X.
Le zèle représenté par Hercule, fait le premier trait du caractère : mais il fallait, mes Pères, que vous en fussiez bien transportés vous-mêmes pour nous faire une si étrange peinture de la Ville ou du Diocèse d’Aix, en y faisant régner l’erreur, la violence, la discorde, l’impiété, la dissimulation, la calomnie, afin de donner matière à votre Hercule d’exercer son zèle et d’employer sa massue à chasser ces vices ou à les terrasser.
On ne saurait donner d’autre sens raisonnable à vos paroles : L’erreur, dites-vous, la violence, la discorde, l’impiété, la dissimulation, la calomnie paraissent sur la Scène. L’innocence qui ne prévoit pas une telle rencontre, y vient accompagnée de la Paix et de la vérité. A la vue de ces ennemis elles prennent la fuite, et vont se cacher dans une retraite, où elles sont assiégées par les vices, qui les tirent de là, et les mènent enchaînées sur le Théâtre.
Cette Scène et ce Théâtre ne peut être, par exemple, dans le Diocèse de Grenoble où votre Héros n’a nulle autorité, ni dans celui de Lavaur qu’il a quitté ; et le bon sens veut que ce ne puisse être que le Diocèse d’Aix, où paraissent, selon vous, tous les vices sur la Scène. Mais, mes Pères, n’y a-t-il qu’à décrier les plus gens de bien par vos fictions Poétiques ? Croyez-vous qu’un Ballet profane et follement idolâtre soit bien propre à persuader au monde que M. le Cardinal Grimaldi ait été de ces Pasteurs négligents et lâches qui n’ont nul soin de faire la guerre aux vices, et qui au lieu de faire régner la paix et la vérité parmi leurs peuples les laissent assiéger, comme vous dites, et enchaîner par les vices ? On sait, mes Pères, on sait que ce pieux Cardinal était rempli de zèle, mais d’un zèle Chrétien contre tous les vices. On sait combien il a toujours été appliqué à les extirper, et à les combattre non pas en cadence et à coup de Cestes comme votre Hercule, mais par les armes spirituelles d’un véritable Evêque, par la Foi, par la Prière, par la vigilance, la patience, la charité, le bon exemple, en rétablissant autant qu’il pouvait, la Discipline Ecclésiastique dans l’administration du Sacrement de Pénitence, en ordonnant et formant de bons Ministres pour seconder son zèle et son travail, et en bannissant la doctrine relâchée de vos Casuistes pour ne faire enseigner à son Troupeau que la Morale de Jésus Christ et des Saints Pères. C’est à quoi a été occupé toute sa vie ce saint Pasteur. On ne répond pas de ce qui s’est pu faire après sa mort lorsque vous avez eu plus de crédit dans le Diocèse que vous n’en aviez auparavant ? peut-être est-il arrivé quelque désordre que sa présence aurait empêché. En effet à peine fut-il allé à Dieu qu’on apprît que presque tous les Clercs et Ecclésiastiques qu’il avait refusé d’admettre aux ordres ou de recevoir dans son Séminaire, eurent des attestations de vita et moribus de l’un des Grands Vicaires sede vacante, et que moyennant quatre Pistoles données à un Banquier ils obtinrent une dispense du Vice-Legat d’Avignon pour pouvoir être ordonnés. Voilà, mes Pères, ce qu’on appelle des désordres dignes du zèle d’un véritable Evêque et contre lesquels le Prélat défunt n’aurait pas manqué d’exercer le sien, si l’occasion s’en fut présentée. Aussi sait-on que Sa Sainteté n’a eu garde d’approuver cette conduite, et que M. Cerci nouveau Vice-Légat reçut d’elle avant de partir de Rome les ordres nécessaires pour y remédier.
L’on ne pourrait être qu’édifié du zèle de votre Hercule, mes Pères, s’il n’avait pour objet que d’empêcher de véritables abus comme celui-là. Mais s’il combat dans votre Ballet contre des désordres chimériques, on sait qu’il en introduit dans son Séminaire de très réels et très dangereux. Car n’est-ce pas ce qu’il a fait depuis peu en arrachant des mains d’un fort homme de bien qui en est Directeur la Théologie Morale de Grenoble qu’il enseignait aux jeunes Séminaristes, et lui ordonnant de suivre Abelly.
Cet échange ne peut que causer de l’indignation à tous ceux qui connaissent le prix et le mérite de ces deux livres. Le premier est une Théologie Morale très pure et très solide, dont toutes les décisions sont prises des meilleures sources, c’est-à-dire, de l’Ecriture Sainte, des Décrets des Conciles et des Papes, des Saints Pères, de S. Thomas et de quelques autres anciens Docteurs de l’école qui sont le plus estimés pour leur piété et leur lumière. Elle porte le nom et l’approbation d’un des plus Saints et des plus éclairés Prélats de France que le Pape vient d’élever à la Pourpre par la seule considération de ses mérites. Feu M. le Cardinal Grimaldi a fait aussi tant d’état de cette Morale qu’il attira M. Genet qui en est l’Auteur dans son Séminaire, afin qu’il l’y enseignât lui-même : Et c’est apparemment ce qui l’a fait le plus connaître à Rome. Car on peut croire que l’estime que tous les gens de bien font de ce livre, a été une des principales causes qui a porté le Pape à le faire depuis peu Evêque de Vaison afin de lui donner moyen de pratiquer avec plus d’autorité les excellentes maximes, qu’il a enseignées dans cet Ouvrage.
Voilà cependant par où votre Hercule a commencé à terrasser les vices, l’erreur, la violence, la discorde, l’impiété, la dissimulation, la calomnie, qui avaient vaincu, l’innocence, la paix et la vérité, et les menaient enchaînées sur le Théâtre du Diocèse d’Aix. C’est en ne voulant plus qu’on y enseigne une Morale si pure, et si contraire à vos maximes relâchées, mais qu’on y substitue celle de M. Abelly, parce que ce vous sera un grand avantage de ce qu’on y trouve trois des plus méchants de vos principes généraux.
Le 1. renverse la plus certaine règle de la bonne conscience reconnue par les Païens mêmes qui n’ont pas cru qu’il fut permis de faire une chose que l’on doute si elle est juste ou injuste :17
« Quod dubites æquum sit an iniquum
» : au lieu que vos Casuistes que suit M. Abelly ont introduit dans la morale Chrétienne cette pernicieuse maxime : Que l’on peut suivre une opinion moins probable et moins sûre en faisant ce qui est péché selon l’opinion contraire qui nous paraît plus probable.
Le 2. Principe réduit à rien le plus
grand de tous les commandements, qui est celui qui nous oblige d’aimer Dieu plus que toutes choses, en prétendant qu’il n’est point certain, qu’il oblige jamais par lui-même, mais seulement par accident. 18 C’est ce qu’enseigne encore votre M. Abelly après plusieurs de vos Auteurs. Car n’ayant pu nier qu’il n’y ait un précepte d’aimer Dieu, non seulement négatif par lequel il nous serait défendu de rien faire qui serait contraire à cet amour, mais aussi affirmatif qui nous oblige à l’aimer par un acte intérieur, il demande en quel temps ce précepte oblige. Et il ne marque qu’un seul cas dans lequel il soit certain qu’on soit obligé d’aimer Dieu plus que toutes choses, qui est quand on doit faire un acte de Contrition pour se réconcilier avec Dieu, ce qu’il nous apprend qui n’arrive, que lorsqu’on n’a pas de Confesseur. Il dit aussi que selon quelques Théologiens on est obligé de faire un acte d’amour de Dieu quand on commence à avoir l’usage de la raison. Mais quoi que cela lui paraisse probable, il prétend que l’on se met à couvert de cette obligation en souscrivant à l’opinion contraire. D’où il s’ensuit que selon
cette moelleuse Théologie, il n’est pas certain qu’un Chrétien qui aurait vécu 80. ans et qui aurait commis beaucoup de crimes pendant cette longue vie, ne fût pas sauvé sans avoir jamais aimé Dieu de cet amour qui nous est commandé par ce précepte, « Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo
», dont Jésus Christ, dit, « Hoc est maximum et primum mandatum
», parce qu’il n’aura point manqué de Confesseur à qui il aurait confessé tous ses péchés par la crainte d’être damné, quand il aura eu besoin de se réconcilier avec Dieu.
Le 3. Principe est directement opposé au soin qu’a pris M. le Cardinal Grimaldi, de faire observer les Règles de S. Charles dans le Sacrement de Pénitence, en marquant un grand nombre de cas dans lesquels les Confesseurs doivent ou refuser, ou différer l’absolution. Car ils pourront sans scrupule absoudre toujours ceux dont la vie est une vicissitude continuelle de Confessions et de crimes, si on s’en tient, comme fait votre M. Abelly, 19 à la doctrine de Navarre dans le chap. 3. de son Manuel, qui passe sur ce sujet dans des excès horribles, quoi qu’il soit ordinairement assez raisonnable sur d’autres matières.
On voit par là que cet Auteur peut être à votre goût, et que c’est apparemment par votre conseil que l’on a voulu le faire enseigner dans le Séminaire d’Aix. Mais on dit que celui qui en est Directeur, ne s’y est pu résoudre, et qu’il a demandé la permission de dicter des écrits. Je ne sais pas s’il l’a obtenue.
Voilà, mes Pères, un échantillon du zèle de votre Hercule. On n’est pas étonné que les vertus dansantes s’en réjouissent chez vous. Mais on a tout lieu de croire que ceux qui n’en connaissent que de plus sérieuses et de plus Chrétiennes, s’en affligeront et en gémiront devant Dieu.