(1666) Dissertation sur la condemnation des théâtres « Disseration sur la Condemnation, des Théâtres. — Chapitre III. Que les anciens Pères de l'Eglise défendirent aux Chrétiens d'assister aux Jeux du Théâtre, parce que c'était participer à l'Idolâtrie. » pp. 57-89
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(1666) Dissertation sur la condemnation des théâtres « Disseration sur la Condemnation, des Théâtres. — Chapitre III. Que les anciens Pères de l'Eglise défendirent aux Chrétiens d'assister aux Jeux du Théâtre, parce que c'était participer à l'Idolâtrie. » pp. 57-89

Chapitre III. Que les anciens Pères de l'Eglise défendirent aux Chrétiens d'assister aux Jeux du Théâtre, parce que c'était participer à l'Idolâtrie.

Puis qu'il est indubitable que tous les Jeux du Théâtre, aussi bien que les autres Spectacles des Anciens, étaient des actes de Religion, il ne faut pas trouver étrange que les Docteurs de la primitive Eglise aient défendu si rigoureusement aux Chrétiens d'y assister, parce que c'était publiquement solenniser avec les Païens les Fêtes de leurs faux Dieux, participer à la révérence qu'ils rendaient aux Démons, et se contaminer d'une Idolâtrie d'autant plus dangereuse, qu'elle était agréable. Il ne fallait point lors distinguer les Théâtres d'avec les Temples ; ils étaient également religieux, ou plutôt abominables, on rencontrait dans les uns et dans les autres les mêmes Autels et les mêmes Sacrifices, les mêmes Divinités et les mêmes Mystères, c'est-à-dire les mêmes Démons et les mêmes Sacrilèges. Et ce qu'il y avait de plus au Théâtre, était un plaisir et une satisfaction publique, qui par un charme secret tirait du fond des cœurs et du battement des mains une approbation volontaire et manifeste de l'honneur qu'on y rendait aux Ministres de l'Enfer. Et certes il n'y avait point d'apparence de souffrir que des âmes qui venaient de se purifier de leurs vieilles corruptions, qui s'étaient sanctifiées dans les eaux du Baptême, qui étaient parvenues à la connaissance du vrai Dieu, et qui par les mouvements du Saint Esprit, et en la présence des Anges avaient renoncé courageusement à Satan, à son service, et à toutes ses pompes ; que ces Ames, dis-je, témoignassent encore cette inclination à leurs premières impiétés, qu'elles fussent tous les jours abandonnées au culte des Idoles, qu'elles reconnussent un Bacchus et une Vénus, infâmes protecteurs des Ivrognes et des Débauchés, pour des puissances Divines, et qu'à la vue de tout un peuple, et à la face du Ciel et de la Terre, elles retournassent au service des Démons, dans le plus superbe lieu de leur Empire, et dans la plus glorieuse pompe que la superstition leur ait jamais consacrée. Il n'y avait point de crime plus énorme pour ceux qui faisaient profession de vivre sous l'Evangile ; aussi n'y eut-il jamais d'action si sévèrement détestée par les Chefs des Fidèles, ils la condamnaient sans recevoir d'excuse ni de prétexte.

Mais afin que l'on ne s'imagine pas que je tire de moi-même cette conséquence des choses que j'ai dites aux Chapitres précédents, je veux rapporter ici les paroles des plus illustres Chrétiens de l'antiquité, et les obliger de nous découvrir eux-mêmes quels ont été leurs sentiments, quand ils ont condamné les Jeux du Théâtre.

Tertullien le plus sévère, comme un des plus anciens Pères de l'Eglise a fait un grand discours exprès contre les Spectacles des Païens plein de doctrine, de raisons, d'autorités et d'agréments ; mais le fondement général qu'il prend pour les interdire tous aux Chrétiens, est qu'ils faisaient la plus grande partie des cérémonies du Paganisme ; ce qu'il traite fort au long, comme la plus puissante et la plus importante raison que l'on puisse mettre en avant : Et voici comme il en parle. « Il ne faut pas s'imaginer que la défense que nous faisons aux Chrétiens aux Spectacles du Paganisme ne soit qu'une invention de la subtilité de l'esprit ; Faites seulement réflexion sur le Sacrement qui nous a donné ce caractère ; En le recevant nous avons renoncé au Diable et à ses pompes, et où sont-ils plus forts et plus considérables que dans l'Idolâtrie ? De sorte que si les Spectacles en sont procédés et soutenus, il ne faut point douter qu'ils ne soient compris en cette renonciation générale. Or il est aisé de vous le justifier par leur origine et leur accroissement, par leurs représentations accompagnées de mille superstitions, par ceux qui président dans tous les lieux destinés à ces magnificences, et par les inventeurs des Arts qui s'y pratiquent. » Et après avoir traité toutes ces choses séparément et doctement, il poursuit. « Regarde donc Chrétien les noms des esprits immondes qui se sont emparés du Cirque ; tu ne dois point avoir de part à cette Religion, où tant de Démons sont les maîtres. » Et sur ce qu'il se fait à lui-même cette objection, que vraisemblablement on lui avait faite. « Mais si dans un autre temps je vais dans le Cirque, serai-je en danger de m'infecter d'une si grande impiété ? » Il répond qu'il ne s'agit pas des lieux, et que l'on peut aller même dans leurs Temples, pourvu que ce soit pour des raisons de la vie commune, qui ne regardent point les affaires pour lesquelles ils sont établis. « Ce ne sont pas les lieux, dit-il, qui nous souillent : mais ce que l'on y fait, dont les lieux même sont souillés. » Et enfin il ajoute. « Le Théâtre est le vrai Sanctuaire de Vénus et de Bacchus, c'est leur Palais. » Aussi donne-t-on à d'autres Jeux Scéniques le nom de Liberalia, consacrés à Bacchus que l'on appelle Liber, qu'il avait institués semblables aux Dionysiaques des Grecs.
« Et tu dois haïr toutes les choses dont tu ne saurais te dispenser de haïr les Auteurs. » Et il conclut en ces termes : « Donc si toutes les choses sont introduites dans les Spectacles par les Démons, s'ils sont faits pour eux, et si tous les ornements y viennent d'eux, ils sont assurément de ces pompes des Démons, auxquelles nous avons renoncé, sans qu'il nous soit libre d'y participer, ni par les actions ni par les regards. Personne ne se jette dans le Camp ni dans le parti des Ennemis sans avoir abandonné ses Armes et les Enseignes sous lesquelles il combattait. Aussi lorsque l'on exorcisa cette femme qui se trouvapossédée d'un Démon, à la sortie des Spectacles, et qu'on lui demanda de quel droit il avait entrepris sur une Chrétienne, il répondit qu'il l'avait fait justement, puisqu'il l'avait rencontrée dans son Empire. » Et lors qu'il veut rendre raison aux Païens pourquoi les Fidèles refusaient d'assister à leurs Spectacles, il dit en un mot. « Nous y renonçons, parce que nous savons bien qu'ils sont les ouvrages de la superstition. »
Après ce rigoureux Censeur des dérèglements publics, il faut écouter Saint Cyprien son Disciple, qui parle comme lui. « Les Chrétiens, dit-il, n'ont-ils point de honte de chercher dans l'Écriture Sainte des paroles pour autoriser l'idolâtrie, et défendre les vaines superstitions qui sont mêlées dans tous les Spectacles ? Car alors qu'ils assistent à ces Jeux que les Païens font en l'honneur des Idoles, ils se déclarent Idolâtres, ils font injure à Dieu, et méprisent la véritable Religion ; et l'on ne doit point prétexter ces désordres de l'exemple de David, qui fit des Chœurs de Danse et de Musique en des Processions solennelles ; car il ne dansait pas avec des sauts et des gestes dissolus quelque honteuse fable des Grecs ; ils y célébraient la gloire de Dieu par des Hymnes saintes ; et l'on ne se doit point faire un Spectacle des choses dont l'artifice du Démon a corrompu la sainteté pour les rendre criminelles. Nos Livres sacrés ont condamné tous les Spectacles, en condamnant l'idolâtrie qui les a produits ; car quelle pompe de cette sorte est sans Idole, quels Jeux sans Sacrifices, quels Combats sans la mémoire de quelque mort auquel ils sont consacrés ? Que fait un Chrétien, quand il s'y trouve présent ? Quel est son discours ? S'il est sanctifié, pourquoi prend-il plaisir à des choses criminelles ? Ne sait-il pas que ce sont des inventions des Démons ? Comment approuve-t-il contre l'intérêt de Dieu tant de superstitions, qu'il aime sans doute, puis qu'il s'en rende Spectateur ? Il fait exorciser les Démons dans l'Eglise, et loue aux Spectacles les voluptés qu'ils ont introduites. Enfin après y avoir renoncé dans le Baptême, il renonce à Dieu, dans ces Jeux publics. L'idolâtrie est la mère des Spectacles, et pour y attirer les Chrétiens, elle les flatte par le plaisir des yeux et des oreilles. Toutes ces belles disputes de Musique dans la Grèce, n'ont pour présidents que les Démons ; Enfin tous ces Spectacles qui charment la vue, et qui chatouillent l'ouïe, n'ont point d'autre origine que des Idoles, des Morts ou des Démons : car le Démon subtil, qui sait bien que l'Idolâtrie toute nue fait horreur, il l'a mêlée de plaisir afin qu'elle pût être aimée. »
Quand le Concile troisième de Carthage défend à tous les Chrétiens de donner les Spectacles publics, et d'y assister, il est ajouté ; « Parce qu'ils ne doivent point se trouver où sont les blasphémateurs du nom de Dieu. » Et Saint Chrysostome se réjouissant de voir le Cirque et le Théâtre abandonné par les Chrétiens, et les Eglises plus fréquentées que par le passé. « Combien avons-nous, dit-il, employé de discours pour obliger les Fidèles à quitter les Théâtres et les désordres qui s'y font, sans qu'ils en aient rien fait ; Ils ne laissaient pas de courir aux Danses publiques qui leurs sont défendues, et qui font partie de cette assemblée diabolique, formée contre la plénitude de l'Eglise de Dieu. Mais sans nous en mêler davantage, l'Orchestre et le Cirque sont maintenant déserts, et tous viennent ici pour chanter les louanges de Dieu. »
Les Conciles ont interdit par cette même considération la Communion aux Fidèles qui conduisaient les Chariots dans les Combats du Cirque ; car ces conducteurs de Chariots ne pouvaient être coupables que pour être participants de l'Idolâtrie, et il traite les Scéniques et les Histrions comme Apostats.
Orose n'avait point d'autre sentiment, lorsque parlant des Théâtres Romains dans son Histoire, il s'écrie par digression. « Il ne faut pas que les Fidèles les fréquentent, c'est blasphémer le Nom de Dieu qui les défend, c'est honorer ces Dieux abominables, c'est-à-dire, les Démons qui les demandent ; et qui par un effet de leur malice y veulent des Sacrifices, où l'on fait mourir plus de Vertus que de Victimes. »
Et quand Saint Chrysostome explique combien les Prélats ont de peine pour résister à l'Ennemi du Christianisme. « Nous avons, dit-il, une grande guerre contre des Amalécites, je veux dire, non pas contre les Barbares, mais contre les Démons qui conduisent des pompes célèbres par les places publiques, car ces veilles diaboliques qui se font aujourd'hui, ces railleries, ces injures et ces danses qui se pratiquent toute la nuit, et cette dangereuse impiété des Comédies nous font plus de mal que les troupes de nos Ennemis. Où nous avons reçu l'Onction du Saint Esprit, y ferons-nous entrer les pompes du Diable, les fables de Satan, les cantiques de la débauche? » Et ailleurs. « Tu quittes ce Calice adorable, et la Fontaine du Sacré Sang, pour courir aux lieux que le Diable occupe : Ce n'est pas à nous à rire des choses mauvaises avec emportement, et de nous laisser prendre aux délicatesses des Sens, et à celles qui se font voir dans les Théâtres : Cela ne convient pas à ceux qui sont appelés au Royaume éternel, et qui ne portent que des armes spirituelles ; mais seulement à ceux qui combattent sous les Enseignes du Diable ; car c'est lui qui réduit en art les ris et les Jeux, pour attirer à son service les Soldats de Jésus-Christ. Et c'est pour cela qu'il a fait dresser des Théâtres dans les Villes où tu te rends coupable en commandant ces Spectacles, en applaudissant à ceux qui les font, et en appuyant et favorisant ces ouvrages du Diable. » Il appelle encore les Jeux de Théâtre des Pompes, des Conciles et des Sociétés diaboliques, et poursuit. « Quand je pense que vous oubliez notre Doctrine et nos Enseignements au premier souffle de Satan, que vous avez abandonné la révérence du Carême, pour vous laisser prendre aux filets du Diable, et que vous courez à ces Jeux de Chevaux ou Cavalcade de Satan, j'en suis triste et même irrité. A quoi sert ton jeune, si"tu perds la journée à voir ces courses de Chevaux en ces assemblées illicites où tu blasphèmes. Plusieurs de ceux quiparticipent à cette Table Sainte si terrible et si redoutable, consument des jours entiers en ces Jeux, et pour peu que le Diable les flatte, ils courent à ces Spectacles impies, et se jettent volontairement dans les rets de Satan. Quelle société de Jésus avec Bélial ? Comment donc souffrez-vous d'être par la vanité de ce Spectacle Enfants des Hommes ? D'où vient que vous avez le cœur si pesant que vous aimez la vanité des Spectacles, et que vous cherchez le mensonge en la bouche des Histrions ? » Où je dois dire en passant qu'en ce lieu le mot de vanité s'entend de l'Idolâtrie au sens de l'Écriture Sainte ; qui considère toujours l'Idole pour une chose vaine et sans réalité, comme Saint Paul dit que l'Idole est un néant. D'où vient que le mot Hébreu Bethaven, est différemment interprété, « Maison d'Idole, de Vanité ou de Néant ». Aussi notre Auteur fait-il le rapport de Vanité avec l'Idole de Bélial. « Et je vous exhorte, dit-il ailleurs, à ne point aller aux Spectacles, aux Courses de Chevaux, et aux Jeux de Théâtre, et à ne point mêler les Mystères Divins à ceux des Démons. »
Écoutons Saint Augustin, qui dit dans un même sentiment, « Nous allions en notre jeunesse aux Spectacles et aux bouffonneries de ces sacrilèges ; Nous y regardions avec plaisir leurs Démoniaques ; nous écoutions leurs Musiques, nous assistions à leurs Jeux qu'ils faisaient en l'honneur de leurs Dieux et de leurs Déesses ; à celle qu'ils nommaient la Vierge céleste, et à Berecynthe la mère des autres Dieux, en l'honneur de laquelle les bouffons de la Scène, et les plus corrompus chantaient publiquement devant sa litière au jour solennel de ses Bains, des choses que la mère d'une honnête famille, et la mère même de ces bouffons ne pourrait entendre sans rougir : c'étaient des sacrilèges et non pas des Sacrifices, et ce que l'on y portait semblait des mets, comme si l'on eût fait un festin où les Démons prissent quelque nourriture qui leur fût propre. Qui peut ignorer quels sont les esprits à qui ces infâmes donnent du plaisir, s'il ignore qu'il y a de ces Esprits immondes, qui trompent les hommes sous le faux titre de Dieuxqu'ils usurpent. Si vous croyez, si vous espérez, si vous aimez autre chose qu'eux, il faut vivre autrement qu'eux ; car, l'Apôtre dit, qu'il n'y a point de convenance du Temple de Dieu avec les Idoles, et qu'il ne faut point avoir de société avec les Démons. Or les Démons prennent plaisir à ces Cantiques de vanité, à la turpitude des Théâtres, à ces Spectacles inutiles, aux folies du Cirque, aux cruautés de l'Amphithéâtre, et aux querelles de ceux qui se passionnant pour un Mime, pour un Pantomime, pour un Histrion, ou pour un Conducteur de Chariots, brûlent dans leur cœur de l'encens en faveur des Démons. Fuyez les Spectacles, dit-il, aux Catéchumènes, fuyez l'impudence des Amphithéâtres et du Diable, afin que ce méchant ne vous retienne point en ses chaînes. Quelqu'un aime-t-il le Cirque, tout son plaisir sera de se récrier en faveur d'un Vainqueur que le Diable a déjà vaincu ; Que cet Ennemi ne trouve rien en vous qui soit à lui, renoncez à ses pompes ; Enfin évitez cet enivrement diabolique. »
Et ailleurs après avoir fait l'éloge des trois Enfants qui refusèrent d'adorer la Statue de Nabuchodonosor, il poursuit ainsi. « Tu aimerais certainement tes Enfants, si tu les aimais en celui qui te les a donnés, crois-tu les aimer parce que tu favorises leurs damnables voluptés ? Tu les entends blasphémer le Nom de Dieu, et tu le souffres patiemment, tu les vois aller aux Spectacles, et tu ne les retiens pas. Ces trois jeunes Martyrs ne voulurent jamais sacrifier aux Démons, ni par menaces ni par tourments ; Mais celui qui regarde avec plaisir les images des Idoles dans les Spectacles nocturnes, ne leur a-t-il pas sacrifié ? Oui sans doute il leur a sacrifié, non pas des Taureaux, ni quelqu'autre Victime de cette qualité, mais son âme qui lui doit être bien plus précieuse. » « Et dans ce détestable Sacrifice ce n'est pas un homme ou peu de personnes qui pèchent, toute la Ville en est coupable, puis qu'elle y consent ; Ils ne perdent pas la vie par la main de leurs Ennemis, ni par le fer des Barbares ; mais par eux-mêmes, en voyant ces crimes, en y consentant, en ne les empêchant pas, tous coupables. »
« Il faut éviter les Spectacles , écrit Lactance, et les Jeux publics, afin que rien ne nous détourne de Dieu : car la célébration de ces Jeux sont les Fêtes des faux Dieux ; Ils sont institués pour honorer leur naissance, pour la consécration de leurs Temples : la chasse de l'Amphithéâtre que l'on nomme des présents, est dédiée à Saturne, les Jeux Scéniques à Bacchus, ceux du Cirque à Neptune, et enfin tous à quelque Divinité. Si quelqu'un donc assiste à ces cérémonies, et se trouve en ces assemblées de Religion, il abandonne le culte du vrai Dieu, et se met du parti des faux Dieux, dont il célèbre les Fêtes. »
Mais après le témoignage de Salvien ce célèbre Évêque de Marseille, il ne peut rester aucun doute.

« Pensons-nous, dit-il, que Dieu reste en notre cœur au milieu des Cirques et des Théâtres des Païens ? Ils pratiquent ces choses dans la croyance qu'elles sont les délices de leurs Dieux. Quelle folie de s'imaginer que le plaisir est léger, s'il ne fait injure au vrai Dieu, mais une très grande injure ? Dans les Spectacles on devient en quelque façon Apostat, c'est une prévarication mortelle contre le Symbole et les Sacrements du Ciel ; Ce sont les ouvrages du Diable, auxquels nous avons renoncé, et celui-là retourne à lui qui les vient voir, il n'y rencontre pas le divertissement, mais la mort. Nous préférons les bouffonneries à l'Eglise de Dieu, nous méprisons ses Autels, et nous allons honorer les Théâtres ; nous y aimons toutes choses, nous y adorons toutes choses, et nous jugeons Dieu seul digne de mépris. Les Spectacles ont deux grands maux ; l'homme se rend lui-même l'auteur de sa perte, et Dieu s'y trouve grièvement offensé ; l'homme y cherche des divertissements honteux qui le font déchoir du salut éternel des Chrétiens, et la Majesté Divine est outragée par des superstitions sacrilèges : Il ne faut point douter que Dieu n'en soit grièvement offensé, puis qu'elles sont consacrées aux Idoles. Minerve est adorée dans les Gymnases, Vénus dans le Théâtre, Neptune dans le Cirque, Mars dans les Arènes des Gladiateurs, Mercure dans les Combats d'escrime ; et ce culte superstitieux est fait selon la qualité des Auteurs de ces Jeux. Les impudences sont aux Théâtres, l'insolence à la Lutte et à l'escrime, les emportements dans le Cirque, et la fureur dans l'Amphithéâtre. Enfin dans tous les lieux destinés à tous ces vains ébattements se trouvent ensemble les Démons et tous les monstres de l'Enfer, ils y président, parce qu'on les y adore, et le Chrétien qui participe à cette superstition, commet un sacrilège, parce qu'il entre dans la société de ceux dont le culte religieux et les Fêtes lui donnent tant de plaisir. » Et après une longue exagération des malheurs de l'Europe, par les incursions des Barbares, il s'emporte contre ceux de Trèves, qui demandaient à l'Empereur les Jeux du Cirque et du Théâtre, dont voici les plus belles paroles tirées d'un grand discours oratoire qu'il en fait, « Et quoi, leur dit-il, Vous souhaitez les Jeux Circenses après votre défaite, après le saccagement de votre Ville, après tant de sang épandu, après la servitude, après les dernières calamités d'une Ville prise et reprise par quatre fois ! Je vous ai crus misérables, je l'avoue, quand je vous ai vus si maltraités ; mais je vous tiens plus misérables de demander à l'Empereur les Spectacles du Théâtre et du Cirque. Hélas quelle Ville ! pour une Ville dont tout le peuple est mort, ou pleure ses calamités. Mais où pourra-t-on faire ces Jeux et ces bouffonneries, sinon sur le sang, sur les cendres et sur les ossements des vôtres ? Quoi vous voulez irriter Dieu par des plaisirs criminels, et par des superstitions détestables. »

Voilà comme ils en parlent tous, et cette sévérité fut si grande dans les premiers siècles de l'Eglise, que l'on défendait absolument aux Chrétiens toutes les choses qui par la moindre considération semblaient avoir quelque part à l'Idolâtrie. On mit en doute s'il leur était loisible d'acheter et de vivre de ce qui avait été consacré aux faux Dieux par ces ridicules cérémonies, et Saint Paul leur permit, à condition qu'ils n'en auraient aucune connaissance, et qu'ils ne s'en informeraient point.

Tertullien ne pouvait souffrir que les artisans pressés par la nécessité de leur fortune, travaillassent pout gagner leur vie et celle de leurs familles, à des ouvrages qui devaient être employées au culte des faux Dieux : il condamnait d'impiété l'Architecte qui en donnait le dessein, le Menuisier qui en faisait les lambris, et le Peintre qui en faisait les ornements : « parce [que], , disait-il, il est absolument indigne de la sainteté des Chrétiens de profaner en faveur des Idoles la main qui reçoit le Corps de Jésus-Christ pour y communier ; car en ce temps-là ils prenaient ainsi l'Eucharistie. »