XXIII. Première et seconde réflexion sur la doctrine de Saint Thomas.
Mais afin que la conclusion soit légitime, il faudrait en premier lieu qu’il fût bien
certain, que sous le nom d’« histrions », Saint Thomas eût entendu les comédiens : et
cela, loin d’être certain, est très faux ; puisque sous ce mot d’« histrions », il
comprend manifestement un certain joueur : joculator, qui fut montré en
esprit à saint Paphnuce, comme un homme qui l’égalait en vertu. Or constammentw ce n’était pas un comédien, mais un simple
« joueur de flûte, qui gagnait sa vie à cet exercice dans un village : in vico »: comme il paraît par l’endroit de la vie de ce saint solitaire qui est citéx par Saint Thomas Il n’y a donc rien dans ce passage qui favorise les comédiens : au contraire, on peut remarquer que Dieu voulant faire voir à un grand saint que dans les occupations les plus vulgaires il s’élevait des âmes cachées, d’un rare mérite, il ne choisit pas des comédiens dont le nombre était alors si grand dans l’empire, mais un homme qui gagnait sa vie à jouer d’un instrument innocent : qui encore se trouva si humble qu’il se croyait le dernier de tous les pécheurs, à cause, dit-il, que de la vie des voleurs il avait passé
« à cet état honteux : fœdum artificium »: comme il l’appelait : non qu’il y eût rien de vicieux, mais parce que la flûte était parmi les anciens, un des instruments les plus méprisés ; à quoi il faut ajouter, qu’il quitta ce vil exercice aussitôt qu’il eut reçu les instructions de Saint Paphnuce ; et c’est à quoi se réduit cette preuve si décisive, qu’on prétend tirer de Saint Thomas à l’avantage de la comédie.
Secondement lorsqu’il parle dans cet endroit du plaisir que ces histrions donnaient au peuple
« en paroles et en actions », il ne sort point de l’idée des discours facétieux accompagnés de gestes plaisants : ce qui est encore bien éloigné de la comédie. On n’en voit guère en effet, et peut-être point dans le temps de ce saint docteur. Dans son livre sur les sentences, il parle lui-même des
« jeux du théâtre comme de jeux qui furent autrefois : ludi qui in theatris agebantur »; et dans cet endroit non plus que dans tous les autres où il traite des jeux de son temps, les théâtres ne sont pas seulement nommés. Je ne les ai non plus trouvés dans Saint Bonaventure son contemporain. Tant de décrets de l’Eglise et le cri universel des saints pères les avait décrédités, et peut-être renversés entièrement. Ils se relevèrent quelque temps après sous une autre forme dont il ne s’agit pas ici ; mais comme l’on ne voit pas que Saint Thomas en ait fait aucune mention, l’on peut croire qu’ils n’étaient pas beaucoup en vigueur de son temps, où l’on ne voit guère que des récits ridicules d’histoires pieuses, ou en tout cas certains jongleurs, joculatores, qui divertissaient le peuple, et qu’on prétend à la fin que Saint Louis abolit, par la peine qu’il y a toujours à contenir de telles gens dans les règles de l’honnêteté.