(1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XIV. Réponse a l’objection qu’il faut trouver du relâchement à l’esprit humain : que celui qu’on lui veut donner par la représentation des passions est réprouvé même par les philosophes : beaux principes de Platon. » pp. 58-60
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(1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « XIV. Réponse a l’objection qu’il faut trouver du relâchement à l’esprit humain : que celui qu’on lui veut donner par la représentation des passions est réprouvé même par les philosophes : beaux principes de Platon. » pp. 58-60

XIV. Réponse a l’objection qu’il faut trouver du relâchement à l’esprit humain : que celui qu’on lui veut donner par la représentation des passions est réprouvé même par les philosophes : beaux principes de Platon.

On dit qu’il faut bien trouver un relâchement à l’esprit humain, et peut-être un amusement aux cours et au peuple. Saint Chrysostome répond, que sans courir au théâtre, nous trouverons la nature si riche en spectacles divertissants, et que d’ailleurs la religion et même notre domestique sont capables de nous fournir tant d’occupations où l’esprit se peut relâcher, qu’il ne faut pas se tourmenter pour en chercher davantage : enfin que le chrétien n’a pas tant besoin de plaisir, qu’il lui en faille procurer de si fréquents et avec un si grand appareil. Mais si notre goût corrompu ne peut plus s’accommoder des choses simples, et qu’il faille réveiller les hommes gâtés par quelques objets d’un mouvement plus extraordinaire ; en laissant à d’autres la discussion du particulier qui n’est point de ce sujet, je ne craindrai point de prononcer qu’en tout cas, il faudrait prouver des relâchements plus modestes, des divertissements moins emportés. Pour ceux-ci, sans parler des Pères, il ne faut pour les bien connaître, consulter que les Philosophes. « Nous ne recevons , dit Platon, ni la tragédie ni la comédie dans notre ville ». L’art même qui formait un comédien à faire tant de différents personnages lui paraissait introduire dans la vie humaine un caractère de légèreté indigne d’un homme, et directement opposé à la simplicité des mœurs. Quand il venait à considérer que ces personnages qu’on représentait sur les théâtres étaient la plupart ou bas ou même vicieux, il y trouvait encore plus de mal et plus de péril pour les comédiens, et il craignait que « l’imitation ne les amenât insensiblement à la chose même » C’était saper le théâtre par le fondement et lui ôter jusqu’aux acteurs, loin de lui laisser des spectateurs oisifs. La raison de ce philosophe était qu’en contrefaisant ou en imitant quelque chose, on en prenait l’esprit et le naturel : on devenait esclave avec un esclave ; vicieux avec un homme vicieux ; et surtout, en représentant les passions, il fallait former au-dedans celles dont on voulait porter au dehors l’expression et le caractère. Le spectateur entrait aussi dans le même esprit : il louait et admirait un comédien qui lui causait ces émotions ; ce qui, continue-t-il, n’est autre chose «  que d’arroser de mauvaises herbes qu’il fallait laisser entièrement dessécher ». Ainsi tout l’appareil du théâtre ne tend qu’à faire des hommes passionnés, et à fortifier « cette partie brute et déraisonnable », qui est la source de toutes nos faiblesses. Il concluait donc à rejeter tout ce genre de « poésie voluptueuse, qui, disait-il, est capable seule de corrompre les plus gens de bien ».