Chapitre II.
Du Philosophe de sans souci.
LE Philosophe de sans souci n’est pas
suspect de rigorisme, ni pour la religion, ni pour les mœurs. Il en fait
l’aveu dans ses ouvrages par des détails & des systemes que sa gloire
n’exigeoit pas qu’il confessât au public dans le grand jour de l’impression.
Son amour pour le theatre n’est pas douteux ; il y va fréquemment. Il l’a
rendu florissant dans ses Etats, & y a appelé de
toutes parts, à grands frais, & des acteurs & des actrices, qui
avant lui y étoient inconnus. Son pere, que lui-même appelle austere &
rigoureux, n’étoit pas amateur, ni ses sujets comédiens. La France,
l’Italie, lui en fournissent en abondance de toute espece. Il leur bâtit de
magnifiques salles de spectacle, il leur fait les plus fortes pensions.
Quand il s’empara de la Saxe & de la ville de Dresde, le même jour il y
fit jouer la comédie, & voulut que la Famille Royale sa prisonniere de
guerre y assistât avec lui ; contraste bizarre & inhumain ! les
bouffonneries de la scene & la désolation d’une famille captive, d’un
Souverain fugitif & d’une ville prise d’assaut. Il fait le plus grand
éloge du théatre de Voltaire, qui en mérite à bien de regards. Il honora
l’auteur de sa plus intime familiarité. Ces deux hommes sont à l’unisson des
sentimens. Ce Prince à pris ce goût à Paris, où dans sa jeunesse il a fait
quelque séjour. Il fut entousiasmé du spectacle, comme il arrive tous les
jours. Il en a rempli sa Cour & ses provinces ; & ce n’est pas un
des moindres maux que fait le théatre de Paris, de répandre ce goût dans les
pays voisins, qui seroient garantis de la contagion. Pour le libertinage,
qui est l’ame, le principe & la fin du théatre, le Philosophe sans souci
en tient si communément le langage, il en prend si vivement la défense,
qu’on ne sautoit douter qu’à ce seul titre il ne fut un zelé protecteur du
théatre.
Epitre XVII, contre l’Amour.
A Savert, son Petrone. Lettre
XIV.
Il se moque du luxe qui y regne, & qu’on en rapporte.
Voici la description qu’en fait ce Roi & de ses pieux effets. Epitre à
Césarion son ami, page 119.
Ces portraits du théatre, de ses effets, & de la vie de ses amateurs, ne
seront pas désavoués par le Salomon du Nord.
Il se moque d’une Dame qui dans ses repas ne mangeoit pas parce que les
sauces
gâtoient le vermillon qui fait l’éclat de sa
bouche divine, & que la galimafrée gatoit le corsage divin de sa
taille, en tous lieux admirée
.
C’est dommage qu’après avoir déclamé contre les miseres de notre temps, ses
ouvrages en soient un monument des plus déplorables. Toute cette description
de l’Opéra est copiée de Boileau,
de Voltaire. Tous les deux conviennent que l’Opéra n’est
qu’une leçon de volupté, dont les ames les plus pures ne peuvent se
défendre.
Bossuet, Nicole, Baile, Rousseau, tous les adversaires du théatre, n’en ont
pas dit davantage. Ils conviennent qu’il corrige des ridicules, mais non des
vices ; il les enseigne au contraire tous.
Ainsi ont parlé du bal M. Bussi & tous les moralistes.
On peut voir tout ce que nous avons dit fort au long sur la danse. Nous n’en
sentons pas plus vivement les dangers.
Voici quelques autres traits qu’on peut mettre dans le même rang.
M. Le Franc de Pompignan, ayant été reçu à l’Académie Françoise, fit à la
reception un très-beau discours sur l’irréligion. Voltaire & ses
consorts s’y crurent notés, & n’avoient pas tort. Ils firent courir
contre lui une foule de libelles, dont on composa un Recueil, sous le nom de
Faceties. Le Roi de Prusse
n’en fut pas plus content, & il écrivit en ces termes à Voltaire, alors
son ami.
Votre Académie devient plaisante dans ses choix. Les
Juges de la langue abandonnent Vaugelas pour leur Breviaire. Cela
paroît singulier aux étrangers.
En voilà du moins trois, qui ne sont pas de Perroquets. Il
auroit pu en nommer d’autres. S’il eût vu couronner l’éloge de Moliere, il
ne les eût pas traités de Cagots.
Madame la Marquise du Chatelet, qui avoit pour Voltaire,
son Philosophe, son Poëte, son ami, un amour Platonique, n’est pas du nombre
des Cagots & des Perroquets. Elle a mérité les plus
grands éloges dans une vision, où il crut être descendu aux enfers, comme
Ænée avec la Sybille. Il vit cette Dame célebre.
Parmi cent belles qualités, la divine Emilie étoit une
actrice parfaite. Elle fit long temps l’honneur du théatre de Sceaux. Elle
paroit de toutes ses graces les pieces de son ami Voltaire. Voilà bien des
titres à la Divinité.
La Majesté Prussienne ne peut souffrir la Chaussée & son comique larmoyant. Elle
n’aime au théatre que la malignité de la satyre ; sans quoi,
ce n’est qu’un Bureau de fadeurs, où on apprend à dire je
vous aime, de mille manieres
. (Témoin l’Opéra).
J’aimerois mieux y être joué, que de donner mon
suffrage au membre bâtard de ce mauvais goût.
On peut mettre au nombre des témoignages peu favorables au théatre ses
raisons & ses demêlés avec Voltaire, & l’infâme portrait qu’il en
fait. Voltaire depuis soixante ans est un entousiaste du théatre. Il en a un
chez lui, où l’on joue sans cesse. Toute sa vie il a composé des drames,
& plusieurs sont ses plus beaux ouvrages. C’est par là qu’il a plu au
grand Fréderic, qui fait les plus grands éloges de ses piéces, marque le
plus grand désir de les avoir, lui écrit avec l’humilité d’un petit écolier
à son maître, & la tendresse d’un enfant pour son pere. Ne soyons pas
surpris de la vanité de Voltaire. Voltaire a raison de sentir sa
supériorité. Mais il est singulier que pour l’engager à venir à Berlin, ce
grand Roi lui promette de lui
fournir des pucelles à son
usage, & qu’elles seront plus traitables qu’une certaine
Grisette qui dans son dernier voyage se refusa à ses
embrassemens
. Cet emploi, ce détail, ce motif, qui ne
sont pas tous-à-fait de la majesté royale, caractérisent, il est vrai,
l’amateur du théatre. A qui des deux font-ils le plus d’honneur ? Ce Prince
n’est pas moins entousiasmé de Moliere. C’est le ton du
jour ; il lui auroit fait les mêmes offres, s’il eût vécu de son temps. Il y
en a peu parmi les auteurs & les acteurs qui ne les acceptent. Moliere & Voltaire sont deux si
grands maîtres dans le dramatique ! Voici comme il peint en grand guerrier
le combat amoureux où ce grand Atlhete fut pourtant vaincu par une femme.
Elle alluma dans vos sens un feu seditieux, que
la
pudeur sut reprimer
vivement.
C’est que cette grosse Allemande, qui a le
poignet fort, sans s’embarrasser des beautés sublimes de Zaïre, de Mahomet, lui fit lâcher prise à grands
coups de poingts, sans garder la mesure des vers.
Malgré ces éloges, ces caresses, ces bons traitemens de toute espece, les
deux Poëtes se brouillerent. Des vers de part & d’autre furent la
premiere décharge. Voltaire auroit pu avoir l’avantage dans un combat
poëtique ; mais un Apollon couronné a bien d’autres armes. Mars &
Bellone entrerent en campagne, & la fin fut tragique. Voltaire fut
enlevé & emprisonné avec une niece, qu’il avoit emmenée, je ne sai
comment, à Berlin, & tout son trésor poëtique, c’est-à-dire, son
porte-feuille. Le sujet de cette querelle nous est absolument étranger ;
mais ce qui ne l’est pas, ce sont les grands traits avec lesquels un des
plus grands amateurs peint un des plus grands ornemens du théatre, dans une
belle épitre sur son compte.
Ces portraits ne sont pas flâtés ; qui oseroit les adopter ? Mais aussi, qui
doit mieux connoître un grand Poëte, qu’un Roi Poëte, son intime ami ? qui
doit mieux connoître un Philosophe, qu’un Roi Philosophe ? qui auroit assez
peu de respect pour un si grand Prince, que de le soupçonner de passion
& de calomoie ? Tout cela, je l’avoue, est au dessus de ma portee.
Le nom de Sans souci n’est pas auguste ; il
n’annonce rien de grand : il n’est pas même noble. C’est
un mot d’un style bas & familier parmi le peuple. Une troupe de
Tabarins, qui dans le Seizieme siécle jouoient des farces sur des tretaux,
s’appeloit les Enfans sans souci. Ce nom n’est pas
philosophique. Un sage est un homme grave & sérieux, occupé de la
sagesse, s’intéressant avec zele pour le bien public, plein de bienfaisance,
travaillant pour l’humanité ; un homme Sans Souci est un
libertin qui ne songe qu’à son plaisir, un esprit frivole qui glisse sur
tout & ne prend intérêt à rien. Jamais on n’a dit de Platon, d’Aristote,
de Descartes, de Newton, un Philosophe de Sans Souci.
Comment a-t-on pu réunir deux idées qui s’excluent mutuellement ? encore
moins un grand Roi, un Législateur, un Conquérant, qui, comme il en gémit
lui-même Epit. 18. est accablé sous le poids du Diademe
& les embarras du gouvernement. Est-il, peut-il être un homme sans
Souci ? mais voilà bien l’esprit du théatre. Un amateur n’est occupé que de
scenes, d’actrices, de décorations, de danses, de musique ; il n’a aucun souci de tout le reste.
Quoi qu’il en soit du nom, sur lequel nous ne disputons pas, du moins quelque
élevé que soit un amateur du théatre, qui a composé les œuvres du Philosophe de sans souci, nous avons à lui opposer un
autre Ecrivain, qui ne lui est inférieur, ni pour la naissance, ni pour le
mérite. C’est le grand & savant, & sur-tout le pieux Prince de Conti, qui a composé un très-bon Traité contre la comedie.
Quel étrange parallele ! d’un côté le déïsme, le matérialisme, une morale
corrompue ; de l’autre la morale la plus pure, la religion la plus parfaite,
la conduite la plus édifiante. Qu’on mette dans la balance ces deux
suffrages ; d’un côté le Prince de Conti adversaire du théatre, avec son
Traité ; de l’autre le Philosophe de sans
souci
amateur du théatre, avec ses Epitres ; quelle des deux autorités doit
décider la question ? quelle est une cause qui protege la dépravation &
l’irréligion, qui condamne la religion & la vertu ?
Dans l’ordre littéraire, le Philosophe est un Ecrivain très-mediocre. Il en
convient ; & il est surprenant qu’avec des idées si peu favorables de
ses ouvrages, il ait voulu s’exposer au grand jour de l’impression, qui dans
une personne de son rang le livre à toute l’Europe
Ma cervelle est assez bizarre pour barbouiller des vers aussi
faux que mauvais.
Il y a quelques traits de satyre tournés énergiquement, mais sans finesse. On
y voit quelques sentences utiles, quelques descriptions assez naturelles,
mais le fond est très-peu de chose ; nul trait de génie, nulle élevation,
une infinité de choses pillées de Boileau, de Moliere, de Voltaire, de Montesquieu, plutôt par reminiscence que par un plagiat affecté,
une monotomie de pensées, de termes, de rimes, qui marque la plus grande
stérilité. La méchanisme des vers est pitoyable : vers faux, fausse mesure,
fausse rime ; d’une syllabe il en fait deux, de deux il en fait une, pour
accourcir ou allonger ses vers selon le besoin ; des phrases louches, des
mots sales & bas de cabaret & de lieu de débauche. Il
n’écrit
, dit-il,
que pour s’amuser
; je veux le croire,
quoiqu’il ait un air de prétention. Mais s’il s’amuse lui-même, il est
certain qu’il n’amuse pas le public ; & malgré les nombreuses éditions
que la flatterie a fait
faire, ce livre est
générallement méprisé. C’est à-peu-près le sort de la plupart des Auteurs
Dramatiques, à sept à huit près, qui ont réussi. Le grand nombre
n’a fait de chez Serci qu’un saut chez
l’Epicier
. Il s’y attendoit :
Ma Muse
Tudesque & bizarre, jargonnant un François barbare, dit les
choses comme elle peut, & du compas François brave la
symmétrie.
Tous ces défauts littéraires ne nous auroient pas arrêté ; mais il est des
fautes contre la religion, les mœurs & la décence, que la piété ne
permet pas de pardonner, 1.° un esprit caustique qui n’épargne personne,
même les Rois & les Pontifes. Il y a même un fond d’humeur &
mysanthropie, tout lui déplaît. Il crie pourtant contre la satyre, il ne
voudroit pas en être l’objet ; mais à même temps, peu fidelle à ses propres
loix, il mord tout le monde, & presque toujours durement. Ce ne sont
point de bons mots, des traits fins, des idées plaisantes ; ce sont de vrais
sarcasmes & des injures grossieres.
Comment excuser la maniere indécente, dont il parle des Rois & des
Princes ? C’est se peu respecter soi même, que d’outrager les oints du
Seigneur ; & loin que sa dignité lui en donne le droit, elle devroit le
rendre plus circonspect pour ses confreres. Tout porte coup dans la bouche
des Rois. On les écoute comme des oracles, & leur sagesse doit mériter
cette confiance. Il puniroit ses sujets, s’ils s’expliquoient si
indécemment. Comment peut-il se le permettre à lui-même ?
Sans doute il a cru que les traités pour & contre dans l’acquisition de
la Silesie & l’invasion de la Pologne étoient ennoblis par la Pourpre.
Quoiqu’il en soit, c’est l’esprit du théatre. C’est là qu’on parle le plus
mal des Rois & des Ministres, des Grands, qu’on loue leurs conquêtes,
leur ambition. La moitié des Tragédies est un tissu d’invectives contre les
puissances, & de leçons d’ambition & d’orgueil. On y pousse à
l’excès la haine, la fureur, la vengeance ; le regicide y est enseigné
ouvertement. Ce sont des tyrans, des despotes. Corneille, Crébillon,
Voltaire, &c. doivent à cette audace la plus grande partie de leur
reputation. Nous l’avons démontré Liv. 3. C. 8. & cela doit être ; le
nœud de toutes les tragédies est la passion de quelque Prince, quelque
conjuration formée contre lui : le dénouement, la mort de quelqu’un ;
plusieurs rôles exigent nécessairement des plaintes ameres, des discours
licentieux, des entreprises audacieuses. Tout cela est dans l’ordre de la
tragédie, & on ne veut pas s’appercevoir du danger.
Le Philosophe de sans souci fait une reflexion singuliere sur Louis XIV, dont
il ne peut trop louer la magnificence & les immenses profusions.
Ce Prince
, dit
il,
n’étoit grand qu’à la guerre, & très-petit aux opéras ;
tous les monumens de sa gloire rendent son triomphe
odieux.
Il est vrai que les prologues des opéras étoient
une flatterie si fade & si outrée, que la foiblesse à les souffrir, à
les écouter, à y laisser applaudir, étoient bien au-dessous de la majesté
d’un Prince si célebre. Je ne sai même si cette majesté grave & sérieuse
conserve bien l’élevation de son caractere, au milieu des frivolités &
des folies du théatre. Frederic n’est pas moins loué sur
le théatre & dans la gazette de Berlin. Il n’est pas moins livré
à l’amour du spectacle. Il lit avec avidité toutes
les piéces, il en fait, il en imprime la critique. Pour un homme du mêtier,
en est-il plus grand ?
Il ne parle pas mieux de la religion Catholique que du trone. Je sais qu’il
fait profession de la religion Protestante, quoique ses ancêtres fussent
bons Catholiques, & quoique, les Evêchés, les Abbayes, l’ordre
Teutonique, dont il possede sans scrupule tous les biens, fussent des fruits
de la Catholicité ; source corrompue, dont les eaux lui paroissent
tres-pures. Mais la décence, le respect, qu’un Souverain se doit à lui-même
& doit au public, ne souscriront jamais aux invectives dont il accable
les Catholiques & leurs Pontifes, qui après tout ne sont pas ses sujets.
Un grand Roi, un grand Philosophe, un homme sans souci, doit avoir &
montrer de la modération, même en temps de guerre, envers les Rois & les
peuples ses ennemis. Le Souverain Pontife n’est-il pas Souverain dans le
patrimoine de S. Pierre, comme l’Electeur de Brandebourg dans son
Electorat ? & les têtes couronnées ne se doivent-elles pas des
égards ?
Il tombe par là dans des contradictions singulieres. Il tolere, comme
Philosophe, toutes les religions. Les erreurs sont des malheurs & non
des crimes. Il faut pardonner & plaindre, mais non pas maltraiter,
l’aveuglement qui cache la verité. La religion Catholique est-elle donc plus
intolérable que toutes les autres ? ses erreurs sont-elles de plus énormes
forfaits ? Il ne peut souffrir qu’on parle contre l’irréligion & tous
ces systemes d’incrédulité qui renversent toutes les religions. Les Papistes
sont-ils donc plus sacrileges que les Impies ? & l’opinion de la
présence réelle plus monstrueuse que le matérialisme ? Tout cela est
très-peu philosophique. Il est vrai qu’il ne traite pas mieux le
Luthérianisme dont il fait profession,
par la même
raison sans doute qui lui fait haïr la doctrine du Pape. Luther ni ses
sectateurs n’ont jamais adopté, ils ont toujours combattu le matérialisme,
aussi-bien que les Papistes. Il les tolere même ces Papistes dans ses
Etats ; il les protege non seulement dans la partie Catholique nouvellement
conquise mais dans la partie Luthérienne dont il fut toujours maître ; car
toutes les religions lui sont indifferentes. Cependant le genre d’invectives
dont il les charge, contre les mœurs & la probité, devroient les faire
chasser. Souffrir des fripons & des coquins, c’est pousser loin la tolérance. Ce genre d’erreur doit
animer tout le zele d’un bon Prince ; il doit punir les scélérats, même de
la religion Protestante. Et les faveurs, la haine, le mépris & la
protection Royale sont-ils faciles à concilier ? Ses écrits condamnent sa
conduite, & sa conduite dément ses écrits. Ce ne sont pas seulement les
Catholiques de nos jours, ce sont les Saints Peres, c’est toute l’antiquité,
qu’il traite aussi mal. Il est vrai que tous les siécles de l’Eglise ont
pensé comme nous sur l’irréligion. Ils méritent sa disgrace. Ecoutons le
sage Salomon.
Aucun Protestant n’a traité si mal S. Basile, S. Gregoire de Nazianze, S.
Chrysostome, toute l’Eglise. Tout l’univers. L’univers ne
fut pas Déiste, il fut dupe.
Cette pensée n’est pas élégante, l’auteur ne s’en pique pas ; mais est-elle
décente ? l’Auteur devroit s’en piquer. Voici pour les Prophêtes de l’ancien
Testament, dont tous les Protestans revèrent les Prophêties.
Quel Chrétien, de quelque secte que ce soit, a jamais parlé ainsi d’un livre
Canonique de l’Ecriture sainte, & d’un Prophête envoye de Dieu ? Il ne
traite pas mieux le Pape, l’Eglise, le Clergé de Rome que la Synagogue.
Les Cardinaux sont des imbéciles. A l’occasion du spectre qui sort du tombeau
de Ninus, dans la tragédie de Sémiramis,
que Voltaire avoit envoyée au Cardinal Quirini, & qui
l’avoit reçue favorablemeut, voici ce qu’on dit des Catholiques & du
Cardinal, l’un des plus savans du sacré College, d’ailleurs le plus honnête
homme & le plus aimable, mais point Déiste.
Le
Cardinal
Quirini est bien digne du temps
des spectres & des sortileges. Tout Catholique étant obligé de
croire aux miracles, le Parterre doit en conscience trembler devant
l’ombre de Ninus. Le Bibliotéquaire de Sa Sainteté approuve fort
cette doctrine Orthodoxe. Moi, qui ne suis qu’un misérable
Hérétique, je pense différemment, & c.
Il ne pense
pas differemment de l’Ombre du Festin de Pierre de
Moliere, parce que cette piéce sous un masque de religion est une vraie
impiété faite pour la combattre, on n’eût osé le faire ouvertement Voici un
compliment de sa façon pour les Evêques.
Tout le Clergé est aussi peu ménagé. A-t-il plus droit de l’être ?
Chez nous
, ailleurs & dans tous les
climats ;
Il faut bien que les Ministres Protestans en
aient
leur part en tout genre.
Mais c’est un mal universel ; le monde ne pense pas comme lui. Aussi,
Voyage qui voudra
, je n’en dirai plus rien
.
C’est être veritablement sans souci, même sur sa propre
reputation ; traiter tous les hommes de sots & de bêtes, & se croire le seul sage. Est-ce un trait de
sagesse, & une preuve de la verité de sa doctrine ?
Les Princes d’Allemagne ses amis, ses confreres, plusieurs ses égaux,
quelques-uns ses supérieurs, n’obtiendront pas plus de grace.
C’est sur-tout en matiere de religion que tous les hommes sont suspects ou
dupes, parce qu’ils ne sont pas Déistes.
Lisbonne & Archangel sont Chrétiens. En réunissant tous les
temps & tous les pays, on trouve J. C. les
Apôtres, & avant eux, Moïse, David, les Prophêtes. Point d’interruption,
pas
un seul dont le culte insensé n’ait dégradé l’homme,
& qui n’ait été le jouet honteux des grossieres erreurs des
Prêtres frauduleux
.
Avec de tels sentimens on est fait pour aimer, louer, protéger, enrichit le
théatre, mépriser & traiter de Tartuffe les Ministres de Dieu qui le
condamnent.
On est à l’unisson avec lui.
Vous les avez sans doute vus
, Monsieur
,
Il parcourt tous les états, dont il démontre l’ignorance. Les femmes qui ne
parlent que d’
amour, & qui décident cent questions
dans moins d’une minute
; chez les Guerriers, où
les chardons servent de lauriers ; chez tous les
Grands, où elle enfante les menins & courtisans
.
Tout le monde est
fait pour les erreurs
.
Chez les Magistrats
en Long manteau redouble de fourure.
Elle n’a d’yeux que ceux de ses commis ; elle est toujours dupe de
l’imposture
. Avec ces sentimens. on doit aimer
tendrement Voltaire, qui en est le défenseur & l’Apôtre ; & tout le
monde sait quelle a été l’intimité de ces deux hommes. Ce ne fut longtemps
qu’un cœur & une ame. On doit louer le
célebre
Septique Baile
, qui bien armé de sa
dialectique, dans un champ clos combattit les Docteurs, &
foudroya l’orgueuil Théologique, en détruisant le regne des
erreurs
. Il fait aussi de grands éloges du Marquis
d’Argens, de Maupertuis, de Kait, &c. Tous ces mécréans lui sont chers. Il y mêle,
il est vrai, M. Gresset, parce qu’il prêche la paresse
& la volupté. Gresset alors sortant des Jesuites étoit livré au
théatre ; mais depuis sa conversion il y a renoncé, il l’a combattu dans ses
écrits. Il mene la vie la plus Chrétienne, plus précieuse que ses talens.
Depuis cet heureux moment il n’est plus connu à Berlin.
Autre lien qui forme l’alliance la plus étroite avec le théatre ; c’est
l’amour du plaisir, & le mépris de l’autre vie.
Crois-moi, choisis les meilleurs vins. Ce soin à tous est
préférable ; Car de nos jours le fil est peu durable.
C’est le principe tant de fois repeté des impies.
Coronemus nos rosis antequam macessant
, dit
l’Ecriture. Ainsi parle-t-il au Marquis d’Argens.
A Voltaire encore plus vivement & d’une maniere atroce. Epit. 6.
Dira comme de rien peut se
former un être
?
Il parle sur le même ton à Voltaire, avec qui il étoit encore plus lié, &
dont mieux que personne, il connoissoit les mœurs & les sentimens. Le
théatre avoit été, & continuoit d’être le grand lien, le grand mobile de
l’un & de l’autre.
Laissons-donc à la fiction la tranquille possession du
royaume de l’autre monde, source où l’imagination puise le systeme
où se fonde la populaire opinion. Qu’un fanatique ridicule y place
son plus doux espoir, qu’on prépare pour ce manoir un quidam que la
fiévre brule, il faut lui dorer la pillule, & l’envoyer tout
consolé, bien lesté, pieusement builé, au bord de la rive infernale,
malgré la Sorbonne pleniere.
(Dérision du Concile plenier).
Je crois fermement dans l’esprit que l’Homme n’est qu’une
matiere qui végête & se détruit.
Le systeme d’irréligion de l’Auteur consiste principalement en deux points.
1.° L’Ame est
matérielle, tout finit à la mort par
la dissolution du corps. De là le mot favori repeté en vingt endroits, qui
dans le fonds est un galimathias, & dans son sens le pur matérialisme :
l’Homme qui est mort n’a qu’été
. Le second
principe, Dieu qu’il reconnoît en Déiste quoiqu’il l’appelle souvent moteur inconnu, ce Dieu, dont il fait un chimérique, ne
s’embarrasse point des individus, ne s’occupe que de la
conservation de l’espece, comme s’il pouvoit créer &
conserver des especes sans individus, & que les especes fussent des
êtres à part :
Universale à parte rei.
Ce
Dieu ne connoît, ni ne punit le péché. Sous lui tout est nécessaire &
inévitable. Il n’y a point de liberté. Et ce qu’on pourroit appeler comique,
si l’objet étoit moins important, il veut faire un mérite de ces opinions,
un titre de sainteté supérieur à toute la perfection du Christianisme. A
quels excès conduit l’esprit du théatre !
Nous nous bornerons à rapporter quelques traits sans autre liaison. Tout ce
livre est plein de cette doctrine impie & absurde. Mais comment ce
Prince, ainsi que nous l’avons vu, blâme-t-il le théatre, & reconnoît-il
qu’il est pernicieux pour les mœurs ? n’est-ce pas une contradiction ? Sans
doute, c’en est une contre ses idées & sa conduite. C’est l’état absurde
de tous les pécheurs :
Video meliora proboque, deteriora
sequor.
Ils connoissent la verité de la morale, &
ne s’embarrassent point de la pureté des mœurs. Point d’amateur qui ne fâche
bien par expérience la
verité de la morale, &
qui par la dépravation de son cœur ne préfere les plaisirs à la pureté de
son ame. C’est ce qui fait le péché. Agir contre ses lumieres, & faire
ce qu’on fait être mal. Les impies sont tous d’aussi mauvaise foi. Malgré la
fierté qu’ils arborent, l’assurance qu’ils affectent, les blasphêmes qu’ils
prononcent, les sophismes, les sarcasmes dont ils s’arment, il n’en est
point qui ne rende en secret justice à la religion Chrétienne.
Quand je dis blasphême, je ne dis rien de trop. De quelque secte qu’on fasse
profession, on ne doit jamais penser de Dieu qu’avec le plus profond
respect. Aucun Prince ne souffriroit qu’on parlât de lui-même avec autant de
licence qu’on parle de Dieu, de son gouvernement, de sa religion, de ses
œuvres divines. Il ose dire d’après Térence :
La crainte fit les Dieux, & la force fit les
Rois
:
Primus in orbe Deos fecit
timor.
Les Rois n’ont ils donc d’autre droit que la
force ? Il parle sans doute en Prophête de l’invasion de la Pologne.
Dieu même n’est pas le maître de reformer le
passé.
Ce galimathias est un blaspheme. Il n’y a pour
Dieu ni passé ni avenir. Tout est present pour lui, & rien n’arrive en
aucun temps que par sa volonté. Réformer le passé seroit
pour lui vouloir n’avoir pas voulu, ce qui est absurde.
L’Homme jouit de la fortune dont le hasard seul est
l’auteur
; comme si la providence divine n’existoit pas,
qu’il n’y eût en tout que le hasard seul.
Pourquoi craindre le bras céleste ? Le bien & le mal
sont un songe. Pleins de ce sonze séduisant, nous nous perdons dans
le néant. Le temps s’échappe, & fuit soudain sans commencement
ni fin.
C’est une absurdité ; le temps commence &
finit. C’est l’éternité qui n’a ni commencement ni fin. C’est en même temps
reconnoître & combattre l’éternité.
Nous nés pour
être annéantis, pourquoi songer à
▲