Chapitre XI.
Que les Poèmes Dramatiques n'ont point été condamnés.
C'est donc ainsi que les Chrétiens ont fulminé contre les Jeux Scéniques et contre tous
les Mimes et Bateleurs qui n'y paraissaient que pour faire les divertissements du
peuple, par des actions et des paroles dignes de la plus grande sévérité des Lois, et
qu'ils ont empêché que la sainteté des Chrétiens ne fut souillée par la
communication de ces impudences, dont le poison se pouvait aisément
glisser dans l'âme par les yeux et par les oreilles : ils n'ont pas traité de la même
sorte la représentation des Poèmes Dramatiques, et je ne trouve que fort peu d'endroits
qui témoignent ce qu'ils en ont pensé.
Tertullien le plus austère de tous nos Ecrivains, dit que les Comédies et les Tragédies étaient les meilleurs Spectacles des anciens, et n'y blâme autre chose que les adultères, et les autres crimes de leurs Dieux, que l'on y représentait avec beaucoup de mépris ; il en condamne le sujet par le peu de respect qu'ils portaient à leur Religion ; mais il ne charge ni d'infamie ni d'anathème ceux qui les représentaient.
Et nous pouvons bien
observer la différence dont Saint Cyprien se sert pour condamner les Mimes et les Poèmes
Dramatiques ; car à l'égard des premiers il blâme leur corruption et leur mollesse plus
honteuse que celle des femmes les plus perdues ; mais à l'égard des autres, il blâme
seulement les soins et les pensées inutiles que les Comédiens peuvent donner, et ces
voix extravagantes et fortes des Tragédiens ; et l'on jugera si ces choses leur
pouvaient donner sujet de prononcer
contre eux la censure
qu'ils ont prononcée contre l'impudence des Histrions et Farceurs.
« Ce qu'il y a de plus tolérable, écrit Saint Augustin, ce sont les Comédies et les Tragédies, où les Fables des Poètes sont représentées parmi les Spectacles publics, avec quelques choses indécentes, mais sans aucunes paroles impudentes et dissolues, comme en beaucoup d'autres Jeux du Théâtre. Elles sont même comptées entre les disciplines libérales, et les jeunes enfants sont ordinairement obligés par des personnes âgées, et plus sages qu'eux de les lire et de les apprendre. ». Et se reprochant à lui-même la complaisance qu'il avait eue pour les Spectacles. des Théâtres, il ne parle que de la compassion qu'il avait pour les misérables que l'on représentait dans les Tragédies, et de laquelle il faisait lors son plaisir, disant qu'il était fâché lors qu'il en sortait sans être ému de douleur, et qu'il entrait dans les interdits des Amants, étant bien aise quand ils obtenaient ce qu'ils avaient désiré. Mais lorsqu'il condamne quelques désordres dans les représentations Théâtrales, il parle de celles qui étaient accompagnées de danses honteuses, et de gestes impudents, c'est-à-dire, celles des Histrions.
Aussi Lactance ne blâme la Comédie et la Tragédie,
que pour
les sujets qui contenaient quelquefois des Fables malhonnêtes, et non pas l'art du
Poète, ni l'exercice des Acteurs. Et je ne sais comment il s'est pu faire que certains Canonistes
prévenus de l'erreur public, et sans avoir examiné les sentiments des Anciens, ont
allégué deux Canons, tirés des paroles de Saint Jérôme, comme une condamnation absolue
de la représentation des Poèmes Dramatiques, car il n'en parle point ; il ne s'agit que
des Ecclésiastiques qui lisaient les Comédies, au lieu de s'appliquer à l'étude des
Ecritures Saintes, et l'on ne peut en tirer aucune
conséquence, parce qu'il confond dans cette défense Virgile, et toutes sortes d'Auteurs
profanes. En quoi il donne un conseil aux Ecclésiastiques, et non pas un précepte à tous
les Chrétiens, autrement il faudrait dire qu'un des plus Saints et des plus doctes
Evêques de ce Royaume, qui se faisait lire ordinairement les Comédies de Terence au
chevet de son lit, a vécu dans un désordre condamné par les Canons, et que la lecture de
Virgile est pernicieuse et criminelle.