Anonyme.(1671)Lettre d’un ecclésiastique à un de ses Amis« letter »pp. 472-482
MONSIEUR,
Il n’y a personne qui ne prît la Lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, pour
une raillerie, et je croirais la même chose si je ne connaissais votre sincérité, et si je
n’étais assuré que vous en avez fait profession, vous engageant dans la piété. Je sais
bien que vous avez beaucoup de lumière pour juger solidement de toutes choses, et qu’en
vous servant de celles que vous avez reçues de Dieu dans l’Oraison, et que vous avez
acquises par la lecture des bons Livres, vous pouvez vous satisfaire pleinement sur la
question que vous me proposez. Mais comme vous ne m’interrogez pas seulement pour devenir
plus savant, mais pour marcher plus sûrement dans la voie du Ciel, qui oblige les hommes
de se faire Enfants, et les Maîtres de se réduire dans le rang de Disciples, vous désirez de recevoir de la bouche d’un Prêtre la résolution d’un doute que je
crois que vous avez déjà prise ; C’est pourquoi vous ne vous mettez pas beaucoup en peine
de vous adresser à un Savant, qui ne vous pourrait rien apprendre sur cette matière, mais
à une personne à qui vous avez de la confiance, pour vous affermir en vous humiliant dans
la charité et dans la vérité. Vous désirez donc savoir mes pensées touchant la Comédie, et
s’il est permis à un Chrétien d’y aller.
Il me semble que cette question est vidée il y a longtemps, et qu’il n’y a personne dans
le Christianisme qui ait besoin d’autre Casuiste que celui qu’il porte en soi-même, pour
juger que ce divertissement est périlleux et contraire à la piété : Qu’il interroge sa
propre conscience, quelque artifice dont il se
serve pour la tromper, en
lui représentant cette action avec toute l’innocence qu’il pourra, si la syndérèse n’est
tout à fait étouffée, elle lui donnera toujours de la crainte de le prendre, et de
l’inquiétude de l’avoir pris. D’où il est facile de conclure qu’on ne peut s’y engager
sans péché, suivant cette maxime fondamentale de la Morale Chrétienne Quidquid ex fide non est, peccatum est
. Ce
qui n’est point réglé sur les sentiments de la conscience, et contre la Loi de Dieu.
Il est vrai que plusieurs de ceux qui assistent à ces actions de Théâtre, n’ont pas ces
remords intérieurs, mais il ne faut pas juger de leur insensibilité, que ceux qui en sont
inquiétés aient une conscience erronée ou scrupuleuse, mettant du péché où il n’y en a
pas : Car outre qu’en ressentant ces reproches contre leur propre volonté, et qu’ils font
ce qu’ils peuvent pour les étouffer, il est constant que c’est la seule lumière des
vérités chrétiennes qui les produit, et que la crainte de faire mal allant à la Comédie,
est un effet, non d’une conscience erronée, mais plutôt de cette grâce qui la rend
timorée, qui reste dans l’âme après qu’elle est tombée dans le péché, comme une semence de
conversion.
Il ne faut pas s’étonner que la grâce produise cet effet dans l’âme d’un Chrétien :
car toutes les vérités qui lui donnent le pouvoir d’être enfant de
Dieu, sont tellement combattues par les idées que ces spectacles jettent dans l’esprit,
qu’il est impossible à ceux qui s’y amusent, de jouir d’une véritable paix. La vanité qui
occupe l’entendement obscurcit la vérité, et la chair se révolte contre l’esprit ; et ce qui est de plus fâcheux, la
victoire est presque toujours pour le plus mauvais parti. Qu’y a-t-il de plus contraire à
la Loi qui nous fait adorer un Jésus-Christ crucifié, et qui veut que nous élevions ses
anéantissements au-dessus de toute la gloire du monde, que des représentations où la
vanité triomphe avec un applaudissement
général de tous les spectateurs ?
Représentez-vous d’un côté le Calvaire, et de l’autre le Théâtre, et vous avouerez qu’il
n’y a personne qui puisse assembler l’amour de l’un et de l’autre, qui sont dans un éloignement infini, dans un même
cœur, et qui ne tourne le dos au Calvaire au même temps qu’il regarde le Théâtre avec
complaisance. Consultons l’expérience, elle nous apprend que ceux qui aiment ces
divertissements ont fort peu de foi, s’ils en ont, et qu’elle est fort infirme. Je dis
ceux qui les aiment ; parce qu’il se peut faire que quelques-uns y iront sans y avait
d’affection, ou parce qu’une puissance absolue, à laquelle ils ne pourront résister, comme
d’une mère sur sa fille, ou d’un mari sur sa femme, les y engagera contre leur
inclination : ou parce qu’ils seront dans une dignité qui les obligera de s’y trouver,
pour empêcher les troubles et les querelles qui accompagnent ordinairement ces actions. Ce
sont là les personnes que le B. François Évêque de Genèvef permet d’aller au Bal, il faut dire le même de la Comédie,
qui ne peuvent s’en dépenser sans intéresser la charité, donc le propre, dit ce S.
Docteur, est d’ôter le venin aux choses empoisonnées, et de rendre permises celles
qui sont défendues, pour le péril qu’il y a d’en user. C’est prendre plaisir à s’aveugler
et à se tromper soi-même, de tirer de ce S. Homme une licence pour tout le monde d’aller à
la Comédie, encore qu’il ne la donne qu’à ceux-là seulement qui ne peuvent résister à une
puissance Souveraine qui les y mène : qu’il n’use de cette condescendance que pour des
personnes dévotes, qui comme des flambeaux bien allumés, dont la flamme croît par le
souffle des vents, redoublent les ardeurs de l’amour sacré qu’ils ont dans le cœur au
milieu des tentations. Enfin qu’il ne donne son consentement qu’à ceux qui suivent
exactement les instructions qu’il prescrit dans son Introduction, qui ne peuvent être
pratiquées sans jeter dans l’âme un extrême dégoût de toutes ces niaiseries : et
sans les rendre très pénibles à ceux qui sont contraints de s’y amuser.
Si la Comédie détruit la Foi en ruinant la Croix de Jésus-Christ, elle renverse encore
les bonnes mœurs, qui doivent accompagner la foi si elle est vivante, et telle qu’elle
doit être pour nous conduite au salut.
On peut considérer quatre choses dans la Comédie : la matière, qui est ce que l’on
représente. La manière qui consiste dans les termes, et les actions avec lesquelles les
Acteurs expriment les pensées et les desseins convenables aux personnages qu’ils font. La
qualité des personnes qui jouent la Comédie. Et l’effet qu’elle produit ordinairement dans
l’esprit des spectateurs. On représente sur le Théâtre des Histoires, dont les unes sont
inventées à plaisir, et tirées des Romans : les autres sont prises dans les livres de ceux
qui ont écrit ce qui s’est passé de plus mémorable dans le cours des siècles. Mais que ces
Histoires soient feintes ou véritables, il est constant que les Auteurs de ces pièces ne
cherchent pas, comme les Historiographes, à faire connaître la vérité, mais ils ne songent
qu’à mettre devant les yeux des spectateurs ce qui peut plus agréablement occuper leur
esprit, flatter plus doucement leurs sens, et émouvoir plus fortement leurs passions, et
ils étudient tellement à cela, qu’ils n’épargnent rien de ce qui peut y contribuer,
préférant le plus souvent le mensonge à la vérité. He ! quelle honte à des Chrétiens
d’aimer la vanité, et de rechercher l’erreur. Bienheureux celui qui n’a point abusé de ses
yeux à regarder ces objets imaginaires, et qui ne s’est point occupé de ces fausses
folies. La forme que les Auteurs donnent à ces ouvrages profanes pour les mettre dans leur
plus beau jour, les rendeg encore plus dangereux que la matière.
Il n’y a artifice dans la Rhétorique, ni licence dans la Poésie, dont ils ne se servent
pour exprimer les passions des personnages
qu’ils font parler, et pour les
faire paraître dans la dernière extrémité. S’il faut montrer de l’amour, ou de la haine :
de l’espérance ou du désespoir : de la joie, ou de la tristesse : ils recueillent ce qu’il
y a de plus emporté dans les Auteurs les plus lascifs et les plus éloquents, et y ajoutant
ce que leur invention leur peut fournir, vous diriez que vous voyez et que vous entendez
parler ces démons qu’adoraient les Païens sous les noms des Dieux de l’Amour ou de la
Fureur ; et des autres passions dont ils voulaient autoriser le dérèglement. C’est dans
ces pièces où l’on reconnaît le destin et la fortune, comme donnant le branle à tous les
mouvements du monde, et qu’on leur attribue le gouvernement qui n’appartient qu’à Dieu
seul Roi des siècles. C’est dans ces pièces que les vices qui ont de l’éclat, et qui ont
déshonoré les Princes qui les ont eus, sont élevés au-dessus des vertus abattues sous
leurs pieds : que l’impudicité est appelée chasteté, et qu’elle passe pour telle dans une
fille qui n’a qu’un amant, et qui lui abandonne son cœur et son corps sans lui donner de
rival. L’opiniâtreté dans le vice et l’impénitence y prennent le nom d’une constance
invincible, et en usurpent le mérite et la couronne. Le désespoir qui se sert de la propre
main de celui qu’il possède pour seh plonger le poignard en son sein, est un coup digne de
la mémoire des plus illustres personnages, et d’être le modèle d’une glorieuse mort. Enfin
ces pièces infâmes font revivre les serpents que l’Evangile a écrasés : elles renouvellent
les maladies des âmes que la vérité Chrétienne et la charité ont guéries : elles
rétablissent l’idolâtrie, qui est l’origine du Théâtre, selon Tertullien, et
renversent le Royaume de Jésus-Christ autant qu’elles le peuvent faire. Des hommes et des
femmes déclarés infâmes par le Concile 7. de Carthage, et excommuniés, selon le témoignage
de saint Cyprien, en la première lettre du septième livre de ses Epîtres, sont les
instruments funestes dont le démon
se sert pour remporter ces victoires sur
la piété chrétienne, et se mettre en possession de ces triomphes, trouvant ces misérables
parfaitement dociles à tous les mouvements qu’il lui plaît de leur imprimer dans le cœur
et dans le corps. Qui peut douter qu’ils ne soient des membres principaux du corps
mystique de Satan, appelé proprement dans les saintes pages, le monde, et dont il se sert
pour faire une guerre cruelle et pernicieuse à celui dont les fidèles qui vivent selon la
Loi de l’Evangile, sont les membres, et Jésus-Christ le Chef ? Qui peut douter que ce
monstre ne les anime de sa présence et de son esprit dans ces actions scandaleuses, où il
peut faire encore ce qu’il a fait autrefois, tournant dans les Comédies la Religion
Chrétienne en ridicule, et faisant de nos plus
redoutables mystères des jeux d’enfant, des délires d’un furieux, et des extravagances
d’un fol ? Il dispose si absolument de ces esclaves, qu’il y a peu d’hommes et de femmes
dans leur troupe qui ne fissent les mêmes impiétés si elles attiraient plus de monde à
leurs infâmes spectacles, et s’ils en tiraient plus de profit. Il leur est indifférent de
représenter un Saint, ou un démon ; une Vierge Martyre, ou une prostituée. Ils sont comme
la matière première des Philosophes, qui se revêt indifféremment de toutes sortes de
formes. Depuis qu’une femme a perdu la pudeur, quelle a banni la modestie, qu’elle a mis
sous ses pieds l’honneur de son sexe, c’est un serpent rempli de poison, qui met sa gloire
et son étude à donner de l’amour et à en recevoir. Ceux donc qui au lieu de la fuir,
suivant le conseil du Sage, la recherchent pour se divertir, peuvent-ils passer pour
innocents devant Dieu et devant le Tribunal de leur propre conscience ? Lisez tout ce que
Salomon prononce d’une débauchée, et le soin qu’on doit avoir d’en éviter la présence, et
vous serez très persuadé qu’il faut faire le même jugement d’une Comédienne : car encore
qu’il y en ait peut-être quelqu’une
qui ne soit pas tombée dans la dernière
extrémité du vice ; il faut pourtant avouer que faisant profession d’en avoir tout
l’extérieur, elle n’est pas moins à craindre. La nudité de son sein, son visage couvert de
peinture et de mouches, ses œillades lascives, ses paroles amoureuses, ses ornements
affectés, et tout cet attirail de lubricité, sont des filets où les plus résolus se
trouvent pris ; Ce sont des pièges ou tombent les âmes les plus innocentes ? Ce sont des
machines qui font entrer la mort par les yeux, par les oreilles, et par tous les sens du
corps de ceux qui s’y exposent. Voilà les fruits que remportent les Spectateurs : ils y
reçoivent des leçons de péché : Ils l’y trouvent avec des attraits qui le fait aimer : Ils
y apprennent des adresses pour le commettre : ils y entrent chastes, et en sortent
impudiques :·et souvent ce qu’ils y voient et ce qu’ils y entendent leur fait commettre au
même moment le péché dans le cœur, auparavant que le corps en soit souillé. Ajoutez que
ces Comédies se jouent aux flambeaux, et de soir, ce qui ne contribue pas peu à favoriser
le vice, et à lui faire jeter dans l’âme de ceux qui y assistent, de très profondes
racines : les impressions que ces œuvres de ténèbres, revêtues d’une fausse lumière, leur
font, leur servent d’entretien tout le reste du jour, et forment les dernières pensées
qu’ils ont dans leurs lits, qui sont des semences de péché, que le démon fait germer par
ses illusions, et qu’il conduit jusques à son dernier effet, à la faveur de la
concupiscence.
On peut représenter, Monsieur, que ces désordres n’arrivent pas toujours, et que les
Comédiennes sont quelquefois si mal faites, et ceux qui les voient si peu disposés au
péché, qu’ils peuvent se regarder les uns les autres sans aucun péril. Les exemples des
Saintes Écritures nous apprennent qu’il faut peu de chose pour faite tomber l’homme dans
le vice, il n’a besoin que de sa propre pesanteur, pour s’y précipiter
soi-même. La chaussure de Judith ne gagna-t-elle pas le cœur d’Holopherne, et ne
fut-elle pas la cause de son crime et de sa mort ? C’est unei horrible présomption, de se persuader que le secours de
la Grâce (sans lequel nous ne pouvons éviter le mal, ou faire le bien, et qui ne nous
manque jamais, tant que nous marchons dans la voie où Dieu nous a mis pour aller à lui)
nous suive jusques dans ces lieux où l’on ne se peut trouver avec affection, qu’en se
détournant de Dieu, et transgressant toute sa Loi. On tombe dans le même crime que les
Enfants d’Israël, lorsqu’ils adorèrent le Veau d’or, et on met en pièces les deux Tables
du Décalogue : On brise la première, qui regarde l’Amour et le culte de Dieu, lorsqu’on
partage son cœur, qu’il veut tout entier, entre lui et ces divertissements ; encore avec
cette injustice, que l’on leur en donne la meilleure part : Qu’on dresse deux Autels
au-dedans de soi-même, où l’on offre plus de sacrifices et avec plus d’affection au Prince
usurpateur du monde, qu’à celui qui l’a créé, et à qui en appartient la souveraineté ; Se
donnant à peine le loisir d’entendre une basse Messe aux jours où elle est d’obligation,
et consacrant le reste à ce cruel Tyran. Ils se joignent à ces malheureux dont parle le
Prophète, et te rendent exécuteurs de leur mauvaise volonté, « Quiescere faciamus
omnes dies festos Dei. » Ce qui est si sensible à l’Église, qu’elle veut qu’on
les retranche de son Corps, dans le quatrième Concile de Carthage, comme des membres
pourris, avec le glaive de l’excommunication. La seconde Table du Décalogue, qui nous
ordonne l’amour du Prochain, est renversée allant à la Comédie, par le scandale que l’on
donne à son Prochain, voire à toute l’Église. Quand il n’y aurait que les enfants les plus
faibles de cette divine Mère, qui s’en mal édifieraient, les autres qui sont plus forts,
suivant la règle de la Charité, ne seraient-ils pas très étroitement obligés et sous peine
de péché, de s’en abstenir, leur devant cette condescendance
avec plus de
justice, que celui dont parle S. Paul, ne devait
se priver de manger de la chair immolée aux Idoles, en la présence de celui qui ne croyait
pas qu’il le pût faire légitimement. S’il y a de la différence dans ces sujets de
condescendance, celle qui oblige les forts de ne prendre pas le divertissement de la
Comédie, pour ôter le scandale qu’en prennent les autres fidèles, est plus pressante et
moins excusable, que celle que le Corinthien était obligé de pratiquer, s’abstenant de
manger de la chair immolée aux Idoles, pour ne blesser pas la conscience de son Frère
infirme en la Foi, la nécessite de manger étant plus capable d’excuser celui qui lui
obéit, que la volonté de se divertir, et qu’il était moins périlleux d’user de ces
viandes, que de voir la Comédie.
Secondement, il suffit que ces divertissements soient périlleux, pour engager les
Chrétiens de s’en détourner, et s’ils ne le sont pas pour tous, au moins ceux qui ont la
conduite des autres, et dont on suit les exemples, ne sauraient se trouver à ces
Spectacles, sans être cause de la ruine de plusieurs, et sans perdre pour eux-mêmes la
charité chrétienne, suivant cette parole du S. Esprit, Dieu a chargé un chacun de la garde de son prochain.
On ne doit pas s’étonner que les enfants du monde combattent avec tant de chaleur ces
sentiments, qui étant des suites nécessaires de la Religion, et inséparables de la vraie
piété, sont aussi anciens dans l’Église, que les vérités chrétiennes qui les produisent :
Car renversant le Théâtre, et ruinant la Comédie, on détruit tout d’un coup le royaume de
Satan, qui ne subsiste, selon l’Apôtre S. Jean, que sur la concupiscence de la chair, la
concupiscence des yeux, et la superbe de la vie. L’horreur que l’on conçoit de ces
Spectacles, ferme les yeux à la vanité (ce que le Prophète demandait à Dieu avec
instance :) Elle ôte à la
chair ce qui entretient ses flammes impures,
et conserve son intégrité :
Elle empêche la superbe de glisser son poison dans l’esprit, et de le surprendre en le
détournant de ces jeux, où l’on donne l’honneur et la gloire à ceux qui ont porté plus
haut ses mouvements déréglés C’est pourquoi depuis l’établissement du Christianisme, et
que Jésus-Christ crucifié a été proposé aux hommes comme la voie, la vérité, et la vie,
qui conduisent à la béatitude, les partisans de l’idolâtrie ont toujours attaqué ces
sentiments catholiques, comme les plus opposés à la superstition : Et les Pères ont été
obligés de prendre leur défense, comme un des points principaux de notre créance, et de
composer des livres entiers pour les soutenir. Tertullien ne s’est pas contenté dans son
Apologétique, de repousser le reproche que l’on faisait aux Chrétiens
de fuir les Spectacles, comme un crime qui méritait d’être sévèrement puni, en soutenant
qu’il n’y en avait point, et qu’il n’y avait aucun sujet de les en reprendre, puisqu’en
cela ils usaient de leur liberté, sans offenser ni le public, ni le particulier : Ce
Docteur en a fait un Livre tout entier. S. Cyprien en a composé un sur le même sujetj, et il n’y a point de Pères qui n’aient les mêmes sentiments que je
vous propose, et qui ne tâchent de donner une extrême aversion de ces actions de Théâtre,
comme contraires à la religion et à la dévotion. Si vous voulez faire réflexion sur le
livre de Tertullien, vous m’avouerez qu’il suffirait de le transcrire et de le traduire,
sans y rien ajouter, pour former la bouche à tous ceux qui trouvent mauvais qu’on blâme le
Bal et la Comédie, et qui soutiennent qu’on y peut aller sans intéresserk l’innocence et
la piété. Je me contenterais de vous faire remarquer qu’il ne proscrit pas ces Spectacles
du Christianisme, seulement comme ayant leur source dans idolâtrie, qui faisait de ces
actions profanes des sacrifices à leurs fausses divinités : où comme s’il ne s’y passait
rien qui ne fût contraire à l’humanité naturelle, à l’homme qui abhorre
le
sang : Mais comme des pompes du Diable, auxquelles nous avons renoncé entrant dans
l’Église par le Baptême, et devenant membres de Jésus-Christ, qui a fait profession au nom
de tous ses enfants de n’être point du monde : et comme des nourrices des mauvais désirs
qui sont les sources fécondes de tous les péchés. C’est ce qu’il explique dans le 14.
chap. Dans le 17. il appelle le Théâtre le consistoire de l’impudicité ; et les Tragédies
et les Comédies les mères des crimes et des passions dérèglées. Dans le 14. il se propose
l’objection que font encore aujourd’hui les protecteurs de ces divertissements, qu’il n’y
a point de commandement de Dieu dans les Écritures Saintes qui le défende expressément, et
qui oblige de lesl fuir ;
A quoi il répond qu’il ne faut lire que le premier vers, du 1. Psaume, pour reconnaître
sur ce sujet la volonté de Dieu ? Bienheureux est l’homme qui ne s’est point trouvé dans
l’assemblée des impies, qui ne s’est point atteste dans le chemin des pécheurs, et qui m’a
point pris séancem dans la
chaire de pestilencen : Soutenant que ces paroles dans leur véritable sens,
condamnent ces actions et ceux qui y prennent part. On peut ajouter à ce passage plusieurs
autres, qui renferment le même sens ; On en trouve autant qu’il y a de versets dans le 25.
Psaume du même Prophète : Je ne me suis point trouvé dans le conseil de la vanité, et j’ai
fait toujours profession de m’éloigner de ceux qui se portaient au mal : J’ai haï
l’assemblée des méchants, et je n’ay point voulu m’asseoir avec les impieso.
Si je voulais suivre l’ouverture que me donne ce sujet pour vous entretenir, j’aurais de
la peine à conclure cette lettre et vous seriez plutôt ennuyé, que je ne manquerais de
pensées. Contentez-vous, s’il vous plaît, de ce petit essai, que j’ai fait plutôt pour
satisfaire votre pieuse inclination, que pour vous persuader une vérité constante parmi
les vrais Chrétiens, et que ceux-là seulement veulent rendre
douteuse, qui
s’aveuglent volontairement eux-mêmes, et qui ressemblent à celui qui renonce à la lumière
pour se porter au mal avec plus de liberté. Prions
notre Seigneur d’éclairer leurs yeux, et qu’il ne permette pas qu’ils s’endorment en la
mort, et qu’ils tombent en ce déplorable état entre les mains de l’ennemi. Pour nous,
jouissons de la vraie liberté des enfants de Dieu, élevant notre esprit à la contemplation
de ce que notre Seigneur a opéré sur la terre pour notre salut, de la majesté foudroyante
avec laquelle il paraîtra à la fin des siècles, pour juger nos justices et nos péchés, et
pour rendre à un chacun selon ses œuvres : et des récompenses éternelles qu’il a préparées
dans le ciel à ceux qui auront consommé leur course, combattu le bon combat, et conservé
jusques à la mort la fidélité qu’ils doivent à leur souverain Maître. Souvenez-vous que
c’est là l’exercice d’un homme qui a renoncé de tout son cœur au siècle, et qui se veut
parfaitement convertir à Dieu. Si quelque tentation rappelant dans votre esprit ces
fausses délices que vous avez goûtées dans votre conversation mondaine, vous sollicitait
de retourner en arriéré, opposez lui ces paroles de S. Augustin, « Cohibeat se a
ludis et a spectaculis qui perfectam vult consequi remissionis gratiam »
: Que celui-là renonce aux jeux et aux
spectacles du siècle, qui désire obtenir de Dieu une rémission parfaite de ses crimes.