacles, c’est qu’en ce ◀temps▶ on songeait à de toutab autres représentations, comme il paraît par les pièces qui nous en restent. Mais on peut voir l’esprit de Saint Antonin sur ces dangereuses tendresses de nos théâtres, lorsqu’il réduit la musique
« à chanter ou les louanges de Dieu ou les histoires des Paladins ou d’autres choses honnêtes en ◀temps▶ et lieu convenable. »Un si saint homme n’appellerait jamais honnêtes les chants passionnés, puisque même sa délicatesse va si loin qu’il ne permet pas d’entendre
« le chant des femmes »; parce qu’il est
« périlleux », et comme il parle,
« incitativum ad lasciviam ».
On peut entendre par là ce qu’il aurait jugé de nos opéras, et s’il aurait cru moins
dangereux de voir des comédiennes jouer si passionnément le personnage d’amantes avec tous
les malheureux avantages de leur sexe. Que si on ajoute à ces sentiments de Saint
Antonin, les conditions qu’il exige dans les réjouissances qui sont
d’être
« excluses du ◀temps de la pénitence et du carême, de ne faire pas négliger l’office divin », et encore avec tout cela d’être si rares et
« en si petite quantité », qu’elles tiennent dans la vie humaine le même rang que le sel dans nos nourritures ordinaires, non seulement la dissertation n’y sera pas appuyée, mais encore elle y sera condamnée en tous ses chefs.