CHAPITRE XIII. Des jeux, des spectacles, et des bals, qui sont défendus aux Filles Chrétiennes.
On voit des femmes et des Filles si entêtées, et si passionnées du jeu, qu’elles n’ont que cela dans l’esprit, elles en perdent le boire et le manger, et passent en cet excès les jours et les nuits, sans se mettre en peine de s’acquitter de leurs devoirs essentiels ; elle négligent même leurs prières, et souvent perdent la Messe les Fêtes et le Dimanches ; on les voit toujours occupées de leur perte ou de leur gain, du lieu où elles iront jouer, où l’on tiendra table ouverte, et où l’on s’assemblera ; enfin, elles sont si souvent dans l’exercice du jeu, qu’elles courent risque de mourir les cartes à la main ; jusques là même que j’ai ouï dire, qu’une femme de qualité étant en couche, demandait sans cesse à sa garde, quand elle pourrait jouer, ne s’affligeant d’autre chose, que de ce que ses Médecins ne lui permettaient pas de battre des cartes, ou de remuer des dés.
En vérité, est-ce là la vie d’une femme Chrétienne, à qui Dieu n’a donné la vie, que pour l’employer à son salut. On dit dans le monde que l’on joue pour tuer le temps ; est-ce là, je vous prie, un langage Chrétien ? vous tuez le temps en jouant et en vous divertissant, mais le temps vous tuera à son tour, et fera votre condamnation. Il viendra un jour où vous demanderez du temps pour faire pénitence : mais Dieu vous le refusera, dit l’Ange de l’Apocalypse, la femme et la Fille sage font toutes deux leur divertissement de leur occupation, et la femme et la Fille insensée font leur occupation de leurs divertissements ; il faut donc se faire une joie et un plaisir de s’occuper toujours ; et de faire son devoir. Tous les Pères ont admiré la parole de cet Empereur Païen, qui croyait avoir perdu le jour, quand il l’avait passé sans faire aucune bonne action ; et les Chrétiens auront si peu de Foi, que de perdre inutilement le temps, que J. C. nous a acheté au prix de son Sang. Si un damné pouvait en avoir un seul moment, il achèterait au prix de mille vies, s’il les avait ; les Chrétiens n’ont pour but dans le jeu, et dans les divertissements qu’ils prennent, que de laisser passer le temps sans le sentir, où plutôt sans se sentir eux-mêmes.
Saint Cyprien, qui est celui de tous les Pères, qui a mieux traité du jeu, dit que c’est un crime et une honte à un Chrétien de s’y occuper entièrement. S. Isidore Archevêque de Séville en Espagne, en apporte la raison, lorsqu’il dit qu’on idolâtre dans le jeu, parce qu’on n’y reconnaît plus la Providence de Dieu, et qu’on n’y adore que l’empire du destin et de la fortune ; c’est là, dit ce savant personnage, où les hommes se donnent aux divertissements, au lieu de s’y prêter. Voyez-vous dans ce miroir fidèle toutes les passions, qui se remuent, ce bouillonnement de cœur, ces émotions, cette impétuosité de nature, ces agitations du corps, cet air sombre et mélancolique, ces paroles piquantes et injurieuses, ces blasphèmes exécrables, qui sont quelquefois dans la bouche même des plus beaux joueurs. Ce qui a fait dire à S. François de Borgia, que le jeu était toujours très dangereux : et que quand on s’y donnait avec trop d’attache, on y perdait quatre choses, le temps, l’argent, la dévotion et la conscience.
Mais pourquoi blâmer la comédie ? il n’y a point de mal, on y apprend à vivre dans le monde ; mais prenez garde qu’il n’y a rien d’innocent dans ces divertissements qui sont souvent des occasions prochaines de péché à ceux qui s’y trouvent, sans avoir mauvaise intention, parce que les comédiens d’aujourd’hui sont semblables à ceux dont parle Sénèque, qui corrompaient de son temps les mœurs, sous le beau prétexte de les reformer, et qui sous couleur de reprendre le vice, l’insinuaient adroitement et avec artifice dans les esprits des spectateurs, et qui voulant corriger les hommes en les divertissant, les perdent en les faisant rire, et meurent par cette fausse joie, comme ceux qui ont mangé de l’herbe Sardoniquec, selon la remarque des Naturalistes. En effet, ne voyons-nous pas par expérience, que la naïveté malicieuse dans la bouche d’une jeune Comédienne, qui fait l’innocente Agnès, a débauché plus de femmes, et corrompu plus de Vierges, que les écrits les plus licencieux de ce Philosophe, qui fut autrefois chassé d’Athènes, parce qu’il se vantait que personne ne sortait chaste de son écoled. Et quoique toute la France ait l’obligation à feu Monsieur le Cardinal de Richelieu, d’avoir épuré et purifié le théâtre de la comédie, et d’avoir réformé jusqu’aux habits, et aux gestes de cette courtisane effrontée. Ce sage et prudent politique, dont les vives lumières perçaient jusques dans l’avenir, n’en a pas pour cela retranché tout ce qui peut encore choquer la pudeur, et blesser la chasteté des honnêtes femmes. Tertullien rapporte l’histoire d’une Fille Chrétienne, qui fut possédée du Démon, pour avoir une seule fois assisté à la comédie, et comme on l’exorcisait, et qu’on demandait au Démon, qui l’avait fait si hardi que d’entrer dans cette jeune Fille, qui appartenait à Jesus-Christ par son Baptême ? Il répondit, qu’il y était entré, parce qu’il l’avait trouvée sur ses terres, et dans le lieu de son domaine. En effet, c’est là où le Démon règne avec empire ; c’est là qu’il corrompt les âmes les plus pures par des idées dangereuses, par des gestes dissolus, par des postures lascives, et par des paroles indécentes et malhonnêtes dont on fait gloire ; si bien que c’est un dangereux écueil pour la pureté des Filles, qui le doivent éviter avec soin, si elles ont de l’amour pour Dieu et pour leur salut.
Nous voyons dans l’Ecriture, que la danse a fait perdre la vie au meilleur ami de Jésus-Christ, et que la tête de St. Jean-Baptiste, qui pouvait, dit S. Chrysostome, convertir tout le monde, a été le prix de la danse d’une jeune baladine. Le Diable ne trouve point de moyen plus puissant, pour obtenir d’Hérode la mort de ce S. Précurseur, qui faisait l’admiration de la Judée, au rapport même de l’Historien Joseph, que faire danser devant le Roi une Fille mondaine fort ajustée, et fort adroite à cet exercice. Serait-il possible que vous n’eussiez pas en exécration une chose qui a été si nuisible à toute l’Eglise, qui a tant affligé Jésus-Christ par la mort d’un homme qu’il aimait ? Dieu même nous l’avait donné, et la danse nous l’avait ravi cruellement ; quand il n’y aurait autre chose à objecter contre la danse, cette considération seule vous doit faire prendre la résolution de ne danser jamais, puisque la danse a fait perdre la vie à S. Jean, je ne crois pas que vous voulussiez faire le moindre usage d’un couteau, qui aurait servi à égorger votre ami.
Mais ce qui vous oblige, malgré vous, d’abandonner ce malheureux divertissement, c’est une foule et un nombre presque infini de péchés, qui composent une longue chaine, dont on a de la peine à voir la fin. Il y en a qui précèdent la danse, et d’autres qui la suivent, je vous prie de les remarquer.
Si vous entrez dans la chambre de cette personne, qui se dispose d’aller au bal : vous la trouverez devant un miroir, se consultant sans cesse environnée de servantes, ou de ses bonnes amies, qui s’étudient à orner sa tête de frisures, de rubans, et le reste. Les linges et les toiles les plus transparentes, et les plus courtes sont les meilleures, afin que les nudités se voient plus grandes ; elle pratique mille inventions pour attirer les yeux, et gagner le cœur des jeunes hommes. Si elle a quelque défaut naturel, on supplée à tout, les poudres changent la couleur des cheveux, le fard et les pommades unissent les visages, qui ne le sont pas ; les corps de jupes sont pleins d’artifice, pour corriger les défauts, et pour couvrir les difformités de la taille ; on charge ensuite le corps de rubans, dont la diversité des couleurs répond à la diversité des passions. On met enfin mille autres agréments où l’on juge qu’ils auront de l’éclat et de la bonne grâce. On étudie avec affection ses démarches, ses regards, ses gestes, son discours, et généralement tout ce qu’on doit faire pour plaire au monde. C’est ainsi, dit le Prophète Royalg, en se plaignant de ces excès, que l’on ajuste, et que l’on pare les Filles du siècle, que l’on veut produire, et que l’on souhaite de faire paraître au grand jour : en sorte, dit-il, qu’elles sont en état de tenir la place d’une Idole au milieu d’un Temple, pour recevoir les encens, les adorations et tous les honneurs, qui ne sont dus qu’a Dieu seul.
L’extérieur d’une fille mondaine ainsi parée, découvre assez clairement les différentes pensées de son âme ; elle désire ardemment d’être trouvée belle, sa prétention est d’attirer auprès de soi les garçons les plus divertissants, les plus agréables, les mieux faits, les plus enjoués, et les plus galants ; elle veut faire des conquêtes, et gagner des cœurs ; elle se préfère à toutes les autres Filles ; elle se tient fière, et prend un air de grandeur pour survendre ses appas, et se faire mieux valoir ses attraits ; elle ne sort de son logis, qu’après s’être regardée et considérée plusieurs fois ; elle porte encore un miroir de poche, pour se mirer dans tous les lieux où elle va ; son image, que ce miroir lui représente, lui plaît infiniment ; elle prend en elle-même un repos orgueilleux ; cherchant à l’entour d’elle des approbateurs qui soient de son sentiment ; c’est-à-dire en un mot, que cette âme superbe et dédaigneuse est toute remplie de vanité, de présomption, de vaine gloire, et de tous les autres mouvements, que la sensualité et l’orgueil ont coutume d’inspirer ; son cœur en est tout enflé et tout bouffi. Je vous laisse à penser, si dans cet état il y a un Dieu pour elle ; et si son souvenir n’est pas effacé de sa mémoire, comme s’il n’avait jamais été, ou qu’il dût bientôt n’être plus.
Voilà bien des péchés avant que d’être sortie de la maison, et des péchés d’autant plus dangereux, qu’ils sont spirituels et imperceptibles. Cependant c’est cet orgueil et cette complaisance, qui gâta tellement l’esprit du premier Angeh, que Dieu ne le peuti souffrir un moment en sa présence. Il faut avouer que votre insensibilité est extrême, si ces péchés ne vous pèsent pas sur le cœur : car leur poids est si grand, dit S. Chrysostome, qu’étant dans l’esprit de Lucifer, les voûtes du Ciel ne le purent plus supporter.
Voyons maintenant cette Fille mondaine dans l’assemblée ; elle n’est pas plutôt assise, que ses yeux courent partout pour voir les autres, et sur le champ son cœur est saisi de jalousie contre les unes ; et de mépris contre les autres : celles qui sont plus courtisées, excitent son envie ; et si elle l’est plus que les autres, son orgueil s’enfle, et les regardant avec dédain, elle les porte à la vengeance. C’est là où l’on déchire son prochain par des malices, qu’on appelle agréables et spirituelles. C’est là où la calomnie la plus fine et la mieux inventée est la plus agréable, quoiqu’elle soit la plus piquante, la raillerie y est le jeu le plus innocent, cependant elle cause de si vifs ressentiments, que les années entières ne suffisent pas pour les apaiser. Je n’ose pas vous parler des offenses que souffre la pudeur ; j’ai cru néanmoins qu’il n’était pas mal à propos de vous en dire quelque chose qui vous fasse mieux juger des injures qu’on y fait à cette vertu.
Tout le monde sait que la concupiscence est une source fatale d’impureté, que les deux sexes portent▶ au milieu d’eux en naissant. Nous entrons, dit S. Augustin, dans cette vie accompagnés de cet ennemi dans la nécessité de le vaincre, et c’est être heureux : ou d’en être vaincu, et c’est être réprouvé. Il n’y a point de trêve ni de paix à espérer ; vous avez beau fuir dans les déserts et dans les solitudes, dit saint Jérôme ; l’esprit et la chair sont dans votre personne, comme deux ennemis furieux, qui s’enferment dans un tonneau armés de poignards : vous voyez bien qu’il n’y a point de fuite à prendre : il faut nécessairement que l’un des deux périsse. Voilà une étrange extrémité. C’est néanmoins celle où vous êtes réduite, et ce qui rend votre condition encore plus misérable, c’est que si vous surmontez aujourd’hui votre passion, elle se révoltera demain ; et vous aurez autant de peine à vaincre cette nouvelle attaque, que la première. Ces révoltes continuelles dureront autant que vos jours, la mort seule vous en délivrera entièrement, lorsqu’elle séparera l’âme de votre misérable corps de corruption. Avouez que c’est pour tous les hommes un grand sujet d’humiliation, d’affliction, et de crainte d’avoir un adversaire si puissant, et si opiniâtre dans la persécution : cependant que faites-vous, Filles mondaines par vos ajustements trop affectés ? Vous fortifiez, dit le même S. Augustin, le parti de votre ennemi. Ce sont des troupes auxiliaires, que vous appelez pour votre ruine ; ce grand Saint exprime sa pensée avec des termes dignes de son esprit, et que je vous prie de remarquer. Il appelle ces habits somptueux, ces nudités, ces pruderies, ces rubans, ces frisures, ces cadences, ces bals et tous ces divertissements mondains, des escadrons de concupiscence. En effet, si celle qui est née avec vous, était éteinte, toutes ces choses seraient capables de la faire revivre. Après cela, jugez si vous pourrez surmonter cet effroyable ennemi que la nature a renfermé dans vous-même, puisque vous en avez tant d’autres sur les bras, que l’artifice du monde vous a suscités, et qui vous plaisent pour votre malheur.
Ce bon Prince, après avoir travaillé dans son cabinet aux affaires de son état, voulut
aller prendre l’air sur un balcon de son Palais qui était fort élevé, de là ◀portait▶ ses
yeux sur la campagne, ils tombèrent malheureusement sur une belle femme, qui était dans un
jardin disposée à se rafraîchir dans un bain. Ce regard éveilla sa passion,
le feu s’augmenta, il vit cette femme, elle lui plut, il en fut charmé, il avala le
poison, et le vainqueur de Goliath devint en un moment la conquête de Bersabée, sur quoi
S. Augustin demande, pourquoi un objet si éloigné avait fait sur David une si vive
impression. Il répond qu’il ne faut pas avoir tant d’égard à l’éloignement de cette femme,
qu’à la proximité de la convoitise, qui était au milieu de son cœur : « Mulier erat
longe, sed libido erat prope. »
Après cela jugez du mal, que les approches des
Filles mondaines font dans un bal, et combien elles en font faire.
Ajoutez à tout ce que nous venons de dire, une réflexion qui vous donnera de la confusion, et à tous ceux qui la feront sérieusement devant Dieu ; considérez ces deux personnes, qui dansent au milieu d’une nombreuse assemblée, la Fille avance ou recule en cadence, le garçon la suit. Chacun de son côté fait diverses postures de son corps, l’âme se répand toute par les yeux qui sont pleins de douceurs et d’œillades lascives : on s’échauffe dans cet exercice : on cherche à se plaire l’un à l’autre, et on s’empresse de se rendre mutuellement des témoignages de l’estime et de l’affection dont on se trouve possédé. Dites-moi, tout cela est-il honnête ? Cela est-il conforme à la modestie Chrétienne ? Oseriez-vous défendre et soutenir comme innocent un exercice, qui ne respire qu’orgueil et qu’impudicité ? Les infâmes privautés, auxquelles la danse donne occasion par le mélange de deux sexes, ne donnent-ils pas un juste sujet de craindre pour la pudeur des Filles qui s’y adonnent ? N’appréhendez-vous pas pour elles que leurs âmes ne soient blessées mortellement, et qu’elles ne soient prostituées, quand leur corps demeurerait chaste ? car quelles idées voulez-vous que tous ces commerces impriment dans l’imagination ? Quelles pensées peuvent ◀porter▶ les objets dans l’esprit ? et quelles affections prétendez-vous que ces pensées formeront dans un cœur ? la modestie m’arrête tout court. J’ai de la confusion de les imaginer, et vous en devez avoir d’y penser seulement sans les voir : le Royaume de Dieu, comme vous savez, est au-dedans de nous. C’est Jésus-Christ qui le dit dans l’Evangile, et le Prophète Roi remarque que la gloire de la Fille du Roi est au-dedans d’elle-même. Or ce Royaume de Dieu et cette gloire consistent dans la pureté du cœur, dans l’humilité et dans la modestie, dans l’aversion du monde corrompu, et dans l’amour de la Croix. Avouez donc que ce Royaume est détruit, et que cette gloire est éclipsée dans les personnes, qui fréquentent le bal, où il ne se trouve qu’ambition, qu’orgueil, qu’impureté, médisance, vaine gloire, et amour de recherche de soi-même. Je vous l’avais bien dit que notre Dieu est un esprit infiniment pur et infiniment saint, et que suivant la parole de son Fils unique, pour être du nombre de ses véritables adorateurs, il faut l’adorer avec un esprit saint, et un cœur épuré. Dites donc hardiment que tous ceux qui courent, qui cherchent et qui aiment ces sortes d’assemblées, n’ont point de Religion, parce que partout où la véritable adoration ne se rencontre pas, la Religion n’y est pas, il faut que la maison tombe nécessairement en ruine, quand il n’y a plus de fondement.
Cependant l’erreur où vivent la plupart des personnes du monde sur ce point, me paraît si pernicieuse à l’Eglise et au salut des particuliers, qu’on ne doit rien oublier pour les désabuser. C’est pour ce sujet, que je veux vous rapporter ce qu’en a écrit une personne pleine de piété et de lumière. Ce savant homme dit qu’on peut regarder un bal en deux manières, ou par les yeux du corps, ou avec ceux de l’esprit. Qu’est-ce que les personnes du monde voient dans un bal ? Une assemblée de personnes agréables, bien mises, bien parées, qui ne songent qu’a se divertir, à prendre leurs plaisirs, et à contribuer au plaisir commun, ils y voient des femmes et des Filles qui font tout ce qu’elles peuvent pour se faire admirer et se rendre aimables, et des hommes qui font tout ce qu’ils peuvent pour leur témoigner qu’ils les admirent et qu’ils les aiment. Ils y voient un spectacle, qui flatte tous les sens, qui remplit leur esprit de vanités, qui amollit leur cœur par le son ravissant des violons et des instruments, qui flattent les oreilles, et qui charment et enlèvent l’âme par une douce et agréable violence. Ainsi l’amour du monde et des créatures se glisse imperceptiblement dans le cœur de ceux qui se trouvent à un bal. Mais qu’est-ce que la lumière de la Foi découvre dans ces assemblées profanes à ceux qu’elle éclaire ? elle leur fait voir ce que Dieu et les Anges y voient, elle leur découvre un massacre horrible d’âmes qui s’entretuent les unes les autres ; elle leur montre des femmes en qui le Démon habite, qui font à de misérables hommes mille plaies mortelles ; elle leur fait voir un air contagieux, qui se répand par tous les sens, et un poison subtil qui se glisse dans tous les cœurs ; enfin elle leur fait paraître une infinité d’esprits malins, qui se moquent de ces malheureux, et qui se raillent de leurs illusions et de leurs aveuglements. Voilà ce que la Foi nous apprend, voilà ce qu’elle nous découvre par ses lumières, et qui assurément n’approchent pas de la réalité ; car on manque de pensées et d’expressions pour donner un ◀portait▶ au naturel, et pour faire une peinture vive et parlante de ce divertissement, qui est aussi ridicule qu’il est honteux ; car si l’extravagance ne s’était naturalisée dans nos mœurs ; nous appellerions folie ce qu’on nomme gentillesse. Ne dites pas que les hommes n’ont pas assez de pouvoir pour ◀porter une femme ou une Fille d’honneur à un sentiment, ou à quelque action malhonnête, si elle ne le veut, et que vous vous en garantirez bien. Vous ne connaissez pas assez votre faiblesse, vous présumez trop de vous-même. Pensez à ce que fit S. Pierre, lorsqu’il renia Jésus-Christ. Quand vous êtes aux pieds des Confesseurs, vous changez bien de langage ; la vérité et votre conscience vous contraignent d’avouer tout ce que nous venons de dire, et souvent votre plus grand malheur et celui des autres femmes, ou des Filles vient d’un premier entretien dans un bal, ou de quelque autre divertissement, dont on leur a donné le régal, et qui les a fait tomber. Elles ont continué, et cette première démarche a été la cause de toutes les autres, elles s’en sont confessées, mais elles n’ont pas quitté les occasions dangereuses. Une flamme mal éteinte est facile à rallumer. Pour ce qui regarde le pouvoir des femmes sur l’esprit des hommes, il n’est que trop connu par de funestes expériences. Il y en a peu qui y résistent, et le seul secret pour s’en défendre, c’est de fuir. Fuyez, dit S. Paul, c’est le meilleur moyen de demeurer victorieux dans ce genre de combat si dangereux à la chasteté. Les femmes néanmoins ne doivent pas tirer avantage de cette force : et c’est, dit un grand Saint, comme si on se vantait de la force d’un poison malin, qui tuerait un homme sur le champ, ou comme si on estimait la violence d’un torrent impétueux qui ravagerait tout ce qu’il rencontre, ou enfin comme qui louerait la force des vents, qui font périr les vaisseaux sur la mer, et qui renversent quelquefois les arbres et les maisons sur la terre.
Mais, répondrez-vous, il faut donc dire adieu à la joie, et au plaisir ; quand cela serait, il ne faut point tant se récrier ; il n’y aurait rien qui ne fût très conforme au Christianisme, puisque Jésus-Christ allant mourir pour tous les hommes, fit son testament, et comme un bon et sage Père, il laissa au monde la joie et les plaisirs en partage ; mais pour les véritables Chrétiens, il leur a laissé les pleurs et les tristesses. Voilà notre legs : voyez si vous voulez être héritière de Jésus-Christ, ou renoncer à sa succession et à son Paradis. Votre sexe semble avoir eu plus de part à la Croix de Jésus-Christ, qu’a sa gloire ; car on a vu trois Marie sur le Calvaire, et on n’en a pas vu une seule sur le Thabor avec les Apôtres. Vous voudriez bien abandonner le Sauveur, lorsqu’il va mourir pour vous, et voudriez-vous bien faire de cette vie, qui est une vallée de misères, un paradis de délices, où Jésus-Christ n’a trouvé que des amertumes, des peines et des douleurs.
Le grand S. Charles Borromée Archevêque de Milan, qui a été le Réformateur de la Discipline Ecclésiastique, et qui a fait revivre l’esprit des anciens Canons, en plusieurs endroits de ses Actes, et de ses Conciles, les a très étroitement défendues à son peuple, et même en toute sa Province. Il rapporte aussi qu’anciennement on imposait trois ans de pénitence à ceux qui avaient dansé et qu’on les menaçait même de les excommunier, s’ils persévéraient dans cet exercice.
Vous me répondrez sans doute que vous êtes présentement convaincus de ces vérités, et qu’elles paraissent trop clairement pour pouvoir être contestées ; mais dites-nous, que faut-il faire au milieu de tant de rencontres, dans lesquels la nécessité, ou la coutume nous emportent, et nous entraînent malgré nous ? Nous voyons bien, dites-vous, que votre intention est, qu’on se sépare absolument des compagnies dangereuses, et que l’unique nécessité est d’obéir à Dieu, de sauver son âme. Je l’avoue et le confesse avec vous, cependant je ne vois pas qu’on le puisse faire qu’avec le temps : car quel moyen de rompre tout d’un coup les liaisons, les attachements, les alliances et les sociétés qu’on a avec les personnes du monde ? Cette excuse pourrait être recevable, si les temps dépendaient de moi, ou de vous ; mais la Majesté de Dieu les a réservés à sa puissance. La mort est une furieuse, qui ne garde aucune mesure, elle moissonne les fleurs en boutons, et joint quelquefois le commencement de la vie à la fin dans la plus tendre jeunesse, sans se mettre en peine si on y trouvera à redire. Vous n’ignorez pas que l’homme ne naît que pour mourir, que le premier pas qu’il fait dans la vie, est la première démarche qui le conduit au tombeau ; il est coupable et condamné à la mort dès qu’il commence de vivre ; la sentence est déjà prononcée, mais l’exécution en est différée autant qu’il plaît au souverain Juge, sans que le criminel en ait la connaissance : voilà votre condition et la mienne, c’est pourquoi, si nous sommes sages, nous ne devons pas nous assurer d’un seul moment.
Mais quand vous auriez du temps, peut-on espérer de rompre les liens et de briser les chaînes, tandis qu’on demeure dedans ? On ne devient pas libre dans l’esclavage : car lorsqu’on converse avec les femme, Platon dit qu’il en sort de certains esprits lymphatiques, qui s’unissant à ceux qui sortent de nous, forment la chaîne qui nous serre, et nous captive ; ce sont des vapeurs malignes qu’exhale notre concupiscence, qui se joignant à celles qu’elles rencontrent, s’épaississent et se condensent, en sorte qu’il se fait une espèce de soudure qui unit et qui attache l’un à l’autre inséparablement ; de sorte que comme pour séparer deux choses étroitement unies, il faut faire des efforts violents, et mettre de l’espace entre deux, de même il faut absolument que vous vous résoudiezl à vous séparer de toutes les compagnies dangereuses, et vous en éloigner de fort loin, de peur qu’elles ne vous rejoignent, et ne vous fassent revenir dans votre premier état.