DE MONSEIGNEUR
L’EVEQUE DE NISMES
Contre les Spectacles.
Aux Fideles de son Diocese.
A PARIS
Chez Jacques Estienne ruë saint Jacques
au coin de la ruë de la Parcheminerie, à la Vertu
[1709]
de Monseigneur
l’Evêque de Nîmes
Contre les Spectacles
Aux Fidèles de son Diocèse a.
Nous y sommes d’autant plus obligés, que le Ciel n’est déjà que trop irrité contre nous.
Convient-il, Mes très-chers Frères, d’étaler sur des théâtres un
attirail de vanité; d’y jouer des Scènes divertissantes, et d’y remplir l’esprit et le
cœur des peuples de frivoles et ridicules passions, dans des conjoncturesh où chaque citoyen
doit prier pour son Prince j ; où le Roi s’humiliant le premier lui-même sous la main
toute-puissante de Dieu, implore ses anciennes miséricordes ; et touchék d’une guerre que la justice et la
Religion l’obligent de soutenir, met tout son Royaume en prière
Prières ordonnées partout., et fait passer de son cœur royal dans celui de tous
ses Sujets, son humble confiance en Dieu, et sa charité pour son peuple.
Les spectacles, quand ils seraient innocents, ne doivent-ils :pas être défendus dans ces
temps de tribulation ? Ne sait-on pas que (selon le Sage
Eccles. ch. 9.) la musique dans le deuil est une musique à
contretempsl ; et que Jésus-Christ
fit sortir d’une maison affligéeles Joueurs de flûte, et la troupe bruyante qui les
suivaitm
?
Les saints Canons ont toujours défendu les réjouissances publiques aux pénitents ; et
quand le serons-nous, Mes Très-chers Frères, si nous ne le sommes
lorsque nous voyons la colère du Ciel répandue sur toute la terre. L’Eglise retranche même
dans les jours de tristesse et de deuil, les solemnités de son culte, les parures de ses
Autels et de ses Ministres, la douceur même et la gaieté de ses chants ; et vous irez
repaître vos yeux des agréments affectés, et du pompeux ajustement de quelques femmes
licencieuses, et prêter l’oreille à la voix et aux récits passionnés de ces Sirènes, dont
parle Isaïe. ch. 13., qui habitent dans
les Temples de la voluptén.
Vous croyez peut-être, Mes Très-chers
Frères, qu’il est bon
d’amuser et d’étourdir, pour ainsi dire, les craintes et les inquiétudes des peuples, et
de leur mettre à la place de tant de tristes objets qui les environnent, des idées qui les
divertissent.
Peuvent-ils ignorer les fureurs et les agitations du monde ? Ne sentent-ils pas les maux
présents et ne prévoient-ilso pas les maux à venir ? Est-ce au pied du théâtre, ou de l’autel qu’on va
chercher les consolations des tristesses publiques ou particulières ? Les malheurs réels
que nous ressentons, ou dont nous sommes menacés, se guérissent-ils par des chansons et
par des fictions faites à plaisir ? Pendant qu’Israël et Juda, Joab et vos Princes sont
sous des tentes, dans les brûlantes ardeurs de la guerre et de la saison, il vous sied
bien d’écouter à vôtre aise, un Chanteur ou une Chanteuse, et de voir sur un théâtre,
comme en raccourci, la figure du monde qui passe.
Ne croyez pas, Mes Très-chers Frères, que nous voulions vous
effrayer : nous espérons aussi bien que vous, que nous aurons sujet de nous réjouir, et
que le Seigneur bénira nos armes : mais sera-ce aux Dieux de l’Opéra que nous ironsp porter votre reconnaissance et
vôtre joie ? c’est au Dieu vivant que nous offrirons nos solennelles actions de grâces ;
nous chanterons les Cantiques de Sion dans nos Temples : Nous nous réjouirons, et notre
modestie sera connue de tout le mondeq. Nous adorerons le Dieu des armées, et
nous substituerons des spectacles de Religion aux spectacles impurs et profanes, dont vous
n’avez été que trop enchantés.
Nous vous conjurons, Mes Très-chers Frères, par Notre Seigneurr
Jésus-Christ, de vous en abstenir. Evitez les pièges funestes que le
Démon vous a tendus. Ne fournissez pas à vos convoitises de quoi se soulever contre vous.
Ecoutez la voix du Pasteur, qui vous exhorte et vous sollicite, qui aime mieux
devoir votre obéissance à ses charitables conseils, qu’aux censures que l’Eglise lui a
mises en main. Donné à Nîmes, dans notre Palais Episcopal, le huitième
jour de Septembre mil sept cents huit.