XXI. Réflexion sur le Cantique des cantiques et sur le chant de l’Eglise.
Il n’y avait parmi les Juifs qu’un seul poème dramatique, et c’est le cantique des
cantiques. Ce cantique
ne respire qu’un amour céleste, et
cependant parce qu’il y est représenté sous la figure d’un amour humain, on défendait la
lecture de ce divin poème à la jeunesse : aujourd’hui on ne craint point de l’inviter à
voir soupirer des amants pour le plaisir seulement de les voir s’aimer, et pour goûter les
douceurs d’une folle passion. Saint Augustin met en
doute, s’il faut laisser dans les églises un chant harmonieux, ou s’il vaut mieux
s’attacher à la sévère discipline de Saint Athanase et de l’Eglise d’Alexandrie, dont la
gravité souffrait à peine dans le chant ou plutôt dans la récitation des psaumes, de
faibles inflexions : tant on craignait dans l’Eglise, de laisser affaiblir la vigueur de
l’âme par la douceur du chant. Je ne rapporte pas cet exemple pour blâmer le parti qu’on a
pris depuis,
quoique bien tard, d’introduire les grandes musiques
dans les églises pour ranimer les fidèles tombés en langueur, ou relever à leurs yeux la
magnificence du culte de Dieu, quand leur froideur a eu besoin de ce secours. Je ne veux
donc point condamner cette pratique nouvelle par la simplicité de l’ancien chant, ni même
par la gravité de celui qui fait encore le fond du service divin : je me plains qu’on ait
si fort oublié ces saintes délicatesses des Pères, et que l’on pousse si loin les délices
de la musique, que loin de les craindre dans les cantiques de Sion, on cherche à se
délecter de celles dont Babylone anime les siens. Le même Saint Augustin reprenait des
gens qui étalaient beaucoup d’esprit à tourner agréablement des inutilités dans leurs
écrits :
« Et, leur disait-il, je vous prie qu’on ne rende point agréable ce qui est inutile : Ne faciant delectabilia quae sunt inutilia »v : maintenant on voudrait permettre de rendre agréable, ce qui est nuisible ; et un si mauvais dessein dans la dissertation n’a pas laissé de lui concilier quelque faveur dans le monde.