XV. La tragédie ancienne, quoique plus grave que la nôtre, condamnée par les principes de ce philosophe.
Par ce moyen il poussait la démonstration jusqu’au premier principe, et ôtait à la
comédie tout ce qui en fait le plaisir, c’est-à-dire, le jeu des passions. On rejette en
partie sur les libertés et les indécences de l’ancien théâtre les invectives des Pères
contre les
représentations et les jeux scéniques. On se trompe si
on veut parler de la tragédie : car ce qui nous reste des anciens païens en ce genre-là,
(j’en rougis pour les chrétiens) est si fort au-dessus de nous en gravité et en sagesse,
que notre théâtre n’en a pu souffrir la simplicité. J’apprends même que les Anglais se
sont élevés contre quelques-uns de nos poètes, qui à propos et hors de propos, ont voulu
faire les héros galants, et leur font pousser à toute outrance les sentiments tendres. Les
anciens du moins étaient bien éloignés de cette erreur, et ils renvoyaient à la comédie
une passion qui ne pouvait soutenir la sublimité et la grandeur du tragique : et toutefois
ce tragique si sérieux parmi eux, était rejeté par leurs philosophes. Platon ne pouvait
souffrir les lamentations des théâtres qui
« excitaient, dit-il, et flattaient en nous cette partie faible et plaintive, qui s’épanche en gémissements et en pleurs ». Et la raison qu’il en rend, c’est qu’il n’y a rien sur la terre ni dans les choses humaines, dont la perte mérite d’être déplorée avec tant de larmes. Il ne trouve pas moins mauvais qu’on flatte cette autre partie plus emportée de notre âme, où règnent l’indignation et la colère : car on la fait trop émue pour de légers sujets. La tragédie a donc tort, et donne au genre humain de mauvais exemples lorsqu’elle introduit les hommes et même les héros ou affligés ou en colère, pour des biens ou des maux aussi vains que sont ceux de cette vie ; n’y ayant rien, poursuit-il, qui doive véritablement toucher les âmes dont la nature est immortelle, que ce qui les regarde dans tous leurs états, c’est-à-dire, dans tous les siècles qu’elles ont à parcourir. Voilà ce que dit celui qui n’avait pas ouï les saintes promesses de la vie future, et ne connaissait les biens éternels que par des soupçons ou par des idées confuses : et néanmoins il ne souffre pas que la tragédie fasse paraître les hommes
« ou heureux ou malheureux »par des biens ou des maux sensibles :
« Tout cela, dit-il, n’est que corruption »: et les chrétiens ne comprendront pas combien ces émotions sont contraires à la vertu ?