(1843) Le Théâtre, par l'Auteur des Mauvais Livres « Le Théâtre. » pp. 3-43
/ 426
(1843) Le Théâtre, par l'Auteur des Mauvais Livres « Le Théâtre. » pp. 3-43

Le Théâtre.

Il est bien triste de voir qu’après plusieurs années d’une éducation chrétienne, tant de personnes de l’un et de l’autre sexe se laissent entraîner par le torrent du monde, on dirait presque sans crainte et sans remords ; mais ce qui est plus affligeant encore, c’est de savoir que bien souvent les parents eux-mêmes sont les premiers à perdre leurs enfants. Les uns n’exercent aucune surveillance sur eux ; il les abandonnent à tous les désirs de leur cœur ; les autres, plus coupables encore, les y poussent aveuglément. La lecture des romans, la fréquentation du théâtre, les danses lascives, la mise indécente semblent être de rigueur. Cependant ils ne peuvent ignorer par tout ce qui se passe autour d’eux, et peut-être déjà dans leur propre famille les funestes effets de cette conduite inexcusable.

Il y a surtout un danger, parmi tant d’autres, où bien souvent la pureté de la foi et l’innocence des mœurs font un triste naufrage ; c’est le théâtre. En élevant la voix contre cette école de l’immoralité, « nous nous proposons d’empêcher que quelqu’un ne se fasse illusion en croyant qu’il est permis d’aller au spectacle, car l’amour du plaisir a tant de force sur la plupart des hommes, qu’il les porte à différer de s’instruire de ce qui leur est défendu, pour avoir un prétexte de s’y satisfaire, ou à tâcher de corrompre leur propre conscience par de fausses raisons par lesquelles ils se persuadent que le mal, auquel ils ne veulent pas renoncer, n’est pas un mal réel. En est-on moins dans l’erreur ? Et ce que Dieu condamne parce qu’il est mauvais, peut-il jamais être excusé ou approuvé comme bon ? Les choses ne sont réellement que ce qu’elles sont selon la vérité de Dieu et le jugement qu’il en porte. » Tertull. des Spectacles, ch. 1.

1re objection, ou 1re excuse.

Le théâtre toléré à Rome.

Si les spectacles sont si pernicieux, nous disent les partisans du théâtre, pourquoi le Pape les souffre-t-il à Rome ? Nous répondrons que si les théâtres sont tolérés à Rome ils n’en sont pas pour cela justifiés. En 1696 le Pape Innocent XII fit démolir le premier théâtre stable et public à Rome. En 1748 Benoît XIV, grand Pontife, déclara authentiquement que c’est avec regret qu’il se voit forcé à tolérer des gens qu’il ne pouvait approuver, pour empêcher de plus grands maux. Les souverains Pontifes à l’exemple de St. Charles Borromée se sont vus obligés de réduire leur zèle à demander au Ciel la patience pour supporter les scandales qu’ils ne pouvaient abolir. « Il est quelquefois nécessaire de tolérer quelque folies du peuple, dit Théodoric, roi d’Italie, pour l’empêcher de donner dans de plus grands écarts. » S. Thomas remarque aussi que les lois humaines ne sont pas tenues à réprimer tous les maux. Ceux qui nous citent la tolérance du souverain Pontife à l’égard du théâtre de Rome, comme si le saint Père ne réprouvait pas les spectacles, sont-ils de bonne foi ? Pourquoi n’ajoutent-ils pas que le saint Père fait surveiller le théâtre à Rome ; qu’il y existe une censure pour les pièces et pour le costumes. — Qu’on mette partout, comme à Rome, le théâtre sous la surveillance ecclésiastique et nous adoucirons nos expressions.

2e objection, ou 2e excuse.

Les bonnes personnes qui fréquentent le théâtre.

Si les spectacles sont si pernicieux, nous dit-on encore, pourquoi y voit-on tant de bonnes personnes ? Nous répondrons que ce n’est point d’après ces exemples, mais d’après les lois que nous devons nous conduire ; « or, ni le temps, ni la dignité des personnes, ni les priviléges des pays, ne peuvent prescrire contre la loi de Dieu. Tertull. La mauvaise coutume ne peut pas prévaloir sur la vérité, car une coutume, qui n’a pas la vérité pour fondement, est une vieille erreur. (Saint Cypr.) » S’il y a de grands exemples pour la comédie, il y a des raisons invincibles contre. C’est la réponse que fit le grand Bossuet à Louis XIV : « Je crains, dit cet illustre prélat, que la probité de ces gens ne soit celle du monde, qui ne savent s’ils sont chrétiens ou non, et qui s’imaginent avoir rempli tous les devoirs de la vertu lorsqu’ils vivaient en gens d’honneur sans tromper personne, pendant qu’ils se trompaient eux-mêmes en donnant tout à leurs plaisirs ; ils ignorent que quand ils n’auraient rien à craindre pour eux-mèmes, ils auraient encore à craindre le scandale, qu’ils donnent aux autres. Ils ne savent pas même ce que prononce l’apôtre saint Paul : que ceux qui consentent à un mal, y participent. »

3e objection, ou 3e excuse.

Les confesseurs qui permettent la fréquentation du théâtre.

Cependant ces personnes fréquentent les sacrements ; et si les spectacles étaient si pernicieux, des confesseurs les permettraient-ils à leurs pénitents ?

Répliquons d’abord : si les spectacles sont innocents pourquoi des confesseurs les défendent-ils à leurs pénitents ? Pourquoi refusent-ils l’absolution à ceux qui persistent à les fréquenter ? Pourquoi cette conduite leur est-elle prescrite par leurs supérieurs légitimes* ? Si on accuse ceux-ci de rigorisme, ne peut-on pas avec bien plus de raison accuser les autres de laxisme ? S’il est des confesseurs qui, connaissant les vrais principes de la morale chrétienne sur la comédie, refusent de s’y conformer, pourquoi nous opposer leur conduite ? « Mes chers frères, dit le cardinal Delci avec trente-six autres tant cardinaux qu’archevêques et évêques d’Italie, mes chers frères, ne vous laissez pas séduire par les guides qui, peu instruits dans l’art de conduire les âmes, osent vous permettre d’aller aux spectacles et assurer que tout ce que nous pouvons vous dire pour vous en éloigner ne sont que des déclamations des SS. Pères contre les spectacles de leur temps, mais tout à fait déplacées contre ceux de nos jours. » Pour un confesseur peu instruit et peu exact, qui permet le théâtre, combien trouve-t-on de confesseurs sages et instruits, qui le défendent ? Lesquels faut-il suivre.

S’il se trouve des fidèles qui fréquentent à la fois les sacrements et les spectacles, ne peut-on pas dire avec plus de vraisemblance que cela arrive non pas parce que les confesseurs permettent les spectacles à leur pénitents, mais parce que les pénitents n’en parlent pas à leurs confesseurs et vont quelquefois jusqu’à dire, au risque de commettre un sacrilége : Je me garderai bien de parler de tout cela à mon confesseur, il finirait bien par m’interdire tout amusement.

On ne comprend pas, dit-on encore, comment tel confesseur permet ce que tel autre défend. L’Évangile est-il donc différent ? Cette différence de conduite dans les confesseurs dépend souvent du défaut de sincérité dans les pénitents ; d’ailleurs le confesseur est juge du danger que court son pénitent dans telle occasion donnée. Ce qui n’est pas une occasion prochaine de péché pour une telle personne, peut l’être pour telle autre, vu sa faiblesse, son caractère, etc. Dans le premier cas, le confesseur est obligé de condescendre ; dans le second cas, il ne le peut pas, et voilà comment s’explique la différente manière d’agir des confesseurs. Elle paraît capricieuse au premier abord, mais elle est conforme à la morale de l’Évangile et à la doctrine de l’Église. Telle est encore la conduite des confesseurs à l’égard des personnes, qui n’ont pas de raison d’aller au théâtre et à l’égard des personnes qui en ont, comme nous le verons dans ce qui suit :

Faut-il condamner les personnes, qui par les devoirs de leur état ne doivent pas abandonner la personne auguste de leur souverain et qui par conséquent sont inviolablement obligées de les accompagner aux spectacles publics ? La réponse a été faite dans une excellente dissertation, qui a paru à Rome du temps de Benoît XIV. La voici : les personnes qui se trouvent dans cette obligation indispensable ne doivent y assister qu’à regret et en gémissant dans le fond de leur cœur. Telle était la disposition de l’illustre princesse Anne-Henriette de France, qui disait à une personne qu’elle honorait de sa confiance : « Je vous avoue que, quelque gaie que je sois en allant à la comédie, sitôt que je vois les premiers acteurs paraître sur la scène, je tombe tout à coup dans la plus profonde tristesse. Voilà, me dis-je à moi-même, des hommes qui se damnent de propos délibéré pour me divertir. Cette réflexion m’occupe et m’absorbe tout entière pendant le spectacle. Quel plaisir pourrais-je y goûter ? » Telle doit être la disposition de ces autres personnes, qui d’après le conseil d’un sage confesseur et pour des raisons graves, vont quelquefois forcément au théâtre.

4e objection, ou 4e excuse.

On va aux spectacles pour trouver compagnie, ou pour la musique.

Mais que répondre à une personne qui vous dit : Je vais au spectacle, moins pour la comédie, que pour y trouver compagnie, et me procurer un délassement. J’y vais pour la musique.

On va au théâtre pour trouver compagnie ! Mais ne sait-on pas, d’après les témoignages de d’Alembert même et de J.-J. Rousseau, que les spectacles ne sont nécessaires que pour y rassembler « des gens intrigants, désœuvrés, sans religion, sans principes, dont l’imagination dépravée par l’oisiveté, la fainéantise et l’amour du plaisir n’engendre que des monstres et n’inspire que des forfaits ; or sied-il bien à des personnes vertueuses d’aller se confondre avec ces gens oisifs et corrompus » ? Peut-il être permis à un chrétien d’aller chercher de semblables compagnies ? S’il n’y était pas question de coquetterie, d’intrigues d’amour, etc. la plupart des personnes ne préfèreraient-elles pas d’aller se délasser dans des lieux moins empestés ? On n’y va que pour la musique ! Mais d’où vient donc que quand on en sort on est si bien instruit de la réussite de tel ou de tel comédien, de la figure et des charmes dangereux de telle ou de telle comédienne ? D’ailleurs, est-il jamais permis de s’exposer à l’occasion de péché mortel, de soutenir les comédiens, de scandaliser le prochain, pour trouver compagnie ou pour la musique ?

5e objection ou 5e excuse.

On va au théatre par complaisance pour des amis.

Je vais excessivement peu au spectacle, vous dira une autre personne. Ce plaisir, je l’avoue, répugne à ma conscience, et si tout le monde faisait comme moi, le théâtre se fermerait bientôt ; mais lorsque la bienséance l’exige, lorsque des amis réclament ma complaisance pour les y conduire, je ne suis point assez ridicule pour m’y refuser. D’ailleurs que j’aille, ou que je n’aille point, les spectacles n’en iront pas moins leur train ; et là-dessus cette personne se tranquillise sur sa démarche, qu’elle considère comme un devoir de société. Elle ignore donc qu’il n’est jamais permis de faire le mal par complaisance pour des amis, que le devoir de la charité exige de ne pas faciliter aux autres les occasions de péché, et qu’il suffit de se joindre à ceux qui font le mal pour mériter la même punition, quoique le mal se fût fait sans eux.

6e objection, ou 6e EXCUSE.

Le théâtre ne fait aucun mal à certaines personnes.

Des raisons invincibles et des témoignages sans nombre prouvent fort bien, dit-on encore, que le théâtre peut être une occasion prochaine de péché mortel pour un certain nombre de spectateurs ; mais il faut avouer aussi qu’il en est d’autres à qui la comédie ne fait aucun mal.

C’est précisément ce que disaient autrefois à Tertullien, à S. Cyprien, à St. Grégoire de Nazianze et à S. Chrysostôme tous ceux qui couraient aux spectacles de leur temps. « Êtes-vous donc de fer ou de pierre, leur demandait le dernier, pour ne recevoir aucune impression de la vue, de la parole, du chant, des gestes des acteurs et des actrices ? » Les spectacles ne vous font pas la moindre impression, « mais n’est-ce pas, demande Bossuet, parce qu’il vous en ont trop fait ? N’est-ce pas pour vous être trop familiarisé avec les mortelles impressions que vous ne vous en apercevez plus. Que pensez-vous d’un malade, qui ne sent plus ses maux ? Son état est-il moins dangereux ? »

Quand on dit que la comédie ne fait faire aucun péché à certaines personnes, a-t-on oublié qu’il y a des choses, qui, sans avoir des effets marqués, mettent dans les âmes de secrètes dispositions très-mauvaises, quoique leur malignité ne se déclare pas toujours d’abord. Tout ce qui nourrit les passions est de ce genre…

On n’y trouverait que trop de matière à la confession, si l’on cherchait en soi-même les causes du mal.

Comment peut-on soutenir, sans péché, des pièces, où la vertu et la piété sont toujours ridicules, la corruption toujours excusée et toujours plaisante, et la pudeur toujours offensée, ou toujours en danger d’être violée par les derniers attentats, par les expressions les plus impudentes, à qui l’on ne donne que les enveloppes les plus minces. L’adresse de cacher le grossier ne sait qu’y attirer la volonté d’une manière plus délicate. Mais on ne prend plus la peine de rien cacher. Les passions s’y montrent souvent dans toute leur nudité, et ce qui plus est, la Religion catholique y reçoit de nos jours les plus sanglants outrages, le temple du Seigneur et ses chants augustes sont employés à rehausser la scène lubrique : quel sacrilége* ! Tout y est sacrifié au jeu des passions. Il ne sert de rien de répondre qu’on n’est occupé que des spectacles sans songer au sens des paroles, ni aux sentiments qu’elles inspirent **. « Car c’est précisément là le danger, pendant qu’on est enchanté par la douceur de la mélodie, ou étourdi par le merveilleux du spectacle, ces sentiments s’insinuent sans qu’on y pense, et plaisent sans être aperçus. Rien de plus naturel aux pièces de théâtre, que d’exciter les passions, qui y sont représentées ; car c’est là le dessein formel de ceux qui les composent, de ceux qui les récitent, de ceux qui les écoutent. Pourquoi en est-on touché, si ce n’est qu’on y voit, qu’on y sent l’image, l’attrait, la pâture de ses passions, et tout cela est-ce autre chose qu’une déplorable maladie de notre cœur. On devient bientôt acteur secret dans la tragédie ; on y joue sa propre passion. » (Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie.)

Mais tout cela, dira-t-on, paraît sur le théâtre comme une faiblesse, « Quand on l’accorderait ainsi, aux défenseurs des spectacles, ils ne pourraient nier qu’il y paraît comme une belle, une noble faiblesse, comme la faiblesse des héros et des héroïnes, enfin comme faiblesse si artificieusement changée en vertu qu’on l’admire, qu’on l’applaudit sur tous les théâtres, et qu’elle doit faire une partie essentielle des plaisirs publics ; et cette noble faiblesse de quelque manière qu’on la tourne et qu’on la dore, dans le fond, ce sera toujours, quoiqu’on puisse dire, la concupiscence de la chair. (Bossuet, Réflexions sur la comédie.)

Le théâtre est donc une école de scandale et de libertinage. En effet c’est là qu’une jeune personne apprend comment on peut se livrer à des intrigues dangereuses en échappant à la surveillance de ses parents ; c’est là qu’une femme, jusque-là modèle de la fidélité conjugale, oublie peu à peu ses principes, s’habitue à entendre sans rougir des propos obscènes, sourit au langage spirituel d’un libertin et en vient quelquefois à se précipiter dans l’abîme. C’est là qu’un jeune homme, dont la vertu faisait le bonheur de sa famille, apprend à connaître le vice et à mépriser les conseils d’un père vertueux ; c’est là enfin que se préparent tant d’infidélités dans le mariage.

Lorsqu’on blâme les comédies comme très-dangereuses, les gens du monde disent tous les jours qu’ils ne sentent point ce danger. (Nous venons d’y répondre.) Poussez-les un peu plus avant, ils vous en diront autant des nudités, non-seulement de celles des tableaux, mais encore de celles des personnes. (Cependant tous les théologiens, d’un commun accord, les condamnent hautement.) «  Ils ne sentent rien, disent-ils, et on peut les croire sur parole. Ils n’ont garde de sentir le poids de l’eau, quand ils en ont au-dessus de la tête ; et pour parler aussi à ceux qui commencent, on ne sent le cours de la rivière que lorsqu’on s’y oppose. Si on s’y laisse entraîner, on ne sent rien si ce n’est peut-être un mouvement assez doux d’abord ; et vous ne sentez le mal qu’il vous fait que quand vous vous noyez. » Bossuet, (Réflexions sur la comédie.)

Quand on s’abuserait assez pour croire qu’on n’a rien à craindre des impressions du théâtre et qu’on n’y fait aucun mal, on ne peut se défendre de celui qu’y sont les acteurs et les actrices, suivant cette maxime de St. Paul : Ceux qui font le mal et ceux qui l’autorisent par leur consentement, sont devant Dieu coupables du même péché. « Or, défendre au comédien d’être vicieux, c’est défendre à l’homme d’être malade (J.-J. Rousseau.) N’est-ce pas encore un grand mal, demandent St. Chrysostôme et Bossuet, d’être aux autres un sujet de scandale en les attirant par vos exemples à des représentations ? Ne perdez point par votre exemple celui pour qui Jésus-Christ est mort. Comptez-vous pour rien l’argent, dont vous faites un si mauvais emploi. N’est-ce donc rien aux spectateurs de payer le luxe de ces actrices, dont les regards sont mortels, de nourrir leur corruption, d’aller apprendre d’elles ce qu’il ne faudrait jamais savoir ? Vous ne vous croiriez pas innocens, dit l’évêque d’Arras, si vous fournissiez à une créature impudique les moyens d’entretenir son mauvais commerce, et vous croiriez l’être en donnant lieu, solidairement avec les autres qui assistent aux spectacles, à entretenir les acteurs et les actrices dans un état qui sûrement les damne. » Ces personnes pèchent grièvement, dit un célèbre théologien*, qu’on n’accusera pas de rigorisme, parce qu’elles coopèrent au péché mortel des comédiens, qui sont eux-mêmes cause des péchés que commettent les spectateurs.

7e objection, ou 7e excuse.

je choisis les bonnes pièces.

Voyez la réponse pag. 27, 28, 29, 30 et 32.

Ce que nous venons de dire en réfutation des objections qu’on fait en faveur du théâtre, devrait suffire pour éloigner à tout jamais des spectacles toute personne honnête, qui respecte encore la foi et les mœurs ; mais dans une question que la passion cherche à obscurcir de toutes les manières, on ne dira jamais assez. C’est pourquoi nous en appellerons au témoignage non-seulement des pasteurs et des docteurs de l’Église, mais encore à celui des plus grands écrivains, des plus célèbres littérateurs, de ceux-là même qui ont le plus travaillé pour le théâtre.

Commençons par ces derniers.

« Corneille du théâtre abjurant les maximes,
» Eût voulu n’en avoir jamais souillé ses rimes. »
Lebrun.

Le grand Corneille ne se rassura jamais entièrement sur l’abus qu’il avait fait de ses talents. Il consacra ses dernières années à le réparer.

« N’est-il pas bien cruel, dit un apologiste du théâtre, que les auteurs de Cinna, d’Héraclius, de Phèdre (Corneille et Racine), aient été fondés à verser des larmes d’un juste repentir. »

Bossuet se sert du témoignage de Racine pour prouver que la représentation de ses tragédies est dangereuse à la pudeur. Ce grand tragique a consigné ces sentiments dans une lettre à son fils, où il l’exhorte à fuir le théâtre, qu’il avait abandonné avec repentir. « Croyez-moi, mon fils, lui écrit-il, quand vous saurez parler de romans et de comédies, vous n’en serez guère plus avancé pour le monde, et ce ne sera pas par cet endroit-là que vous serez estimé. Vous savez ce que je vous ai dit des opéras et des comédies, on doit en jouer à Marley : le roi et la cour savent le scrupule que je me fais d’y aller, et ils auraient une mauvaise opinion de vous, si vous aviez si peu d’égard pour mes sentiments. Je sais bien que vous ne serez pas déshonoré devant les hommes, en allant aux spectacles, mais comptez-vous pour rien de vous déshonorer devant Dieu. » « Songez, » dit Bossuet, « si vous jugez digne du nom de chrétien de trouver honnôte la corruption réduite en maximes dans les opéras de Quinault avec toutes les fausses tendresses et toutes les trompeuses invitations à jouir du beau temps de la jeunesse, qui retentissent partout dans ses poésies. Pour moi, je l’ai vu cent fois déplorer ces égarements.

« L’unique regret qui me reste, dit le célèbre Gresset, en parlant de ses pièces, c’est de ne pouvoir point assez effacer le scandale que j’ai pu donner à la Religion par ce genre d’ouvrages, et de n’être point à portée de réparer le mal que j’ai pu causer. Guidé par la foi, ce flambeau lumineux, devant lequel toutes les lueurs des temps disparaissent, devant lequel s’évanouissent toutes les rêveries sublimes et profondes de nos faibles esprits forts, je vois sans nuages que les lois sacrées de l’Evangile et la morale profane, le sanctuaire et le théâtre, sont des objets inalliables.

Gresset renonça à travailler au théâtre dans le temps même que ses talents si enviés de Voltaire lui promettaient un nouveau genre de célébrité dans la carrière dramatique.

Dorat, grand amateur du théâtre, nous dit dans ses réflexions sur l’art dramatique, qu’on va aux spectacles pour y retrouver ses penchants et ses vices. « Si les pièces présentent quelquefois des leçons de vertu, dit M. Simonet, on n’en rapporte cependant que les impressions du vice. On ne peut faire réussir une pièce, ajoute Nougaret, qu’en flattant les passions des cœurs corrompus. La comédie et la tragédie mettent toujours l’amour en jeu. De plus de quatre cents tragédies qu’on a données au théâtre, c’est la remarque de Voltaire, depuis qu’il est en possession de quelque gloire en France, il n’y en a pas dix qui ne soient fondées sur une intrigue d’amour. » D’Alembert lui-même avoue que l’amour règne dans toutes les tragédies de Corneille. Arnaud ayant reproché à Racine d’avoir travaillé en ce sens ; celui-ci lui répondit. « Eh ! monsieur, sans cela qu’auraient dit les petits maîtres ? L’encyclopédie, fait encore un plus grand aveu en disant que le comique obscène est encore souffert sur les théâtres par une sorte de prescription. (Ceci est encore plus vrai de nos jours.) Dans une ode sur la suite du monde, H. Houdart de la Motte appelle le théâtre une vive école des passions . Auteur célèbre d’un grand nombre de pièces, il abjura ses travaux couronnés, et déclara les maximes de ces sortes d’ouvrages diamétralement opposées aux maximes du christianisme. J.-J. Rousseau avait écrit sur le théâtre, il dit entre autres : « L’effet du théâtre est de donner une nouvelle énergie à toutes les passions… Tout est mauvais et pernicieux dans la comédie. Plus elle est agréable, plus son effet est funeste aux mœurs. Qui peut disconvenir que le théâtre de Molière ne soit une école de vices et de mauvaises mœurs plus dangereuses que les livres mêmes où l’on fait profession de les enseigner ! » Voyez avec quel scandale cet homme renverse les rapports les plus sacrés. « Et tourne en dérision les respectables droits des pères sur leurs enfants, des maris sur leurs femmes, des maîtres sur leurs serviteurs. »

D’Alembert voulut prendre la défense du théâtre, mais il fut forcé d’avouer que les spectacles sont un poison dangereux.

Quand on tente la justification du théâtre, dit d’Aubignac, on a contre soi l’infamie dont les lois ont noté les comédiens.

Après ces témoignages osera-t-on dire encore qu’il n’y a que des imbécilles qui condamnent la comédie et qui trouvent mauvais qu’on y aille ? Mais continuons à confondre ceux qui nous accusent de petitesse d’esprit, parce que nous n’aimons pas les spectacles.

Boileau, l’honneur de la France, selon Voltaire, nous dira ce qu’il faut penser du théâtre. « Quoi ! dit-il à ses amis, des maximes qui feraient horreur dans le langage ordinaire se produisent impunément ; dès qu’elles sont mises en vers elles montent sur le théâtre. C’est peu d’y étaler les exemples, qui instruisent à pécher et qui ont été détesté par les païens même, on en fait aujourd’hui des conseils et même des préceptes. » Nos spectacles nous ont appris à ne plus rougir des passions, dit l’illustre d’Aguesseau, les charmes des spectacles et les actions qui y sont représentées, étouffent peu à peu les remords de la conscience, en apaisent les scrupules et en effacent insensiblement cette pudeur importune. Entre tous les plaisirs dangereux pour la vertu il n’y en a pas qui soient plus à craindre que ceux du théâtre. » C’est le sentiment de M. le duc de la Rochefoucault, homme que sa valeur et son esprit mirent au premier rang des seigneurs de la cour. L’esprit de notre Religion, dit M. de Saint-Evremont, écrivain célèbre, est directement opposé au théâtre. Dans une des notes de son cours de littérature, relative à une pièce de Favart, La Harpe s’exprime ainsi : « Quels parents sages et timorés conduiront leur fille à un pareil spectacle ? Et ce que je dis de celui-là, je le dis de tous. » Venons maintenant aux prélats et aux docteurs de l’Église.

« Combien de personnes fort chastes, dit le savant cardinal d’Aguire, qui y sentent exciter des passions, dont elles ne s’apercevaient pas auparavant et qui par là donnent insensiblement accès au déréglement. »

Les spectacles sont des amusements criminels, parce que d’après St-François de Sales ces impertinentes récréations réveillent dans l’âme mille sortes de mauvaises affections . Le grand Bossuet a fait tout un traité pour flétrir le théâtre. « Français, Italiens, Anglais, Espagnols, Corneille, Racine, tous, dit le marquis de Pompignan, se réunissent à consacrer à l’amour la muse de la tragédie. C’est là, dit Fléchier, que le démon forge des traits de feu qui enflamment la convoitise, que la mort entre par les sens. Dans sa lettre à l’Académie, l’illustre Fénélon dit en parlant des spectacles, qu’on n’y représente les passions que pour les allumer. » Et dans son traité sur l’éducation des filles, il parle ainsi : « Souvent on voit des parents, qui mènent eux-mêmes leurs enfants aux spectacles publics et à d’autres divertissements, qui ne peuvent manquer de les dégoûter de la vie sérieuse et occupée dans laquelle ces parents veulent les engager, ainsi mêlent-ils le poison avec l’aliment salutaire… ils leur donnent le goût des passions. »

Le célèbre évêque d’Amiens, M. de La Motte, appelait les spectacles l’écueil inévitable de l’innocence et le péché qui damne ceux qui n’en ont pas d’autre . Il en parla souvent en chaire. Il adressa aux curés, aux confesseurs et aux prédicateurs plusieurs instructions à ce sujet. Le succès couronna ses soins, et dans toute l’étendue de son diocèse une infinité de jeunes personnes renoncèrent aux spectacles. Le saint évêque eut la consolation de faire en ce genre une conquête, qui en valait seule un grand nombre d’autres. Gresset, dont nous avons parlé plus haut, renonça à travailler au théâtre et répondit, par une lettre imprimée, à ceux qui l’accusaient de trahir les intérêts de la république des lettres.

C’était sans doute pour se venger de ces pertes que la malignité fit circuler par toute la France une fable sur le compte du saint évêque d’Amiens. On disait que dans un temps de grande misère, il s’était introduit dans un bal public, qu’il y avait fait une quête pour les pauvres, et que satisfait de ce qu’il y avait recueilli, il était sorti en souhaitant bien du plaisir à la compagnie. Louis XV, qui à ce trait, que les courtisans lui donnaient pour indubitable, ne reconnaissait pas son saint, prit le parti de lui faire écrire pour apprendre de lui ce qui en était. Monseigneur de La Motte répondit au roi « qu’à la vérité il aimait les pauvres, mais pas cependant jusqu’à la folie. »

Vers 1760, Monseigneur Caisotti, évêque d’Ostie en Italie, engagea tous les curés et les prédicateurs de son diocèse à le seconder à prémunir leurs paroissiens et leurs compatriotes contre les spectacles. « C’est là, dit l’évêque de Namur en 1815, c’est là que règne seul l’ennemi de Dieu, le prince des ténèbres ; ces lieux, la vive école des passions, où les auteurs, les acteurs, les spectateurs conspirent tous à les exciter, où l’on ne les représente dans tous leurs charmes ou dans toute leur force que pour les rendre moins odieuses ; que dis-je ! pour rallumer tout leur feu dans un cœur sensible et privé justement alors des grâces, qui les lui auraient fait vaincre. Le saint nom de Dieu invoqué, voulant selon notre devoir pastoral écarter les piéges et les obstacles qui se multiplient au salut des âmes et réprimer, s’il est possible, cette passion effrénée pour le théâtre, conformément aux dispositions des SS. canons et aux règlements de plusieurs saints et dignes évêques, nous défendons aux fidèles de notre diocèse l’assistance aux théâtres, laquelle vu les grands dangers auxquels elle les expose, est un péché grief. » Il serait trop long de citer tous les mandements des autres évêques de la Belgique, qui parlent dans le même sens. Un grand théologien des derniers temps, que l’Église vient de mettre au nombre des saints, saint Alphonse de Liguori, ne craint pas de regarder comme coupables de péché mortel ceux qui assistent aux très-mauvais spectacles. Écoutons Benoît XIV, un des plus grands et des plus savants Pontifes que l’Église ait eus ; « bien loin, dit-il, que les partisans de la morale même la plus relâchée exemptent de péché mortel les ecclésiastiques qui osent aller à de telles comédies, ils décident unanimement que les laïques même ne peuvent presque jamais y assister sans se rendre coupables d’un péché grief.  » (Bened. XIV. de Syn. Diœc. t. 3. l1. c. 10. p. 136.)

Non content de s’être expliqué plusieurs fois sur cette matière, il engagea les plus habiles théologiens d’Italie à découvrir à leurs compatriotes le poison des spectacles et à leur inspirer l’horreur qu’il en avait lui-même. Plusieurs savants ouvrages parurent sur ce sujet.

Nous terminons la citation des témoignages par une remarque de Bossuet sur les SS. Pères, qui tous ont condamné le théâtre. « C’est lire trop négligemment les Pères, dit cet illustre écrivain, que d’assurer qu’ils ne blâment dans les spectacles de leur temps que l’idolâtrie et les impudicités, c’est être trop sourd à la vérité que de ne pas sentir que leurs raisons portent plus loin, ils blâment dans le théâtre, l’inutilité, les passions excitées, la prodigieuse dissipation, etc. » On ne trouvait même plus d’idolâtrie dans les pièces du théâtre, quand elles ont été réprouvées dans le sixième concile général. On n’en voit pas davantage dans celles des 8e et 13e siècles, quand les septième et douzième conciles généraux défendaient aux fidèles d’y assister et que St. Bernard disait avec énergie : ne vous y trompez pas ; Dieu a en horreur les partisans des spectacles.

C’est en vain qu’on prétend que le théâtre a été épuré.

« Des discours trop grossiers le théâtre épuré,
» Cependant par l’amour est par nous consacré,
» Le poison de l’amour a bientôt pénétré,
» D’autant plus dangereux qu’il est mieux préparé. »
Louis Racine à M. de Valincourt.

Si on parlait ainsi du théâtre du siècle de Louis XIV, où trouver les expressions pour flétrir le théâtre de nos jours ?

En 1838, il parut à Schaffouse une brochure, qui dépeint en traits vigoureux les pernicieux effets du théâtre moderne sur les mœurs, la Religion et le bien-être des familles. Citons le passage où cet écrit traite de l’immoralité épouvantable dans laquelle le théâtre est tombé de nos jours, et de la dépravation qui en est la suite nécessaire parmi le peuple. « Un spectacle où la moralité serait respectée, resterait désert de nos jours. Le drame français moderne n’est qu’un tissu de crimes, de blasphèmes et d’horreurs. C’est un monstre moral. Parmi les personnes du sexe, qui figurent dans les pièces de théâtre de Victor Hugo et d’Alexandre Dumas on trouve huit femmes adultères, six courtisanes de différent rang, six victimes de la séduction ; quatre mères ont des intrigues avec leurs fils ou gendres, et dans trois cas le crime suit l’intrigue. Onze personnes sont assassinées par leurs amans ou leurs maîtresses, et dans six de ces pièces, le héros principal est un bâtard ou un enfant trouvé ; et toute cette masse d’horreurs a été entassée par deux auteurs parisiens dans six drames créés dans un espace de trois ans ! »

A l’occasion de la loi sur la police des théâtres, nos chambres législatives retentirent des mêmes plaintes*. « Les grandes, les belles productions, dit M. Dequesne, sont encore à venir. En revanche l’on se trouve inondé d’une nuée d’adultères, d’incestes, de meurtres, d’infanticides et de parricides. Si le théâtre du siècle passé n’est pas à l’abri de tout reproche, au moins s’était-il renfermé dans certaines limites : en est-il de même de notre théâtre moderne, où tous les crimes et toutes les immoralités sont présentées avec une crudité plutôt repoussante que dangereuse ? Le mal, le danger est dans la pensée intime, qui représente tous les crimes comme des faiblesses presque pardonnables, presque louables, et dont on a soin de doter généreusement le héros ou l’héroïne. L’on sape ainsi la base de la famille, du mariage, de la société et de la Religion. Il n’est point jusqu’à l’horreur du vol et de l’assassinat que l’on n’ait cherché à affaiblir, à effacer même. » Voilà comme parle un législateur, un homme du monde.

Écoutons M. Charles Dupin dans un discours public. « Voyez, dit-il, les théâtres tenant école de corruption et de scélératesse…, foulant aux pieds les vertus les plus saintes avec l’intention patente de faire aimer, choyer, admirer le duel, le suicide, l’assassinat et le parricide, l’empoisonnement, le viol, l’adultère et l’inceste, préconisant ces forfaits comme la fatalité glorieuse des esprits supérieurs, comme un progrès des grandes âmes, qui s’élèvent au-dessus de la vertu des idiots, de la religion des simples et de l’humanité du commun peuple ! Cette littérature empoisonnée nous ramène par la corruption à la barbarie. »

Tout cela est vrai, nous diront peut-être ici quelques personnes, mais toutes les pièces ne sont pas aussi détestables, il y en a même encore de bonnes, et ce sont ces bonnes pièces que nous choississons. Nous avons vu plus haut ce qu’il faut penser des meilleures pièces du théâtre, et nous voudrions bien savoir quelles sont ces bonnes pièces modernes. Est-ce peut-être Robert-le-Diable ? où il est parlé, tantôt d’un projet d’enlèvement, — tantôt d’une conquête adultère, — d’un duel d’amour — où le Ciel exauce des vœux criminels, où «  le bonheur est dans l’inconstance, » — où dans une romance amoureuse on invoque la Sainte Vierge pour protéger des amours impures ; où l’on apprend à braver le sacrilége ; où une danse voluptueuse de nonnes alarme la pudeur et la religion ; où l’on trouve l’excès, la vengeance et le désespoir de l’amour, et Dieu invoqué au milieu d’impures alarmes ; où enfin après toutes ces intrigues une cathédrale avec le sanctuaire du Dieu trois fois saint est réprésentée ou plutôt profanée sur le théâtre.

Est-ce la Juive où les beaux sentiments se trouvent du côté des Juifs, et où l’on fait mentir l’histoire pour faire détester le caractère des catholiques ; où travailler le dimanche «  c’est bien mériter du Ciel, fuir le vice et la paresse, c’est honorer l’Éternel  » ; où l’on voit les intrigues, la haine, la vengeance, le parjure et la rage de l’amour accompagnés de blasphèmes et de malédictions, qui font frémir. L’horreur de la jeune Juive pour le baptême exprimée avec des sentiments de foi, est une attaque malicieuse contre le christianisme, au milieu d’une intrigue d’amour entre un catholique et une juive. Le but principal de la pièce paraît être le mépris du catholicisme.

Dans les Huguenots c’est encore le catholicisme, plus barbare que dans la Juire, qui persécute les hérétiques. — Ce sont des moines, qui bénissent des armes meurtrières. C’est la différence de religion qui ne doit pas être un obstacle au mariage : «  l’amour ne connaît ni les dieux, ni les rangs.  » C’est un cortége de mariage, qui se rend à l’église et devant lequel les catholiques s’agenouillent (les imbécilles) ; c’est une prière à la Sainte Vierge, suivie d’une romance ! Et la partie morale ! C’est une foule de descriptions voluptueuses et lascives, c’est la galanterie des clercs, des couplets contre les moines dans la bouche des Huguenots ; c’est le comte de Nevers, débauché, qui ne respecte rien, et qui ose dire en blasphémant : «  Je ris du Dieu de l’univers, lorsqu’à table je bois.  » C’est Marguerite de Valois, qui ne respire que la volupté et qui se moque de la morale austère des ministres de la religion.

Telles sont les trois fameuses pièces qu’on osera peut-être appeler bonnes. — Or, si les bonnes pièces sont si contraires à la Religion et aux mœurs, que penser des autres ?

Mais supposons que les pièces soient bon nes, ce que nous sommes loin d’admettre, les ballets le sont-ils ? Une personne chaste peut elle en supporter la vue ?

Il y aurait ici un livre à faire pour montrer en détail combien le théâtre moderne est propre à détruire dans les cœurs des fidèles chrétiens la foi catholique. Ce que nous en avons dit, surtout dans ces dernières pages, suffira, nous l’espérons, pour en convaincre les personnes de bonne foi, attachées encore à la Religion de leurs pères.

Jusqu’à présent nous n’avons rien dit en particulier sur les ballets de spectacle. Hélas ! que de tristes réflexions ne se présentent pas à notre esprit, réflexions que nous sommes obligés de supprimer pour ne pas scandaliser nos lecteurs ! Les ballets sont souvent ce qu’il y a dans la scène de plus répréhensible encore.

Résumé de ce qui a été dit.

Le théâtre est un funeste écueil contre lequel la foi et les mœurs font souvent à la fois un bien triste naufrage. Le théâtre est l’école de l’immoralité ; le fléau de la société et des familles. On le tolère à Rome comme un mal nécessaire, mais on le surveille afin d’en diminuer le mal. S’il y a des personnes qui fréquentent le théâtre et les sacrements, ces personnes se trompent grossièrement, parce qu’elles entretiennent dans leur mauvaise profession des gens, qui sont notés d’infamie et qu’elles scandalisent les autres par ce mauvais exemple ; cependant, comme il peut y avoir des circonstances extraordinaires, qui forcent certaines personnes à se trouver au théâtre, nous leur avons indiqué les dispositions avec lesquelles elles doivent y assister. S’il se trouve des confesseurs assez faibles pour permettre le théâtre à leurs pénitents, on sait maintenant ce qu’il faut penser de ces confesseurs.

Nous croyons avoir fait sentir assez que le spectacle produit de très-mauvais effets dans presque toutes les personnes, qui le fréquentent. C’est en vain qu’on s’excuse en disant qu’on n’y va que pour trouver compagnie, pour la musique, et encore bien rarement, ou même par complaisance pour des amis. Le lecteur a dû se convaincre de la futilité de ces raisons. Nous avons constaté dans ce petit écrit des faits, qui sont bien propres à éclairer tout, esprit droit, et à toucher tout cœur sincère.

Premier fait. — Des conciles généraux et provinciaux, des synodes diocésains, grand nombre d’évêques de tous les pays défendent aux fidèles d’assister au théâtre. Donc le théâtre est mauvais.

Deuxième fait. — Les théologiens les plus renommés regardent communément le théâtre comme une occasion prochaine de péché mortel et enseignent que ceux qui fréquentent le théâtre ne peuvent pas recevoir la sainte absolution. Donc le théâtre est mauvais.

Troisième fait. — Un très-grand nombre d’évêques et de rituels défendent aux confesseurs d’absoudre ceux qui assistent au théâtre. Donc le théâtre est mauvais.

Quatrième fait. — Les lois ecclésiastiques et civiles ont de tout temps noté d’infamie les comédiens et les comédiennes. Donc le théâtre est mauvais.

Cinquième fait. — De grands écrivains, qui avaient travaillé avec succès pour le théâtre, ont pleuré leurs égarements ; des hommes du monde, illustres par leur science ou par leur rang, et qui parlaient avec connaissance de cause, ont réprouvé le théâtre. Donc le théâtre est mauvais.

Ainsi conciles, synodes, évêques, théologiens, littérateurs profanes, auteurs dramatiques, écrivains illustres, hommes du monde, lois ecclésiastiques et civiles, autorité sacrée et profane, tout condamne le théâtre, tout parle de ses fruits amers pour la Religion, pour la société et la famille. En présence de cette nuée de témoignages irréfragables, qui osera dorénavant élever la voix en faveur du théâtre, fut-ce même sous le vain prétexte de favoriser la littérature par l’art dramatique ? Les habitués du théâtre réclameront. Mais de quel poids peut être leur autorité ? A part quelques bonnes personnes, que des circonstances particulières et impérieuses entraînent malgré elles au théâtre, et quelques autres, que le monde, ou l’âge avancé, ou l’inexpérience aveugle, les partisans du théâtre se réduisent à cette classe de personnes, que Rousseau a si bien dépeinte, les fainéans, les joueurs, des gens désœuvrés dont l’imagination est dépravée par l’oisiveté et l’amour du plaisir. Et ce serait, d’après le témoignage, d’après la doctrine et la morale de ces gens, qu’on pourrait régler sa conduite ? Ce serait en dépit de la raison et de la foi qu’un chrétien oserait fréquenter le théâtre ? non, il n’en peut être ainsi. Il est prouvé jusqu’à l’évidence que le théâtre est condamné, le fidèle catholique ne peut donc pas le fréquenter.

Conclusion.

Chère jeunesse, c’est principalement pour vous que nous avons entrepris ce petit travail. Qu’il vous soit utile, qu’il vous éloigne du théâtre et vous épargne bien des chagrins et des larmes. Jeunes personnes, à qui le Seigneur a accordé le grand bienfait d’une éducation chrétienne, vous dont le cœur a été si souvent touché par la grâce de Jésus-Christ, prenez courage. Si le monde cherche à vous entraîner aux spectacles, nous vous en conjurons, restez fermes et inébranlablement attachées à vos bonnes résolutions. Encore quelques années et vous serez si contentes, si heureuses d’avoir résisté à toutes les sollicitations du siècle. On vous dira, chères enfants, qu’on vous a fait tourner la tête, qu’on vous a portées à une dévotion outrée, qu’on vous a inspiré de vains scrupules, qu’aujourd’hui les enfants se croient plus sages que leurs parents et veulent se conduire selon leurs caprices. Ah ! laissez dire le monde ; vous savez maintenant ce que vous devez penser de la fréquentation du théâtre. Cependant, si tout ce que nous en avons dit ne suffit pas encore pour vous affermir à tout jamais dans la résolution ferme de ne pas le fréquenter, voici une dernière réflexion à laquelle votre cœur ne résistera pas.

Enfants catholiques, vous avez eu le bonheur de recevoir souvent le corps adorable de J.-C. dans la sainte Communion ; toute votre attention doit être de l’y conserver avec soin comme la source de toutes les grâces nécessaires à votre salut et le gage, sans lequel vous ne pouvez prétendre à la possession du Ciel ; vous devez conserver J.-C. dans votre cœur par la grâce. Or, je vous le demande, pouvez-vous croire que J.-C., vous suive à ces spectacles profanes, condamnés par son Église ? Pouvez-vous croire que J.-C. vienne s’asseoir dans ces lieux, où Satan a élevé son trône ; dans ces lieux où les maximes de son Évangile sont contredites, méprisées et foulées aux pieds ! Pouvez-vous croire enfin que J.-C. y vienne entendre ces chants lascifs, ces propos obscènes de la bouche des acteurs ; qu’il consente à ces gestes libertins, à ces nudités infâmes, à ces danses, à ces ballets impudiques si opposés à la sainteté de sa morale ? Ah ! vous ne le croyez pas, la seule idée vous fait frémir. J.-C. s’éloignera donc de vous en ce moment avec indignation. Or, supposé même que ce ne soit pas un péché mortel d’assister au spectacle, vous êtes au moins forcés de convenir que c’en est une occasion, et l’Esprit-Saint nous avertit que quiconque aime le péril y périra. Que deviendrez-vous donc dans ce lieu de séduction ainsi abandonnés de votre Dieu et privés des secours de sa grâce ? Et si la mort vous surprenait dans cet état, je tremble en pensant quel sort serait le vôtre. O vous tous, que l’attrait du plaisir entraîne vers ces lieux dangereux, pesez bien ces réflexions avant de franchir le seuil, qui y conduit, et vous reculerez d’effroi.

Et vous pères et mères de famille, qui êtes assez aveugles pour engager, pour forcer même vos enfants à fréquenter le théâtre, vous ne comprenez pas que la Religion mise en pratique est l’unique moyen de conserver les mœurs, qu’elle est le plus sûr garant de l’obéissance de vos enfants envers vous, et que votre bonheur futur dépend de leur fidélité à la loi de Dieu et de l’Église. Vous ne comprenez pas qu’en les engageant à la transgresser, vous vous créez pour la suite des tourments et des chagrins, qui abrégeront vos jours. Vous le voyez dans les autres, et vous ne voulez pas comprendre pour vous-mêmes. Pères et mères, vos enfants à qui vous aviez fait donner une bonne éducation, étaient destinés par la divine Providence à vous ramener dans la voie du salut. Hélas ! leurs exemples de vertu n’ont produit sur vous aucune impression, que dis-je ! vous les avez censurés. Ils avaient renoncé aux plaisirs dangereux, qui souillent l’âme, qui énervent et corrompent le cœur, tous leurs souhaits étaient de mener une vie chrétienne, heureuse et calme au sein de leur famille, ils s’étaient seulement réservé ces plaisirs purs et innocents, qui ne laissent après eux ni troubles ni remords ; vous leur avez ravi le bonheur qu’ils se promettaient ; sous prétexte de les établir, de les préparer au mariage, vous les avez précipités au milieu du tourbillon du monde et vous n’avez, fait usage de l’autorité, que vous aviez sur eux, que pour les conduire forcément dans le chemin de la perdition. Le monde vous excuse, il vous approuve, il applaudit à votre conduite, mais la foi vous condamne. Quel jugement terrible n’aurez-vous donc pas à craindre dans vos derniers moments pour vous être rendus coupables devant Dieu de toutes les suites funestes, que le goût du théâtre aura produites dans vos enfants ? C’est sur vous principalement que tombera la malédiction lancée par Jésus-Christ contre ceux qui sont une occasion de chûte pour les petits et les faibles. Chers parents, laissez-vous toucher par ces considérations et revenez à des sentiments plus chrétiens. Au lieu d’engager vos enfants à fréquenter le spectacle, employez tout ce que vous avez d’autorité pour les en détourner ; ayez soin qu’ils conservent la pureté de la foi et des mœurs, et le Seigneur vous bénira dans vos enfans. Si notre voix vous est suspecte, eh ! bien, écoutez le langage d’un célèbre acteur du théâtre Italien de Paris, auquel il renonça par principe de religion. Louis Riccobonni déclare donc qu’après une épreuve de 50 années, il ne pouvait s’empêcher d’avouer que rien ne serait plus utile que la suppression entière des spectacles . L’opéra lui paraît excessivement dangereux dans toutes ses parties. Il regarde la musique et la danse, qui en sont l’âme, comme des écueils où la modestie et la pudeur échouent presque toujours.

« Les parents, continue-t-il, pour l’ordinaire plus occupés de l’extérieur que du fond de l’éducation de leurs enfants ne s’attachent qu’à leur apprendre les manières et l’usage du monde, où ils ont grand soin de les produire. C’est là qu’ils entendent tout ce qui peut exciter leur curiosité, développer les germes de leurs passions et les familiariser avec le vice. Ces principes de corruption reçoivent une nouvelle force des spectacles publics, où les pères et les mères ont l’imprudence de conduire leurs enfans de l’un et de l’autre sexe. Or, quelles atteintes mortelles ne doivent pas donner à leur innocence le nombre infini de maximes empestées, qui se débitent dans les tragédies, dans les opéras, et les expressions, les images licencieuses, que présentent les comédies ? ils ne les effacent jamais de leur mémoire. Ils y voient des grands, des vieillards, des personnes élevées en dignité, ou réputées vertueuses y applaudir ; ils agissent en conséquence, lorsqu’ils jouissent de leur liberté ; et les voilà corrompus dans le cœur et dans l’esprit pour le reste de leur vie. Mais, dit-on, quel inconvénient y a-t-il qu’ils entendent parler de la passion de l’amour ; il faut bien qu’ils la connaissent tôt au tard ? C’est ce que je suis très-éloigné de croire. On doit toujours ignorer le libertinage. D’ailleurs quand cette passion serait traitée avec plus de réserve sur le théâtre, il n’y aurait pas moins d’inconvénient, et si j’ose le dire, moins de cruauté à leur donner sur une matière si délicate, des leçons prématurées et infiniment dangereuses, et à leur faire courir le risque de perdre leur innocence avant même qu’ils sachent quel en est le prix, et combien cette perte est affreuse et irréparable ; mais les parents s’intéresseront-ils à conserver cette vertu, s’ils n’en connaissent pas eux-mêmes l’excellence ? Néanmoins, ils se livrent ensuite au désespoir quand leurs enfants donnent dans des désordres préjudiciables à leur honneur et à leur fortune. Quel témoignage et quelle leçon ! l’homme du monde, l’homme de l’art parle comme le prédicateur. »