(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « II. » pp. 9-11
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(1687) Avis aux RR. PP. jésuites « II. » pp. 9-11

II.

Voilà, Mes Pères, de quels sentiments votre joie devait être tempérée. Si elle en avait été d’une part moins évaporée et moins mêlée d’objets tristes, elle aurait parû de l’autre plus naturelle et plus raisonnable et aurait moins choqué les gens de bien. D’où vient donc que ce qui saute aux yeux de tout le monde ne vous est point venu dans l’esprit ? Est-ce que M. le Cardinal Grimaud n’avait nulle qualité qui dût vous le faire regretter ? Ses vertus Episcopales qui l’ont fait être l’un des plus grands ornements de l’Eglise Romaine et de l’Eglise Gallicane, n’ont-elles point été capables de faire de sa mort un assez grand sujet de deuil pour n’être pas tout à fait oublié à la réception de son successeur ? Il n’avait à la vérité ni le zèle d’Hercule, ni la douceur d’Orphée, ni la vigilance d’Argus, ni la charité d’Esculape, ni la science d’Apollon, dont vous composez le caractère du Héros de votre Ballet ; mais il possédait en un degré éminent les qualités que doit avoir un Evêque selon S. Paul. Il était irrépréhensible ; Il était sobre, prudent, grave, modeste ; Il était équitable et modéré, éloigné des contestations ; désintéressé ; très-réglé dans sa famille. Ceux mêmes qui sont hors de l’Eglise n’ont jamais parlé de lui qu’avec estime. Il était l’exemple et le modèle des fidèles dans les entretiens, dans la manière d’agir avec le prochain, dans la charité, dans la foi, dans la chasteté. Il fuyait les fables impertinentes et puériles dont vous faites vos triomphes, et la piété faisait son exercice continuelle. D’où vient donc, Mes Pères, que la mort d’un si saint Pasteur qui devait faire pleurer jusques aux pierres mêmes, pour me servir de l’expression de l’Eglise de Rome, n’a pu arracher de vous une seule marque de douleur dans une occasion où il vous aurait été si bienséant, au moins de vous contrefaire ? Je n’en cherche point la raison dans la divine providence. On pourrait croire qu’elle n’a point voulu permettre que la mémoire de ce grand Cardinal fut déshonorée, comme elle l’aurait été, si vous aviez confondu son nom avec ceux de vos divinités Païennes que vous faites danser à la réception du Prélat de votre Eglise. Mais de bonne foi, quelle a pu être par rapport à vous-mêmes la cause de votre silence si affecté ? Est-ce que c’est la nature de ces sortes de joies profanes, qu’elles enivrent, et qu’elles font oublier le bon sens et la raison ? C’est quelque chose. Mais en voici tout le mystère. Feu M. le Cardinal Grimaldi était ennemi de votre méchante Morale ; il n’avait que de l’horreur pour vos maximes ; ses règles dans l’administration du Sacrement de Pénitence, étaient contraires aux vôtres ; il voulait qu’on mit en usage bien plus souvent que vous ne voudriez le délai de l’Absolution ; que l’amour de Dieu fût la marque et le caractère des véritables conversions ; que la charité fût l’âme des bonnes œuvres ; qu’elle en fût la fin, le principe et la règle.

Or quelque Saint que soit un Evêque vous ne lui donnerez ni approbation ni louange lorsque sa conduite sera contraire à la votre et qu’il n’agira point selon vos maximes. Vous n’aviez donc garde de faire regretter un Archevêque à qui vous ne seriez pas bien-aises que son Successeur ressemblât. Vous avez été sincères ayant mieux aimé supprimer sa mémoire que de démentir par quelque marque extérieure de regret les sentiments de votre cœur qui nageait dans la joie de se voir délivré d’un Prélat incommode, dont la vie était un reproche continuel de votre conduite ; semblables à ces femmes coquettes qui ne peuvent dissimuler la joie qu’elles ressentent à la mort de leurs maris, dont le joug ne s’accorde pas avec la malheureuse liberté qu’elles recherchent.