Chapitre VI.
Des Poèmes Dramatiques représentés aux Jeux Scéniques.
Mais ces Jeux Scéniques des Romains ne furent pas tellement abandonnés au divertissement de la populace, que les Patrices et les personnes d'honneur et de qualité n'y pussent prendre quelque plaisir ; car on y joignit dans la suite des temps trois sortes de représentations plus magnifiques, plus ingénieuses et plus honnêtes.
Les premières, et qui furent introduites de bonne heure en ces divertissements furent les Fables Atellanes, ainsi nommées de la Ville d'Atelle dans la Campanie, qui fut toujours la Province des délices et des voluptés d'Italie, et d'où elles furent transportées à Rome ; Elles étaient comme des Satires agréables, sans aigreur et sans turpitude, et que la vertu Romaine avait accompagnées de bienséance et de modestie, et dont les Acteurs étaient en bien plus grande estime que les Scéniques et Histrions, et jouissaient même de quelques privilèges particuliers, entre autres de sortir du Théâtre avec les habits dont ils s'étaient servis dans leurs représentations ; ce qu'à parler franchement je ne saurais bien comprendre, quoique les Auteurs en fassent grand bruit ; car si l'on entend qu'ils sortaient ainsi de la Scène où ils avaient paru, je ne vois pas quel était leur avantage, ne croyant pas que les autres Histrions y reprissent leurs vêtements ordinaires avant que de disparaître aux yeux du peuple ; et si l'on veut dire qu'ils pouvaient même sortir de ce grand lieu que l'on nommait Théâtre, et aller à travers la Ville jusques dans leur logis, avec les ornements qu'ils avaient portés en jouant leurs Fables, je ne connais point quelle était l'excellence de ce privilège ; car c'était les exposer en mascarades publics aux petits enfants et aux grands idiots, qui n'étaient pas plus sages, à mon avis, dans la Ville de Rome, que dans celle de Paris ; et qui sans doute les auraient suivis avec beaucoup de bruit et de tumulte. Peut-être que cette faveur était de ne point quitter leurs masques sur le Théâtre quand ils étaient sifflés et moqués du peuple, pour avoir joué quelque mauvaise pièce, ou fait quelque faute signalée en jouant, comme il me semble avoir lu que tous les autres y étaient obligés : mais je n'en suis pas assez bien éclairci pour l'assurer. Et c'est tout ce que les mémoires de l'antiquité m'en ont appris, avec les noms de quelques célèbres Auteurs de ces Fables ; car nous n'en avons aucun exemple, il ne nous en reste pas seulement des fragments, et nous n'avons aucun Écrivain qui nous en ait enseigné la composition. Je ne sais pas même au vrai s'ils récitaient, s'ils chantaient▶, ou s'ils dansaient, ni si ces choses entraient séparément ou conjointement en tout ou en partie en leurs représentations. Ces Fables néanmoins furent jouées dans Rome assez longtemps avant les Poèmes Dramatiques dont l'art ne fut connu du peuple Romain qu'au siècle de Plaute et de Névius, environ cent cinquante ans après les Jeux Scéniques, quand la Comédie et la Tragédie y fut reçue, qui sont la seconde et la troisième espèce des représentations honnêtes, qui furent depuis ajoutées à la pompe des Jeux publics.
La Comédie fut considérée comme une peinture naïve et plaisante de la vie commune, et la Tragédie, comme un portrait magnifique et sensible de la fortune des Grands ; et ces deux sortes de Poèmes se récitaient plus ou moins sérieusement, selon la qualité des personnages que l'on y représentait ; mais sans danser ni ◀chanter▶, sinon en quelques endroits où le chant de quelques vers pouvait faire quelque partie agréable et comme nécessaire de la représentation. Nous avons un exemple dans l'Andromaque d'Euripide, où nous lisons des Vers Elégiaques que je pense avoir été ◀chantés▶. Les Acteurs y paraissaient vêtus honnêtement, selon ce qu'ils représentaient, et ne faisaient aucune posture ni grimaces indignes du sujet, ni que l'on pût condamner d'impudence. Le Chœur seul y ◀chantait et dansait, pour marquer ordinairement les intervalles des Actes, ou pour donner quelque grâce extraordinaire au Poème ; mais toujours avec la bienséance convenable à ces belles représentations. Et pour s'y rendre d'autant plus experts, les Comédiens étaient des troupes séparées des Tragédiens et des Atellans, sans entreprendre les uns sur les autres ; les Comédiens ne jouant point de Tragédies, ni les Tragédiens point de Comédies, ni les Atellans aucun de ces Poèmes, faisant même assez souvent les Exodes de la Tragédie, pour adoucir la douleur ou l'horreur des Spectateurs par leurs agréables railleries. Et quelques-uns ont écrit que la Fable de Nevius, intitulée la Masquée, fut jouée de nouveau longtemps après par les Atellanes, faute de Comédiens.
« qu'un Mime ne la pourrait représenter, qu'un Bouffon n'en pourrait faire un Jeu, et qu'un Atellan ne la pourrait prononcer »: car n'y comprenant point ces deux autres sortes d'Acteurs, il montre bien que les choses honteuses ne se mêlaient point aux grâces de leurs représentations, bien que le plaisir n'en fût point banni.