Du mandemant de Monseigneur l’Archeveque de Rouen.
Depuis le rétablissement du culte catholique en France, et surtout depuis
la restauration, le zèle des fidèles s’est tellement accru, qu’on les voit remplir les
églises à l’heure des offices, et suivre les prédicateurs avec une attention et une
piété vraiment exemplaires : le Clergé ne pouvait donc que s’applaudir de cette
influence de la religion sur les citoyens, et pour perpétuer un état de choses aussi
louable, il n’avait qu’à agir avec douceur, circonspection, et franchise ;
Mais des intentions exagérées, mais des mandements et des lettres pastorales qui
rappellent toutes les rigueurs des lois ecclésiastiques et qui imposent
aux fidèles des obligations que l’Eglise, depuis nombre de siècles,
avait cessé d’exiger, viennent réveiller l’attention du public et exciter ses
craintes.
La nation qui trouvait dans son roi, et dans les princes de son auguste famille,
l’exemple d’une piété salutaire, s’était fait un devoir de seconder, et les intentions
du souverain et celles du Clergé ; mais aujourd’hui elle est forcée d’éprouver de
l’incertitude dans la marche qu’on veut lui faire suivre, et elle craint réellement les
suites d’un système qui peut causer de grands troubles dans le royaume.
La Charte a consacré la religion catholique, apostolique et romaine, comme religion de l’Etat. Cette loi constitutionnelle a aussi rétabli l’ancienne
noblesse, qui avait souffert pendant la révolution française dans sa
propre personne et dans ses biens autant que le Clergé ; la noblesse,
toujours fidèle aux volontés de son roi, n’en a point dépassé les intentions et n’a
point transgressé la loi commune. Elle a attendu pendant dix ans, dans le silence du
respect, que la nation se prononçât sur ses pertes, et lui accordât quelques indemnités
pour la somme de maux qu’elle avait supportés depuis trente-quatre ans.
Elle n’a point rappelé ses droits sur la féodalité, revendiqué ses seigneuries, ses
terres, ses privilèges, ni exhumé le code renfermant les lois qui lui étaient propres et
qui avaient trait à son ancienne existence : elle ne l’a pas fait, parce qu’elle a senti
qu’étant réhabilitée par la Charte, elle ne devait pas aller au-delà
de la loi commune ; elle s’est soumise à l’esprit de cette loi ; elle
s’y renferme
parce qu’elle sait que le législateur a fait
tout ce qu’il était en lui en la consacrant, et qu’aller au-delà, serait sortir du
cercle tracé par sa volonté suprême, serait méconnaître la puissance séculière, et se
constituer en opposition criminelle contre elle.
Or, il en est de même de la religion. Elle est dans la Charte. Elle
n’existe que par la Charte, et elle ne peut aller au-delà des principes politiques,
consacrés par la Charte ; se tenir intra, voila sa position légale ;
se porter , c’est enfreindre la loi commune.
Ce que nous venons de dire est si vrai, que le législateur en déclarant la religion
catholique religion de l’Etat, n’a pas plus fait à son égard qu’il n’a
fait à l’égard de la noblesse ; il n’a point rappelé les anciens privilèges, les
anciennes immunités
ecclésiastiques, il ne lui a point rendu
ses tribunaux spéciaux (les officialités), ni ces droits
considérables, qui plus d’une fois, mirent la monarchie en danger, pas plus qu’il n’a
procédé à la réintégration des biens immenses qui faisaient du clergé le corps le plus
dangereux et le plus riche de l’Etat.
L’esprit de la Charte est un esprit de tolérance universelle et de fraternité, tout à
la fois politique et religieuse. La Charte a voulu la religion, mais elle n’a voulu que
ce que la religion avait d’apostolique, de divin, de charitable et de conciliant ; elle
n’a point mis les prêtres au-dessus des autres citoyens, elle les a rangés au contraire
dans la loi commune, elle ne peut en conséquence leur permettre
d’appliquer des pénalités aux autres citoyens, parce que le Clergé
se trouverait, par ce fait, supérieur à la Charte, supérieur
aux autres juges du royaume, qui ne peuvent, qui ne doivent qu’appliquer des peines
dictées par nos codes, et bien exprimées pour chaque délit.
Il faut que le Gouvernement, que les hommes d’Etat ne s’y méprennent pas ; l’excommunication est une des pénalités les plus
réelles, les plus terribles ; et si le prince permettait aux prêtres
d’en faire l’application, selon les catégories qui en sont frappées
par les lois ecclésiastiques, il serait lui-même, ainsi que la majeure
partie de ses sujets, spontanément victime de sa condescendance pour le
Clergé.
Voyez ci-dessus, à la page 154 de cet ouvrage, les diverses espèces d’excommunications que les prêtres voudraient fulminer contre les fidèles ;
et aux pages 189 et 191, les conséquences funestes de ces
sentences exterminatoires.
Il est donc très opportun, très convenable que la puissance séculière fasse sentir au
Clergé, d’une manière forte et péremptoire, que si la Charte, dans l’esprit de sagesse
et de religion qui en a guidé les principes, reconnaît le culte catholique, comme le
culte dominant en France, c’est pour exister dans la propre conscription de la loi
commune, et non pour la dépasser et aller au-delà.
S’il en était autrement, les prêtres seraient privilégiés, au-dessus même de la
monarchie et du monarque ; car la Charte, en reconnaissant les principes monarchiques et
l’existence immuable de la légitimité dans la personne du souverain, a
spécifié et modifié les droits du prince, qui se trouve,
en
beaucoup de circonstances, soumis aux lois communes du royaume.
Ainsi, le roi respecte la volonté du législateur ; il s’est soumis, quant à ses droits,
quant à son autorité, à une marche nouvelle, qui n’avait pas lieu avant l’ordre actuel
des choses. Et pourquoi le Clergé prétendrait-il ne pas suivre l’exemple du monarque,
même dans la nouvelle refonte de la monarchie ? Pourquoi voudrait-il se mettre au-dessus
du prince et des codes des lois qui forment la base de la constitution présente du
royaume ?
On doit être d’autant plus attentif aux usurpations illégales du Clergé, qu’une fois le
gouvernement les ayant tolérées à l’égard des citoyens, il se verrait bientôt attaqué
lui-même, corps à corps, par ces mêmes ecclésiastiques, qui lui demanderaient impérativement la réintégration dans
leurs
biens, dans leurs droits, dans leurs privilèges, avec d’autant plus de force et
d’action, qu’ils auraient commencé d’abord par soumettre tous les citoyens du royaume.
La puissance séculière, livrée à elle seule, ne pourrait plus résister à l’autorité du
clergé. Les prêtres ayant ainsi acquis sur l’esprit faible du peuple une influence
marquée et décisive, alors nos rois se retrouveraient par la suite
dans la triste position d’Henri III.
Qu’on se rappelle tous les troubles que le fanatisme a excités, toutes les révoltes
qu’il a fomentées, toutes les conjurations où il a présidé, et tous les assassinats
qu’il a fait exécuter sur la personne des rois et sur un si grand nombre de
particuliers. Les citoyens une fois rangés pour ainsi dire sous la bannière de la
puissance ecclésiastique, le prince, qui
voudrait résister
aux altières prétentions du clergé, serait traité d’hérétique, de rebelle, et sa vie
serait à la merci des fanatiques. Tel serait le triste, l’odieux résultat d’une
usurpation aussi criminelle qu’arrogante, si l’autorité séculière ne veillait pas avec
le plus grand soin pour s’opposer aux envahissements de l’autorité spirituelle, dans les
choses même qui paraissent les plus simples.
Le Clergé ne doit donc jamais agir en ce qui concerne les pénalités qui
auraient un effet civil, sans l’attache, sans l’assentiment de l’autorité
séculière ; car, il faut en convenir, la France, en 1825, n’est pas la France du
quatorzième et du quinzième siècle, et le prince étant le chef suprême de l’Etat, nulle
autre autorité que la sienne ne peut infliger à ses sujets quelque peine que ce soit,
surtout
lorsque ces peines deviennent infamantes, et attirent sur ces mêmes citoyens le mépris et
la vindicte publique, effets réels de l’excommunication.
Si la Charte, je le répète, reconnaît la religion
catholique comme religion de l’Etat, c’est dans la ferme intention que cette
religion concordera avec notre loi constitutive, et n’attentera en rien aux droits
qu’elle consacre à l’égard de tous les citoyens. En effet, la religion catholique
n’aurait aucune influence dans l’Etat, si le prince, qui a établi la loi
constitutionnelle, ne lui avait assigné et conféré la prééminence sur les autres
religions. C’est au prince, c’est à sa volonté, c’est à son autorité que cette religion
est redevable de son existence. Les ministres de ce culte doivent donc s’attacher à ne
jamais contrarier, ni
offenser l’autorité qui les a
constitués ; ils doivent au contraire la consulter sans cesse, dans tout ce qui a
rapport à des objets d’importance, surtout lorsqu’il s’agit d’infliger des
pénalités qui pourraient avoir un effet civil.
Si monseigneur l’archevêque de Rouen avait eu pour le roi cette déférence qui doit
germer et se développer dans le cœur de tout bon Français, et s’il eût pris l’avis du
Gouvernement avec lequel il aurait dû se concerter sur le mandement qu’il a fulminé,
certes, cet acte qui a réveillé tant de passions, tant de craintes et d’alarmes aurait
subi de sages modifications ; la société n’en aurait pas été ébranlée aujourd’hui, car
le gouvernement, qui connaît à fond le génie, l’esprit et le moral des Français, aurait,
il n’en faut pas douter, fourni à ce prélat les moyens d’arriver à son but,
sans heurter l’esprit du siècle et causer de nouveaux troubles.
Le Clergé doit savoir d’ailleurs que l’institution d’un ministère des affaires
ecclésiastiques est une voie que le Gouvernement a sans doute voulu ouvrir pour faire
concorder les lois ou usages de l’Eglise avec les lois ou usages de la nation, et il me
paraît tout naturel qu’il eût été du devoir de M. l’archevêque de Rouen, avant de lancer
son acte fulminatoire, de prendre conseil du ministre qui est chargé de ce département,
et je ne fais aucun doute que, dans le secret du cabinet, son excellence ne l’eût invité
ou à modifier, ou à supprimer un pareil acte.
Cette conduite de l’archevêque de Rouen prouve, à l’évidence, que les prêtres mal
conseillés ne veulent reconnaître et consulter aucune autre
autorité que la leur, et qu’ils évitent avec le plus grand soin de faire aucune
démarche qui tendrait à les ranger sous l’autorité du souverain légitime. Cependant, si
on voulait réfléchir sur les funestes conséquences qui pourraient résulter de ce
mandement, on se convaincrait aisément combien il est nécessaire que la puissance
séculière soit au-dessus de la puissance ecclésiastique. C’est donc aux autorités qui
existent dans l’Etat à ne jamais permettre au Clergé de se soustraire aux droits de la
puissance établie par Dieu même, pour protéger et gouverner les peuples.
Les ministres sont aujourd’hui trop éclairés pour se laisser surprendre à la faveur de
l’ignorance. L’imposture des siècles de barbarie est trop décriée pour qu’on puisse
s’abuser au point de ne concevoir la religion que
comme un
instrument de gouvernement, qu’il n’appartiendrait qu’aux prêtres seulement de mettre en
jeu, en leur accordant une entière indépendance de l’autorité séculière ; ils
s’exposeraient ainsi à toutes les chances périlleuses de l’intolérance.
Si une religion est intolérante, il est impossible d’empêcher les prêtres de ce culte
de s’en faire un dogme, et mon intention n’est pas ici de contredire ce dogme ; mais
malheur à l’humanité si on l’arme de la puissance ; c’est alors que l’intolérance,
guidée par un zèle peu éclairé, et par un fanatisme cruel, renouvellerait bientôt toutes
les atrocités inquisitoriales ; elle rappellerait ces siècles malheureux où les peuples
étaient en proie à des superstitions grossières et féroces.
Les innombrables guerres de religion,
dont l’histoire
inexorable nous a transmis les récits les plus authentiques, nous apprennent jusqu’où
l’esprit de parti a ensanglanté les gouvernements dominés par le fanatisme. On y voit
des prêtres audacieux animés par un esprit de domination et altérés d’une soif
inextinguible des richesses et des honneurs de ce bas monde, se livrer à tous les vices
et se permettre des crimes en tout genre, qu’ils ne considéraient que comme des moyens
nécessaires et légitimes, pour assurer le succès de leurs projets ambitieux. Tout
semblait leur être permis, et foulant à leurs pieds les divins préceptes de Jésus-Christ
et la morale chrétienne et évangélique la plus pure, la mauvaise foi et le parjure ne
leur coûtaient rien et ils commettaient, sans honte comme sans remords, de pieuses
fraudes de pieuses
calomnies, de pieux empoisonnements, de
pieux assassinats, non seulement juridiques mais même de guet-apens et le tout pour la
gloire de Dieu, pour l’intérêt de la religion, et en général pour le plus
grand bien de la fin spirituelle. C’est de cet infernal principe qu’est née la
doctrine impie du régicide que tant de prêtres et tant de moines
prêchèrent avec audace et persévérance de vive voix et dans leurs livres imprimés, et
que plus d’une fois ils mirent eux-mêmes en pratique.
Si malheureusement les hommes d’Etat auxquels le monarque accorde sa confiance,
continuaient à se laisser asservir sous l’influence des prêtres et à subir le joug
anarchique du Clergé, leur coupable condescendance nous reporterait inévitablement à ces
temps de calamité, où des moines, des prêtres et des prélats, sollicitaient,
et provoquaient des lois inexorables et sanguinaires, et non
contents de donner le scandale de voter ces lois de sang, ils parvinrent à se constituer
eux-mêmes juges de tous les délits en matière de foi, et à faire couler à grands flots
le sang des victimes qu’ils immolaient à leurs implacables vengeances, et faisaient
brûler vifs des schismatiques, des hérétiques, des Juifs, etc.… et trop souvent des
hommes riches qu’ils faisaient périr pour s’emparer de leurs dépouilles.
Mais détournons les yeux de tant d’horreurs, qu’on ne pourra nous reprocher d’avoir
exagérées, et qui d’ailleurs se reportent à des époques plus ou moins reculées. Nous
n’avons signalé de pareils désordres, que dans l’intérêt de la dignité royale et de
l’autorité ministérielle ; celle-ci doit en effet s’affranchir de la servitude
honteuse qui pèse visiblement sur elle, et revenons enfin au
mandement sur lequel nous avons cru devoir publier quelques réflexions.
Pour apaiser la sévérité de M. l’archevêque de Rouen envers les fidèles que son
mandement veut réprouver, en fulminant contre eux, et sans l’aveu du Gouvernement, une
pénalité dont les effets deviendraient inévitablement civils, nous
lui adresserons les propres paroles du garde des sceaux de
Montholon
13 qui, au nom du roi
et des Etats-Généraux de Blois, tenus le 16 octobre 1588, dit au
clergé : Avant de chercher à réformer les autres, commencez par vous
réformer vous-mêmes.
Pour mettre le clergé sur la voie de se réformer lui-même, avant d’exiger des autres
une réforme qu’il ne prêche pas d’exemple, nous renverrons MM. les évêques à la lecture
des pages 344 à 355 du présent ouvrageai, et en attendant
nous transcrirons ici le IVme canon du concile de Carthage que les
prélats de nos jours sont si éloignés de mettre en pratique.
« L’évêque doit avoir son petit logis près de l’église ; ses meubles
doivent être de vil prix, sa table pauvre. Il doit soutenir sa dignite, par sa foi et sa bonne vie. » (Concile de
Carthage, IVme canon année 398.)
Rien de plus clair, rien de plus précis, que la volonté de
cette loi ; elle est tout à fait dans l’esprit évangélique et apostolique.
Or, si les évêques prétendent faire valoir envers les fidèles les anciennes lois
ecclésiastiques, il serait indigne pour me servir des propres
expressions du pape
Jules, à un évêque, ou à un prêtre, de refuser de suivre les règles
canoniques de l’Eglise.
En conséquence, les fidèles qui se trouvent frappés par le mandement de M. l’archevêque
de Rouen, sont bien en droit de lui rappeler les obligations qui lui sont imposées à
lui-même, par les propres lois qu’il veut appliquer aux autres : ainsi le magnifique
palais qu’il habite dans sa ville archiépiscopale, ses hôtels somptueux à Paris, doivent
se fermer, à la citation que nous lui faisons, et lorsqu’il
se sera décidé à descendre dans un petit logis, près de l’église, à
n’avoir que des meubles de vil prix, une table
pauvre, et qu’il soutiendra, selon le canon du saint concile de
Carthage, sa dignite, par sa foi, son abstinence et sa
charité, alors il aura toute la raison imaginable de forcer les autres à suivre un code
qui deviendrait alors obligatoire pour tous ; mais avant tout, il doit, ainsi que les
évêques, ses vénérables collègues, donner l’exemple et observer la loi pour l’appliquer
aux autres fidèles. Les laquais, les cuisiniers, les carrosses, les tableaux, les glaces
et tout ce qui est objet de luxe, doit disparaître d’un évêché, car tout cela est
proscrit par la simplicité de notre religion, qui est la religion du pauvre et de
l’humble.
Combien seraient grands les
prélats qui de nos jours
sauraient ainsi s’exécuter ? Combien leur voix serait entendue de tous les fidèles ! Ils
seraient pour la religion de Jésus-Christ les apôtres les plus solides et les plus
dignes d’admiration ! Ils opèreraient des conversions sans nombre, parce qu’en fait de
religion, l’exemple est le seul moyen d’agir avec certitude et succès.
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