SUR
DIFFERENTS SUJETS,
PRECHES
DEVANT LE ROY,
Par le Père Soanen, Prêtre
de l'Oratoire.
tome premier
A LYON
Chez Benoit Duplain, rue Merciere
à l'Aigle d'Or
MDCCLXVIX.
Avec Approbation et Privilege.
LE I. DIMANCHE DE CAREME
Sur les Spectacles.
Et ostendit ei omnia regna mundi, et gloriam eorum.» En vain on s’efforce d’excuser les Théâtres, comme des écoles où l’on épure l’esprit, et où l’on corrige les mœurs ; en vain on tâche de rapprocher leurs maximes de celles de l’Evangile, d’interpréter la Religion en leur faveur : c’est un attentat fait à la morale chrétienne, une blasphème contre la vérité dont toutes les Lois Divines demandent justice, comme d’un crime énorme, et du plus grand scandale qu’il y eut jamais. Les Spectacles sont l’œuvre du Démon ; c’est là qu’il élève son trône et qu’il montre tous les Royaumes du Monde et leur gloire. «
Et ostendit omnia Regna mundi, et gloriam eorum.» Jésus-Christ qui veut bien être tenté dans sa personne, pour nous apprendre à souffrir l’épreuve de la tentation, et à y résister, permet que Satan expose à sa vue tout le vain éclat des richesses et des grandeurs, comme un exemple de ce que ce Père de mensonge doit faire un jour à notre égard. Il veut nous prémunir contre ses traits, et nous prévenir de la séduction avec laquelle cet Ange artificieux nous déguisera les dangers du Théâtre et ses horreurs. Le Démon en effet toujours plein de malice et de ruses, rassemble sur les Théâtres tout ce que le monde à de plus éblouissant. Ici il emploie les paroles, et les sons les plus propres à inspirer l’amour de la volupté ; là il se sert de toutes les livrées du luxe pour étaler le charme des plus brillantes couleurs, et ce mélange qui étonne, et qui ravit, enivre les sens, subjugue l’âme, et vient à bout de corrompre les cœurs. «
Et ostendit omnia regna mundi et gloriam eorum.» Lévites du Seigneur, armez-vous ici de ce saint zèle que la Religion inspire, et faites retentir une voix forte et puissante qui renverse les Théâtres comme la Trompette fit autrefois tomber les murs de Jéricho. Le Théâtre est l’Autel du Démon élevé contre celui de Jésus-Christ, l’Idole de Dagon qui insulte à l’Arche Sainte, l’abomination de la désolation au milieu même du Christianisme. Mais que sera cette voix, Seigneur, si vous ne vous faites vous-même entendre à ces insensés qui, oubliant le magnifique Spectacle de la Terre et des Cieux, n’en connaissent point d’autres que ceux qui leur sont préparés par le Démon ; qui, ne se souvenant plus des promesses de leur Baptême, vont continuellement les abjurer aux pieds des Trophées que le monde érige à la gloire du mensonge et de la volupté, et qui, ne craignant, ni la perte de l’innocence, ni le naufrage dans la foi, s’abandonnent au milieu des plus grands dangers. Saint Chrysostome disait autrefois, si je connaissais ceux qui fréquentent les Théâtres, je les chasserais de l’Eglise, et je leur en interdirais l’entrée, non pour les désespérer, mais pour les corriger, de même que les Pères bannissent les enfants de leurs maisons, lorsqu’ils ont commis des fautes notables, et fait des excès pernicieux. Vous ne vous étonnerez pas de cette sévérité, mes Frères, lorsque vous aurez appris ; Premièrement, que les Spectacles sont les pompes mêmes du monde, et les œuvres du Démon, auxquels vous avez solennellement renoncé dans votre Baptême : Secondement, qu’ils sont les plus terribles écueils pour l’innocence, et pour la vertu. Deux propositions que je vais tâcher de vous démontrer avec toute la force et toute la vérité qu’exige l’importance du sujet. Ave Maria.
Non potestis bibere calicem Domini, et calicem Dæmoniorum.» Ah ! si le Seigneur voulait vous révéler, au milieu même de ces Spectacles que vous fréquentez, quelle est maintenant la destinée de ceux qui les inventèrent, de ceux qui en sont les héros, hélas ! saisis du plus terrible effroi, vous verriez des hommes couverts d’un vêtement de feu, demandant, comme le mauvais riche, une goutte d’eau pour rafraîchir leur langue, maudissant d’une voix épouvantable le moment qui les vit naître, et cherchant dans les abîmes un repos qu’ils ne trouveront jamais. Eh ! plût à Dieu, mes Frères, que ce Spectacle s’offrît à vos yeux, au lieu de celui que vous allez chercher, et que le Dieu terrible et vivant vous convainquît par cette image de sa justice, combien il sera redoutable envers les amateurs des Théâtres, et les Poètes qui contribuent à les entretenir. Mais, sans recourir à ces événements dont la Religion nous garantit la vérité, quoiqu’ils ne s’accomplissent pas sous nos yeux, comment n’êtes-vous pas frappés de tous ces morts qu’on fait en quelque sorte revivre, pour vous intéresser ? Comment ne redoutez-vous pas un plaisir, qu’on ne vous fait sentir qu’en remettant sur la Scène des empereurs, des Rois, des Héros qui ne sont plus, c’est-à-dire, des hommes dont la mémoire doit vous avertir de votre dernière fin, et vous dégoûter pour jamais de tout ce qui respire la mollesse et la vanité ? Mais n’attendons rien d’un Spectacle, où le Démon préside, d’un Spectacle qu’il anime, et qu’il a fait succéder au culte des Idoles. Rien n’y sert qu’à la ruine des Chrétiens, et la vertu même n’y est représentée que d’une manière à la rendre ridicule : aussi voyons-nous qu’il n’y a point d’examen de conscience où l’on ne mette au nombre des actions contraires à la pureté, l’assistance aux Spectacles ; aussi voyons-nous que tous les Confesseurs qui remplissent les devoirs de leur ministère, et qui ne délient les pécheurs que lorsqu’il faut les délier, refusent la grâce de l’absolution à tous ceux qui fréquentent les Théâtres. Ajoutons à tant de vérités que c’est participer à l’excommunication des Comédiens, que de se rendre à leurs assemblées ; que c’est les entretenir dans leur révolte contre l’Eglise, et dans leur impénitence, que de payer leurs actions, et que si l’on doit faire tous ses efforts pour arracher au Démon une âme pour laquelle Jésus-Christ est mort, on ne peut, sans la plus horrible impiété, contribuer à sa damnation. Je ne vous dirai point ici, mes Frères, que vous privez les pauvres de leur substance, lorsque vous dépensez pour les Spectacles ; que vous perdez un temps dont toutes les minutes sont le prix même du sang de Jésus-Christ, et des moyens de salut ; que vous entraînez par votre exemple, des personnes qui se font peut-être un devoir de vous imiter ; et que, quand même les Spectacles ne vous feraient nulle impression, vous répondez devant le Seigneur du mal qu’ils peuvent causer à ceux qui vous suivent, ou que vous y conduisez. Ces vérités ne vous paraîtront point assez fortes pour vous affecter ; cependant, outre que les Spectacles sont ces maximes du monde, et ces pompes de Satan auxquelles vous avez solennellement renoncé dans votre Baptême, comme vous venez de le voir, ils sont encore les plus terribles écueils pour l’innocence et pour la Religion, et c’est ce que je vais vous montrer.
Servire me fecistis iniquitatibus vestris ?» Que ne puis-je rassembler ici sous vos yeux tous ceux dont les Spectacles ont corrompu les mœurs ; tous ceux dont ils ont causé la ruine éternelle ! Les Pères ne savent souvent à qui s’en prendre, lorsque leurs enfants s’abandonnent aux plus grands excès ; les Mères vont chercher dans des circonstances éloignées la cause du scandale de leurs filles ; et c’est le Théâtre, n’en doutez pas, qui a perdu les uns et les autres. C’est là qu’on apprend à tromper un Père sagement économe ; à surprendre la vigilance d’une Mère attentive : à nouer des intrigues avec des domestiques, à en faire des confidents, pour venir à bout d’effectuer de mauvais désirs, et de se livrer aux plus honteuses passions. C’est là qu’on apprend à se ménager des entrevues secrètes avec un Amant passionné, à lui faire parvenir des Lettres et des Billets ; à trouver de l’argent à crédit, et des Usuriers faciles et commodes ; c’est là en un mot qu’on apprend à ne plus rougir, à regarder le crime comme une galanterie, le mensonge comme une adresse, le luxe comme une bienséance, l’obéissance aux parents comme une tyrannie. Ne nous dites pas que les Théâtres sont aujourd’hui châtiés, de manière qu’il n’y a nul risque à les fréquenter. Ah ! cette espèce de voile qu’on met maintenant sur les vices, soit en gazanta les aventures, soit en colorant les expressions, ne sert qu’à exciter d’avantage les désirs déréglés ; et je ne veux que votre propre aveu pour vous en convaincre. Combien de fois ne vous a-t-on pas entendu dire que des objets présentés d’une manière indécente et grossière, étaient mille fois plus propres à vous dégoûter du vice, qu’à vous y attacher ! Mais, vous êtes autant inconséquents que déraisonnables, lorsqu’il s’agit de justifier ce qui flatte vos passions, et ce qui nourrit votre mollesse et votre oisiveté, autrement il y a longtemps que vous auriez vu, avec toute l’Eglise dont vous devez écouter les lois, que les Spectacles sont la ruine des bonnes mœurs. Ne passons pas si légèrement sur l’article de l’Eglise, d’autant mieux qu’elle a sans doute l’autorité de vous commander, et que vous vous révoltez contre elle toutes les fois que vous fréquentez les Théâtres. Sentez-vous toute la force de cet argument que je vous défie d’éluder ? Car ou vous êtes enfants de l’Eglise, ou vous ne l'êtes point, et dans l’un ou l’autre cas votre jugement est prononcé. Ah ! mes Frères, n’y eût-il que la rébellion que vous arborez contre l’Eglise et contre ses Ministres, lorsque vous allez aux Spectacles, vous devriez les regarder avec la plus grande horreur, et frémir au seul aspect de ceux qui voudraient vous y entraîner. Vous nous soutenez toujours qu’il n’y a point de mal ; mais qui, de vous ou des successeurs des Apôtres que vous devez écouter comme Jésus-Christ, et que vous ne pouvez mépriser sans le mépriser lui-même, jugera cette question. Mais qui, de vous ou des dispensateurs des saints mystères établis juges des péchés, chargés de les remettre et de les retenir, décidera ce point important ? Il n’y a plus de moyen de nier, plus lieu de douter. L’Evangile, les Apôtres, les Conciles, les Pères, les Docteurs, tous les Saints ont frappé d’anathème quiconque fréquente les Théâtres. S’ils ne vous font point d’impression, c’est peut-être hélas ! parce que vous êtes tellement corrompus que rien n’est plus capable de vous pervertir ; parce que vous êtes tellement familiarisés avec le crime, que rien ne peut plus vous séduire ; parce que vous êtes rassasiés de ses infâmes voluptés dont l’habitude conduit à l’endurcissement ; parce que le péché qui règne en vous, vous rend insensibles aux plus terribles vérités. Ouvrez les yeux, sortez de votre léthargie, reprenez les sentiments de foi dont vous vous êtes malheureusement dépouillés, et vous reconnaîtrez que ces spectacles que vous excusez avec une espèce de frénésie, sont l’antipode du Christianisme, et que c’est le comble de l’impiété et de la folie de vouloir les justifier comme n’étant contraires ni à l’Evangile ni aux bonnes mœurs. Les Chrétiens sont-ils faits, dit Saint Chrysostome, pour entendre des fables diaboliques, et des airs qui ne respirent que l’impudicité ? Doivent-ils loger le Démon dans la demeure du Saint-Esprit ? Grand Dieu ! quelle génération que la nôtre en comparaison de celle qui fit les beaux jours de l’Eglise ! Alors on craignait jusqu’à l’ombre du mal ; alors on regardait le Théâtre comme une source empoisonnée, et ceux qui en étaient les Acteurs comme les Sacrificateurs du Démon. Y aurait-il donc un double Evangile, l’un pour ces temps-là, et l’autre pour ceux-ci ? Mais qui est-ce qui ne sait pas que les hommes changent ; que la loi de Dieu demeure éternellement, et que par conséquent il est aussi certain aujourd’hui qu’il l’était autrefois, que l’innocence fait presque toujours naufrage au milieu des Spectacles ; qu’on en revient avec le cœur rempli des plaisirs et des vanités du monde, et qu’il n’y a rien qu’on doive plus redouter que leur fréquentation. En vain on veut vous persuader qu’ils rendent l’âme compatissante, et que lorsqu’on verse des pleurs à certains récits, c’est une marque indubitable qu’on est humain et généreux. Eh ! qu’importe à l’humanité, mes Frères, qu’on pleure la mort de César ; qu’on s’afflige des malheurs d’Iphigénie ; qu’on plaigne le sort d’Andromaque ; qu’on gémisse sur des infortunes Romanesques, si l’on est insensible aux maux de son prochain ; si, au sortir même du Théâtre, on brusque les pauvres au lieu de les assister ; si l’on envisage d’un œil sec les misères qui les environnent et les plaies qui les couvrent ? L’humanité ne consiste ni dans des pleurs ni dans des soupirs ; mais dans des actions qui soulagent le malheureux, dans des manières qui le consolent, dans des encouragements qui l’empêchent de s’abattre, et qui le tranquillisent. N’attendez donc des Spectacles que des vices et des erreurs ; et croyez que s’ils sont l’écueil de l’innocence, il sont encore celui de la Religion, seconde raison qui doit vous en inspirer toute l’horreur. Il n’y a qu’un pas à l’incrédulité, quand le cœur est corrompu, dit le Docteur Angéliqueb, et puisque le Théâtre est l’école du libertinage, il doit l’être aussi de l’irréligion. On ne se familiarise point impunément avec les Spectacles, selon l’expression de Saint Bonaventure ; ils conduisent à l’impiété comme au crime, et la chose ne doit pas nous paraître extraordinaire, attendu que la foi s’éteint presque toujours là où les passions dominent. Or, je vous le demande, mes Frères, peut-on dire qu’elles ne règnent pas aux Spectacles, ces Scènes malheureuses où l’on ne déclame que pour séduire ; où l’on ne gesticule que pour mieux insinuer les vices et les faire fermenter ? Aussi voyons-nous que ces incrédules dont le cœur est corrompu, sont les plus grands partisans des Spectacles, les plus célèbres Apologistes du Théâtre. Ils sentent que cette école est nécessaire pour détruire insensiblement l’hommage qu’on doit à Dieu, et soit par leurs discours, soit par leurs écrits, ils font tout ce qu’ils peuvent pour la mettre en honneur. Examinez ceux qui travaillent pour le Théâtre, ceux qui récitent, ceux qui écoutent, et vous trouverez dans le plus grand nombre des personnes qui vivent sans espérance et sans foi. Il est tout naturel qu’à force de voir tout l’étalage des vanités du monde, on oublie le Ciel ; qu’à force d’entendre préconiser l’amour et les plaisirs des sens, on fasse son Dieu de ce qui flatte les passions et la chair. Le cœur séduit commence à désirer qu’il n’y ait point d’enfer, et à la fin il se le persuade. On peut résister à ces sortes d’impressions lorsqu’elles ne sont qu’un sentiment passager excité par la violence de quelque tentation ; mais quand elles naissent d’une circonstance préméditée ; quand elles ont pour principe et pour mobile une chose aussi réfléchie et aussi combinée qu’un Spectacle, alors l’âme ne peut plus se défendre, et elle finit par douter des vérités les plus certaines. Lorsqu’on fréquente le Théâtre, dit Saint Chrysostome, on vient à l’Eglise avec dégoût, on n’y entend qu’avec peine discourir sur la pudeur et la modestie, on ne peut plus souffrir la Prédication et le chant des Psaumes ; et du désir que l’on a que toutes ces choses soient vaines et frivoles, on vient malheureusement à bout de s’en convaincre. Tel a été le commencement, et telle a été la marche de bien des incrédules, qui sont aujourd’hui les Apôtres du Déisme, et qui, pour avoir fréquenté les Spectacles préparent sans s’en défier les voies mêmes à l’Antéchrist. Qu’y a-t-il en général de plus ardent que les Poètes contre la Religion et contre ses dogmes ; c’est-à-dire, ces personnages qui composent des Tragédies ou des Comédies, et qui n’ont pour l’ordinaire qu’une brillante imagination en partage ? Il est difficile de ne pas trouver dans leurs fictions Romanesques, dans leurs morceaux les plus saillants, quelque trait, ou contre la divinité même, ou contre le culte qu’on lui rend. Ils regardent cette impiété comme l’assaisonnement de leurs ouvrages, et ils s’en font un jeu. Hélas ! vous n’avez vu que trop souvent dans les cercles applaudir à ces malheureux vers qui insultaient à la Majesté suprême, et qu’on avait eu l’audace de réciter en plein Théâtre. C’est ainsi qu’on sème l’incrédulité, et que sous prétexte de louer une saillie, on fait souvent l’éloge d’un blasphème. Que résulte-t-il de ces maux, si ce n’est des malheurs plus grands encore ? En effet le temps de la Confession arrive, et comme on sent qu’on ne veut pas interrompre la coutume d’aller au Théâtre, on s’éloigne des Sacrements, et l’on finit par n’en plus recevoir ; mais, afin que les remords ne viennent pas troubler les plaisirs, ni la fausse sécurité dans laquelle on veut vivre, on cherche avec avidité, soit dans les livres des impies, soit dans leurs discours, des prétextes pour ne plus rien croire. De ce terrible état on passe à des railleries sur l’Eglise et sur ses Ministres, à un mépris général pour tout ce qu’elle prescrit : et voilà, mes Frères, comment les Spectacles sont ordinairement une source d’incrédulité. Si les choses ne vont pas jusqu’à cette extrémité, et si l’on conserve encore quelques étincelles de foi, ce n’est plus qu’une foi morte, une foi qu’on trouve le moyen d’allier avec la pratique extérieure de la loi. Ainsi l’on fait l’éloge du Christianisme, et l’on n’a plus d’âme que pour les plaisirs ; ainsi l’on passe alternativement du Bal au Salut, de la Sainte Table au Théâtre où l’on ose venir avec les lèvres encore teintes du sang de Jésus-Christ ; ainsi l’on s’abandonne à une vicissitude de Confessions et de rechutes, et l’on croit avoir tout gagné, ou parce qu’on a malheureusement trouvé un Confesseur cruellement indulgent, selon l’expression de Saint Cyprien, ou parce qu’on a contracté l’affreuse habitude de ne plus s’accuser de la fréquentation des Théâtres. Terrible état ! où l’on s’imagine être vivant, et où l’on est véritablement mort, état où l’on persévère ordinairement jusqu’à la fin des jours, état qui est celui du plus grand nombre ; et Dieu veuille, mes Frères, que ce ne soit pas le vôtre, et qu’actuellement même que je vous fais voir le danger des Spectacles, vous ne murmuriez pas en secret contre la sévérité de cette morale, comme si elle n’était pas celle de l’Evangile, et comme si j’exagérais sur cette matière, uniquement à dessein de vous effrayer. A Dieu ne plaise que je donne dans de pareils excès ! J’ai appris de l’Apôtre Saint Jean, que quiconque ajoute un seul iota aux Livres Saints, doit s’attendre à être retranché pour jamais du Livre de vie, et si je suis coupable aux yeux de celui qui sonde les cœurs et les reins, ce sera plutôt pour avoir adouci les expressions des Saints Pères, dans la crainte d’effaroucher un siècle aussi lâche que le nôtre ; car il est bon que vous sachiez que les Cyprien, les Jérôme, les Basile, les Chrysostome, les Augustin, ont tous parlé de l’assistance au Théâtre, comme d’une véritable Apostasie. Vous me répondrez peut-être, qu’il faut donc se retirer dans les déserts. Eh ! quand vous prendriez ce parti, mes Frères, vous ne feriez que ce qu’ont fait tant d’illustres Pénitents qui avaient une âme à sauver comme vous : mais je sais que ce genre de vie ne convient pas à tout le monde, et s’il est vrai qu’on se sanctifie dans la solitude, il n’est pas moins certain qu’on obtient la même grâce au milieu des Villes et des Cours. L’Evangile est pour toutes les conditions et pour tous les états ; mais ce n’est ni en suivant le torrent du siècle, ni en se conformant à ses maximes, qu’on peut arriver au Royaume des Cieux. Si l’on objecte que les Spectacles sont permis, cette objection n’empêche pas qu’ils ne soient dangereux. Il y a des choses même autorisées par les lois, que la conscience ne permet pas d’adopter. La prescription vous donne le bien de votre voisin, si depuis trente ans vous avez une possession non interrompue ; mais profiterez-vous de cet avantage quand vous serez intérieurement convaincu qu’il ne vous appartient pas ? Les Gouvernements tolèrent des lieux que la seule bienséance ne permet pas de nommer ; mais les fréquenterez-vous, pour peu que vous respectiez la décence, et que vous ayez des mœurs ? Ce n’est point à vous, mon Frère, à réformer les abus ou les usages qui sont dans l’Univers ; mais c’est à vous à les rejeter si tôt qu’ils ne s’accordent pas avec l’Evangile, cette règle toujours vivante sur laquelle nous serons tous jugés. C’est dans ce Livre, et non ailleurs, que je puise, ô mon Dieu, les grandes vérités que j’ose annoncer ici en votre nom ; c’est dans ce Livre qu’on trouve les plus fortes preuves contre les Spectacles et contre ceux qui les fréquentent ; Livre éternel, Livre divin, où chaque page est un Arrêt qui proscrit les Théâtres comme étant la ruine de la Religion. Quel est l’homme d’entre vous, mes Frères, qui voulût mourir à la Comédie, et qui osât à ce dernier moment offrir à Dieu son assistance aux Spectacles, comme une œuvre méritoire ? Hélas, il n’y a personne qui ne reconnaisse alors que c’est véritablement un péché de fréquenter les Théâtres, et qui ne demande pardon au Seigneur d’y avoir été. La mort est le moment qui dessille les yeux, et l’on peut s’en rapporter à ce que la conscience reproche alors. Mais que de remords étouffés pendant qu’on jouit d’une bonne santé ! que de personnes qui pensent intérieurement comme nous sur le danger des Spectacles, et qui attendent à la mort à se repentir de les avoir suivis ! La vérité ne doit-elle donc se faire entendre qu’au moment où l’on ne peut presque plus parler, et faudra-t-il perdre son âme pour un respect tout humain ? Je conçois bien, mes Frères, que Dieu vous ayant donné des désirs et des yeux, vous devez naturellement souhaiter des Spectacles. Mais ne savez-vous pas que la Providence y a magnifiquement pourvu ? et afin de n’en pas douter, considérez ce firmament où les étoiles comme en sentinelle attendent les ordres du Dieu qui les conduit ; contemplez ce soleil qui, toujours ancien et toujours nouveau, vous offre journellement l’image des plus brillantes couleurs et des plus superbes décorations ; regardez cette lune qui, par la douceur de sa lumière, donne à la nuit même des beautés que tout l’art des Peintres ne peut imiter ; voyez cette terre qui, par la plus admirable variété, se couvre successivement de fleurs et de fruits, et paraît un assemblage d’émeraudes, de saphirs et de rubis ; fixez la majesté de ces mers qui promenant leurs flots d’un bout du monde à l’autre, transportent les richesses et les passions des humains, et qui toujours prêtes à engloutir la terre, se voient continuellement arrêtées par un seul grain de sable que le Tout-Puissant oppose à leur fureur ; enfin considérez-vous vous-mêmes, admirez les merveilles qui résultent de l’union de votre âme avec votre corps, et donnez à vos pensées un essor qui les conduise à ces espaces immenses, et à ces jours éternels pour lesquels nous sommes nés. Voilà, mes Frères, les Spectacles du Chrétien, les Spectacles du Philosophe, les Spectacles de tout homme qui réfléchit. Si vous ne les trouvez pas assez touchants, et si vous aimez ces événements qui intéressent l’âme qui remuent le cœur et qui arrachent des pleurs, ah ! lisez l’histoire de Joseph, celle de Moïse, celle des Machabées, histoires si attendrissantes, si supérieures à toutes les fictions, que ceux mêmes qui ont voulu les mettre en vers, et qui ont cru les embellir, les ont défigurées ; lisez les souffrances de Jésus-Christ, les circonstances de sa douloureuse Passion, celles de son ignominieux Crucifiement, et si vous ne versez pas des larmes, c’est que votre cœur n’a de sentiment que pour les crimes et pour les fables. Lisez les Actes des Martyrs, et c’est là que vous verrez des membres palpitants sur des roues ; des corps mis en pièces par la rage des bourreaux ; des têtes séparées de leur tronc par l’activité d’un feu dévorant ; des hommes tout vivants couverts de bitume et de poix, allumés comme des torches pour servir de lumière aux passants ; des hommes exposés dans les Cirques et dans les Amphithéâtres, à la férocité des Tigres et des Lions, comme un Spectacle propre à amuser le Peuple et les Empereurs. C’est là que vous verrez des mères qui encouragent elles-mêmes leurs filles à la mort, et qui considèrent leurs tourments avec une intrépidité que tout l’Univers ne peut entamer ; des vieillards qui se traînent avec joie au milieu des pierres et des injures, pour aller terminer leurs jours par les plus affreux supplices, et menacer les tyrans de la colère céleste. Si enfin tous ces objets ne sont pas capables de vous frapper, retournez donc à vos Spectacles lascifs et scandaleux ; mais allez auparavant renoncer à votre baptême à la face de ces mêmes Autels, que vous prîtes autrefois à témoin des promesses que vous faisiez au Seigneur ; allez effacer le registre où vous êtes inscrits comme Chrétiens ; arborez publiquement la révolte contre l’Eglise dans le sein de laquelle vous êtes nés ; choisissez le Démon pour votre père, les Enfers pour votre héritage, et n’attendez plus de Dieu ni grâce ni miséricorde. Mais, ne permettez pas, Seigneur, que ces malheurs se réalisent. Rétablissez plutôt, ô mon Dieu, la gloire de votre culte ; faites que tous les Chrétiens se souviennent de la grâce de leur vocation ; qu’ils abhorrent les Spectacles comme absolument contraires à votre sainte Religion, et qu’ils n’en connaissent point d’autre que la contemplation de ce Royaume céleste où nous devons tous aspirer. Ainsi soit-il.