des
THEATRES
par
PH. VINCENT, Ministre du Sainct
Evangile en l’Eglise
Reformée de la Rochelle,
Et se vendent,
A La Rochelle,
Par Jean Chuppin Marchand Li-
braire, sur la Grand’ Rüe.
M. DC. XLVII.
MONSIEUR ET MADAME,
Touchant le but de ce Traité, avec la division d’icelui.
Sans nous arrêter pour cette heure à la recherche et description des Anciens Théâtres,
dont il y a des livres exprès Lipse, Amphitheatrum.
f
, Il nous suffira de dire que ce terme étant dérivé d’un
verbe Grec, qui signifie voir ou regarder, emporte entre nous, selon l’usage commun, tous
les lieux généralement où on s’assemble pour voir des Bateleurs, et Comédiens, qui montent
sur l’échafaud.
Suivant cela lorsqu’on condamne les Théâtres, on y comprend aussi ceux des Charlatans,
qui y montant pour vendre leurs drogues, ont d’ordinaire auprès d’eux quelques badins, et
enfarinés, qui répondent proprement à ceux que les Anciens nommaient
Histrions, dont les gestes étaient énervés et honteux, et la licence énorme à représenter
les lascivetés les plus infâmes. Si ceux-là y étaient Maîtres passés, ceux-ci ne le sont
pas moins. Car tout publiquement, et à la vue d’une multitude innombrable de Spectateurs,
ils se produisent en toutes les postures les plus éhontées qui soient, et dégorgent des
propos vilains et sales, auxquels toute oreille chaste se dût boucher ; Ce qui est étaler
tout ouvertement 1e vice, et en donner les leçons à la vue du Soleil.
Cette iniquité étant criante, ne saurait jamais être assez détestée, ni les fidèles
suffisamment avertis d’avoir ces lieux-là en une dernière horreur, vu que ceux qu’on
verrait s’y plaire donneraient un grand sujet de reproche à l’encontre d’eux, que leurs
inclinations seraient portées à la souillure, qui est là comme sur son trône : Suivant le
dire de S. Augustin, touchant ceux qui en fréquentaient de pareils, qu’ils ne s’y fussent
point ainsi plu, s’il n’y eût eu une conformité entière de mœurs, entre eux, et les
personnages représentés par ces Histrions. Augustin en
son épître 202. g
.
Or combien que selon les occasions nous fassions devoir de représenter la turpitude de
ces spectacles, notre intention pour le présent n’est pas de nous y arrêter. Et d’autant
moins, que nous n’apprenons point jusques ici, qu’aucun ait eu assez de front, pour en
vouloir excuser l’effrontée impudicité. Ainsi notre but, pour cette heure, regarde les
seuls Théâtres sur lesquels se jouent les Comédies, et les
Tragédies, qui
aussi sont ceux proprement pour lesquels il y en a qui dressent des Apologies, et
tâcherons de les faire reconnaître pour ce qu’ils sont véritablement.
En premier lieu, si nous remontons à la première origine des Théâtres, saint Chrysostome
soutient, in
Matthaeum, cap. 2 hom. 6.h
, que Satan le premier les dressa
ès villes, afin qu’on y vaquât à son culte. De vrai il les fit consacrer aux faux Dieux,
sous les noms desquels il était servi ; et se trouve surtout qu’ils étaient sous la
protection particulière de Bacchus, et de Vénus, cetui-là le Dieu des ivrognes, et
cette-ci la Déesse des Courtisanes, et des femmes de mauvaise vie, De Spectaculis, cap. 6. et 7. i
. Que s’il arrivait
quelque pestilence, ou autre calamité publique, nous apprenons par les Auteurs
Anciens, lib. 2. cap. 4. Macrobe, Saturnales, lib. 1. cap. 20. j
, que
les attribuant à l’ire de ces fausses Divinités, ils les apaisaient entre les autres
moyens par des jeux qu’ils faisaient jouer en leur honneur, dont les Tragédies et les
Comédies faisaient partie. Suivant cela elles sont un reste de l’ancienne Idolâtrie, d’où
Tertullien infère, De
Spectaculis, in Præfat. k
que ceux qui s’y rangent, en quelque façon y participent.
Je sais que leur intention en est bien éloignée ; mais «
Le 2e mal des Théâtres c’est la perte du temps : Comme nous sommes
comptables à Dieu de toutes nos heures, c’est à nous de prendre bien garde à l’emploi que
nous en faisons. Or quel conte lui en pourront rendre ceux qui aussi long temps que le
Théâtre demeure dressé en une ville, n’en bougent non plus que s’ils y étaient enchantés,
et abandonnent lors absolument, soit les devoirs de leurs charges, s’ils en ont, soit
leurs affaires domestiques ? Je sais qu’à l’égard d’un grand nombre qui sont inutiles, et
ne savent à quoi l’employer, cette raison est de peu de poids, vu qu’ils mettent à rien la
perte du temps ; même leur étant en charge, tout leur étuden aboutit à cercler les moyens de l’envoyer
et de s’en défaire. Mais le
Sage au contraire le tient pour très précieux, en
est avare, et l’épargne le mieux qui lui est possible, et à grand regret qu’il lui en
échappe la moindre parcelle sans l’avoir bien colloqué. Ainsi il fera grand conscience de
s’aller seoir oisif des journées entières au pied d’un Théâtre, pour voir et ouïr des
choses vaines, et des batelages.
En 3e lieu nous estimons qu’il faut aussi faire considération de
l’argent qui s’y emploie, qui vu le grand nombre qui se range là, ne laisse pas de faire
des sommes considérables ; et est au reste très mal colloquéo. Je sais
qu’à l’égard de plusieurs qui sont moyennésp, ce qu’ils donnent là ne leur tourne pas à charge, mais
d’ailleurs aussi il est certain que plusieurs les y suivent qui achètent ce passe-temps
aux dépens de leurs familles qui ont de la nécessité, et auraient besoin de ce qu’ils y
mettent pour se nourrir et vêtir. Quant à ceux mêmes qui tirent ce qu’ils payent là de
leur superflu, Dieu ne leur avait pas donné ses biens pour les dispenser si mal, et n’est
pas à croire qu’au compte qu’ils lui en rendront, il alloue ces articles, et passe ce
qu’ils auront mis pour payer des divertissements où il aura été offensé, et aidera
entretenir des Bateleurs, en une profession déshonnête, et préjudiciable à la Société.
Surtout ce sera un reproche honteux devant lui, à ceux d’entre eux qui se montrent là très
libéraux, et même prodigues, jusques à payer pour autrui, et cependant sont chiches en
leurs aumônes, et ne secourent point les nécessiteux, dont ils voient que le nombre est si
grand, et que tous les jours il se multiplie.
l’idolâtrie qu’on commet, sans qu’on en eût d’ailleurs connaissance, ne laisse pas de faire périr», disait jadis le même Tertullien, De Idololatria. l . Puis donc qu’aller aux Théâtres, C’est se rendre aux lieux que l’idole s’était affectés, et en quelque façon renouveler les anciens hommages qu’on y rendait à Satan, les vrais Chrétiens en doivent concevoir de l’horreur. Il se lit en l’Histoire Ecclésiastique , que quand les Idoles des Païens trébuchèrent devant J. C. du temps de Constantin le Grand, les fidèles de cet âge-là avaient une telle haine contre elles, qu’ils les brisaient, où qu’ils les trouvassent, et raclaient jusques aux parois où il en était resté le moindre vestige. Ceux qui auront seulement une étincelle de leur zèle, ayant appris que les Théâtres tirent leur origine de l’ancienne idolâtrie, et tandis qu’ils subsistent en portent le caractère, sans doute les détesteront, et ne voudront en aucune façon s’en approcher.
Que s’ils ont besoin d’un exemple illustre pour les mieux instruire, nous leur alléguons
celui de Philippe Auguste en sa vie fol.
85. q
,
«
qui voyant que des robes et sommes de deniers qu’on donnait à ces gens-là, plusieurs pauvres eussent été entretenus, et vêtus par un bien long temps, Il voua que toute sa vie, ses robes, et l’argent qu’on leur donnait, serait distribué aux nécessiteux».
Le 4e mal qui se trouve ès Théâtres, leur a été jadis reproché par
Tertullien, De
Spectaculis cap. 10. r
,
en ce que ce sont toutes fictions, qui ne peuvent plaire (dit-il) à celui qui hait la
feintise, et tout mensonge, et est le Dieu de vérité. Là celui qui veut contrefaire un
Géant, hausser à sa stature, comme s’il voulait (dit-il) rendre J. C. menteur, en ce qu’il
nous a dit que nul ne saurait y ajouter une coudée. Là un homme se déguisera en femme, ce
qui est renoncer à la prérogative de son sexe, et vouloir sortir du rang où son Créateur
l’a mis. Là seront parfois des visages masqués, qui cachent sous des figures fausses,
l’image de Dieu, que lui-même a empreinte dessus notre face. Tout cela, selon cet Ancien,
ne peut qu’il ne soit déplaisant à Dieu. Sans remonter aux âges si éloignés, ces
déguisements sous des masques ont longtemps été condamnés en ce Royaume : Car la Cour de
Parlement de Rouen
liv. 23, tit. 7. s
, condamna en l’année 1508, à l’amande de cent livres, tous les
marchands qui vendraient de ces faux visages, et tous ceux aussi qui les porteraient ; De
plus, elle renouvela cet Arrêt en l’an 1514. D’ailleurs l’Auguste Sénat de Paris, en la
même année 1514, prononça tout
le même Arrêt. Sans doute ces graves Sénateurs avaient
reconnu l’indignité
qu’il y a en de tels déguisements. Or tout le Théâtre n’est composé que de personnages
ainsi feints, et dissimulés ; que s’ils ne le sont toujours quant à leurs visages, ils le
sont au moins quant à leurs habits. De là donc leur condamnation, prononcée à ce sujet,
par Solon le Sage législateur des Athéniens, ainsi que nous verrons ci-dessous.
La 5e accusation contre les Théâtres, c’est qu’entre ces fictions il
y en a d’horribles, et tout à fait détestables. Tantôt on y représentera un Magicien, qui
fait ses enchantements, et y invoque et évoque les esprits malins. Tantôt on y
représentera une Phèdre qui est éprise d’une flamme maudite, et brûle d’un amour
incestueux. Tantôt on y fera parler un Julien l’Apostat (comme l’exemple s’en est vu ici)
qui dégorgera des blasphèmes épouvantables contre la Divinité. Tout cela, à le bien
prendre, est abominable. Car ce qui est mauvais à faire, est mauvais à contrefaire. Dieu
ne veut point qu’on le blasphème par jeu. Ce ne sera pas une bonne excuse au dernier jour,
à celui qui aura vomi contre lui des impiétés, de dire qu’il ne l’avait fait que par
semblant, et pour se donner du plaisir. Il faut donc reconnaître là un très dangereux
artifice du Diable, qui s’est avisé de ce subtil moyen d’épandre son plus noir venin,
faisant dire impunément dessus le Théâtre, ce qui ailleurs serait puni de mille gibets et
de mille roues.
En 6e lieu, le plus grand et universel reproche contre les Théâtres,
c’est que de tous temps on les a tenus comme des «
Assemblées dédiées particulièrement à l’impudicité», comme a dit Tertullien, De Spectaculis, cap. 10. u , et pour des lieux où «
les mœurs se corrompent, et où on ne pourrait assister sans apprendre des choses sales, en ouïr de déshonnêtes et en voir de pernicieuses», qui sont les mots de saint Augustin. De vrai la matière qui s’y traite le plus ordinairement, ce sont des amours. Tantôt on y représentera une fille, qui transportée de sa passion, et perdant toute honte, s’opiniâtrera à vouloir un mari contre la volonté de ses Père et Mère. Tantôt on y introduira quelque homme perdu qui y usera de mille ruses pour séduire une femme, et triompher à la fin de sa chasteté. Bref, c’est le Vrai et propre thème de ces lieux. Or voilà une belle école aux filles et aux femmes pour y apprendre à être honnêtes ? Chrysostome au moins ne le croyait pas, alors qu’il s’écrie, «
Cette simulation d’adultères combien en fait-elle de véritables» ? ni saint Cyprien non plus, lorsqu’il dit, touchant celles qui les hantent, que «
telle y avait d’entre elles qui y était allée chaste, qui en revenait impudique». Ni non plus Lactance, qui ayant posé, que les «
adultères sont là enseignés à mesure qu’on les feint» », ajoute que les jeunes hommes et les jeunes filles qui y vont ne sauraient se garantir qu’ils ne s’y éprennent des brasiers de la convoitise, et retournent chacun chez soi la flèche dedans le cœur, et corrompus par le vice.
Ici même ne doit pas être omise une observation de Tertullien, De
Spectaculis, cap. 10. z
, c’est qu’outre le dommage qui peut revenir des Théâtres, par
les choses qui y sont dites, Satan y a d’autres soufflets de la convoitise, comme pour
exemple, le concours grand qui s’y fait, ce qu’on y est assis pêle-mêle, et proches les
uns des autres, les propos qu’on
se tient mutuellement sur le sujet qui se
joue. Tout cela, selon lui, sert comme de souffre pour allumer le feu, en une jeunesse,
dont l’âge etle sang bouillant l’en rendent trop susceptibles. Et de fait, qui voudra
reconnaître de bonne foi ce qui se voit là tous les jours, sera nécessité d’avouer que la
licence y est en son règne, et que ceux qui ont dessein de cajoler de jeunes filles, en
ménagent les occasions pour les aller là entretenir ; et peu à peu, par leurs approches,
et en leur disant de bons mots sur ce qui se représente, les accoutument à ouïr le tout
sans que la rougeur leur en monte au front, afin qu’ayant banni la pudeur, qui est la
gardienne de l’honnêteté, enfin ils les tirent à leur désir. Ceux donc qui conduisent ou
envoient là leurs filles, les remettent à de mauvais Maîtres, et les adressent à une école
très dangereuse.
Tout cela se trouvant ès Théâtres, c’est un sujet plus que suffisant de les
condamner.
2. Ils s’abusent, attribuant le blâme que les Pères donnaient aux Théâtres, à ce que
toutes les pièces qui s’y jouaient étaient ainsi horriblement dissolues. Tout au
contraire, Tertullien, De
Spectaculis, cap. 10. aa
passe l’aveu qu’il y en avait entre elles qui étaient honnêtes : De vrai si nous lisons les Tragédies de Sénèque entre les Latins, et
celles de Sophocle ou d’Euripide entre les Grecs, elles sont graves, et pleines de belles
Sentences, et de riches enseignements moraux. Il y a eu même des Comédies entre eux, comme
la plupart de celles d’Aristophane, où il ne se lit rien qui soit déshonnête, et qui pût
corrompre les mœurs ; tant s’en faut, c’étaient des manières de Satires mordantes pour
accuser la corruption qui s’y était glissée Etant fort
peu répandu, le théâtre d’Aristophane passe souvent pour chaste, jusqu’au XVIIIe s.
. Lors donc que les Pères ont ainsi condamné généralement les Théâtres, ce n’est
pas qu’ils ne sussent qu’il s’y disait parfois de bonnes choses : Mais c’est
qu’après celles-là, bonnes, il en suivait à d’autres fois de mauvaises ; Ce qui milite
aussi au fait présent, s’agissant de celles qu’on nous dit réformées, ainsi que nous le
verrons ci-après.
3. Les mêmes se mécomptent, posant par fait en leur exception, que les Anciens qui ont
ainsi condamné les Théâtres, n’ont entendu parler que de ceux des Païens. Car si cela a
lieu, au regard des premiers d’entre eux, comme Tertullien, et saint Cyprien, qui ont vécu
durant que les Païens dominaient, on ne le doit pas dire des autres qui ont écrit depuis
que Constantin le Grand eût fermé les Temples des Gentils, et aboli leurs impies
superstitions. Chrysostome particulièrement a parlé ès termes que nous avons ouïs, à
Constantinople, lorsqu’elle était toute Chrétienne. S. Augustin aussi, qui a tenu son même
langage, lui a été contemporain, et a vécu sous Honorius et Arcadius, qui étaient
Empereurs Chrétiens. Ainsi les Théâtres qu’ils ont condamnés n’ont pas été ceux des
Païens, qui n’avaient plus l’autorité publique pour présenter des spectacles, comme
lorsqu’ils étaient les Maîtres, mais ç’ont été ceux des Chrétiens, qui par une mauvaise
coutume s’étaient laissé emporter à l’exemple des autres, et même les Empereurs, ainsi que
nous 1’apprendrons de saint Augustin, au chapitre dernier. D’ailleurs 1e même Chrysostome
remarque, Sermo 1, De verbis Esaiae “vidi Dominum, etc”. ab
, qu’entre ceux qui
hantaient ces Théâtres, et même qui y étaient forcenés, il y en avait qui présentaient une
très belle apparence de piété : Or durant que ces Théâtres étaient Païens, ceux qui
voulaient être tenus pour vrais Chrétiens,
s’en séquestraient tout à fait,
comme nous en ferons apparoir au chapitre septième. C’est donc une notoire méprise,
lorsqu’on veut poser, que les Pères n’ont condamné que les Théâtres Païens, et non pas
ceux des Chrétiens. Soit les uns, soit les autres, les voyant en un même blâme, et
également tachés de dissolution, et des Ecoles ouvertes pour corrompre les mœurs, ils les
ont enveloppés sous de pareilles censures.
4. Les Auteurs de cette exception, qui posent par fait que les Théâtres sont ainsi
réformés, et qu’on s’y peut rendre et y assister sans nul péril, ou se flattent, ou bien
trompent à dessein. Il est vrai que ceux qui y montent se sont avisés de cette souplesse,
selon les lieux, et les personnes qui y assistent, de se réprimer et contrefaire. Ainsi
lorsqu’ils auraient à jouer devant notre grande Reine, afin d’alléguer le plus haut
exemple qui soit, le préjugé bien qu’ils n’auraient pas le front d’étaler rien de
déshonnête, et ne fait nul doute, que comme toutes les inclinations de cette rare
Princesse, sont à la vertu, s’ils sortaient hors des bornes, elle en concevait une juste
indignation, et ferait châtier leur insolence et témérité. Mais comme Satan pour se
déguiser un temps, et paraître lors en Ange de lumière, ne laisse pas d’être Satan, Encore
que les Théâtres, parfois, prennent un plus beau masque, et ne montrent pas ce qu’ils ont
de hideux, ils ne laissent pas d’être toujours les mêmes, c’est-à-dire, des lieux destinés
de leur nature à la dissolution ; et ainsi, comme rien de contraire ne saurait être de
durée, ils ne
manquent point de retourner bientôt à leur naturel. A une fois
ils n’auront rien dit qu’on pût reprocher, mais à une autre on les verra se licencier
comme auparavant. Comme donc nous avons ouï, que les Anciens Pères condamnaient ceux de
leur temps, combien que parfois ils disent merveilles, à cause que les mêmes bouches qui
en l’une de leurs actions avaient proféré de belles Sentences, à une autre prononçaient
des impuretés ; Ceux d’aujourd’hui non plus n’ont pas une suffisante excuse, en ce que par
fois il n’y aura rien du tout en une Comédie qui puisse offenser, vu qu’aussi il en suivra
d’autres qui seront licencieuses, et qu’entre deux vertes, ainsi que l’on dit, il y en
aura toujours une mûre.
Et de vrai, avec toute cette belle réformation dont on nous parle, Si on considère les
Comédies données au jour, et qu’on met entre les repurgées, encore qu’il n’y ait pas des
mots sales, ni des expressions qui fassent rougir, la matière en soi a le même reproche
que celles du passé, qu’on confesse dissolues, et n’y a de différence, sinon que le venin
est présenté sous une viande mieux apprêtée, ce qui le rend dangereux au double. En effet
le sujet qui y est traité le plus ordinairement : Ce sont des passions d’amour, ainsi que
nous avons déjà dit, représentées en termes exquis avec des transports, et des
ravissements pathétiques tout ce qui se peut ; à quoi se joignant la grâce du geste, et la
douceur de la prononciation, et la force secrète qui accompagne de bons vers, il faudrait
être de marbre, pour ainsi dire, pour n’en être point ému. Aussi Lactance, De Divinis Institutionibus,
lib. 6. cap. 20. en a
fait jadis l’observation, et disait que
«
d’autant plus que ceux qui composent ces fables comiques sont éloquents, d’autant plus persuadent-ils, par l’Elégance de leurs Sentences, joint que des vers nombreux et ornés, s’attachent plus aisément à la mémoire des Ecoutants : Ainsi que c’est le moyen d’attiser le feu ès cœurs de la jeunesse qui y assiste»ac Nous ne croyons pas qu’il ait jamais été rien dit de plus vrai, de sorte que tant s’en faut que nous estimions qu’il y ait moins de danger ès Comédies ainsi déguisées, que quand elles étaient tout ouvertement dissolues, tout au rebours, elles sont doublement à craindre, vu que le mal s’y cache avec art, et que le poison s’y avale sous la malvoisie. Au fond, n’y ayant rien de changé, sinon les mots, et quelque chose en la forme, et la matière y étant toujours la même, tout ce que la jeunesse, surtout, y voit et y oit, est comme qui battrait le fusil sur de l’esmorchead bien sèche. Ainsi les voyant qui y courent si avidement, ils ressemblent à l’imprudent moucheron, qui vole vers le flambeau qui le doit brûler. Nous en revenons donc là, que nonobstant cette belle réformation tant vantée de la Comédie, elle a tout le même péril que devant, et même qu’elle est plus à craindre qu’elle n’était avant ce déguisement.
Mais outre le mal qu’il y a ès Théâtres, ainsi considérés en eux, il y en a deux autres
qui ne
sont pas moindres, si on les considère en notre égardae. Le premier c’est que tous ceux de nous qui y
vont, sans y penser, se rendent atteints de parjure. Par la grâce de
Dieu nous sommes Chrétiens, et en tant que tels avons reçu le Sacré sceau du Baptême.
Entre ceux qui portent ce nom, nous avons cet avantage d’être plus particulièrement dédiés
au Seigneur, lui ayant fait le serment solennel en sa Maison, d’y vivre selon la
Réformation Sainte qui nous distingue d’avec ceux que l’erreur tient encore dedans ses
liens. Certes, en tant que Chrétiens, qui lui avons donné nos noms au Baptême, nous lui
avons juré de renoncer au Diable, et à ses Pompes, car ainsi le porte la stipulation
ancienne qui se faisait au Baptême, où ils entendaient par les Pompes de
cet Ennemi, ainsi que le dit Tertullien, De
Spectaculis, in Præf. af
, entre autres choses, les Théâtres et les Spectacles. De plus en tant
que Chrétiens Réformés, nous avons engagé notre foi au Seigneur de converser honnêtement
devant lui, et selon l’ordre de la Discipline de sa vraie Eglise, laquelle sans contredit
nous défend ces Théâtres. Cela étant ainsi, Ceux de nous qui y assistent, se rendent
doublement parjures, vu qu’ils enfreignent leur double serment. Or est-ce peu de violer la
foi de laquelle tu t’étais engagé à Dieu ?
Mais au parjure, se joint en second lieu, le scandale
ag. Il est généralement connu, que la profession que nous disons
suivre, défend cette vanité, les Règlements de notre Discipline y sont exprès, les
Pasteurs les inculquent, On reprend ceux qui s’y adonnent. Lors donc que
nonobstant il y en a qui y courent tout hautement, ceux qui sont hors de notre communion
en rient, et nous en insultent ; et les gens de bien au-dedans en sont contristés, et ont
un grand deuil en leur cœur de voir ainsi fouler aux pieds le saint Ordre établi au milieu
de nous, et que notre profession en demeure déshonorée, et flétrie. Là-dessus je demande
quel compte pourront rendre à Dieu ceux qui scandalisent ainsi son Eglise ? Notre Sauveur
a prononcé dignes qu’on leur mît une meule au col, et qu’on les jetât au fond de la mer,
ceux qui présenteraient matière d’achoppement à un seul des plus petitsah ; quel jugement à plus forte raison ont sujet
d’attendre, ceux qui causent un si indigne scandale au corps entier de tous les
fidèles ?
Je sais que les fauteurs de la Comédie veulent excepter ici, que le scandale dont nous
parlons, est pris, et non pas donné
ai, mêmes quelques-uns passent jusques à le vouloir
rejeter sur les Pasteurs, qui le causent (disent-ils) par les défenses qu’ils font d’une
chose libre.
A ce compte, voilà le criminel qui tire en cause son jugeaj ? Et faudra
désormais, que ceux à qui leurs charges donnent l’autorité de blâmer le vice, tout au
rebours, subissent à ses Censuresak. Au fond si les
Théâtres tiennent rang entre les choses libres, nous l’examinerons au dernier chapitre, et
apert du contraireal, par ce peu que nous avons déjà proposé. Quant aux
défenses qu’en font les Pasteurs, s’il s’agissait d’une chose bien reconnue pour
indifférente, posé que quelques-uns
d’entre eux, par une humeur austère, et
de leur simple autorité, entreprissent de l’interdire, et voulussent poursuivre par les
Censures, ceux qui ne souscriraient pas à leurs opinions privées, ils sortiraient des
limites de leurs charge, qui n’a pas cette autorité. Mais le fait ici est tout autre, vu
qu’il s’agit d’une vanité mondaine, qui est très mauvaise en elle, et ayant été reconnue
pour telle en tous les âges, tous les serviteurs de Dieu, unanimement, l’ont condamnée, et
ont fait des Règlements publics à l’encontre d’elle, qui ont été reçus et autorisés en nos
Eglise, et à l’observation desquels on lie et engage par promesse expresse, de tenir la
main, tous ceux qui sont reçus au saint Ministère, voire même jusques à les y obliger par
leurs seingsam. Lorsqu’ensuite ils condamnent les Théâtres,
c’est grande injustice de les accuser qu’ils donnent du scandale ; Car un Pasteur ne donne
pas du scandale, alors qu’il fait bien sa charge, et s’acquitte en conscience de ce à quoi
il est tenu en vertu d’icelle. Leur consolation donc en de telles accusations, c’est de
pouvoir dire comme jadis S. Chrysostome, in
Psal. 118. an
, à qui on faisait le
même procès, et sur ce même sujet, «
Par cela même demeure résolu ce qu’on exceptait, que le scandale de ceux qui s’offensent
d’en voir d’autres qui courent aux Théâtres est un scandale pris, et non
pas donné. Il serait tel qu’ils le disent, si les Théâtres étaient
libres et indifférents en eux, et s’il n’y avait point de règlements publics de l’Eglise,
dont nous sommes membres, qui les défendissent.
Mais nous avons vu tout au
contraire le mal qui y est ; Et d’ailleurs, il est tout notoire que notre Ordre public les
défend très expressément. Lors donc que quelques-uns les enfreignent, et que leurs frères
s’en scandalisent, le scandale n’est pas pris mal à propos, par ceux-ci, mais il est donné
tout évidemment par ceux-là ; qui partant en seront comptables à Dieu.
Il nous suffit que nous nous acquittions du devoir de notre charge».
L’Histoire fait foi que le premier qui joua des Tragédies à Athènes, fut un certain
Thespis, qui ayant dressé un Théâtre, tout le peuple y prenait un merveilleux goût. Or
Solon, qu’ils avaient choisi pour corriger leurs lois, et bien policer leur République,
s’y étant rendu, appela le joueurap à
l’issue de l’action, et lui demanda s’il n’avait point de honte de mentir en la présence
de tant de gens ? A quoi l’autre ayant répondu, que ce n’était qu’en jeu, Solon là-dessus,
frappa la terre avec un bâton qu’il tenait en sa main, en témoignage de courroux
et prononça ces mots, «
Mais en louant et approuvant de tels jeux, et de mentir à son escient, nous ne nous donnerons garde, que nous trouverons bientôt le mensonge en nos contrats et en nos affaires». Nonobstant son improbation les Théâtres gagnèrent, et se mirent en grande vogue ; Ce qui ayant été remarqué par Platon, lib. 10., à qui toute l’antiquité a donné le nom de divin, il en témoigna une véhémente improbation, et ayant voulu fournir le modèle d’une République, telle qu’il en eût désiré une, en bannit tous les Poètes, à la réserve de ceux qui composeraient des Hymnes Sacrés, et s’étend même à justifier, qu’il n’y faudrait point admettre Homère, qu’il appelle le Père de tous ceux qui depuis lui, ont composé des Tragédies, et des Comédies ; et les exprimant nommément, je dis les Tragédies et les Comédies, il les accuse de «
gâter l’entendement, et de pervertir la vraie raison, et outre cela de corrompre les mœurs, et exciter et mouvoir les désirs vénériens, et les autres cupidités, pour faire qu’elles dominent, au lieu qu’il les faudrait rendre sujettes». Ajoutant ensuite «
qu’il y en aurait peu entre les gens de bien qui se pussent garantir du mal qu’il dit être en ses fictions poétiques » : Il en conclut, qu’il « les faut bannir, comme on jetterait hors d’une Cité, ceux qui feraient métier d’en gâter les principaux, et les rendre méchants»ar. C’est un sommaire de ce que ce grand homme déduit bien au long en un livre tout entier.
Il est vrai qu’en un autre ouvrage, il semble relâcher de cette sévérité, et concéder
quelque chose, au grand désir qu’on avait pour ces passe-temps, Mais il y appose deux
conditions,
qui montrent combien il les condamnait De Legibus lib. 7.. Premièrement il ne
permet point à aucun Citoyen, ou personne libre, de se produire sur le Théâtre, pour aucun
Batelage, et renvoie cela aux seuls Esclaves, ou aux Etrangers. D’ailleurs, étant question
en particulier de ceux qui jouaient les Tragédies, et se vantaient de ne rien dire que de
bon, et de sérieux, et les représentants, qui lui venaient demander
accès, et libre entrée en sa République, «
Ne croyez pas , leur répond-il, que nous souffrions aisément que vous veniez dresser vos Théâtres en lieu public, ni que vous produisiez des joueurs de farces, ni que nous endurions que vous prêchiez à nos Enfants, à nos femmes, à toute la tourbeas de la ville, le contraire de ce que nous leur enseignons. Nous serions insensés, et nous et toute notre Cité, si on vous admettait auparavant que les Magistrats eussent vu vos Compositions, et jugé de ce que vous avez à dire à notre peuple»at.Ce sont les propres mots de cet excellent Auteur, d’où on peut recueillir combien il tenait préjudiciable à une République d’y endurer des Théâtres. Or il n’est pas raisonnable que la sienne ait été plus chaste et mieux policée que l’Eglise de notre Seigneur J. C.
Son Disciple Aristote n’a pas été éloigné de son avis
Politique, lib. 7. au
: Car il recommande qu’on
retienne les enfants en leur âge tendre de voir les Comédies : et en général, veut que le
Magistrat empêche tous Spectacles, où il se die et fasse rien de déshonnête, vu que de
l’ouïr et le voir, on passe aisément à le faire. De plus il a assez montré quel jugement
il faisait de tous ceux qui montent sur le Théâtre, lorsqu’il recherche
en
l’un de ses Problèmes, «
d’où pouvait venir que ces gens étaient d’ordinaire dissolus, et de vie corrompue»av, parlant de cela comme d’un fait avéré et tout notoire.
Nous lui adjoignons un autre Philosophe, dont Aulu-Gelle a fait mention, lib. 20, cap. 3. aw
, qui
tenant Ecole publique, et voyant l’un de ses Disciples, entre les autres, qui hantait les
Comédiens, et était éperdu de passion pour les Théâtres, il rechercha les moyens de l’en
retirer : Et à cet effet lui transcrivit tout du long ce Problème de ce grand homme, et le
lui mettant en main, stipula de lui, que par chacun jour il ne manquerait de le lire. Lui
aussi jugeait défavorablement des Théâtres, et avait reconnu le dommage qu’ils causent à
ceux qui les fréquentent.
Nous ne devons ici omettre le jugement qu’en ont fait deux Anciennes Républiques, qu’on a
tenues entre les mieux policées, et dont toutes les Histoires ne se peuvent lasser de
rehausser les louanges. La première a été celle des Massiliens, aujourd’hui Marseille,
ancienne Colonie Grecque, fondée plus de six cents ans devant J.C. et dont Valère
Maxime et faits
mémorables], lib. 2. cap. 6., dit que jusques à son temps, qui était celui
de Tibère, elle n’avait point relâché de sa sévérité ancienne, ni laissé corrompre
l’intégrité de ses mœurs. Selon le même, l’un des moyens entre les autres qu’elle y avait
employés, c’est qu’elle avait banni de chez elle tout cet attirail de Théâtres.
«
Elle ne donne (dit-il) nulle entrée aux Bateleurs, pour monter sur le Théâtre, vu que les sujets qu’ils y louent, sont pour la plus grande part, des adultères et lascivetés, et qu’ils craignent que la coutume de voir ces choses n’introduise la licence de les commettre»ax.
L’Autre République dont aussi nous touchons, est la tant vantée de Lacédémone, où par un
aveu public, la vertu a été comme élevée dessus son Trône le plus sublime ; et qui par
l’exacte observation de ses bonnes lois, s’est maintenue plusieurs siècles en un haut
éclat. Ce qui aida entre autres choses à y conserver les bonnes mœurs, c’est
«
qu’ils n’oyaient jamais jouer ni Comédies, ni Tragédies, afin qu’ils n’entendissent jamais, ni par jeu, ni autrement, contredire aux lois».
Mais nous passons des Grecs aux Romains, qui avec le temps s’étant épris du même ésir de
ces récréations, Si est-ce que l’autorité publique y résista autant qu’elle put. Car nous
apprenons de Tertullien, De
Spectaculis, cap. 6. az
, qui savait sur le bout du doigt
toutes leurs Antiquités, que lorsqu’il se bâtissait un Théâtre en la ville de Rome, les
Censeurs, qui étaient des Magistrats publics, établis pour réformer les abus, le faisaient
tout aussitôt démolir, voulant «
pourvoir aux mœurs, et prévoyant qu’il y aurait grand péril que la lasciveté ne s’y fourrât» (nous dit cet Ancien). C’était faire un très mauvais jugement de ces passe-temps, puisqu’ils s’en prenaient aux lieux mêmes. Or cela ne fut pas seulement à une fois, ou à deux, mais continua jusques au temps de Pompée le Grand, qui pour garantir son Théâtre de passer par la même rigueur, s’avisa d’en faire un lieu Sacré, et lors de sa dédicace, y ayant assemblé le peuple, ne le qualifia pas un Théâtre, mais lui donna le nom de Temple, et le consacra à Vénus, de sorte que les Censeurs n’y osèrent toucher. Or ce qu’il ne subsista que sous cette couverture, les autres ayant été auparavant jetés bas, convint que jusques alors l’autorité publique les avait improuvés.
Du depuis, la corruption ayant prévalu, et ces passe-temps s’étant rendus ordinaires,
tout le peuple y courant avec une passion ; qui tenait lieu de manie ; Cicéron en a formé
plainte, et l’a attribué à ce que les mœurs s’étaient perverties, «
Il n’y aurait (dit il) aucune Comédie si nous n’approuvions les crimes qui y sont représentés».
En suite le Sage Sénèque en a dit son avis avec une liberté tout entière, lib. 1, Epist. 7. bb
. >«
Nous exhortons donc là-dessus, tous ceux qui aujourd’hui se flattent en l’opinion de
l’indifférence des Théâtres, d’écouter la raison, parlant par la bouche de ces hommes
Sages, à qui le sens naturel, sans autre Maître, a fait connaître le préjudice qu’ils
apportent aux bonnes mœurs, Ainsi il ne faut pas qu’ils estiment, que quand les Anciens
les ont défendus, ou lorsque nous les blâmons aujourd’hui, ce soit une humeur chagrine, et
une sévérité qui retienne du farouche, plutôt qu’une connaissance bien informée. Certes il
serait honteux
que des Ministres de l’Evangile fussent plus mols à réprimer
cette dissolution, que ne l’ont été jadis des Païens.
Je préjuge que nos Apologiseurs des Théâtres se voudront jeter dans leur retranchement
ordinaire, de la prétendue réformation qui en a été faite il y a peu. Mais des lieux qui
ont pris possession durant plus de deux mille ans d’être des écoles pour gâter les mœurs,
ne sauraient avoir changé si soudain. Il faut un long temps à une femme qui a mal vécu dès
sa jeunesse pour la faire croire femme de bien. Puisque ce sont les mêmes Théâtres, les
mêmes Acteurs, tout le même appareil d’auparavant, c’est abus de penser qu’on croie qu’ils
soient autres qu’ils n’avaient été, et qu’au lieu du vice ils enseignent la vertu. Comme
nous ne voudrions pas envoyer nos filles à des Vilaines, en un lieu infâme, pour les
instruire à la chasteté, sous ombre qu’on nous dirait, que soudain, et depuis peu, elles
seraient devenues toutes saintes, toutes ces nouvelles louanges qu’on donne aux Théâtres,
ne doivent pas faire que nous les confions non plus aux Comédiens, pour les former à être
honnêtes, puisque de si long temps ils ont passé pour gens vicieux, et que mêmes entre les
Païens, les Sages en ont parlé en la manière que nous avons ouï.
Il n’y a rien (disait-il) si préjudiciable aux bonnes mœurs que de seoir oisif à quelque spectacle. Car là les Vices se glissent par le plaisir qu’on y prend. Quand j’y vais j’en reviens plus avare, plus ambitieux, plus luxurieux, etc.bc » Ainsi a parlé ce grand homme, qui est d’autant plus croyable en ce qu’il dit contre les Théâtres, qu’il couche de sa propre expérience.
Ceux que nous venons d’alléguer sont à notre égard des particuliers ; mais après eux nous
touchons de l’autorité publique, qui a parlé par les Lois. Or il se trouve qu’elles ont
fait 1e procès aux Théâtres. De fait elles notent d’infamie ceux qui y montaient.
«
Prætoris verbis infamia notatur, qui artis ludicra, pronuntiandive causa, in scænam prodierit». Il est connu que cette note d’infamie emportaitbe que ceux qui en étaient marqués ne pussent tester, ni être reçus en témoignage, ni être admis à aucune charge publique. Les Lois donc réduisant là ceux qui montaient sur les Théâtres, et les flétrissant ainsi, semblaient avoir voulu pourvoir à ce qu’aucun ne suivît une profession, qui les rendait infâmes et déshonorés.
Outre cette Loi, il y a celle qu’on appelait Julia, qui traitait aussi fort mal les
Théâtres59, défendant à ceux qui étaient du corps du
Sénat, de s’allier par mariage avec aucun de ceux qui s’y produisaient ; Cependant c’eût
parfois été un avantage grand à un Sénateur qui eût été pauvre, de pouvoir épouser la
fille de l’un d’entre eux, comme de cet Esope,
lib. 3, cap. 7. bg
, tant renommé, qui après des profusions inouïes, laissa
encore à son fils, valant cinq cent mille écus, selon la supputation qu’en a fait
Budé, De
Asse, lib. 5. bh
: Mais
vu l’infamie de cette profession,
l’autorité publique empêchait qu’une telle alliance se pût contracter : selon qu’aussi la
même Loi, et par la même raison, interdisait à tous ceux du Sénat, de bailler leurs filles
à qui que ce fût qui eût exercé cet art.
La Censure de Scipion surnommé Nasica leur fut aussi fort défavorable, Car il fit rayer
de dessus la matriculebi des Citoyens, tous ceux qui se mêlaient du Théâtre, et les assujettit
à payer tribut, Ce qu’il fit «
à cause qu’ils corrompaient les mœurs et étaient pernicieux à la République» bj.
Longtemps après, sous l’Empereur Tibère, il fut fait un autre règlement, qui de même leur
fut fort honteux, Car il fut défendu à tout Sénateur d’entrer seulement en leur maison, et
à tous ceux de l’Ordre des Chevaliers d’aller avec eux parmi la rue. Tacite, lib. 1.
bk Et quant à eux il leur
fut fait expresse défense de paraître ailleurs que sur leur Théâtre. C’était faire un très
mauvais jugement, tant d’eux, que de tout leur art.
Sous les Empereurs Chrétiens, cette même Loi, qui déclarait infâmes ceux qui montaient
sur le Théâtre ayant retenu sa vigueur, Nous trouvons en la Constitution 115, que si un
fils, malgré le Père, se jetait entre les Comédiens, il était en sa puissance de
l’exhéréderbl.
Pour ce qui est de ce Royaume, nous n’avions point appris jusques ici, que nonobstant la
grande faveur qu’ils ont trouvée parfois auprès de quelques-uns qui avaient grande
autorité, on ait relâché envers eux la rigueur des
Anciennes Ordonnances, et
en particulier de celle de Philippe Auguste, qui les bannit de sa Cour, comme gens qui
«
Que si en l’information de la vie et mœurs de quelqu’un, qui se présenterait pour un
Office, il était porté que c’aurait été un Triacleurbo, et qu’il aurait suivi les Comédiens, nous ne croyons
pas qu’il fût admis à sa charge.
Tout cela étant constant, je demande quel jugement on doit faire des Théâtres, et si on
les peut tenir pour honnêtes, puis que ceux qui y montent sont marqués comme gens infâmes,
et indignes de tenir rang entre les Citoyens.
s’adonnaient à choses vaines et contraires au salut» bm. Ou de celle de saint Louis, qui «
exila aussi de sa Cour les Bateleurs, et farceurs, vu qu’ils ne servaient qu’à corrompre les mœurs.bn », dit l’Historien du Haillan en la vie de ce Prince.
La droite raison, et les Lois, ayant ainsi fait le procès aux Théâtres, néanmoins la
folle, et comme enragée passion, que les peuples avaient pour eux, prévalut à 1a fin, de
sorte qu’ils y couraient en grandes foules, et tout le jour s’y tenaient assis, tantôt
pour voir les combats des Escrimeurs à outrance, qui étaient de pauvres esclaves, qu’ils
forçaient de
s’entretuer, pour leur donner du plaisir ; tantôt pour les
Comédies et Tragédies, qui ordinairement s’y jouaient. Mais leur pratique étant telle,
lorsque l’Evangile de notre Seigneur J. C. vint à être prêché, Ceux qui par la prédication
d’icelui furent retirés de leur ancien erreurbp, se séquestrèrent des dissolutions
auxquelles ils s’étaient auparavant adonnés durant icelui, et en particulier de celle-là
des Théâtresbq. C’est ce
que nous apprenons de Tertullien, qui y est exprès, et duquel voici les mots, De Spectaculis , cap. 10.
br
,
«
Alors principalement les Païens s’assurent que quelqu’un s’est rendu Chrétien, lors qu’il fait divorce d’avec les Spectacles». De plus cela est confirmé par cet excellent Dialogue, entre un Païen, et un Chrétien, composé par Minutius Felix, si on prend garde à l’une des objections que fait cetui-là, et à la réponse de cetui-ci. Quant au Païen, il y est introduit qui parle ainsi. «
Les Romains règnent sans reconnaître votre Dieu, ont tout le monde sous leur puissance ; Sont maîtres de vous en particulier. Et quant à vous cependant, toujours en suspens, et en souci, vous vous retranchez vous-mêmes de la jouissance des plaisirs honnêtes, ne venez point voir les jeux et spectacles, ne voulez point assister aux Pompes.» C’est l’objection du Païen. Or quand le Chrétien répond à son tour, il ne le contredit point sur le fait, et tant s’en faut lui en passe aveu, seulement il lui soutient, qu’en usant ainsi, ils étaient fondés en droite raison. «
Nous voulons (dit-il) qu’on juge de nous par nos mœurs, et par la pudeur. Ainsi c’est à juste cause que nous nous abstenons de vos voluptés mauvaises, et de Vos Pompes, et Spectacles. Très bien informés qu’il n’y a rien en tout cela qui ne tire son origine de votre Idolâtrie, et dont les blandices et allèchements ne soient pernicieux, aussi nous les condamnons. Es jeux des Gladiateurs qui n’aurait horreur de cette Ecole de meurtres ? En ceux qui montent sur les Théâtres pour les Tragédies et Comédies, la fureur n’y est pas moindre, mais la turpitude y est plus grande. Car le Bateleur efféminé y expose de bouche des adultères, ou les fait voir par geste, et tandis qu’il feint des passions d’amour sale, il en enfonce la plaie.»bs De ce passage illustre, comme aussi de l’autre de Tertullien, il paraissait à clair, que les premiers Chrétiens se retiraient des Théâtres, et ainsi qu’ils faisaient leur compte qu’il était incompatible avec leur profession de les fréquenter. De là donc on doit conclure, que si nous leur ressemblons, et avons véritablement donné nos noms au Seigneur Jésus, nous ne devons non plus avoir rien de commun avec cette dissolution, à laquelle, en tant que Chrétiens, ils ne voulaient avoir nulle part.
défend absolument Ceux qu’on appelle, Bateleurs, et leurs Spectacles, et de s’en aller aux Théâtres, que si quelqu’un méprise le présent Canon, et s’adonne à ces choses, qui sont défendues, si c’est un du Clergé qu’on le dépose de sa charge, et si c’est un Laïc, qu’il soit retranché de la Communion. Ce sont les mots propres de leur Canon. Et pour montrer qu’ils tenaient la chose importante, et la prenaient à cœur, ils en parlent de nouveau au Canon 61, et dénoncent la peine de l’excommunication aux hommes qui se vêtiraient en femmes, ou aux femmes qui se vêtiraient en hommes, et à tous ceux qui se déguiseraient pour jouer des Tragédies ou des Comédies.».bt Cela étant ainsi, on ne saurait contredire que les Anciens Conciles n’aient flétri les Théâtres de leurs plus honteuses Censures, et Cela non seulement lorsque les Païens les dressaient, mais aussi depuis que l’abus s’en fut glissé entre les Chrétiens.
Outre ce que les Synodes en déterminèrent ainsi en commun, les bons Serviteurs de Dieu
s’employèrent çà et là, un chacun en son détroit, et de bouche et par écrit, à réprimer
cette dissolution, de sorte que leurs livres en sont tous pleins. Tertullien en a composé
un traité entier.] Tertullien, De
Spectaculis., qui se trouve encor aujourd’hui entre ses œuvres,
où il appelle les assemblées qui se faisaient aux Théâtres, «
des Eglises du Diable, et des rendez vous d’impudicité»bu ». Saint Cyprien son Disciple, lib. 2, ep. 2. bv , les qualifie à son exemple, «
une Ecole de turpitude», et dit qu’on y enseigne «
les adultères, et toute corruption de mœurs». Lactance après eux, a employé un chapitre tout entier à leur faire leur procès, et les tache des mêmes infametés.
Que si ce qu’ils ont dit quant à eux, doit être restreint aux Théâtres de leur temps,
tandis que l’impiété Païenne avait encore la vogue. La même dissolution y ayant continué,
depuis que les Empereurs eurent embrassé le Christianisme, les Pasteurs fidèles en firent
ouïr toutes les mêmes improbations, et détestations. De vrai, saint Ambroise, in
Psal. 5. bx
, qui a vécu sous Théodose le
Grand, en a parlé ainsi à ses auditeurs. «
Or cela bien considéré dût aujourd’hui imposer silence à aucuns, qui tournent à blâme aux
serviteurs de Dieu de cet âge, lorsque poussés du même zèle des autres, ils en font
paraître une même improbation. Certes, combien qu’ils leur soient inégaux en dons, ils ne
le sont pas quant à la charge, et ont la même autorité de Notre Seigneur J. C. de
reprendre les vices ; ainsi ils ont égal droit de condamner cetui-ci, et de menacer du
juste jugement de Dieu, ceux qui s’y raidissent, nonobstant les remontrances qui tous les
jours leur en sont faites.
Celui qui est en Christ comment peut-il se donner à ces vanités du monde, lesquelles J. C. a crucifiées en sa chair ? Ha ! que puissions-nous par cette voix arrêter, et retenir ceux qui courent aux différents Spectacles des Théâtres !» » Saint Basile, qui écrivait du même temps, parlant de ces mêmes Théâtres, les qualifie une «
publique et commune boutique de toute incontinence». Saint Augustin venu immédiatement après eux, fait de graves répréhensions à ceux qui s’y adonnaient, appelle le chemin qui menait au Théâtre, «
le chemin qui mène à la mort», qualifie «
frénétiques ceux qui y couraient», voyant qu’ils y étaient opiniâtrés, n’y trouve point de meilleur remède, sinon d’avertir «
qu’on priât Dieu pour eux»ca ; à savoir, à la manière dont on use envers des malades qui sont déplorés. Saint Chrysostome, in Matt. 2. hom. 6. qui à peu près lui a été contemporain, s’est étendu en plusieurs endroits dessus ce même sujet, a appelé ces Théâtres, «
la Boutique du Diable , a dit, qu’ il soupirait du fond de son cœur, de ce qu’un mal si GRAND n’était pas tenu pour être mal»cb (ce qui est le même erreur d’aujourd’hui) sommecc ceux qui s’y prostituaient. in Ps. 119. cd d’entrer en une juste frayeur que «
Dieu ne se courrouçât contre eux, et qu’il ne les fît périr», leur faisant remarquer au sujet de la famine qui alors les ravageait, «
que le Ciel d’airain et la terre de fer leur marquaient son indignation contre eux», leur demande en suite, «
jusques à quand ils seraient endurcis de cœur ?» Et pour fin, il cherche sa consolation, s’ils continuaient à être réfractaires, en ce qu’au moins «
il avait fait sa charge, et du bon trésor de la vérité leur avait tiré choses assurées et véritables». Tout cela est fidèlement extrait de ces bons et saints Docteurs. Ainsi on y peut voir quel jugement ils ont fait de tous les Théâtres et Spectacles, voir puisce qu’ils en parlent en des termes si puissants, et qui témoignent une dernière détestation.
Cette objection n’est pas nouvelle, car les Sectateurs des Théâtres 1’avaient faite dès
il y a plusieurs Siècles à Tertullien, De Spectaculis, in Præf. ch
, qui leur a nié tout à plat, que l’Ecriture, comme ils le
prétendaient, ne dît rien des Théâtres, et qu’elle laissât libre aux fidèles d’y aller ou
non. A la vérité il avoue qu’on n’y en trouve pas le nom, et que comme elle dit,
«
C’est la réponse de cet Ancien, à laquelle aussi nous nous tenons, et disons que
l’Ecriture condamnant tous les maux que nous avons justifié se trouver ès Théâtresci, en même temps
aussi donne ses Arrêts
contre eux.
1. Nous en avons trouvé l’Origine en l’Idolâtrie, dont ilscj sont encore aujourd’hui des restes ; la
défense donc en est au premier et second Commandement, et en tous les passages qui
défendent de participer aux Idoles.
2. Nous y avons vu la perte du temps, et un entretien d’oisiveté ; ils
sont donc condamnés par saint Paul, au précepte qu’il nous a donné exprès, en deux divers
lieux, d’être soigneux de le racheter. Eph. 5.16 et Col. 4-5.
3. Nous y avons remarqué un mauvais emploi de l’argent qui s’y met ; la Parabole donc du
riche dissolu, qui n’avait pas usé ainsi qu’il eût dû des biens que Dieu lui avait
départis, et qui au lieu d’en aider les nécessiteux, les avait employés en ses voluptés,
prononce leur condamnation.
Tu ne tueras point, ou ne déroberas point», elle n’a pas à la lettre, «
Tu n’iras point au Théâtre» : Mais il soutient que comme son sens est d’une large étendue, elle défend diverses choses, sous lesquelles ils sont compris nécessairement, vu qu’ils sont d’une même espèce ; ce qui doit suffire à celui qui désire de se résoudre par la Parole de Dieu, si on les peut recevoir, ou non.
4. Nous y avons observé les déguisements d’hommes en femmes, et des femmes en hommes, ce
qui est expressément contre la défense que Dieu en avait faite formelle au chap. 21 du
Deutéronome. Et quant au subterfuge de ceux qui voudraient dire, que ce passage ne se doit
entendre que d’un déguisement ordinaire, il n’a pas contenté Tertullien, De Spectaculis, cap. 10.
ck
, qui aussi bien que nous a allégué ce
reproche contre les Théâtres. En effet, on ne doit faire par jeu, ni pour quelque peu de
temps que ce soit, ce que Dieu a dit, «
5. Nous y avons marqué l’horreur impie des fictions de crimes énormes, comme lorsqu’on y
introduit un Magicien qui fait ses enchantements, ou quelque monstre qui blasphème contre
Dieu. Or on ne saurait contredire, que
les passages de l’Ecriture, qui
défendent de commettre ces horreurs, défendent aussi de les feindre ; Blasphémer Dieu en
jouant, c’est toujours le blasphémer, contre la défense qu’il en a faite.
6. Nous avons convaincu ces mêmes Théâtres d’être dissolus, et de corrompre les mœurs, et
comme entre les Païens ils avaient été dédiés à Vénus, de retenir toujours de leur
première institution, et de tendre des lacs à la chasteté. Cela posé, on ne peut nier
qu’ils ne soient compris sous le Commandement, «lui être en abomination».
Tu ne paillarderas point» ; car le Législateur n’a pas entendu défendre l’action seule de la paillardise, mais généralement tout ce qui peut y servir d’amorce.
7. Les plus opiniâtres défenseurs des Théâtres ne sauraient nier qu’on n’y oie des
bouffonneries, et divers propos d’un badin, qui n’est là que pour apprêter à rire à la
compagnie. Or saint Chrysostome, in
Matt, cap. 2, hom. 6. cl
en fait
voir la condamnation en celle que fait l’Apôtre saint Paul des «
8. Surtout sont ici très considérables les lieux du 4 des Ephésiens v. 17. et 1 saint
Pierre 4. 3. où le saint Esprit avertissait les fidèles de ne cheminer pas comme le reste
des Gentilscn, et de ne courir point avec eux à même abandon de dissolution, et à mêmes
insolences. Il y a au Grec le propre mot de κωμοις, Comois, dont plusieurs des doctes ne
font nul douteco que les Comédies ne prirent
leur nom. Et est certain qu’entre les dissolutions, et les insolences des Gentils, dont
les Apôtres retiraient ceux qui donnaient leurs noms à J. C. étaient compris leurs
Théâtres
et Spectacles ; de quoi il ne faut point d’autre preuve que la
pratique des Chrétiens d’alors, qui en vertu de ces défenses, renonçaient absolument à ces
vanités, ainsi que nous l’avons vu au chapitre septième. Ces lieux donc, sans contredit,
défendent absolument les Théâtres.
De ce peu de passages on peut recueillir l’évident mécompte de ceux qui veulent prétendre
que la Parole de Dieu ne condamne pas les Théâtres. Que s’il y en a d’opiniâtres qui par
une subtilité perverse essaient d’éluder ces lieux, nous les renvoyons à débattre contre
les Anciens, et contre l’Eglise de tous les âges, qui les a interprétés comme nous, et
n’estimons pas qu’ils doivent être reçus à opposer leurs sentiments particuliers, tout
notoirement passionnés et intéressés, aux suffrages et déterminations confiantes, de tout
ce qu’il y a eu de fidèles Serviteurs de Dieu, depuis les saints Apôtres jusques à nous,
qui en ont parlé d’un sens froid, et sans intérêt, que celui du salut des âmes qui leur
étaient commises.
Plaisanteries et paroles folles»cm , Eph. 5.4.
Le premier est Italien, François Patrice, Evêque de Gaiète, De Institutione Respublicae, lib. 2.
cp
, qui a été de grand nom, et a fait un ouvrage docte, et élaboré,
touchant l’ordre qui doit être gardé en une République. Quand ce vient à parler des
Théâtres, et des Tragédies, et Comédies, lesquelles on y joue, voici comment il s’en
exprime,«
Celui que nous lui adjoignons, est Jean Bodin, personnage excellent ès lettres, et duquel
la République a été généralement bien accueillie, comme un ouvrage
consommé, et où il a témoigné, outre son savoir très rare,
un jugement du
tout exquis. Y traitant aussi des Théâtres, et des Comédies et Batelages, voici ce qu’il
en prononce. «J’estime qu’il faut jeter quasi toutes les Tragédies, hors d’une République bien ordonnée. Aussi les Lacédémoniens commandèrent qu’on renvoyât hors de Sparte les livres du Poète Eschyle, comme inutiles, et publiés plutôt pour corrompre les mœurs des hommes, que pour aucune bonne Discipline. Or ce n’est pas sans raison qu’on doit bannir la Tragédie des Spectacles. Car elle a un certain excès de violence, mêlé avec le désespoir, qui des fols peut faire des enragés, et tourner en fureur les esprits légers. Je ne crois donc pas qu’il les faille jouer dessus les Théâtres, combien que d’ailleurs les Doctes ne les doivent pas négliger, à cause de l’érudition. Je n’approuve non plus que la Comédie soit jouée publiquement ; Car elle corrompt les mœurs des hommes, et les rend efféminés, et les excite à la vie désordonnée, et à la luxure.»cq C’est l’avis de ce Sage Politique.
Il ne peut y avoir de pestecr en la République qui soit plus pernicieuse, ne qui semble avoir plus de force pour corrompre les mœurs des Citoyens : non seulement elle gâte les esprits des enfants qui sont encore mols et tendres, mais aussi elle sollicite la pudicité des femmes mêmes les plus chastes. Enfin nous pouvons définir les Théâtres, un égout, et une école de turpitude, et de toute sorte de vices.» cs Ces deux, qui accoutrent ainsi les Théâtres, eussent été bien loin de dresser pour eux des apologies, et de les proposer pour des Ecoles de vertu et d’honnêteté.
Cette objection n’est pas d’aujourd’hui, et dès jadis avait été formée à saint
Chrysostome, in Ps. 119
to.1. ct
. «
Quelques-uns (dit-il) sont si insensés que combien qu’ils aient l’apparence de piété, ils ne laissent pas d’aller aux Théâtres, et disent qu’il leur en revient beaucoup d’utilité. Mais ce propos combien est-il ridicule. Tout cela sont prétextes et tromperies.»
De vrai, quant à ces belles Sentences qu’ils nous disent s’ouïr de ces lieux, Salomon
nous a avertis il y a long temps, que les «
Pour ce qui est de l’autre Subterfuge, qu’en ce qui se représente sur le Théâtre, la
vertu est récompensée, et le vice châtié ; nous disons en premier lieu, que toutes les
histoires, soit saintes, soit du Siècle, dont la certitude est assurée, sont beaucoup plus
propres à en donner les enseignements, que non pas tout ce que sauraient dire les
Comédies, qu’on sait être de nues fictions, et des contes forgés à plaisir. D’ailleurs,
qui ne sait, que vu la corruption de notre nature, les mauvais exemples ont beaucoup plus
de force que n’en ont les bons. Là un adultère emploiera ses artifices pour séduire une
femme, ou une fille raffinera ses ruses pour tromper son Père et sa Mère en faveur de son
Amant ; Ces représentations, où sont données les leçons du mal, et les adresses pour le
commettre, en peuvent causer cent et cent fois davantage, qu’il ne peut réussir de bien de
ce que la Fable représentera à la fin que ces mauvaises pratiques n’ont pas eu un bon
succèscw. Il ne faut pas faire une
plaie sous espérance de la guérir. C’est un très mauvais artifice pour retirer quelqu’un
d’un péché auquel on voit qu’il est fort enclin, de commencer par lui en présenter
l’amorce, et l’instruire de la manière qu’il lui faudra tenir, pour satisfaire aux mauvais
et passionnés désirs qui l’y portent.
III. Outre cette allégation des belles Sentences des Théâtres, et que les actions qui s’y
représentent portent à la vertu, On nous touche de quelques Comédies, dont le sujet est
Saint, et qui sont pour porter à la dévotion, étant même tirées de la Parole de Dieu.
propos Sentencieux», perdent leur grâce «
en la bouche d’un fol». Posé qu’un Arlequincv prononçât de dessus le Théâtre tous les plus graves dits de Sénèque, cette bouche ridicule les exposerait à la risée. C’est une absurdité entre les plus grandes, de croire que quelqu’un deviendra plus chaste ou plus tempérant, pource qu’un Comédien l’y aura exhorté, lui qu’il voit est dissolu, et d’une vie abandonnée.
Mais notre Discipline a excellemment bien
dit là-dessus, que la Parole de
Dieu nous a été donnée pour être prêchée, et non pas pour être jouée. Feu Monsieur de Bèze
ayant mis en vers, et par personnages, le Sacrifice d’Abraham, pour inciter les Enfants à
apprendre celle riche Histoire, la Congrégation des Pasteurs de Genève empêcha que la
pièce ne fût représentée par les jeunes Ecoliers de leur Collège, qui en avaient eu
desseincx. Aussi ce qui est contenu ès
écrits divins est trop grave, pour être proposé par jeu etcy les mystères du
Salut doivent être annoncés ès Temples, et non pas échafaudéscz dessus des Théâtres. Dieu veut qu’ils soient publiés par ceux qu’il s’est
consacrés pour être sa bouche, et non pas qu’on les oie de ces autres impures, que Satan
loue, pour dire des vanités, ou des saletés. Comme J. C. étant en terre n’approuvait pas
que cet Ennemi s’ingérât de lui rendre témoignage, de là-haut il impose le même silence à
ses Ministres, qui entreprendraient de parler de lui, et leur défend de rien
«
réciter de ses statuts, et de prendre son Alliance en leur bouche» Nous trouvons en Eusèbe, De Demonstratione Evangelica Libri X, lib. 8 cap. 1. db qu’un faiseur de Tragédies Grec, qu’il nomme Theodotus, ayant voulu adapter quelque chose, tiré des Ecritures divines, à une pièce qu’il composait, Dieu l’en punit sur le champ, et lui ôta l’usage des yeux. Tout autant qu’il y en a qui se rendent coupables de la même profanation des Ecrits sacrés, et les changent en des jeux, seraient tout à fait dignes de ce même jugement. Ainsi lorsqu’on nous allègue cette nouvelle coutume des Théâtres, c’est produire leur accusation et non pas les excuser.
IV. Aucuns allèguent ici une autre défense pour les Comédies. 6.9. dc
, disant que saint Paul les a lues, et celles de Ménandre entre
les autres, de sorte qu’il en cite des Sentences dedans les écrits, ce qui montre qu’il ne
les a pas condamnées.
Mais je leur demanderais volontiers, s’ils croient que saint Paul ait approuvé tous les
Ecrits qu’il a lus, et dont il a tiré des convictions contre les Païens, les battant de
leurs armes, et coupant la tête à Goliath de son propre glaive. Comme il était permis,
sous la Loi de prendre à femme une prisonnière de guerre, après lui avoir rasé la tête, et
rogné les ongles. 21.12. dd
, ainsi ceux qui lisent les Auteurs Païens, peuvent en
extraire les belles Sentences qu’ils y rencontrent, et après les avoir repurgées, les
employer en leurs propos, et écrits. Jedis même qu’en user ainsi, c’est reprendre le
manteau de l’Egyptienne, qu’elle nous avait ravi ; Car ce que les Auteurs Païens ont de
bon, n’est pas proprement à eux, mais est un larcin qu’ils ont fait à l’Eglise de Dieu,
qui seule a 1e dépôt de la vérité, et des enseignements pour bien vivre. Mais au reste,
c’est bien mal raisonné, saint Paul a lu Ménandre à son privé, pour de ce fientde,
tirer quelque grain d’or, dont il enrichit le Sanctuaire, et aussi pour s’en servir contre
les Païens, à qui ce Poète était de plus de poids que tout ce qu’il eût produit des
Prophètes : Donc, il a approuvé tout le contenu de son ouvrage, où il y a diverses choses
qui regardent l’idolâtrie Païenne, et d’autres qui sont tout autant de honteux
maquerellages : Donc, comme il l’a lu en privé, il n’aurait point fait
de
difficulté d’aller publiquement aux Théâtres, où ces Comédiens se jouaientdf, combien qu’alors tous les Chrétiens les eussent en détestation :
Donc, si aujourd’hui on avait ces mêmes Comédies entières, et que les Théâtres les
jouassent, au grand détriment de la piété, et des bonnes mœurs, il aurait approuvé que les
particuliers fidèles s’y allassent rendre, contre les défenses que leur en fait leur
professiondg, et au grand scandaledh de
toute l’Eglise : Je ne sais qui c’est qui ayant une seule étincelle de la lumière de la
raison, pourrait dire que ces conséquences fussent raisonnables. Or il les faut pourtant
admettre, pour inférer de ce que S. Paul a lu et cité Ménandre, qu’il a prêté faveur aux
Théâtres dont est notre débat. Certes il y a lieu d’appliquer ici le lieu de
Tertullien, De
Spectaculis, cap. 10. di
, «
V. D’autres se présentent, qui veulent appuyer les Théâtres par l’autorité propre de
notre Discipline Ecclésiastique, qui au même lieu où elle défend d’assister aux Comédies,
permet toutefois que la jeunesse s’y puisse exercer, et qu’on leur en fasse jouer dedans
les Collèges, ce qui montre qu’elles ne sont pas simplement condamnables.
Comparas, homo, reum, et judicem ; reum, qui quia videt, reus est ; judicem, qui quia videt, judex est». «
Tu compares, ô homme, 1e Criminel et le Juge ; le Criminel, qui à cause qu’il voit ces Spectacles, se rend coupable de crime ; le Juge, qui à cause qu’il les voit en est le Juge».dj Saint Paul a lu Ménandre, mais c’a été pour lui faire son procès, et à tous ceux qui de même que lui enseigneraient la dissolution, et non pas pour y avoir part. Au reste, nous oyions naguère un grand homme qui bannissant les Tragédies de sa République, pour ce qui est de les jouer, permet qu’on les retienne, pour ce qui est de les lire, à cause de leur érudition. Ainsi il n’eût pas donné aveu à cette conséquence, que saint Paul eût trouvé bon qu’on eût représenté sur le Théâtre celles de ce Poète, poli et savant, à cause qu’il les avait lues.
Mais en cette objection ils commettent plusieurs fautes, 1. Ils dissimulent que la
Discipline dit seulement que cela se pourra tolérer. Or le mot de Tolérance imprime une tache à la chose tolérée, et en témoigne de
l’improbation. Pour exemple lorsque saint Augustin, De Moribus Ecclesiae Catholicae. dk
forme plainte de diverses mauvaises coutumes
qui s’étaient glissées, lesquelles pourtant lui, et les autres Pasteurs, accordaient à la
dureté de cœur de leurs peuples, et qu’ils supportaient, voyant qu’il leur eût été
difficile de les empêcher ; cela même qu’il en parle ainsi justifie qu’au fond il les
désapprouvait. 2. Ils taisent qu’elle pose par condition, que cela se fît rarement, et par extraordinaire ; ce qui obvie à la perte de temps qui est ès
autres. 3. Ils dissimulent la condition très expresse qui y est apposée, que la
composition en eût été examinée par un Colloque, ce qui a rapport à ce que nous avons
allégué de Platon au chap. 5. et empêcherait absolument le plus grand mal qui est ès
autres, et qu’il ne s’y glissât rien qui pût corrompre les mœurs, et ressentît la
dissolutiondl.
4. Ils taisent à dessein que la Discipline ne parle pas des Comédies, qui sont
d’ordinaire des fictions fabuleuses, mais seulement de la représentation de
quelque histoire. Tout cela considéré
montre que cette objection est
un pur sophisme. De vrai quel lieu de conclure. 1. d’une tolérance à une approbation
simple ? 2. d’une concession à une jeunesse honnête, pour s’exercer, à l’aveu d’une
profession laquelle ceux qui suivent sont déclarés infâmes ? 3. d’une grâce accordée à des
Ecoliers par extraordinaire, et rarement, à
l’approbation de ceux qui font métier ordinaire de monter sur le
Théâtre, et y entretenir l’oisiveté d’une foule inutile qui y court ? 4. de quelques vers
récités par des enfants en un Collège privé, pour leur façonner la
grâce, à un Théâtre dressé en un lieu public, sans utilité quelconque,
et tout au contraire avec péril évident qu’il porte dommage aux mœurs ? 5. d’une
composition sur quelque belle histoire, diligemment examinée par un Colloque, à toutes les
pièces qu’il prendra fantaisie aux Comédiens de jouer, qui pour la plupart sont des
fictions, dont le thème est un amour sale, et dont la représentation préjudicie à la
Société ? Qui ne voit que tout cela sont des parallèles fort inégaux, et des conséquences
très mal tirées ? Ainsi ils ont tort de vouloir faire parler en leur faveur la Discipline
qui les condamne.
VI. Il en suit quelques-uns qui nous touchent ici de l’intérêt de leur santé, et nous
allèguent qu’étant d’une humeur triste, la Comédie les divertit.
Nous leur disons pour réponse, que s’ils ont besoin de récréation, ils doivent en
rechercher d’innocentes, esquelles Dieu ne soit point offensé, ni le prochain
scandalisédm ; autrement, ni les
« plaisanteries »dn, condamnées ci-dessus
par saint Paul, ni les danses, ni les brelans, ni les
mômeries et mascarades,
ni en général tous les autres passe-temps de cette nature, ne pourront être condamnés, et
faudra tout de même les autoriser, à cause qu’il y en aura qui diront qu’ils s’y
délectent. Mais il vaudrait beaucoup mieux, fussent-ils mélancoliques au double, qu’ils
écoutassent le Sage pour aller en la maison de Dieu plutôt que de se rendre en ces lieux
de joie du monde, où ils ne peuvent assister sans se blesser l’âme, et préjudicier à leur
conscience.
Mais d’ailleurs, nous les avertissons qu’à des Esprits tels qu’ils se décrivent, et qui
sont atteints de mélancolie, les Théâtres sont parfois très dangereux, et capables, au
lieu de les soulager, de blesser tout a fait leur imagination ; à savoir lorsqu’on y
représente quelque chose de tragique. C’est ce que nous a observé ce docte personnage que
nous alléguions au chapitre précédent, qui nous disait touchant la Tragédie,
«
qu’elle a un excès de violence, mêlé de désespoir, qui des fols peut faire des enragés et tourner en fureur les Esprits légers. »do Tertullien, De Spectaculis, in præf. dp l’avait remarqué auparavant, et tient incompatible qu’on se trouve en de tels lieux, et qu’on s’y maintienne en tranquillité d’esprit, ce qu’il prouve par les gestes, et les cris forcenés, de ceux qui y assistaient de son temps.
A ce propos il nous souvient d’un effet étrange que produisit une Tragédie du Poète
Euripide, en une ville de la Grèce. Un Auteur ancien, De Historia. dq
nous dépose,
qu’ayant été bien jouée par excellence, tous les assistants en furent tellement émus, et
transportés hors d’eux-mêmes, qu’en effet leur esprit s’en démonta, et qu’ils tombèrent
tout à fait en frénésie, courant par la ville
tous furieux, récitant les
mêmes vers qu’ils avaient ouïs, et contrefaisant tous les mêmes gestes qu’ils avaient vu
représenter dessus le Théâtre : Et leur dura cet accès frénétique par l’espace de huit
jours. S’ils étaient allés à cette Tragédie, avec intention de s’y recréer, et chercher
remède à leur humeur mélancolique, il leur réussit très mal, vu qu’au lieu d’y trouver sa
guérison, elle s’y excita, et se tourna en fureur.
Cette raison donc tirée de la Médecine, et du secours que les Théâtres peuvent prêter à
ceux que la Mélancolie travaille, ne semble pas être de mise, néanmoins nous nous en
remettons aux entendus en cette science.
VII. Une autre de leurs exceptions, sur laquelle surtout ils font fortdr, est
une pétition pure de principe, comme on parle ès Ecoles. Car ils supposent que les
Théâtres sont de la nature des choses indifférentes
ds, qui
d’elles-mêmes n’étant bonnes ni mauvaises, Il est libre à chacun d’en user ou non : Et
ensuite bâtissant là-dessus ils accusent les défenses qui en sont faites par les
conducteurs de l’Eglise, et soutiennent que lorsqu’ils s’y sont avancés, ils sont sortis
hors des bornes de leur pouvoir, qui ne s’étend pas à faire de nouvelles lois, ni à
géhenner la liberté des Consciences sur les choses de leur nature licites.
Vu que c’est là-dessus que ces gens triomphent, il importe que nous fassions voir un peu
plus particulièrement à quel point ils s’y mécomptent.
1. Ils posent comme avéré, ce que nous avons justifié fauxdt, et par raisons, et par toutes
autorités, je
veux dire que les Théâtres, soient entre les choses libres ; tout au contraire, ils nous
ont paru entre les mauvaises. Ainsi tout ce que leurs Défenseurs veulent bâtir sur ce
mauvais fondement de leur prétendue indifférence, tombe de soi-même en ruine.
2. Posé que de grâce, et par une concession pure, on leur accordait, que de leur nature
ils sont tels, et en l’ordre des choses libresdu, ils se
font paraître très mauvais Théologiens, voulant ôter aux Conducteurs de l’Eglise, le
pouvoir d’y faire des règlements, selon qu’il est jugé plus expédient pour le bien et
édification des troupeaux qui leur sont commis. Et c’est ce qu’il nous faut un peu plus
particulièrement éclaircir.
Lorsque le Seigneur Jésus a envoyé les Pasteurs pour prêcher son Evangile. Matt. 16.19. dv
, il leur a donné «
la puissance des Clefs», qui outre la charge de publier le pardon des péchés à ceux qui s’en repentent, et croient en lui ce qui est proprement leur ouvrir les Cieux, emporte aussi celle du régime et de la conduite de son Eglise, où il les a fait avertir par saint Paul qu’il veut «
que toutes choses se fassent honnêtement, et par ordre».
Ce Commandement étant général, il a laissé à ses Serviteurs le détail de l’exécution
d’icelui, pour selon les lieux, et les temps, en user avec prudence, et aviser jugement à
bien établir cet ordre. Que si nous y prenons garde on ne peut nier, qu’il ne consiste
pour la plupart, en des choses indifférentes, comme les lieux et les
heures des assemblées ; la manière externe qu’il y faut garder, soit durant la prière,
soit pendant
la Prédication de la Parole, soit lors de l’administration des
Saints Sacrements ; la façon de se vêtir, à ce qu’elledx n’ait rien de déshonnête, et qui choque la
modestie ; bref toutes les autres choses de cette nature. Combien que de soi-même tout
cela soit libre, vu qu’au fond il est indifférent devant Dieu à quelle heure on
s’assemble, ou de quel geste nous accompagnerons la prière, ou si on sera vêtu de telle ou
de telle étoffe ; Cependant après que ceux auxquels il a donné la charge d’aviser à cette
ordredy, s’étant assemblés,
du consentement des troupeaux fidèles, et son nom Saint invoqué, ont fait des règlements
là-dessus, lesquels le corps de l’Eglise a ensuite généralement approuvés, les choses
ainsi arrêtées, ne demeurent plus comme auparavant entre les simplement libres, mais il y
a obligation à tous les fidèles de se tenir à ce qui leur y a été prescrit, de sorte qu’il
y faut rapporter l’avertissement de l’Apôtre, «
Obéissez à vos Conducteurs, et vous y soumettez, Car ils veillent pour vos âmes, Comme ceux qui en doivent rendre compte».
Pour mieux entendre cela, posons ici qu’il y eût quelques menus Ergoteurs qui vinssent à
dire, « Nous ne voulons pas qu’on s’assemble en des Temples, mais simplement ès
Cimetières, comme faisaient les premiers Chrétiens » ; «
Nous prévoyons qu’on objectera ici, que c’est étendre le pouvoir de l’Eglise comme à
l’infini, et même qu’à ce compte il n’y aurait
point de différence entre les
Commandements divins, et les Ordonnances humaines. Mais cette objection est sans
fondement, selon qu’il est aisé de le justifier.
Déjà le pouvoir de l’Eglise ne s’étend pas ici à l’infini. Car il est resserré dedans une
double borne, qui est a l’égard du prochain l’édification, et à l’égard
de Dieu, de rapporter le tout à sa gloire. De plus, les Conducteurs de
l’Eglise ont toujours ici devant leurs yeux leur règle générale, à savoir l’Ecriture, qui
les adresseec en cette conduite particulière. De vrai encore qu’elle ne spécifie pas une
chacune chose en détail, néanmoins elle comprend le tout en substance : ainsi il n’y a
aucun règlement Ecclésiastique qui n’y ait son fondement, et ne s’y rapporte. Au moyen de
cela le pouvoir de les dresser n’est pas simplement indéfini.
Nous ne voulons pas que la Sainte Cène se célèbre de jour, mais que ce soit la nuit, à cause que ce fut au soir que J. C. l’institua» ; « Nous ne voulons pas nous vêtir à la manière ordinaire, et qui est tenue honnête, et bienséante, mais notre dessein est d’aller au Temple avec des habits extravagants et ridicules, ou bien de marcher tout nus, comme nos premiers Parents », selon qu’il y a eu des fols qui ont raisonné ainsi : Il n’y a celui qui sans beaucoup hésiter ne les condamnât. Que s’ils venaient aussi à objecter, que ces choses de leur nature étant libres, les Pasteurs n’auraient pas eu le droit d’y faire des Règlements, et les y géhenner, tous les siffleraient ; vu que le Saint Esprit ne nous ayant rien déterminé sur le particulier de tout cela, y a établi la règle générale, d’y suivre «
ce qui est honnête et à édification» », et a autorisé ceux à qui il a donné la conduite de son Eglise à en donner les adresses plus spéciales, et selon les lieux et les temps y pourvoir avec prudence. Lors donc que par les voies légitimes, et toutes raisons sagement pesées, ils ont arrêté l’ordre qui doit être gardé en ces choses, Il ne faut plus regarder au matériel du règlement, mais à l’autorité par laquelle il a été établi, qui est celle de Dieu. Ainsi ceux qui vont opiniâtrement à l’encontre, ne se rebellent pas simplement contre les Pasteurs, qui avaient fait 1e règlement, mais contre Dieu lui-même, qui leur en avait donné le pouvoir ; de même que ceux qui résistent à la puissance Supérieure c. d. au Prince en ce qui est du civil, dont Dieu lui a remis l’administration, sont dits lui résister à lui-même. 13.2. eb , non pas que ce soit lui immédiatement qui soit auteur des Lois que ce Prince établit, mais à cause qu’il lui a déposé l’autorité en vertu de laquelle il les publie.
Quant à ce qu’on disait aussi, que si les Conducteurs de l’Eglise ont le droit de faire
de tels règlements, et qui lient la Conscience, il n’y aurait pas de différence entre les
Commandements de Dieu, et les Ordonnances des hommes, il n’est non plus recevable ; Car en
voici trois très considérables. 1. Les Commandements de Dieu doivent être reçus nuement,
et sans nulle enquête : Mais quant à tout ce que les hommes peuvent ordonner, il faut que
nous examinions s’il est de Dieu. Car, au reste, si une assemblée de Pasteurs prescrivait
quelque chose qui fût contraire à ce que Dieu a commandé. voire si S. Paul même revenait
pour le prêcher, il faudrait crier «
3. Ceux qui transgressent les Commandements de Dieu, sont coupables par cette violation
prise en elle, et considérée au matériel propre du commandement ; et pèchent immédiatement contre Dieu, de l’autorité duquel il était aussi
immédiatement émané ; Mais quant à ceux qui enfreignent quelqu’un des Règlements
Ecclésiastiques, ce n’est pas le simple matériel du règlement qui les rend coupables, mais
c’est la violation de l’ordre, et le mépris du commandement général, « anathème». 2 Tout ce que Dieu commande, par cela même devient nécessaire en soi, et d’une nécessité simple, sans que la circonstance du temps, ou du lieu, ou de la personne, en varie la nature. Comme pour exemple, s’il est question du blasphème, l’impiété en est détestable à la prendre en elle, elle l’est en tout temps, elle l’est en tout lieu, elle l’est en toute bouche. Mais quant aux règlements Ecclésiastiques, ils ne changent pas la nature de la chose sur laquelle on les fait, qui en soi demeure toujours la même, et ne devient nécessaire que par une nécessité d’ordre ; d’où vient que comme ces règlements sont établis sur de certaines raisons, qui regardent les temps, les lieux, les personnes, ces raisons cessant et changeant, on peut aussi les changer.
obéissez à vos Conducteurs».ee Ainsi leur offense première est contre cet Ordre, et ne remonte à Dieu que secondairement et par réflexion, en tant qu’il en était 1e premier auteur. Qui que ce soit qui veuille peser ces trois différences, pourra reconnaître, que nous ne faisons pas marcher de l’égal, les Commandements de Dieu, et les Règlements Ecclésiastiques.
Or combien qu’il en soit ainsi, et que le
péché soit beaucoup moindre à
violer l’un de ces règlements, qu’à transgresser l’un des Commandements de Dieu, si est-ce
qu’il est encore trop grand. Encore qu’un crime de lèse-majesté ne soit qu’au second chef,
c’est toujours crime de lèse-majesté. Combien que ceux qui vont contre l’ordre établi par
les Serviteurs de Dieu, suivant la charge qu’ils avaient de lui, ne violent son autorité
que secondairement, c’est toujours la violer. Le péché donc y est grand, et d’autant plus
que violant cet ordre, et ôtant du milieu de l’Eglise la Discipline établie pour sa
conduite, c’est tout de même que qui couperaitef les nerfs à un corps ; ou
bien, pour nous servir de la comparaison de saint Cyprien. 2. ep. 6. eg
, comme si au milieu de la mer, et lorsque les vents
soufflent, on allait arracher le gouvernail d’un Vaisseau. De vrai, cette Discipline lui
en sert d’un fidèle et assuré, sans lequel sa nef ne tarderait guère à être emportée par
les vents que les premiers séditieux y feraient souffler, et à périr par naufrage. En cas
donc qu’il se trouvât des esprits hargneux, qui entreprissent de pointiller sur l’ordre
reçu, et contrôler malicieusement les règlements établis et généralement approuvés en
l’Eglise ; ne voulant pas l’Ecouter, ils nous doivent être
«
comme des infidèles». 18.17. eh », et ne reste sinon à leur dire avec l’Apôtre saint Paul, «
Si quelqu’un cuide être contentieux, nous n’avons pas une telle coutume, ni aussi les Eglises de Dieu»
Nous ne croyons pas que qui que ce soit qui ait tant soit peu de lumière de raison, et de
sentiment de piété, puisse rien débattre de tout cela, à le prendre en général. Or s’il
est une fois
posé, ceux qui plaident pour les Théâtres y perdent leur cause
tout du long, combien même qu’on fût d’accord de leur prétendue indifférence. De fait, il
est constant, que non pas un ou deux d’entre les Pasteurs, mais tous généralement ; et non
seulement en cet âge, mais en tous les Siècles qui ont coulé depuis Jésus Christ, avisant,
selon leur charge, à l’ordre qui doit être gardé en l’Eglise, par les fidèles qui en sont
membres, et à la conduite dont ils doivent user en leur vie, Ont vu un inconvénient grand
s’ils se rendaient à ces Théâtres, et ont estimé que là est un entretien de l’oisiveté, et
surtout que l’honnêteté y court risque, et que Satan y tend ses pièges pour corrompre les
mœurs. Ainsi ils les ont avertis de s’en retirer, et ont déclaré indignes d’appartenir au
corps de l’Eglise, ceux qui s’opiniâtreraient à les fréquenter. De plus, ce règlement
ayant été établi en l’Eglise primitive, les Eglises Réformées l’ont renouvelé ; à chaque
fois que les Synodes Nationaux se sont associés, ils y ont porté leurs suffrages ; tous
les fidèles ensuite l’ont ratifié unanimement : Cela étant ainsi, il est très certain, que
ces Théâtres ne sont plus entre les choses libres, posé mêmeej (ce que nous
contredirons fortement) qu’ils y eussent été, mais ils sont entre les choses illicites et défendues. Ainsi nul ne peut y assister que ce ne soit en s’élevant
contre l’ordre qui avait Dieu pour son auteur sans commettre l’ancien crime de Coré, lors qu’il fit son attentat, et conspira contre Moïse. 16. ek
.
VIII. Une autre excuse pour les Théâtres, est tirée de la qualité et condition de divers
qu’on
voit s’y rendre. De vrai, on nous allègue, que plusieurs qui sont gens
d’honneur et de probité s’y rangent, et aucuns même du plus haut degré, jusques là que ces
divertissements sont autorisés ès Cours des Princes, qui avec leurs plus considérables
Ministres s’y rendent parfois pour s’y chercher du relâche, après les fatigues de leurs
soins, pour la conduite de leurs Etats. De là les Défenseurs des Théâtres se tirent un
grand avantage, et croient être suffisamment à couvert sous de si grands noms.
Cette objection, qui a plus de malignité, que de solide raison, a été faite jadis à Saint
Augustin, in Psal. 39. el
, lorsqu’aussi il criait contre les Théâtres. Afin de lui
fermer la bouche, on lui alléguait de même les Empereurs Honorius et Arcadius, d’ailleurs
ardents zélateurs du Christianisme, qui néanmoins se donnaient à ces passe-temps. Mais
quelque grand respect qu’il eût pour eux ; voici la réponse qu’il a faite à ceux qui le
voulaient grever par ce grand exemple. «
A pareille objection nous faisons même réponse ; et dirons ici premièrement, que nous ne
haussons nos yeux vers la puissance Supérieure qu’avec tout respect. Que s’il s’agit des
commandements de leurs Majestés, lorsque montées sur le Trône, elles nous publient leurs
Edits, nous les tenons pour Sacrés, et sommes prêts à leur rendre notre très entière
obéissance, et services, et à mettre nos biens et nos vies pour la gloire de leur Empire.
Quant
à leurs actions en leur privé, nous croyons leur devoir cette révérence
de ne nous en enquérir point, et ainsi n’avons point d’yeux pour les voir, ni de bouche
pour en parler, et nous suffit d’avoir cette persuasion très assurée, que toutes leurs
intentions sont à la vertu, et à ne rien faire où elles crussent que Dieu fût offensé. Que
s’il est vrai qu’elles se divertissent parfois aux Théâtres, nous avons déjà dit, que nous
n’estimons pas que ceux qui y montent devant elles, osassent se faire connaître pour ce
qu’ils sont, et avouons bien que bonne partie de ce que nous avons observé de mal en ces
lieux, en est alors retranché. Surtout si ceux qui gouvernent leurs Consciences y prêtent
leur aveu, nous n’avons rien à y dire, n’en ayant nul droit, et n’étant point si
téméraires de nous ingérer à ce qui ne nous appartient pointen.
Mettant donc à part ce qui est de leur personnel, Nous répondons à ceux qui nous en
couchent, pour nous tirer en envieeo, 1. qu’ils ne
sont quant à eux ni Rois ni Princes, dont le respect retînt devant eux, ces gens
d’eux-mêmes dissolus, de suivre leur vrai et propre génie. 2. que ces Rois et Princes dont
ils veulent faire bouclier ne sont pas liés de leur même serment, ni astreints à leur
obligation, puisqu’ils se disent quant à eux de la Religion, et suivent une profession qui
défend absolument cette sorte de récréationsep. 3. qu’ils argumentent en
très mauvais Théologiens, vu que le Chrétien vit par règle, et non pas par exemple,
quelque illustres que pussent être d’ailleurs ceux qui le donneraient. Même nous nous
assurons, que quand ces Princes qu’ils veulent
flatter, en seraient
consultés, Il n’y a aucun d’eux qui voulût donner les pratiques de sa Cour pour régler la
conscience, qui n’a son regard qu’à Dieu tout seul. De fait, lorsqu’il est question d’une
action, il faut s’enquérir, non pas si elle est en vogue à la Cour d’un Prince, mais si
elle est selon Dieu, et conforme aux enseignements qu’il nous donne en sa Parole ;
autrement si la conscience de quelqu’un lui dit que Dieu y est offensé, et son Eglise
scandalisée, l’exemple de tous les Princes de la terre ne le doit pas emporter dessus le
devoir.
IX. En fin après que les partisans des Théâtres se sont ainsi tournés de tous les côtés
pour tâcher de les défendre, la force de la vérité tire d’eux une demi-confession. Car il
y en a entre eux qui avouent bien, qu’à l’égard de quelques-uns qui ont l’esprit faible, il y a du danger lorsqu’ils y assistent, mais que quant aux esprits forts, entre lesquels ils se mettent, ils s’y peuvent rendre sans
aucun péril ; ainsi, qu’on n’eût pas dû en faire une règle de défense générale, mais y
laisser un chacun à la connaissance qu’il a de soi-même. Quelques-uns passent plus outre,
et conscients que le meilleur serait généralement de n’y aller point, seulement ils
improuvent, que lorsque nonobstant il y en a qui s’y rendent, on le leur impute à un si
grand péché ; comme s’il allait du pair aveceq les vols et les meurtres, et
qu’au sujet d’icelui on fût en péril de damnation. Surtout ils portent avec impatience,
lorsqu’on en fait des répréhensions publiques, qui sont souvent plus animées (disent-ils)
que celles des blasphèmes, et autres tels crimes.
Vu que c’est là leur dernier retranchement, il faut aussi les en tirer, ce que nous
pouvons sans difficulté.
Premièrement, nous leur disons que c’est déjà quelque chose qu’ils commencent à passer
condamnation pour les Théâtres, et au lieu de l’utilité qu’ils y
trouvaient, qu’à cette heure ils les confessent dommageables. Pour ce qui est de leurs
exceptions, ensuite de cet aveu, elles ne sont d’aucune considération.
La souveraine puissance» (il entend celle de Dieu) «
doit l’emporter sur toutes les autres. Rendons honneur à César comme à César, mais premièrement il faut craindre Dieu».em
Quant aux premiers qui en excluent les esprits faibles, et soutiennent
que quant à eux ils y peuvent assister sans nul péril, ils étaient dès le temps de
Tertullien, De
Spectaculis. er
, auquel ils disaient que
«
En premier lieu, il est fort à craindre, que parlant si avantageusement d’eux-mêmes, il
n’y ait de la présomption mêlée, et un préjugé trompeur de leur amour propre qui les
aveugle. Que celui qui est debout prenne garde qu’il ne tombe. C’est être téméraires, de
se tenir si affûtés en des lieux suspects, et qu’ils voient marqués des chutes et des
ruines d’infinis autres. Quelque merveille qu’ils nous disent d’eux-mêmes, ils ne sont pas
des Anges, mais des hommes, composés de chair et de sang, et sujets aux infirmités
communes. Ayant donc les mêmes passions que les autres, ils peuvent être
tentés tout de même qu’eux, et ne dussent pas se tant confier ès endroits où ils
reconnaissent que les autres ont sujet de craindre.
comme le rayon du Soleil peut donner sur de la fange, sans toutefois s’y infecter à cause qu’il est pur, eux de même, ayant les âmes nettes, ne recevaient nulle atteinte de tout le mal qui pouvait être ès Théâtres». Mais comme cet Ancien ne reçut point cette excuse, nous ne l’admettons non plus aujourd’hui, et disons deux choses à ceux qui nous en veulent payer.
Mais posé que quant à eux ils s’y maintinssent sans nul danger, toujours, en y allant,
ils donnent mauvais exemple à ces autres, pour lesquels, par leur aveu,
il y a du péril, et qui n’ayant pas la même fermeté, dont quant à eux ils se vantent,
ilses y seront atteints du mal.
Cela étant, et les y ayant pour ainsi dire conduits, ils sont tout notoirement coupables
de la ruine en laquelle ils les font tomber. Saint Paul défendait jadis de faire périr
pour de la viandeet le frère
pour lequel Jésus Christ est mort. 14.15. eu. , et protestait quant à lui que
jamais plutôt il n’en eût mangé, que de donner du scandale au moindre Cor. 8.13. ev
. Combien sont éloignés ici de sa
charité, ceux qui ne font nulle considération de l’achoppement qu’ils y donnent à leurs
prochains, et ne voudraient pas se retrancher pour l’amour d’eux, je ne dirais pas de la
viande, et d’une partie nécessaire de leur aliment, mais d’un nu passe-temps mondain, et
d’une simple récréation de vanité ? Mais il ne faut point qu’ils y soient déçus les menant
par leur exemple en ces lieux où l’occasion leur est présentée d’offenser Dieu, et de
tomber au piège du Diable, ils leur en seront comptables devant 1e grand Juge, en la
dernière journée.
Quant aux autres qui passent condamnation absolue qu’il y a du mal à aller aux Théâtres,
mais chicanent sur le degré, et sur la nature des répréhensions qu’on en peut faire, il
est aisé aussi de les redresser.
Premièrement, nous leur disons que ce n’est
pas au malade proprement à juger
de sa maladie, où il se peut mécompter. Et de vrai, les Pharisiens de jadis croyaient être
bien sains, et cependant ils eussent eu besoin par-dessus tous autres que le Souverain
Médecin les eût guéris. Ce n’est non plus au patient à prescrire à son Médecin quel remède
lui sera propre. De fait la plupart rebuteraientew le médicament qui leur serait le plus salubre, d’autant que leur
goût y trouve de l’amertume. Ceux donc qui vont aux Théâtres étant ici les malades, et les
censures la Médecineex, ils ne doivent pas être crus simplement touchant la nature de leur
mal, ni touchant la qualité et la dose du remède pour le guérir.
Aussi il est évident qu’ils se méprennent ici en l’un et en l’autre. Déjà pour ce qui est
de leur mal, ils se mécomptent, en ce qu’ils le veulent faire passer pour de peu de
conséquence, au lieu que nous avons justifié ci-dessus, que de tout point il est grand.
Nous avouons bien, que comme il y a de la différence entre les péchés, il ne faut pas
mettre cetui-ci en un même rang avec les vols et les meurtres ; mais si ceux qui commettent ces derniers ont le plus grand blâme, ce
n’est pas à dire que ceux qui trempent en l’autre en soient tout à fait exempts ; le plus
et le moins ne changent jamais l’espèce : sans doute il n’y a pas la même horreur à aller
au Théâtre qu’à brigander et à assassiner, mais il n’y en a toujours que trop à fouler aux
pieds l’ordre saintement établi en la Maison de Dieu, et en la rébellion contre l’autorité
que lui-même a voulu y être respectée, et que nous lui rendissions obéissance selon
luiey. De fait une telle
rébellion, est vue péché de devinement et
de Marmousets, c’est-à-dire, des plus criants, selon que Samuel le
disait jadis à Saul. 15.23. ez
.
Mais comme ils se trompent à juger de leur mal, ils se déçoivent de même en ce qu’ils
disent du remède. Leur avis serait qu’on y laissât un chacun à sa volonté, et qu’on s’en
tût en public. Mais sur cela nous leur demandons où ils ont appris cette nouvelle
Théologie, qu’il y ait des péchés (car désormais ils ont passé l’aveu qu’il y en a ici)
qui doivent demeurer libres, et dont les Pasteurs ne soient point tenus de faire des
répréhensions, eux à qui Dieu a donné la charge de veiller sur leurs troupeaux, de dire du
mal qu’il est mal, d’avertir un chacun qu’il s’en donne garde ? sans doute ce qu’ils
proposent en cela est du tout déraisonnable. Si, comme à la fin ils l’ont reconnu, il y a
du mal ès Théâtres, les Pasteurs prévariqueraient, et seraient au rang des «
Pour ce qui est de la qualité des répréhensions qu’ils en doivent faire, et de la mesure
qu’ils y doivent garder, les temps, et les lieux les en instruisent, et doivent demander à
Dieu son esprit de sagesse, et de discrétion qui les y adressefb.
Que si par fois ils parlent des Théâtres, et alors se taisent ou des Blasphèmes ou
d’autres crimes tout autrement énormes, c’est que selon que le mal presse la raison veut
qu’on y coure. En général, ils croient avoir Dieu et les hommes pour témoins, que selon la
nécessité, et les occasions, ils ne flattent aucun des vicesfc. Mais comme le nombre en est grand, ils ne
peuvent pas toujours les entreprendre tout à la fois. Or les combattant successivement,
lorsqu’ils se prennent à l’un, en ayant même un juge particulier, ce n’est pas à dire
qu’ils aient fait paix avec les autres, lesquels ils condamneront de même à leur tour, et
selon que le temps aussi et l’occasion les y semondrontfd. Combien donc qu’ilsfe parlent quelquefois des Théâtres,
lorsqu’ils les voient dressés, et qu’on y court en grande foule, et en cet instant-là ne
disent rien des Blasphèmes, ou autres crimes plus détestables, il n’y a rien de perdu, car
ils ne manqueront à d’autres occasions de leur faire aussi leur procès.
Au reste il faut ici soigneusement distinguer, entre la répréhension qu’on fait
généralement des vices et celles qu’on fait d’un
troupeau auquel ils se trouvent, et des personnes d’icelui qui en
peuvent être entachées, et s’y être rendues coupables.
Pour ce qui est des vices en général, la répréhension publique en doit être faite et
dispensée selon qu’ils sont ou plus ou moins graves, pour aux plus grands faire la censure
plus forte et sévère, et l’adresser moindre à ceux aussi qui sont moindres. En cet égard,
certes, et à comparer vice avec vice, sans doute la répréhension des Blasphèmes, ou des
vols, ou des adultères, doit être tout autre que non pas celle du péché qui se commet par
ceux qui vont au Théâtre. De là vient aussi que les Pasteurs s’écrient contre ceux-là
d’une voix tout autrement forte que non pas contre cetui-ci, et en témoignent une bien
plus grande horreur et détestation, jusques à prononcer à ceux qui s’y
opiniâtrent, qu’ils « Chiens muets», s’ils manquaient à le reprendre.
n’hériteront point le Royaume des Cieux» ff », ce qu’on ne leur a jamais ouï dire simplement touchant l’autre péché. Mais si cette règle doit être gardée, lorsqu’il est question de condamner les vices en général, il en va un peu autrement lorsqu’il s’agit des personnes qui en peuvent être coupables. Car la répréhension qu’on en fait doit être dispensée, non pas toujours à proportion de ce qu’ils font en eux, mais de l’éclat qui y est joint, et du Scandale fg qu’ils donnent. Ainsi lorsqu’il y en a de plus grands, mais qui n’appartiennent qu’à peu, et qui encore se cherchent des cachettes, de sorte qu’ils ne sont pas connus, il serait absurde de s’en prendre à un public, qui en est innocent, et en censurer tout un troupeau. A l’opposite, Combien que le péché soit moindre, s’il enveloppe un grand nombre, et est tout public, c’est là que la répréhension de nécessité doit être publique. De là vient donc, qu’en ce fait particulier des Théâtres, les Pasteurs font des censures publiques, et fortes, à ceux qui y courent si opiniâtrement, tandis qu’ils ne censureront pas ainsi en public des particuliers qui auront commis ces autres péchés. Ils en usent ainsi, à cause que ceux qui vont au Théâtre le font en foule publique, à la face du Soleil, et au scandale général de toute l’Eglise ; là où quant à ces autres, ils sont peu en nombre, et outre cela se vont cacher sous la sombre obscurité de la nuit. A la vérité, si comme on court ouvertement et publiquement au Théâtre, il y avait même abordfh pour aller en un lieu infâme, ou à commettre d’autres tels péchés, et si les Pasteurs en ayant connaissance, criaient hautement contre ces premiers, et à l’opposite se taisaient des autres, ou en parlaient mollement, ce serait «
couler le Moucheron et engloutir le Chameau»fi » ; Car, quelque grande que soit la faute de ceux qui vont aux Théâtres, elle n’approche point de l’horreur du crime des autres. Mais posé ce que nous venons de dire, et qui est très constant, que ceux qui commettent ces crimes énormes sont peu en nombre, et se cachent, là où les autres sont une grande multitude, et commettent leur péché avec montre et éclat, la droite raison veut, que comme l’offense de ces premiers est privée, elle soit reprise seulement en privé, combien qu’elle soit plus grande ; et que comme celle des autres est publique, la répréhension aussi en soit publique, combien que d’ailleurs elle soit moindre. Reste de satisfaire pour la clôturefj, à ceux qui nous demandent, si condamnant ainsi les Théâtres, nous voudrions dire, que tous ceux qui y vont fussent damnés ? Mais jà n’advienne que nous eussions cette pensée. Tout au rebours, nous estimons, de la plupart, que s’y laissant al1er par infirmité, et manque de bien savoir le mal qu’ils commettent, comme leur péché est d’ignorance, aussi Dieu leur fera miséricorde. A ce sujet donc, nous faisons pour eux la même prière, que J. C. a faite pour d’autres dont le péché était d’une énormité tout autrement à détester, «
Père Pardonne leur, car ils ne savent ce qu’ils font»fk Que si nous leur annonçons parfois les jugements de Dieu, nous avons plus d’égard aux «
temporels, qui commencent par sa maison», fl et qui sont «
des châtiments pour amender ses enfants qu’il avoue»fm », que non pas aux Eternels. Nous ajoutons ici pourtant, que si entre ceux qui pèchent ainsi par Erreur, il s’en mêlait d’autres, qui entreprissent de dresser une enseigne de rébellionfn en l’Eglise de J.C. et s’obstinassent avec orgueil et audace à en vouloir renverser l’ordre, ils ont tout sujet de penser à eux, vu qu’en effet un tel chemin ne saurait être celui du salut, mais c’est tout notoirement celui qui mène en l’Enfer.
Ce qui reste, c’est que tout ce qu’il y a de vrais fidèles, écoutent là-dessus, non pas
la
voix de leurs désirs, qui sont les partisans du monde, mais celle de la
raison et de leur conscience, pour se retirer de ces lieux, où Dieu est offensé, le vice
enseigné, l’Eglise scandalisée. Et clorons tout ce propos, en leur adressant ces belles
paroles de saint Chrysostome. «
FIN.
Vous ne devez, point, vous qui êtes enfants de l’Eglise, vous dépraver par la vanité des spectacles»., in Psal. 118. fr «
Souvenez-vous que nous vous avons fréquemment admonestés, vous qui êtes participant de la Parole divine, et de la victime mystique, dont on ne se doit approcher qu’avec une révérence craintive, que vous n’eussiez, aucune part aux Théâtres, et vous donnassiez garde de mêler les choses de Dieu, avec celles qui sont du Diable». Serm. 1, de Verbis Esaiæ “vidi Dominum, etc”. fs