XVIII. Sentiment d’Aristote.
Quoique Aristote son disciple aimât à le contredire, et qu’une philosophie plus
accommodante lui
ait fait attribuer à la tragédie une manière
qu’il n’explique pas, de purifier les passions▶ en les excitant (du moins la pitié et la
crainte) il ne laisse pas de trouver dans le théâtre quelque chose de si dangereux, qu’il n’y admet point la jeunesse pour y voir ni les
comédies ni même les tragédies, quoiqu’elles fussent aussi sérieuses qu’on le vient de
voir ; parce qu’il faut craindre, dit-il, les premières impressions d’un âge tendre que
les sujets tragiques auraient trop ému. Ce n’est pas qu’on y jouât alors comme parmi nous,
les ◀passions▶ des jeunes gens : nous avons vu à quel rang on les reléguait ; mais c’est en
général, que des pièces d’un si grand mouvement remuaient trop les ◀passions▶, et qu’elles
représentaient des meurtres, des vengeances, des trahisons, et d’autres grands crimes dont
ce philosophe ne voulait pas
que la jeunesse entendît seulement
parler, bien loin de les voir si vivement représentés et comme réalisés sur le
théâtre.
Je ne sais pourquoi il ne voulait pas étendre plus loin cette précaution. La jeunesse et
même l’enfance durent longtemps parmi les hommes : ou plutôt on ne s’en défait jamais
entièrement : quel fruit après tout, peut-on se promettre de la pitié ou de la crainte
qu’on inspire pour les malheurs des héros ; si ce n’est de rendre à la fin le cœur humain
plus sensible aux objets de ces ◀passions▶ ? Mais laissons, si l’on veut à Aristote, cette
manière mystérieuse de les purifier, dont ni lui ni ses interprètes n’ont su encore donner
de bonnes raisons : il nous apprendra du moins qu’il est dangereux d’exciter les ◀passions
qui plaisent ; auxquelles on peut étendre ce principe du même
philosophe, que
« l’action suit de près le discours, et qu’on se laisse aisément gagner aux choses dont on aime l’expression »: maxime importante dans la vie, et qui donne l’exclusion aux sentiments agréables qui font maintenant le fond et le sujet favori de nos pièces de théâtre.