(1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XVIII. Sentiment d’Aristote.  » pp. 66-68
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(1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XVIII. Sentiment d’Aristote.  » pp. 66-68

XVIII. Sentiment d’Aristote.

Quoique Aristote son disciple aimât à le contredire, et qu’une philosophie plus accommodante lui ait fait attribuer à la tragédie une manière qu’il n’explique pas, de purifier les passions en les excitant (du moins la pitié et la crainte) il ne laisse pas de trouver dans le théâtre quelque chose de si dangereux, qu’il n’y admet point la jeunesse pour y voir ni les comédies ni même les tragédies, quoiqu’elles fussent aussi sérieuses qu’on le vient de voir ; parce qu’il faut craindre, dit-il, les premières impressions d’un âge tendre que les sujets tragiques auraient trop ému. Ce n’est pas qu’on y jouât alors comme parmi nous, les passions des jeunes gens : nous avons vu à quel rang on les reléguait ; mais c’est en général, que des pièces d’un si grand mouvement remuaient trop les passions, et qu’elles représentaient des meurtres, des vengeances, des trahisons, et d’autres grands crimes dont ce philosophe ne voulait pas que la jeunesse entendît seulement parler, bien loin de les voir si vivement représentés et comme réalisés sur le théâtre.
Je ne sais pourquoi il ne voulait pas étendre plus loin cette précaution. La jeunesse et même l’enfance durent longtemps parmi les hommes : ou plutôt on ne s’en défait jamais entièrement : quel fruit après tout, peut-on se promettre de la pitié ou de la crainte qu’on inspire pour les malheurs des héros ; si ce n’est de rendre à la fin le cœur humain plus sensible aux objets de ces passions ? Mais laissons, si l’on veut à Aristote, cette manière mystérieuse de les purifier, dont ni lui ni ses interprètes n’ont su encore donner de bonnes raisons : il nous apprendra du moins qu’il est dangereux d’exciter les passions qui plaisent ; auxquelles on peut étendre ce principe du même philosophe, que « l’action suit de près le discours, et qu’on se laisse aisément gagner aux choses dont on aime l’expression »: maxime importante dans la vie, et qui donne l’exclusion aux sentiments agréables qui font maintenant le fond et le sujet favori de nos pièces de théâtre.