De la suprématie de la puissance séculière sur la puissance
ecclésiastique ; des erreurs et des crimes du clergé et des anathèmes fulminés par les
conciles contre les prêtres et les séculiers qui attentent à l’autorité et à la vie
des souverains
ah.
La surveillance de l’autorité séculière sur la conduite du clergé est
d’autant plus nécessaire, que l’histoire de France nous fournit des preuves innombrables
de l’ambition démésurée de ce corps, et nous cite des faits qui ont mis plus d’une fois
l’Etat dans le plus grand péril.
Lorsque les prêtres sont parvenus à augmenter leur action sur les citoyens au mépris
des lois civiles, ils finissent par atteindre la personne des rois ; et tel prince qui
leur abandonne une certaine autorité sur ses
sujets, doit
trembler que cette même autorité ne parvienne un jour à saper les fondements de sa
puissance, et à le précipiter lui-même par un parricide infâme dans l’horreur de la
mort.
Les désordres infinis du clergé de France excitèrent les craintes de la nation et du
roi Henri III, aux états de Blois, tenus en 1588 ; le garde des sceaux de Montholon
prononça dans cette assemblée, au nom de ce prince, un discours dans lequel on remarque
le passage suivant :
« Sa majesté demande donc d’abord au clergé puisqu’il est chargé de la
réformation des autres, qu’il commence par se réformer lui-même, et
donner bon exemple aux autres ordres de l’Etat. »
Cette mercuriale, justement méritée et justement appliquée, devait
porter le clergé à écouter la parole royale et le vœu de la nation, et
à rentrer de lui-même dans les principes de l’Evangile et dans les dogmes apostoliques,
qui indiquent et ordonnent aux ministres du culte une soumission entière à la volonté du
prince ; mais loin de produire un effet aussi salutaire, aussi conforme aux préceptes de
la religion, cette mercuriale ne fit qu’allumer le feu de la vengeance dans le cœur du
clergé, et le prince qui l’avait ordonnée fut cruellement assassiné l’année d’ensuite
par Jacques Clément prêtre et dominicain !…
Henri III, frappé d’un coup mortel, profite de ses derniers instants pour adresser à
ceux qui l’entourent un discours où il reproduit les malheurs de l’Etat, et dans lequel
on remarque ces paroles :
« A tant d’attentats mes ennemis ont ajouté le parricide ; et ce qui m’est encore plus cruel que
la mort même c’est qu’en deshonorant a jamais le clerge, elle va couvrir
d’une eternelle ignominie la nation française, qui jusqu’ici s’est toujours
distinguee par son attachement pour ses rois, et par son zele pour la
patrie.
« Le clergé pour qui j’ai eu tant d’égards, auquel j’ai
cherché à m’associer, jusqu’à avilir dans cette vue la majesté
royale, s’est laissé aveugler, il y a déjà longtemps, par un faux zèle pour la
religion, et donne aujourd’hui au peuple français l’exemple de la
révolte. »
Quelle leçon pour les rois !… quelle honte pour le clergé !
D’où provenait donc l’influence que le clergé exerçait sur la nation ?
de l’oubli que le prince avait eu de ses propres devoirs, et de sa
faiblesse à consentir que les prêtres se mêlassent des affaires de l’Etat, en
abandonnant ses propres sujets à la puissance ecclésiastique, lorsqu’il devait au
contraire les couvrir de son autorité pour les protéger contre les entreprises de cette
même puissance.
C’est sous le règne d’Henri III que le clergé et les jésuites eurent la criminelle audace de proclamer les principes subversifs de
toute monarchie légalement instituée :
« Qu’un prince qui maltraite ses citoyens est une bête féroce,
cruelle et pernicieuse ;
« Qu’il y a des cas où il est permis à tout le monde de tuer,
même celui qui est prince de droit, soit par succession, soit par
élection, mais qui devient tyran par sa conduite ;
« Que si un prince légitime devient tyran jusqu’au
point de piller les fortunes publiques et particulières, s’il méprise notre sainte religion, s’il charge ses sujets
d’impôts injustes, s’il fait des lois avantageuses pour lui et peu
utiles au public, la république doit s’assembler et l’inviter à se corriger :
que s’il ne répare pas ses fautes, elle peut lui faire la guerre, et si les
circonstances le permettent, lui porter le fer dans le sein.
« Que les princes sont tenus d’obéir au commandement du pontife (romain) comme à
la parole de J.-C., que s’ils y résistent il est en droit de les punir à titre de
rebelles, et que s’ils font quelque entreprise contre l’intérêt de l’Eglise ou la
gloire de J.-C., il peut les priver de leur royaume, donner leurs états à un autre
prince, et dégager leurs sujets
de l’obéissance qu’ils lui
doivent, et du serment qu’ils lui ont fait11. »
Et après la mort de ce monarque, Busenbaum, célèbre jésuite, ne craignit pas de publier dans un de ses ouvrages :
« Que l’action de Jacques Clément, dominicain, est une action mémorable, par laquelle il avait procuré à sa patrie et à sa
nation le recouvrement de sa liberté ; que le massacre du roi lui fit grande réputation, et qu’étant d’une
complexion faible, une vertu plus grande soutenait son
courage. »
De tels préceptes et de tels récits excitent l’indignation de tous les hommes de bien,
en même temps
qu’ils méritent toute la répression de
l’autorité séculière.
Mais le clergé de France était d’autant plus coupable, d’autant plus criminel de
des dogmes aussi affreux qu’ils étaient condamnés et fulminés par les propres
canons des SS. conciles, et que d’après les lois de l’Eglise, les souverains, loin
d’être soumis à la puissance ecclésiastique, et de pouvoir être tués,
lors même qu’ils deviendraient tyrans, sont au contraire considérés
comme sacrés dans leur personne et dans leur autorité :
1° « Principi populi tui non maledices ; vous ne maudirez
point le prince de votre nation.
Exode, chap. XXII, verset 28.
2° « Non occides : qui autem occiderit, etc. ; vous ne tuerez
point : et quiconque tuera méritera d’être puni par le jugement.
Evang. de
S. Matth., chap. V, vers. 21.
3° « Celui qui s’oppose aux
puissances, resiste a l’ordre de Dieu ; et ceux qui
résistent, attirent une juste condamnation sur eux-mêmes.
S. Paul, ép. aux Romains.
4° « Il est donc nécessaire de vous soumettre aux puissances,
non seulement par la crainte du châtiment, mais aussi par le devoir de la
conscience.
Id.
5° « Anathème terrible contre quiconque osera violer le serment fait
aux rois, et contre ceux qui attentent contre leur autorité et contre leur vie.
Quatrième concile de
Tolède, an 634, can. dern.
6° « Les évêques et les prêtres qui auront
violé les serments faits pour la sûreté du prince, ou de l’Etat,
seront déposés : il sera permis toutefois au prince de leur faire grâce.
Dixième conc. de Tolède, an 656, can. 2.
7° « L’homicide d’un tyran est illicite, c’est ce
qu’on voit par le décret du concile de Constance qui condamne la proposition de Jean
Petit : elle autorisait chaque particulier à faire mourir un tyran, par quelque voie
que ce fût ; et nonobstant quelque serment qu’on eût fait, sans toutefois nommer
l’auteur, ni aucun de ceux qui y étaient intéressés ; le concile, pour extirper cette
erreur, déclare que cette doctrine est hérétique,
scandaleuse, séditieuse, et qu’elle ne peut tendre qu’à autoriser les
fourberies, les mensonges, les trahisons et les parjures. De plus, le concile déclare
hérétiques tous ceux qui soutiendront opiniâtrement cette doctrine, et veut que comme
tels ils soient punis selon les canons et les lois de l’Eglise.
Conc. gén. de
Constance, an 1415, 15e sess.
8° « Si quelqu’un par esprit d’orgueil et
d’indépendance s’élève contre la puissance royale, dont Dieu même est l’instituteur, et qu’il refuse d’obéir sans vouloir se laisser
convaincre par la raison et par la religion, qui lui prescrivent une obéissance
entière, qu’il soit anathème. »
Concile de Tours, an 1583, can. 1. »
Il est impossible de condamner plus canoniquement ceux qui attentent
à l’autorité et à la vie des rois, soit que les coupables appartiennent à l’ordre
ecclésiastique, ou à l’ordre séculier.
Comment donc la Sorbonne, qui parfois s’est montrée protectrice des saines maximes,
n’a-t-elle jamais fait valoir l’autorité de ces canons, qui se rencontrent cependant
dans tous les recueils qui ont été publiés, et dont le nombre est considérable ?
Etait-ce ignorance ou partialité ?
L’ignorance est blâmable,
parce que les théologiens doivent connaître toutes les lois qui concernent la discipline
ecclésiastique, et la partialité serait criminelle, parce que, si à l’époque du règne
d’Henri III, les lois suprêmes, dictées par les conciles, avaient été proclamées et
soutenues par ses théologiens, la France n’eût pas été bouleversée, et le clergé
n’aurait point à se reprocher une révolte scandaleuse, ni l’assassinat d’un de nos
rois ;
Je dis d’un de nos rois pour borner ici des citations qui doivent déplaire au clergé,
car on pourrait, en s’appuyant de faits constatés, citer plusieurs crimes de ce
genre.
Si donc, il est prouvé par les événements les plus déplorables que l’ambition du
clergé, que l’oubli de la discipline qui lui est propre, que
l’ignorance des lois qu’il doit le plus connaître, l’aient porté à s’écarter de ses
devoirs d’une manière aussi coupable, l’autorité séculière doit sans cesse se mettre en
garde contre les nouvelles entreprises qu’il prétendrait former ; elle doit lui
reconnaître une administration toute spéciale dans l’Eglise ; mais hors de l’Eglise, il
lui appartient de surveiller la conduite des prêtres, et de savoir s’ils se conforment
eux-mêmes aux propres lois qui leur sont imposées par les canons des conciles, parce que
le prince est le protecteur né de ces mêmes conciles.
Chaque fois que les magistrats, qui sont les délégués du prince, feront sentir au
clergé, qu’ils ont assez de courage, assez de science, pour exiger qu’il se réforme de lui-même, en me servant des expressions du garde des sceaux de
Montholon, lorsqu’il
exige la réforme des
autres, le clergé deviendra moins ambitieux, se mêlera moins des affaires
publiques, et remplira beaucoup mieux les devoirs du sacré ministère.
Ce n’est qu’avec la plus grande vénération qu’on cite les efforts que les parlements de
France, les procureurs et les avocats-généraux, n’ont cessé de faire pour s’opposer
constamment aux usurpations des prêtres, et notre histoire leur paie à cette occasion un
tribut d’éloges bien mérités.
Il reste donc aux procureurs et avocats-généraux près nos cours royales, aux procureurs
du roi, aux préfets, sous-préfets et maires des diverses communes de bien se pénétrer de
la suprématie de la puissance séculière sur la puissance
ecclésiastique, et de l’autorité que le prince, en sa qualité de protecteur des saints canons, doit
exercer sur les
ministres du culte, afin de faire rentrer dans la discipline de l’Eglise ceux qui
pourraient s’en écarter. L’effet de cette action de la part de l’autorité séculière
imprimera aux ecclésiastiques plus de respect, plus d’égards pour les représentants du
gouvernement, et leur fera abandonner à jamais l’idée de sortir du cercle de leurs
devoirs et de leurs fonctions pour s’immiscer dans les affaires de l’Etat et des
familles, ce qui les conduit toujours à fomenter des troubles ou à exciter des débats
domestiques qui deviennent funestes ou au gouvernement ou aux citoyens.
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