Aubignac, François Hédelin.(1666)Dissertation sur la condemnation des théâtres« Disseration sur la Condemnation, des Théâtres. — Chapitre X. Que l'extrême impudence des Jeux Scéniques et des Histrions fut condamnée. »pp. 217-229
Chapitre X. Que l'extrême impudence des Jeux Scéniques et des Histrions fut
condamnée.
Après l'éclaircissement de ces vérités, touchant les choses qui se pratiquaient dans le
Théâtre des Romains, il sera facile de montrer que la juste censure des premiers
Docteurs de l'Eglise, ne regardait point les Acteurs des Comédies et des Tragédies, mais
seulement les Scéniques, Histrions, ou
Bateleurs, qui par la
turpitude de leurs discours et de leurs actions avaient encouru l'indignation et de tous
les gens de bien, l'infamie des Lois, et l'anathème du Christianisme ; Il ne faut
qu'examiner les paroles qu'ils ont employées en cette occasion, et qui nous en peuvent
aisément donner toute assurance.
Quant à nous, écrit Minutius Felix, le plus ancien de nos Auteurs, « qui faisons profession
d'une vie honnête, nous nous abstenons de vos Pompes, de vos Spectacles, et de tous
les mauvais plaisirs que l'on prend, dont nous savons bien que l'origine est un effet
de votre superstition, et que leurs agréments sont
condamnables ; Car dans le Cirque qui peut souffrir la folie de tout un peuple qui se
querelle ; dans les Gladiateurs le cruel art de tuer les hommes, dans les Jeux
Scéniques une prodigieuse turpitude ? car les Mimes exposent un adultère, ou le
montrent aux yeux ; et ces Histrions efféminés inspirent l'amour qu'ils représentent,
et se revêtant de l'image de vos Dieux, ils font honneur au crime qu'ils leur
imputent ; et vous font pleurer par des mouvements de tête, et les gestes qu'ils
emploient pour exprimer une douleur imaginaire. » Où nous ne voyons pas une
parole qui concerne le Poème Dramatique. Aussi ne veut-il parler que des Mimes dont
Pline
appelle l'exercice un art efféminé.
Et si Tertullien dit que
les Histrions ne gagnent pas seulement leur vie avec leurs mains, mais avec leurs corps,
il fait bien connaître qu'il n'entend pas parler des Comédiens et des Tragédiens, qui
agissent plus de la langue que de tout le reste de leurs personnes ; mais seulement des
Mimes, Pantomimes, et autres Bateleurs de la Scène et du Théâtre, dont l'art était de
s'expliquer bien plus par les postures que par le discours : et nous pouvons découvrir
son sentiment, quand il écrit
« Nous nous sommes séparés de votre Théâtre, parce que c'est
un mystère d'impudicité, où rien n'est approuvé que ce que
l'on condamne ailleurs ; et tout ce qu'il a de charmes pour plaire, ne vient que des
gesticulations trop libres des Atellans, et des honteuses représentations des Mimes,
où les femmes se font voir sans aucun reste de pudeur. »
Aussi lors que Saint Cyprien interdit la Communion à ceux qui jouaient sur le Théâtre, il ne parle
que des Histrions, et montre assez clairement qu'il n'entend par là que ces Bouffons
infâmes que les paroles et les postures rendaient odieux à tous ceux qui conservaient
les moindres restes de l'honnêteté. Voici ses termes▶. « On ne doit
point recevoir à la Table des Fidèles un Histrion qui persévère en
la turpitude de son art, et qui perd les jeunes enfants en leur enseignant ce qu'il a
mal appris. »
Saint Chrysostome fut un des plus rigides en ces occasions, mais il parle seulement
contre les assemblées du Théâtre, où l'on introduisait des troupes de femmes débauchées,
et des sujets d'autres crimes, qui faisaient horreur à la nature, des Danseurs et des
Mimes qu'il appelle tous infâmes. Il fait même
trois sortes de censures contre le Théâtre ; et le nomme une chaire de pestilence, et
l'école de la débauche ; mais ses paroles montrent assez clairement qu'il n'applique
cette condamnation qu'aux Histrions, Farceurs, Mimes, Scurres
et autres gens qui ne travaillaient qu'à faire rire ; car il ne se plaint que de
l'impudence de l'Orchestre, où nous avons montré que les Comédiens ne jouaient point, et
où était un lit sur lequel les Mimes représentaient les adultères de leurs Dieux, et de
ce que l'on y donnait au public des Spectacles de fornication, des corps efféminés, des
paroles sales, des mauvaises chansons, des femmes débauchées, qui dansaient et nageaient
toutes nues dans l'Orchestre pour divertir le peuple, dont rien ne convenait au Poème
Dramatique.
Saint Cyrille ne crie que contre les impudicités des Mimes, et des Danseurs
efféminés. Saint Basile
s'explique de la même sorte, en condamnant les Spectacles de toutes sortes de Bateleurs,
les chansons de personnes efféminées, les impudences de l'Orchestre destinée aux
Sauteurs et aux Farceurs, comme nous l'avons expliqué.
Et Clément Alexandrin
ayant touché cette communication de l'Idolâtrie des Spectacles, ajoute, pour en exprimer
la turpitude, qu'ils ne doivent pas faire notre divertissement ; « Le stade et le
Théâtre, dit-il, peuvent bien se nommer une chaire de
pestilence, et
l'assemblée que s'y fait est remplie
d'iniquité, et chargée de malédictions ; les actions les plus honteuses y sont toutes
représentées ; et quelles paroles les Bouffons et les Bateleurs ne prononcent-ils
point pour faire rire le peuple ? »
Et ce que l'on ne doit pas oublier en ce discours est que les Hébreux n'avaient point
estimé les Poèmes Dramatiques indignes de leurs soins, ni contraires à la sainteté de
leur Religion, comme nous le pouvons juger par le fragment qui nous en reste de la
Tragédie d'Ezéchiel, intitulée, La Sortie d'Egypte ; mais les Auteurs
du Talmud, ou Livre de narration d'Enoch, condamnent les
Mimes, chansons, danses et bouffonneries, auxquelles ils disent que les enfants de Caïn
s'étaient trop adonnés, sans avoir parlé de Tragédies ni de Comédies. C'est encore avec
cette même distinction que les Conciles et le droit des souverains Pontifes, ont
condamné la Scène de l'antiquité.
Le Concile Elibertin ne parle que
des Pantomimes qu'il ne reçoit à la pénitence qu'en changeant de vie. Le sixième de
Carthage reprouvé, ne défend que les Mimes et les Danses de la Scène. Et quand on a mis
entre les règles du Droit Ecclésiastique la défense que Saint Augustin fait de
donner aux Histrions, on n'a regardé que les Mimes et Farceurs, et ces ◀termes▶ ne se
peuvent étendre plus loin ; car il les nomme Bateleurs et Bouffons, et les conjoint aux
Combats d'hommes et de bêtes, aux plus viles personnes du Cirque, et à ces femmes
prostituées de la Scène qui jouaient les Mimes.
Le Concile de Milan ordonne bien que l'on chasse les Histrions, les Mimes et Bateleurs,
et tous les gens de cette sorte abandonnés au vice, et que l'on soit sévère contre les
Hôteliers, et tous ceux qui les retirent, mais il ne dit rien contre les Acteurs des
Comédies et des Tragédies
qui n'ont jamais été traités de
même sorte.
La Province d'Auvergne prétend avoir remis sur le Théâtre de ce Royaume les premiers
Bateleurs qui n'y chantaient point, et n'y dansaient point, croyant par ce moyen
s'exempter de la peine des anciens Mimes et Bouffons, mais parce qu'ils y faisaient des
railleries indécentes, et prononçaient plusieurs paroles impudentes, ils furent condamnés par
nos Théologiens, qui conclurent que la turpitude du discours n'était pas moins
condamnable que celle des gestes du corps. Où nous devons remarquer qu'il n'est parlé
que d'Histrions et Joueurs de Bouffonneries, et non
point de
Tragédies et Comédies, qui n'étaient pas encore en état d'être estimées ou
condamnées.
Et lors que Salvien prépare ce grand discours qu'il fait
contre les impudences horribles de la Scène, il dit qu'il entend parler des Jeux du
Cirque et du Théâtre, et dans la suite il explique les derniers par le seul ◀terme de
Mimes, Bouffons et Musique lascive, sans rien imputer de leur honteux libertinage aux
Tragédiens et Comédiens.