Jeux de Théâtre, où le Comédien a plus de part que le Poète, et dont la beauté consiste, presque toute dans l’action» : ce qui fait rire en sa bouche, fait souvent pitié sur le papier, et l’on peut dire que ses Comédies ressemblent à ces femmes qui font peur en déshabillé, et qui ne laissent pas de plaire quand elles sont ajustées, ou à ces petites tailles, qui ayant quitté leurs patins, ne sont plus qu’une partie d’elles-mêmes. Je laisse là ces Critiques qui trouvent à redire à sa voix et à ses gestes, et qui disent qu’il n’y a rien de naturel en lui, que ses postures sont contraintes, et qu’à force d’étudier ses grimaces, il fait toujours la même chose ; car il faut avoir plus d’indulgence pour des gens qui prennent peine à divertir le public, et c’est une espèce d’injustice d’exiger d’un homme plus qu’il ne peut, et de lui demander des agréments que la Nature ne lui a pas accordés : outre qu’il y a des choses qui ne veulent pas être vues souvent, et il est nécessaire que le temps en fasse perdre la mémoire ; afin qu’elles puissent plaire une seconde fois : Mais quand cela serait vrai, l’on ne pourrait dénier que Molière n’eût bien de l’adresse ou du bonheur de débiter avec tant de succès sa fausse monnaie, et de duper tout Paris avec de mauvaises Pièces. Voilà en peu de mots ce que l’on peut dire de plus obligeant et de plus avantageux pour Molière : et certes, s’il n’eût joué que les Précieuses, et s’il n’en eût voulu qu’aux petits Pourpoints et aux grands Canons, il ne mériterait pas une censure publique, et ne se serait pas attiré l’indignation de toutes les personnes de piété : mais qui peut supporter la hardiesse d’un Farceur, qui fait plaisanterie de la Religion, qui tient École du Libertinage, et qui rend la Majesté de Dieu le jouet d’un Maître et d’un Valet de Théâtre, d’un Athée qui s’en rit, et d’un Valet plus impie que son Maître qui en fait rire les autres. Cette pièce a fait tant de bruit dans Paris ; elle a causé un scandale si public, et tous les gens de bien en ont ressenti une si juste douleur, que c’est trahir visiblement la cause de Dieu, de se taire dans une occasion où sa Gloire est ouvertement attaquée, où la Foi est exposée aux insultes d’un Bouffon qui fait commerce de ses Mystères, et qui en prostitue la sainteté : où un Athée foudroyé en apparence, foudroie en effet tous les fondements de la Religion, à la face du Louvre, dans la Maison d’un Prince Chrétien, à la vue de tant de sages Magistrats et si zélés pour les intérêts de Dieu, en dérision de tant de bons Pasteurs, que l’on fait passer pour des Tartuffe, et dont l’on décrie artificieusement la conduite : mais principalement sous le Règne du plus Grand et du plus Religieux Monarque du Monde : cependant que ce généreux Prince occupe tous ses soins à maintenir la Religion, Molière travaille à la détruire : le Roi abat les Temples de l’Hérésie, et Molière élève des Autels à l’Impiété, et autant que la vertu du Prince s’efforce d’établir dans le cœur de ses Sujets le Culte du vrai Dieu par l’exemple de ses actions ; autant l’humeur libertine de Molière tâche d’en ruiner la créance dans leurs esprits, par la licence de ses Ouvrages. Certes, il faut avouer que Molière est lui-même un Tartuffe achevé, et un véritable Hypocrite, et qu’il ressemble à ces Comédiens, dont parle Sénèque, qui corrompaient de son temps les mœurs, sous prétexte de les réformer, et qui sous couleur de reprendre le vice, l’insinuaient adroitement dans les esprits : et ce Philosophe appelle ces sortes de gens des Pestes d’Etat, et les condamne au bannissement et aux supplices. Si le dessein de la Comédie est de corriger les hommes en les divertissant, le dessein de Molière est de les perdre en les faisant rire ; de même que ces Serpents, dont les piqûres mortelles répandent une fausse joie sur le visage de ceux qui en sont atteints. La naïveté malicieuse de son Agnès, a plus corrompu de Vierges que les Écrits les plus licencieux : Son Cocu imaginaire est une invention pour en faire de véritables, et plus de femmes se sont débauchées à son École, qu’il n’y en eut autrefois de perdues à l’École de ce Philosophe qui fut chassé d’Athènes, et qui se vantait que personne ne sortait chaste de sa leçon. Ceux qui ont la conduite des âmes, savent les désordres que ces Pièces causent dans les consciences, et faut-il s’étonner s’ils animent leur zèle, et s’ils attaquent publiquement celui qui en est l’Auteur, après l’expérience de tant de funestes chutes. Toute la France a l’obligation à feu Monsieur le Cardinal de Richelieu d’avoir purifié la Comédie, et d’en avoir retranché ce qui pouvait choquer la pudeur, et blesser la chasteté des oreilles ; il a réformé jusques aux habits et aux gestes de cette Courtisane, et peu s’en est fallu qu’il ne l’ait rendue scrupuleuse. Les Vierges et les Martyrs ont paru sur le Théâtre, et l’on faisait couler insensiblement dans l’âme la pudeur et la Foi, avec le plaisir et la joie. Mais Molière a ruiné tout ce que ce sage Politique avait ordonné en faveur de la Comédie, et d’une fille vertueuse, il en a fait une hypocrite. Tout ce qu’elle avait de mauvais, avant ce grand Cardinal, c’est qu’elle était coquette et libertine ; elle écoutait tout indifféremment, et disait de même, tout ce qui lui venait à la bouche ; son air lascif et ses gestes dissolus rebutaient tous les gens d’honneur, et l’on n’eût pas vu en tout un siècle une honnête femme lui rendre visite. Molière fait pis, il a déguisé cette Coquette, et sous le voile de l’hypocrisie, il a caché ses obscénités et ses malices : tantôt il l’habille en religieuse, et la fait sortir d’un Couvent, ce n’est pas pour garder plus étroitement ses vœux : tantôt il la fait paraître en Paysanne, qui fait bonnement la révérence, quand on lui parle d’amour : quelquefois c’est une innocente qui tourne par des équivoques étudiées l’esprit à de sales pensées, et Molière le fidèle Interprète de sa naïveté tâche de faire comprendre par ses postures, que cette pauvre Niaise n’ose exprimer par ses paroles : sa Critique est un Commentaire pire que le Texte, et un supplément de malice à l’ingénuité de son Agnès, et confondant enfin l’hypocrisie avec l’impiété, il a levé le masque à sa fausse dévote, et l’a rendue publiquement impie et sacrilège. Je sais que l’on ne tombe pas tout d’un coup dans l’Athéisme : on ne descend que par degrés dans cet abîme, on n’y va que par une longue suite de vices, et que par un enchaînement de mauvaises actions qui mènent de l’une à l’autre. L’Impiété qui craint le feu, et qui est condamnée par toutes les Lois, n’a garde d’abord de se rebeller contre Dieu, ni de lui déclarer la guerre ; elle a sa prudence et sa politique, ses tours et ses détours, ses commencements et ses progrès. Tertullien dit que la Chasteté et la Foi ont une alliance très étroite ensemble, que le Démon attaque ordinairement la pudeur des Vierges avant que de combattre leur Foi, et qu’elles n’abandonnent l’une, qu’après la perte de l’autre. L’impie qui est l’organe du Démon, tient les mêmes maximes ; il insinue d’abord quelque proposition libertine, il corrompt les mœurs, et raille ensuite des Mystères, il tourne en ridicule le Paradis et l’Enfer, il décrie la dévotion sous le nom d’hypocrisie, il prend Dieu à parti, et fait gloire de son impiété à la vue de tout un peuple.
C’est par ces degrés que Molière a fait monter l’Athéisme sur le Théâtre, et
après avoir répandu dans les âmes ces poisons funestes, qui étouffent la pudeur
et la honte ; après avoir pris soin de former des Coquettes, et de donner aux
filles des instructions dangereuses ;
après des Écoles fameuses
d’impureté, il en a tenu d’autres pour le libertinage, et il marque visiblement
dans toutes ses Pièces le caractère de son esprit : il se moque également du
Paradis et de l’Enfer, et croit justifier suffisamment ses railleries sa Critique., en
les faisant sortir de la bouche d’un étourdi : «
ces paroles d’Enfer et de chaudières bouillantes, sont assez justifiées par l’extravagance d’Arnolphe, et par l’innocence de celle à qui il parleb ». Et voyant qu’il choquait toute la Religion, et que tous les gens de bien lui seraient contraires, il a composé son Tartuffe, et a voulu rendre les dévots des ridicules ou des hypocrites : il a cru qu’il ne pouvait défendre ses maximes, qu’en faisant la Satire de ceux qui les pouvaient condamner. Certes, c’est bien à faire à Molière de parler de la dévotion, avec laquelle il a si peu de commerce, et qu’il n’a jamais connue ni par pratique ni par théorie. L’hypocrite et le dévot ont une même apparence, ce n’est qu’une même chose dans le public, il n’y a que l’intérieur qui les distingue, et afin de «
ne point laisser d’équivoque, et d’ôter tout ce qui peut confondre le bien et le mal»c, il devait faire voir ce que le Dévot fait en secret, aussi bien que l’hypocrite. Le dévot jeûne, pendant que l’hypocrite fait bonne chère, il se donne discipline et mortifie ses sens, pendant que l’autre s’abandonne aux plaisirs, et se plonge dans le vice et la débauche à la faveur des ténèbres : l’homme de bien soutient la Chasteté chancelante, et la relève lorsqu’elle est tombée, au lieu que l’autre dans l’occasion, tâche à la séduire, ou à profiter de sa chute. Et comme d’un côté Molière enseigne à corrompre la pudeur, il travaille de l’autre à lui ôter tous les secours qu’elle peut recevoir d’une véritable et solide piété.
Son Avarice ne contribue pas peu à échauffer sa veine, contre la Religion.
«
Je connais son humeur, il ne se soucie pas qu’on fronde ses Pièces, pourvu qu’il y vienne du monde». Il sait que les choses défendues irritent le désir, et il sacrifie hautement à ses intérêts tous les devoirs de la piété : C’est ce qui lui fait porter avec audace la main au Sanctuaire, et il n’est point honteux de lasser tous les jours la patience d’une grande Reine, qui est continuellement en peine de faire réformer ou supprimer ses Ouvragese. Il est vrai que la foule est grande à ses Pièces, et que la curiosité y attire du monde de toutes parts : mais les gens de bien les regardent comme des Prodiges, ils s’y arrêtent de même qu’aux Eclipses et aux Comètes : parce que c’est une chose inouïe en France de jouer la Religion sur un Théâtre, et Molière a très mauvaise raison de dire, qu’il n’a fait que traduire cette Pièce de l’Italien, et la mettre en Français : car je lui pourrais répartir que ce n’est point là notre coutume, ni celle de l’Église : l’Italien a des vices et des libertés que la France ignore, et ce Royaume très Chrétien a cet avantage sur tous les autres, qu’il s’est maintenu toujours dans la pureté de la Foi, et dans un respect inviolable de ses Mystères. Nos Rois qui surpassent en grandeur et en piété tous les Princes de la terre, se sont montrés très sévères en ces rencontres, et ils ont armé leur justice et leur zèle autant de fois qu’il s’est agi de soutenir l’honneur des Autels, et d’en venger la profanation. Où en serions-nous, si Molière voulait faire des Versions de tous les mauvais Livres Italiens, et s’il introduisait dans Paris toutes les pernicieuses coutumes des Pays Etrangers : et de même qu’un homme qui se noie, se prend à tout, il ne se soucie pas de mettre en compromis l’honneur de l’Église pour se sauver, et il semble à l’entendre parler qu’il ait un Bref particulier du Pape pour jouer des Pièces ridicules, et que Monsieur le Légat ne soit venu en France, que pour leur donner son approbationf.
Je n’ai pu m’empêcher de voir cette Pièce aussi bien que les autres, et je m’y
suis laissé entraîner par la foule, d’autant plus librement, que Molière se
plaint qu’on le condamne sans le connaître, et que l’on censure
ses
Pièces sans les avoir vues ; mais je trouve que sa plainte est aussi injuste,
que sa Comédie est pernicieuse ; que sa Farce, après l’avoir bien
considérée dans sa
Requête.
[NDE] Par ce terme, l’auteur désigne le premier Placet au roi sur le Tartuffe. Molière s’en prend au « curé de... », en lui reprochant de lancer les pires accusations sans même connaître ce qu’il attaque : « ma comédie, sans l’avoir vue, est diabolique, et diabolique mon cerveau ». Cet adversaire est Pierre Roullé, curé de Saint-Barthélémy, auteur du pamphlet anonyme, Le Roy glorieux au monde. Ou Louis XIV, le plus glorieux de tous les Roys au monde (s.l., 1664), qui qualifie Molière ainsi : « Un homme, ou plutôt un Démon vêtu de chair et habillé en homme et le plus signalé impie et libertin qui fut jamais dans les siècles passés, avait eu assez d’impiété et d’abomination pour faire sortir de son esprit diabolique une pièce toute prête d’être rendue publique, en la faisant monter sur le Théâtre, à la dérision de toute l’Église, et au mépris du caractère le plus sacré et de la fonction la plus divine, et au mépris de ce qu’il y a de plus saint dans l’Église, etc. » Le pamphlet a été pilonné, apparemment sur ordre de Louis XIV. Il semble qu’il n’en reste qu’un seul exemplaire mais il a été réédité par P. Lacroix (Genève, Gay et fils, 1867)., est vraiment diabolique, et vraiment «
[NDE] La scène du pauvre (acte III, scène 2) a effectivement été en grande partie supprimée après la première représentation. : un Libertin qui séduit autant de filles qu’il en rencontre : un Enfant qui se moque de son Père, et qui souhaite sa mort : un Impie qui raille le Ciel, et qui se rit de ses foudres : un Athée qui réduit toute la Foi à deux et deux sont quatre, et quatre et quatre sont huit : un Extravagant qui raisonne grotesquement de Dieu, et qui par une chute affectée «
Il y a quatre sortes d’impies qui combattent la Divinité : les uns déclarés qui
attaquent hautement la Majesté de Dieu, avec le blasphème dans la bouche : les
autres cachés qui l’adorent en apparence, et qui le nient dans le fond du cœur :
Il y en a qui croient un Dieu par manière d’acquit, et qui le faisant ou aveugle
ou impuissant, ne le craignent pas : les derniers enfin plus dangereux que tous
les autres,
ne défendent la Religion que pour la détruire, ou en
affaiblissant malicieusement ses preuves, ou en ravalant adroitement la dignité
de ses Mystères. Ce sont ces quatre sortes d’impiétés que Molière a étalées dans
sa Pièce, et qu’il a partagées entre le Maître et le Valet. Le Maître est Athée
et Hypocrite, et le Valet est Libertin et Malicieux. L’Athée se met au-dessus de
toutes choses, et ne croit point de Dieu : l’Hypocrite garde les apparences, et
au fond il ne croit rien : le Libertin a quelque sentiment de Dieu, mais il n’a
point de respect pour ses ordres, ni
de crainte pour ses foudres :
et le malicieux raisonne faiblement, et traite avec bassesse et en ridicule les
choses saintes : voilà ce qui compose la Pièce de Molière. Le Maître et le Valet
jouent la Divinité différemment : le Maître attaque avec audace, et le Valet
défend avec faiblesse : le Maître se moque du Ciel, et le Valet se rit du foudre
qui le rend redoutable : le Maître porte son insolence jusqu’au Trône de Dieu,
et le Valet donne du nez en terre, et devient camus avec son raisonnement : le
Maître ne croit rien, et le Valet ne croit que le Moine Bouru : et Molière ne
peut
parer au juste reproche qu’on lui peut faire d’avoir mis la
défense de la Religion dans la bouche d’un Valet impudent, d’avoir exposé la Foi
à la risée publique, et donné à tous ses Auditeurs des Idées du Libertinage et
de l’Athéisme, sans avoir eu soin d’en effacer les impressions. Et où a-t-il
trouvé qu’il fût permis de mêler les choses saintes avec les profanes, de
confondre la créance des Mystères avec celle du Moine Bouru, de parler de Dieu
en bouffonnant, et de faire une Farce de la Religion : il devait pour le moins
susciter quelque Acteuro pour soutenir la
Cause de Dieu, et
défendre sérieusement ses intérêts : il fallait réprimer l’insolence du Maître
et du Valet, et réparer l’outrage qu’ils faisaient à la Majesté Divine : il
fallait établir par de solides raisons les Vérités qu’il décrédite par des
railleries : il fallait étouffer les mouvements d’impiété que son Athée fait
naître dans les Esprits : Mais le Foudre
p. Mais le Foudre est un Foudre en peinture, qui
n’offense point le Maître, et qui fait rire le Valet ; et je ne crois pas qu’il
fût à propos, pour l’édification de l’Auditeur, de se gausser du châtiment de
tant de crimes, ni qu’il y eût
sujet à Sganarelle de railler en
voyant son Maître foudroyé ; puisqu’il était complice de ses crimes, et le
ministre de ses infâmes plaisirs.
Molière devrait rentrer en lui-même, et considérer qu’il est très dangereux de se
jouer à Dieu, que l’impiété ne demeure jamais impunie, et que si elle échappe
quelquefois aux feux de la Terre, elle ne peut éviter ceux du Ciel ; qu’un abîme
attire un autre abîme, et que les Foudres de la Justice divine ne ressemblent
pas à ceux du Théâtre : ou pour le moins s’il a perdu tout respect pour le Ciel
(ce que pieusement je ne veux pas
croire) il ne soit pas abusé de la
bonté d’un grand Prince, ni de la piété d’une Reine si Religieuse, à qui il est
à charge, et dont il fait gloire de choquer les sentimentsq. L’on sait qu’il se vante hautement qu’il fera paraître son Tartuffe d’une façon ou d’autre, et le déplaisir que cette grande
Reine en a témoigné, n’a pu faire impression sur son esprit, ni mettre des
bornes à son insolence. Mais s’il lui restait encore quelque ombre de pudeur, ne
lui serait-il pas fâcheux d’être en butte à tous les gens de bien, de passer
pour un libertin dans l’esprit de tous les Prédicateurs, et d’entendre toutes
les
langues que le Saint Esprit anime, déclamer contre lui dans les
Chaisesr, et condamner publiquement ses
nouveaux blasphèmes ? et que peut-on espérer d’un homme qui ne peut être ramené
à son devoir, ni par la considération d’une Princesse si vertueuse et si
puissante, ni par les intérêts de l’honneur, ni par les motifs de son propre
salut.
[NDE] Par ce terme, l’auteur désigne le premier Placet au roi sur le Tartuffe. Molière s’en prend au « curé de... », en lui reprochant de lancer les pires accusations sans même connaître ce qu’il attaque : « ma comédie, sans l’avoir vue, est diabolique, et diabolique mon cerveau ». Cet adversaire est Pierre Roullé, curé de Saint-Barthélémy, auteur du pamphlet anonyme, Le Roy glorieux au monde. Ou Louis XIV, le plus glorieux de tous les Roys au monde (s.l., 1664), qui qualifie Molière ainsi : « Un homme, ou plutôt un Démon vêtu de chair et habillé en homme et le plus signalé impie et libertin qui fut jamais dans les siècles passés, avait eu assez d’impiété et d’abomination pour faire sortir de son esprit diabolique une pièce toute prête d’être rendue publique, en la faisant monter sur le Théâtre, à la dérision de toute l’Église, et au mépris du caractère le plus sacré et de la fonction la plus divine, et au mépris de ce qu’il y a de plus saint dans l’Église, etc. » Le pamphlet a été pilonné, apparemment sur ordre de Louis XIV. Il semble qu’il n’en reste qu’un seul exemplaire mais il a été réédité par P. Lacroix (Genève, Gay et fils, 1867)., est vraiment diabolique, et vraiment «
diabolique est son cerveau», et que rien n’a jamais paru de plus impie, même dans le Paganisme. Auguste fit mourir un Bouffon qui avait fait raillerie de Jupiter, et défendit aux femmes d’assister à des Comédies plus modestes que celles de Molièreh. Théodose condamna aux Bêtes des Farceurs qui tournaient en dérision nos Cérémonies ; et néanmoins cela n’approche point de l’emportement de Molière, et il serait difficile d’ajouter quelque chose à tant de crimes dont sa Pièce est remplie. C’est là que l’on peut dire que l’impiété et le libertinage se présentent à tous moments à l’imagination : une Religieuse débauchée, et dont l’on publie la prostitution : un Pauvre à qui l’on donne l’aumône, à condition de renier Dieu la première représentation.
[NDE] La scène du pauvre (acte III, scène 2) a effectivement été en grande partie supprimée après la première représentation. : un Libertin qui séduit autant de filles qu’il en rencontre : un Enfant qui se moque de son Père, et qui souhaite sa mort : un Impie qui raille le Ciel, et qui se rit de ses foudres : un Athée qui réduit toute la Foi à deux et deux sont quatre, et quatre et quatre sont huit : un Extravagant qui raisonne grotesquement de Dieu, et qui par une chute affectée «
casse le nez à ses argumentsj» : un Valet infâme fait au badinage de son Maître, dont toute la créance aboutit au Moine Bouru : «
car pourvu que l’on croie le Moine Bouru, tout va bien, le reste n’est que Bagatellek » ; un Démon qui se mêle dans toutes les Scènes, et qui répand sur le Théâtre les plus noires fumées de l’Enfer : et enfin un Molière pire que tout cela, habillé en Sganarelle, qui se moque de Dieu et du Diable ; qui joue le Ciel et l’Enfer, qui souffle le chaud et le froid, qui confond la vertu et le vice : qui croit et ne croit pas, qui pleure et qui rit, qui reprend et qui approuve, qui est Censeur et Athée, qui est hypocrite et libertin, qui est homme et démon tout ensemble : «, comme lui-même se définit. Et cet homme de bien appelle cela corriger les mœurs des hommes en les divertissant, donner des exemples de vertu à la jeunesse, réprimer galamment les vices de son siècle, traiter sérieusement les choses saintes ; et couvre cette belle morale d’un feu de charte, et d’un foudre imaginaire, et aussi ridicule que celui de Jupiter, dont Tertullien raille si agréablement ; et qui bien loin de donner de la crainte aux hommes, ne pouvait pas chasser une mouche ni faire peur à une souris : en effet, ce prétendu foudre apprête un nouveau sujet de risée aux Spectateurs, et n’est qu’une occasion à Molière pour braver en dernier ressort la Justice du Ciel, avec une âme de Valet intéressée, en criant «un Diable incarné»
mes gages, mes gagesm » : car voilà le dénouement de la Farce : ce sont les beaux et généreux mouvements qui mettent fin à cette galante Pièce, et je ne vois pas en tout cela, où est l’esprit ? puisqu’il avoue lui-même «
qu’il n’est rien plus facile que de se guinder sur des grands sentiments, de dire des injures aux Dieuxn », et de cracher contre le Ciel.
Certes Molière n’est-il pas digne de pitié ou de risée, et n’y a-t-il pas sujet
de plaindre son aveuglement, ou de rire de sa folie, lorsqu’il dit sa Requête.
[NDE] Dans le premier Placet, Molire dit effectivement que sa Majesté « juge bien elle-même combien il m’est fâcheux de me voir exposé tous les jours aux insultes de ces messieurs ; quel tort me feront dans le monde de telles calomnies, s’il faut qu’elles soient tolérées »., «
Nous avons l’obligation aux soins de notre glorieux et invincible
Monarque, d’avoir nettoyé ce Royaume de la plupart des vices qui ont corrompu
les mœurs des siècles passés, et qui ont livré de si rudes assauts à la vertu de
nos Pères. Sa Majesté ne s’est pas contentée de donner la paix à la France, elle
a voulu songer à son salut, et réformer son intérieur : elle l’a délivrée de ces
monstres qu’elle nourrissait dans son sein, et de ces ennemis domestiques qui
troublaient sa conscience et son repos : elle en a désarmé une partie : elle a
étouffé l’autre, et les a mis tous hors d’état de nous nuire.
L’Hérésie qui a fait tant de ravages dans cet Etat, n’a plus de mouvement ni
de force, et si elle respire encore, s’il lui reste quelque marque de vie, l’on
peut dire avec assurance qu’elle est aux abois, et qu’elle tire continuellement
à sa fin. La fureur du Duel qui ôtait à la France son principal appui, et qui
l’affaiblissait tous les jours par des saignées mortelles et dangereuses, a été
tout d’un coup arrêtée par la rigueur des Edits. Cet art de jurer de bonne
grâce, qui passait pour un agrément du discours dans la bouche d’une jeunesse
étourdie, n’est plus en usage, et ne trouve plus ni de
Maîtres qui
l’enseignent, ni de Disciples qui la veuillent pratiquer : Mais le zèle de ce
grand Roi n’a point donné de relâche ni de trêve à l’Impiété : il l’a poursuivie
partout où il l’a pu découvrir, et ne lui a laissé en son Royaume aucun lieu de
retraite : il l’a chassée des Églises où elle allait morguer insolemment la
Majesté de Dieu jusque sur les Autels : il l’a bannie de la Cour, où elle
entretenait sourdement des pratiques : il a châtié ses partisans : il a ruiné
ses écoles : il a condamné hautement ses maximes : il l’a reléguée dans les
Enfers où elle a pris son origine.
Et néanmoins, malgré tous les
soins de ce grand Prince, elle retourne aujourd’hui comme en triomphe dans la
ville Capitale de ce Royaume, elle monte avec impudence sur le Théâtre, elle
enseigne publiquement ses détestables maximes, et répand partout l’horreur du
sacrilège et du blasphème : Mais nous avons tout sujet d’espérer que ce même
Bras qui est l’appui de la Religion, abattra tout à fait ce Monstre, et
confondra à jamais son insolence. L’injure qui est faite à Dieu rejaillit sur la
face des Rois, qui sont ses Lieutenants et ses Images, et le Trône des Rois
n’est affermi que par celui de
Dieu. Il ne faut qu’un homme de bien,
quand il a la puissance, pour sauver un Royaume ; et il ne faut qu’un Athée
quand il a la malice pour le ruiner et pour le perdre. Les déluges, la peste et
la famine, sont les suites que traîne après soi l’Athéisme ; et quand il est
question de le punir, le Ciel ramasse tous les fléaux de sa colère pour en
rendre le châtiment plus exemplaire. La sagesse du Roi détournera ces malheurs
que l’impiété veut attirer dessus nos têtes, elle affermira les Autels que l’on
s’efforce d’abattre ; et l’on verra partout la Religion triompher de ses ennemis
sous le Règne de ce Pieux et de
cet invincible Monarque, la gloire
de son Siècle, l’ornement de son État, l’amour de ses Sujets, la terreur des
Impies, les délices de tout le genre Humain, vivat Rex, vivat in
æternum. Que le Roi vive, qu’il vive éternellement, pour le bien de
l’Église, pour le repos de l’État, et pour la félicité de tous les peuples.
FIN.
[NDE] Dans le premier Placet, Molire dit effectivement que sa Majesté « juge bien elle-même combien il m’est fâcheux de me voir exposé tous les jours aux insultes de ces messieurs ; quel tort me feront dans le monde de telles calomnies, s’il faut qu’elles soient tolérées »., «
qu’il lui est très fâcheux d’être exposé aux reproches des gens de bien, que cela est capable de lui faire tort dans le monde, et qu’il a intérêt de conserver sa réputation» : Puisque la vraie gloire consiste dans la vertu, et qu’il n’y a point d’honnête homme que celui qui craint Dieu, et qui édifie le prochain. C’est à tort qu’il se glorifie d’une vaine réputation, et qu’il se flatte d’une fausse estime que les coupables ont pour leurs compagnons et leurs complices. Le Brouhaha t du Parterre n’est pas toujours une marque de l’approbation des Spectateurs : L’on rit plutôt d’une sottise que d’une bonne chose, et s’il pouvait pénétrer dans le sentiment de tous ceux qui font la foule à ses Pièces, il connaîtrait que l’on n’approuve pas toujours ce qui divertit et ce qui fait rire. Je ne vis personne qui eût mine d’honnête homme, sortir satisfait de sa Comédie ; La joie s’était changée en horreur et en confusion, à la réserve de quelques jeunes Etourdis, qui criaient tout haut que Molière avait raison, que la vie des Pères était trop longue pour le bien des Enfants, que ces bonnes gens étaient effroyablement importuns avec les remontrances, et que l’endroit du fauteuilu était merveilleux. Les Étrangers même en ont été très scandalisés, jusque-là qu’un Ambassadeur ne put s’empêcher de dire, qu’il y avait bien de l’Impiété dans cette Pièce. Un Marquis après avoir embrassé Molière, et l’avoir appelé cent fois l’Inimitable, se tournant vers l’un de ses amis, lui dit qu’il n’avait jamais vu un plus mauvais Bouffon, ni une Farce plus pitoyable ; et je connus par là que le Marquis jouait quelquefois Molière, de même que Molière raille quelquefois le Marquis. Il me fâche de ne pouvoir exprimer l’action d’une Dame qui était priée par Molière de lui dire son sentiment ; «
Votre figure, lui répondit-elle, baisse la tête, et moi je la secoue», voulant dire que ce n’était rien qui vaille. Et enfin sans m’ériger en Casuiste, je ne crois pas faire un jugement téméraire d’avancer, qu’il n’y a point d’homme si peu éclairé des lumières de la Foi, qui ayant vu cette Pièce, ou qui sachant ce qu’elle contient, puisse soutenir que Molière dans le dessein de la jouer, soit capable de la participation des Sacrements, qu’il puisse être reçu à pénitence sans une réparation publique, ni même qu’il soit digne de l’entrée de l’Église, après les anathèmes que les Conciles ont fulminés contre les Auteurs de Spectacles impudiques ou sacrilèges, que les Pères appellent les Naufrages de l’Innocence, et des attentats contre la Souveraineté de Dieu.