(1664) Traité contre les danses et les comédies « Chapitre XIV. Que les danses sont aussi défendues les jours des Fêtes par les lois Canoniques. » pp. 76-93
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(1664) Traité contre les danses et les comédies « Chapitre XIV. Que les danses sont aussi défendues les jours des Fêtes par les lois Canoniques. » pp. 76-93

Chapitre XIV.
Que les danses sont aussi défendues les jours des Fêtes par les lois Canoniques.

Voyons maintenant quelle est la conformité des Constitutions, et des Ordonnances de l’Eglise avec les Lois des Empereurs. Elles ne défendent pas avec moins de rigueur ces usages sensuels et profanes, comme l’on voit dans un Canon du Concile de Carthage, qui fut célébré presque à même temps que ces lois que nous avons citées de l’Empereur Valentinien et des autres furent faites ; et ce Canon est inséré dans le Droit. « Que celui-là soit excommunié, et retranché de la participation des saints mystères, dit le Concile, qui au lieu de se trouver aux assemblées des fidèles dans l’Eglise, emploie mal le temps qui est consacré au culte de Dieu, et assiste aux spectacles les jours des Fêtes. »
Le troisième Concile de Tolède, au dernier chapitre rapporté aussi dans le Droit, parle encore fortement sur ce sujet. « Il faut , dit-il, exterminer cette coutume pernicieuse, et contraire à la Religion, par laquelle le peuple déshonore les solennités des Saints. Car au lieu de se rendre avec fidélité, et avec ferveur aux divins Offices, ils s’occupent à danser, et à dire des chansons profanes et indécentes ; et ils ne se causent pas seulement du dommage à eux-mêmes, en souillant la pureté de leur conscience par les péchés qu’ils commettent ; mais ils troublent les autres dans leurs dévotions. » Il faut donc que tous ceux qui sont constitués en dignité et en charge, travaillent de toute leur force, et avec vigueur, à détruire entièrement un abus si insupportable ; et la puissance séculière doit se joindre à l’Ecclésiastique, et s’employer aussi bien qu’elle pour anéantir une pratique, qui est si opposée à l’esprit du Christianisme, et de la vraie piété.

Mais il est nécessaire de combattre en cet endroit la manière d’interpréter ces Canons, et les opinions relâchées des Casuistes, qui en ont voulu altérer le véritable sens par des gloses dangereuses : car de ce que les Canons en défendant la danse, et toute sorte de spectacles les jours des Fêtes, font mention du temps des divins Offices ; quelques-uns ont pris occasion de dire, que cette prohibition de la danse, et des autres divertissements mondains, n’a été faite qu’en considération des Offices divins ; et ainsi, qu’il est permis aux fidèles de danser en tout autre temps que celui des Offices ; et c’est le sentiment d’Angélus. Mais Sylvestre ouvre encore davantage la porte au relâchement de la discipline Ecclésiastique, que cet Auteur a commencé d’introduire ; et donnant plus d’étendue à la fausse liberté que désirent ceux qui ne cherchent que leur plaisir ; il condamne l’opinion d’Angélus d’une excessive sévérité, pour avoir mis au rang des divins Offices les Vêpres et les Sermons, et parce qu’il n’excuse pas de grief péchéb, ceux qui auraient employé quelque temps notable, c’est-à-dire la plus grande partie du jour dans cette sorte d’exercices.

Pour moi je suis bien éloigné du jugement qu’il en porte ; car non seulement je ne crois point qu’Angélus ait été excessivement sévère ; mais j’ose dire qu’il a fait tort à la vérité, et qu’il a été très hardi de vouloir limiter ainsi par son interprétation particulière l’obligation que les Canons imposent sans restriction aux fidèles. Sans doute que ces Auteurs ont eu plus d’égard dans cette occasion à l’usage commun de leur temps, qu’à la vérité et à l’esprit de l’Eglise.

Je dis donc que ces Canons dans la prohibition de la danse, n’ont parlé que des divins Offices, parce que les saints Conciles n’ont pas jugé qu’on peut dans un même jour vaquer aux mêmes Offices divins, et s’adonner aux divertissements du monde. Car encore bien que par le refroidissement de la charité, et de la piété Chrétienne, les fidèles commencent maintenant à donner moins de temps à ces actions saintes, et à demeurer moins assemblés dans les lieux saints ; il est néanmoins constant, que suivant l’usage des siècles passés, et suivant la discipline ancienne de l’Eglise, les jours des Fêtes étaient presque entièrement occupés par les exercices spirituels qui se faisaient dans les Eglises. En effet, ne voit-on pas dans la lecture des Pères, que les Messes solennelles, les lectures saintes, la psalmodie, les exhortations, et les Sermons, ne donnaient point le loisir aux Chrétiens de vaquer à quelque autre chose, mais les obligeaient d’être continuellement dans les lieux saints ?

C’est ce que nous font comprendre ces admirables paroles que nous avons rapportées auparavant du Concile de Mâcon ; « Que vos yeux et vos mains soient sans cesse pendant tout ce jour, élevées vers Dieu. » Je dis bien davantage, il est impossible que cette occupation continuelle aux choses de Dieu, pendant les jours des Fêtes, ne se trouve par tous les lieux où l’on travaille sérieusement à rétablir le culte divin ; car les Heures Canoniales, la solennité des Messes, la Doctrine Chrétienne commandée par le Concile de Trente, et les Sermons, remplissent toute la journée.

Et quand bien même les Offices divins, et les exercices pour lesquels les fidèles s’assemblent, ne rempliraient pas entièrement le temps ; les Constitutions de l’Eglise ne permettraient pas néanmoins qu’on l’employât au jeu et à la danse, parce que la raison principale et fondamentale, pour laquelle on doit retrancher ces divertissements, subsiste toujours, qui est l’obligation de sanctifier les Fêtes, établie dans la loi de Dieu même. Car quoique les assemblées des Chrétiens dans les Eglises soient des moyens qui servent excellemment à cette sanctification ; s’il arrive toutefois qu’elles aient cessé en partie en quelques lieux par le relâchement de la piété ; les fidèles ne laissent pas d’être tenus de renoncer à ces vaines et profanes récréations en ces saints jours, afin de les passer saintement.

Et il n’y a point de défense qui ne soit fondée sur cette raison importante, puisque la cessation même des œuvres extérieures et serviles, n’est ordonnée que pour cela. Ce que le Pape Nicolas a déclaré dans l’endroit que nous avons auparavant cité. « Il faut s’abstenir, dit ce Souverain Pontife, les jours des Fêtes de toutes les affaires séculières, afin que l’âme Chrétienne puisse plus librement et entièrement les passer dans l’Eglise, et s’entretenir avec Dieu par des Psaumes, des Hymnes, et des Cantiques spirituels. » Il est donc évident par l’autorité de ce Pape, et par plusieurs autres que nous en avons rapportées, que le fondement général de toutes les prohibitions qui regardent la solennité des Fêtes, est l’obligation de les sanctifier, qui nous est imposée dans l’Ecriture sainte, et par le commandement de Dieu même.
Ce qui est invinciblement confirmé par les lois des Empereurs que nous avons encore citées, dans lesquelles ces Princes zélés pour la gloire de Dieu, défendent comme un crime, de s’adonner les jours des Fêtes aux exercices qui servent à la volupté et au plaisir, par la considération de cette même obligation que les Chrétiens ont de s’appliquer uniquement au culte de Dieu, et de travailler à leur propre sanctification. « Il faut bannir, disent-ils, et les comédies, et les combats du Cirque, et toutes les autres choses qui ont été inventées pour la satisfaction sensuelle, afin que l’esprit des Chrétiens s’occupe pendant tout ce jour au culte divin » ; et, « qu’ils apprennent que les Fêtes ne sont pas des jours destinés aux plaisirs du corps, mais à l’adoration, et à la prière » ; et, « nous ne voulons point que les jours, qui sont dédiés à la souveraine majesté de Dieu, soient employés à contenter les sens ».

Puisque donc les Empereurs ont si absolument défendu toute sorte de jeux, de divertissements séculiers, et de plaisirs sensuels, afin que le peuple fidèle sanctifiât les Fêtes, et vaquât de tout son cœur aux choses de Dieu ; ce serait faire injure à l’autorité Sacerdotale, et à la puissance Ecclésiastique de penser que des saints Evêques eussent été moins exacts qu’eux dans leurs Ordonnances sur ce sujet, principalement puisque nous voyons qu’ils ne parlent jamais dans leurs écrits des jeux et des spectacles, qu’avec horreur et avec exécration.

J'ajoute que les lettres du Roi d’Espagne qui furent envoyés au Concile de Tolède, où sont marqués les points principaux qui doivent faire la matière des Décrets de ce Concile, portent simplement et absolument, c’est-à-dire, sans exception, ni limitation, « Qu’il est nécessaire de défendre les danses, et les chansons profanes, pendant les jours des Fêtes des Saints ». Et dans l’ordre des Chapitres de ce Concile, il est aussi dit, sans restriction « que l’on défendra qu’on ne danse point les jours des Fêtes des Saints ». Il paraît donc clairement de toutes ces preuves, que les spectacles, les jeux et les danses sont illicites, au moins en ces saints jours, et que l’opinion de ceux qui restreignent la prohibition de ces choses au temps des divins Offices doit être rejetée, comme une invention de l’esprit humain et particulier.

On pourrait peut-être nous objecter qu’il n’est parlé que des spectacles dans quelqu’unc de ces Canons, et dans quelques lois que nous avons rapportées ; mais cette difficulté est si légère, qu’elle ne mérite pas que nous nous y arrêtions. On sait assez que le nom de spectacle comprend généralement toute sorte de divertissements qui ont été fréquentés, et qui sont recherchés pour le plaisir ; et les lois que nous avons citées dans le Chapitre précédent le déclarent encore assez. Ainsi comme la danse est un exercice de cette nature, on ne peut point raisonnablement douter qu’elle ne soit comprise dans la défense des spectacles.

D’ailleurs, la raison sur laquelle ces lois sont appuyées, regarde la danse aussi bien que les autres divertissements mondains ; car elles prohibent ces divertissements, parce que les jours des Fêtes sont destinés à gémir humblement : l’on ne fait pas moinsd au bal, et à la danse qu’à la comédie et aux autres spectacles. Mais n’est-ce pas assez qu’il y ait des autorités expresses, et des ordonnances formelles qui interprètent celles qui parlent moins clairement, et qui contiennent en propres termes la prohibition de la danse ? Enfin la manière dont les Docteurs ont expliqué ces Canons ne nous laisse aucun doute sur ce sujet, et nous convainc, qu’encore qu’il n’y soit parlé que de spectacles en général, il faut néanmoins comprendre la danse dans ces prohibitions, puisque aucun d’eux ne l’en a jamais exceptée, et qu’ils n’ont jamais douté qu’elle n’y fût comprise.

Pour reprendre donc tout ce que nous avons dit dans ces deux derniers Chapitres, il est constant que le bal et les danses sont incompatibles avec la sanctification des Fêtes, et que toute sorte de jeux et de spectacles sont défendus en ces mêmes jours par les lois Ecclésiastiques et civiles. D’où il s’ensuit sur le principe commun, et reçu de tout le monde, que celui-là pèche mortellement, qui en ces saints jours emploie injustement le temps en cette sorte d’exercices, si ce n’est que l’ignorance et le sentiment relâchée de ceux qui lui donnent conseil, et qui le conduisent, puisse diminuer sa faute : ce que Dieu n’a jamais promis.