(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « VIII. » pp. 42-43
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(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « VIII. » pp. 42-43

VIII.

Je l’ai quitté, mes Pères, à l’endroit où vos génies ne pouvant s’accorder entre eux, prient le Dieu qui a fait naître le différend de venir le terminer.

Ce Dieu que vos Génies invoquent, ne peut être que Jupiter qui a paru à l’Ouverture du Ballet, élevé au milieu de l’air plein de bonne volonté pour les peuples. On n’en peut douter puisque c’est Mercure même qui déclare aux Génies que Jupiter a jeté la Pomme, mais qu’il laisse à Apollon le soin de la donner au plus digne.

Comme il n’y a en France que le Roi qui donne les Evêchés, on ne peut douter que ce ne soit lui que vous avez voulu désigner par Apollon, à qui Jupiter laisse comme à son Agent, le soin de donner au plus digne l’Archevêché d’Aix. Il faut par conséquent que Mercure soit le R.P. de la Chaise, le personnage que l’on fait jouer à ce faux Dieu ne pouvant convenir qu’à sa Révérence. Car qu’est-ce que Mercure prenant la Pomme d’or pour la remettre entre les mains d’Apollon ? sinon le P. de la Chaise qui avertit le Roi que le Siège Archiépiscopal d’Aix étant vaquant, il est à propos de le remplir, et qui lui donne en même temps les noms de tous ceux qui lui ont fait savoir qu’ils y prétendaient. C’est la coutume que les Pères Confesseurs ont introduite depuis quelque temps, que d’autres plus scrupuleux qu’eux ne jugeraient peut-être pas fort Canonique.

Ce même Mercure, dites-vous, promet aux Génies de les avertir lorsque le Juge que Jupiter a déterminé voudra décider le différend. Afin sans doute que chacun de ces Génies s’applique avec plus de soin à faire valoir ses prétentions, lorsqu’on sera sur le point de juger à qui on donnera la Pomme d’or qu’ils recherchent tous avec tant d’empressement. Cette promesse de Mercure nous représente encore fort bien le personnage que fait le P. de la Chaise, lorsqu’il donne de bonnes paroles à ces Loups béants, qui lui font la Cour pour obtenir des Bénéfices par son entremise.

Cependant le Génie de la Ville d’Aix ayant appris ce qui s’est passé, suivi de la Religion et de la Piété, vient supplier Apollon de faire un choix qui lui soit avantageux.

Ce serait, mes Pères, ce qu’il y aurait de plus raisonnable dans votre Ballet, si la Religion et la Piété que vous faites précéder par un Génie, pouvaient être prises pour quelque chose de Chrétien ; mais ce qui fait que l’on ne le peut, c’est qu’un moment après vous les faites danser. Or ni la Religion ni la Piété Chrétienne ne dansent pas, et quand il leur prendrait envie de le faire, ce ne serait pas dans une Compagnie aussi mal assortie que celle de votre Ballet. Je doute aussi que ces deux vertus eussent été contentes, comme vous le dites, du caractère qu’Apollon fait du Héros. Car à l’examiner par les règles de l’une et de l’autre, comme nous allons faire, il ne semble pas qu’il soit fort digne d’un Prélat Chrétien.