NOUVELLES OBSERVATIONS,
AU SUJET
DES
CONDAMNATIONS PRONONCÉES CONTRE LES COMÉDIENS.
Les Apologies faites en faveur de la Comédie ont toujours été assez foibles ;
& toujours ces Apologies ont été réfutées par des plumes habiles.
Pourquoi la Comédie n’a-t-elle point eu de meilleurs défenseurs ? C’est que, dans
cette entreprise, un Ecrivain se trouve d’abord arrêté par des obstacles qui
mortifient son amour-propre ; car, d’un côté, des personnes pieuses regardent
comme un crime, la seule proposition de faire absoudre les Comédiens par
l’Eglise ; & de l’autre, les trois quarts des Spectateurs traitent de
ridicule, le soin que l’on prend de justifier leur plaisir : de façon que cette
défense est, aux yeux des Dévots, un attentat ;
& aux yeux des
Gens du monde, un pédantisme.
Cependant, on ne sçauroit disconvenir que de voir les Comédiens, en même-tems,
proscrits & autorisés, ne soit une chose qui renferme une singularité
frappante.
En vain les Théologiens croyent-ils s’être assez rapprochés, & avoir
suffisamment étendu leur charité, en établissant, que l’on peut tolérer ceux qui
vont aux Spectacles ; & qu’à l’égard des Acteurs, dans les momens pressans,
on est prêt à recevoir leur abjuration ; en vain d’autres Philosophes
pensent-ils, d’après Pope, que tout est bien, tel qu’il soit, & qu’il faut
des ombres au Tableau ; en vain la Politique croiroit-elle entrevoir, dans une
innovation, quelques inconvéniens : il n’en est pas moins vrai, que de vouloir
diffamer une Troupe de Gens à talens, que l’on reconnoît d’ailleurs être
nécessaires, est une contradiction insoutenable, & qui ne peut pas long-tems
subsister dans un Etat, dont le goût & les décisions sont des Loix pour
toutes les autres Cours de l’Europe.
Le désir de décider la question est donc un désir légitime ; mais si, en
l’entreprenant,
on n’a pour soi, ni les consciences scrupuleuses,
ni les consciences aisées, à qui donc pourra-t-on s’adresser ?
Ce sera à un petit nombre de Personnes qui, quoique jouissant des délassemens de
la Société, respectent la Religion ;
A des Personnes qui sçavent que beaucoup de préjugés, dont on croyoit ne jamais
revenir, ont néanmoins été détruits par la suite ;
A des Personnes, enfin, assez généreuses pour faire valoir, auprès des
Puissances, ce qu’elles auront trouvé de juste dans la Cause des Comédiens,
& qui détachées d’intérêts personnels, chérissent tout ce qui peut constater
la gloire de l’Etat.
On espere rassembler tout ce qu’il est possible de dire, à ce sujet, dans les
trois Observations suivantes.
1°. Que les raisons que l’on a rapportées jusqu’à présent, pour
prouver que la Comédie condamnée n’est point celle qui existe
aujourd’hui, n’ont jamais été exposées avec assez de soin.
2°. Que la Comédie, telle qu’elle a été traitée par Moliere, est
suffisamment bonne pour les mœurs ; à plus forte raison depuis les sages
réglemens qui ont été introduits.
3°. Que les désordres que l’on pourroit
reprocher
aux Personnes de Théâtre, sont indépendans de leur Profession.
Ce n’est que depuis un siécle environ, que l’on est en droit d’espérer de
l’Eglise, l’Absolution des Comédiens ; car on ne doit pas s’attendre ici,
que l’on ose improuver les respectables décisions des Conciles. On prétend
seulement faire voir les motifs qui ont occasionné ces décisions, & que
ces motifs n’existent plus.
Si la Comédie eût toujours été telle qu’elle est aujourd’hui, il y a lieu de
croire qu’elle ne se seroit point attiré les Censures Ecclésiastiques.
On va rapporter comment, depuis la naissance du Christianisme jusqu’au tems
des derniers Conciles, elle les a justement méritées.
On ne peut exprimer jusqu’à quel point la licence fut portée à Rome, sous les
derniers Empereurs.
On n’accusera pas les Saints Peres d’avoir été des Censeurs outrés, ni des
Critiques trop austeres, quand on sçaura qu’il
se passa un
très-long espace de tems, avant qu’ils obtinssent la suppression des Bains
publics, communs aux hommes & aux femmes, dans lesquels se trouvoient
des femmes Chrétiennes.
Les Spectacles étoient dans le même goût.
Apulée, qui vivoit dans le deuxieme siecle, fait la description d’un
Spectacle Pantomime de son tems, où l’on représentoit le Jugement de Pâris,
& où Vénus paroissoit telle qu’on la décrit dans les Métamorphoses.
Cette représentation du Jugement de Pâris, étoit suivie de l’exposition d’une
femme condamnée à mort, & à une prostitution dont la pudeur ne permet
pas de nommer le genre.1
Au fameux Théâtre d’Antioche, qui, dans sa vaste enceinte, comprenoit un
Jardin & une partie de la Fontaine de Daphné, des Femmes qui faisoient
les Rolles de Nayades, pendant la représentation de la Piéce, nageoient nues
aux yeux des Spectateurs.
Il arrivoit encore que beaucoup de Comédiens,
à l’exemple des
Gladiateurs, se blessoient à mort sur la Scéne ; de sorte que, sans qu’il
soit besoin de multiplier les exemples, on voit clairement que ce n’étoit
alors, qu’horreurs, que meurtres, que prostitutions.
Une autre espece de Spectacles, qui, quoique bien moins abominables, étoient
tout aussi dignes de la juste Censure des Saints Peres, étoit la
Représentation des Mystères du Paganisme ; car quoiqu’aujourd’hui nous
soyons peu touchés des Aventures de Jupiter, de Mars, &c. & que les
Dieux, sur notre Théâtre, figurent assez mal, un nouveau Chrétien, qui
assistoit à ces Spectacles, n’étoit pas moins irrégulier qu’un Juif, qui de
nos jours seroit nouvellement converti, & que nous verrions retourner à
la Synagogue.
Une réflexion générale est que l’établissement du Christianisme demandoit,
sans doute, des précautions, qui aujourd’hui ne seroient pas nécessaires ;
& tout le monde conviendra que l’on doit être bien plus sur ses gardes,
quand on est sur des Terres Ennemies.
Après la destruction de l’Empire de Rome, la Comédie, suivant l’expression
de beaucoup d’Auteurs, resta ensevelie sous les ruines des
Villes.
A la fin du septieme Siécle & dans le huitieme, elle reparut chez les
Empereurs d’Orient ; mais sous quelles couleurs ? Cette nouvelle Comédie ne
méritoit pas moins toute l’indignation de l’Eglise. Ces Princes, entêtés de
l’erreur des Iconoclastes,2 permettoient que des Bouffons, revêtus d’habits
Episcopaux, fissent mille indécences. Un Patriarche déposé étoit l’objet
d’une de ces Farces publiques, & l’on n’épargnoit rien pour tourner en
dérision les Evêques & tout le Sacerdoce.
C’est quelques tems après que les Tournois commencerent à s’établir en
France, c’est-à-dire, comme plusieurs le prétendent, sous le regne de
Charles le Chauve, dans le neuvieme Siécle. Auparavant, il paroît que les
Armes, la Chasse, le Plein-Chant, tenoient lieu de tout amusement.
On sçait jusqu’à quel point ces Tournois, qui d’abord ne paroissoient qu’un
Exercice Militaire, devinrent par la suite dangereux, & il est
innombrable combien de Noblesse y a succombé.
L’Eglise, qui voyoit dans des Chrétiens, de nouveaux Gladiateurs
déjà condamnés par les Peres, n’a cessé de fulminer contre ces Jeux, pendant
le tems immense qu’ils ont duré.
J’ose remarquer en passant, que si les Théologiens de France, qui voyoient
les Princes & le Peuple si amoureux de cet Exercice, eussent représenté
dans les Conciles la nécessité de le régler plutôt que de le condamner en
général, & que la sévérité des Conciles n’eût tombé que sur ce que l’on
appelloit les Combats à outrage & à fer émoulu, ces
Jeux, sans doute, n’auroient pas eu des effets ni des suites aussi
funestes.
Venons, enfin, au tems du dernier Concile Général.
Le terrible accident, arrivé à Henri II, qui mettoit tous les Jeux en
horreur, & la révolte naissante de Luther, qui, par ses maximes
relâchées, venoit de secouer le joug de la vraie Religion, permettoient-ils
d’espérer qu’au Concile de Trente, & dans les Parlemens de France, on
auroit d’autre objet, que tout ce qui pourroit contribuer à l’austere
Réformation des Mœurs, & à la plus réguliere Observation de la
Discipline ? Et étoit-ce là le moment de
se flatter, après tous
les crimes que l’on vient d’exposer, que l’on voudroit bien se prêter à un
nouvel Examen au sujet des Spectacles, & que l’on auroit
quelqu’indulgence, pour qui ? Pour une troupe d’Acteurs
imbécilles, qui paroissoient depuis quelque tems parmi nous, & qui
prophanoient les Mysteres de la Religion, en les représentant au coin des
rues & sur des échaffauts ?
Les Tragédies & Comédies de Garnier & de Jodelle, qui parurent dès
1551, ne méritoient gueres une exception. Tout ce qui a rempli le Théâtre
long-tems après, n’en étoit pas plus digne, à commencer par les Bandes
Italiennes, amenées sous Henri III, qui ne jouoient que des Farces remplies
de libertés.
Quelle comparaison est-il donc possible de faire des Spectacles dont on vient
de parler, à ceux qui paroissent aujourd’hui ? Et quelle justice y a-t-il à
appliquer aux uns, les condamnations portées contre les autres.
Cependant il se rencontre des Ecrivains, qui, sans avoir égard à cette
prodigieuse différence, semblent chercher à entretenir le courroux de
l’Eglise ; qui trouvent
du Crime jusques dans les Drames les
plus sages, & qui soutiennent enfin que des Piéces de Théâtre aussi
honnêtes & aussi épurées que nos bonnes Comédies, ont été de tous tems
condamnées pour leur seule inutilité.
Du nombre de ces Ecrivains, est le Pere le Brun dans sa réplique3 à la
Lettre imprimée à la tête des Œuvres de Boursault.
Les critiques du Pere le Brun sont si outrées, & ses Comparaisons si
injustes, qu’on n’y peut respecter que son zele.
D’ailleurs, le P. le Brun devoit-il tant se prévaloir de plusieurs Conciles
particuliers, qui ne regardent qu’une certaine Discipline, comme ceux de
Tours & de Bourges, en 1683, & 1684, qui défendent les Spectacles
les jours de Fêtes, les danses dans les Cimetieres, les danses devant les
Eglises, &c ?
Devoit-il encore regarder, comme un si grand surcroît d’autorités, les
Rituels des Diocèses, puisque les Rituels ne sont qu’une suite naturelle des
décisions des Conciles ?
Les autorités que le P. le Brun tire des Auteurs Payens,
ont-elles plus de force ?
Que, suivant le témoignage d’un Historien, Junius Messala ait été blâmé
d’avoir frustré ses légitimes Héritiers, pour donner tout son patrimoine à
des Comédiens ; Messala faisoit, sans doute, une action injuste ; mais
quelle conséquence en tirer contre les Comédiens ?
Que Juvénal, dans sa dixieme Satyre, ait reproché au Peuple Romain, qu’il ne
désiroit plus que deux choses : du Pain, & les Jeux du
Cirque.
Eh ! comment les mœurs monstrueuses, qui régnoient alors, & qui
s’accroissoient tous les jours, pouvoient-elles échapper à un Poëte
satyrique ?
Etoit-il supportable, même aux yeux des Philosophes Payens, que sur la fin de
l’Empire, les Théâtres fussent bâtis plus superbement que les Temples, &
que les Jeux du Cirque fussent plus brillans que les Cérémonies
Religieuses ?
Il en est des Etats comme des Particuliers : ils succomberont
infailliblement, si l’amour du plaisir éteint celui du devoir.
Nous exposerons, par la suite, les causes de la disgrace des Comédiens chez
les
Payens. Nous nous réservons aussi à demander si les
plaisirs modérés sont en eux-mêmes criminels, & si notre Comédie n’est
d’aucune utilité, & d’autres choses qui n’appartiennent pas absolument à
l’objet que l’on s’est proposé dans ce premier Chapitre.
Mais un sentiment que l’on ne sçauroit trop-tôt combattre, est celui du Pere
le Brun, & de quelques autres Théologiens, qui soutiennent que les
Spectacles, condamnés par les Peres, n’étoient pas plus coupables que nos
Comédies.
On peut assurément comparer nos bonnes Comédies à celles de Térence. Or, sur
quoi le Pere le Brun peut-il appuyer son sentiment ; une seule réflexion
suffira pour le détruire.
Si les Spectacles, contre lesquels Saint Chrysostôme fulminoit avec tant
d’ardeur, eussent été des Spectacles tels que les représentations des Piéces
de Térence, seroit-il vraisemblable que S. Jérôme, qui sans doute étoit de
la même Doctrine, & qui vivoit dans le même Siécle, eût dit, dans l’une
de ses Epîtres, qu’il faisoit ses délices de la lecture de cet Auteur ?
S. Jérôme tenoit ce goût de Donat,
dont il avoit été Disciple à
Rome, & qui a fait des sur Térence & sur Virgile.
Saint Jérôme auroit-il encore adopté plusieurs traits des Comédies de
Turpilius, Poëte qui vivoit au tems de Pompée ?
On ajoute enfin, que si de pareilles Piéces étoient si condamnables, il
seroit bien étonnant que l’on eût un Recueil des Comédies de Térence, de
l’impression du Vatican.
On croit que ce raisonnement seul doit suffire ; & de bonne-foi, on ne
pense pas qu’il soit possible d’y répondre.
Il parut, en 1669, un Ecrit contre la Comédie, que l’on attribue à un grand
Prince. Après avoir avoué la vénération que l’on doit ressentir pour cet
Ouvrage, on ne peut s’empêcher de dire qu’on y apperçoit, ainsi que dans
quelques maximes de M. de la Rochefoucault, un peu trop de dégoût du
monde.
Il est décidé d’ailleurs, que la fervente dévotion a des degrés où il est
toujours très-bon de s’efforcer d’atteindre, mais qui ne peuvent pas faire
une loi absolue pour le général des hommes.
Au grand Conti, enfin, on peut opposer
le grand Condé, qui,
quoique pénétré des sentimens les plus Chrétiens, qu’il a fait éclater dans
un Testament le plus édifiant & le plus judicieux du monde, a toujours
été le Protecteur des Théâtres, & des bons Ouvrages en tous genres.
On objecte encore qu’au commencement du Siecle où nous sommes, il parut
plusieurs Mandemens peu favorables à la Comédie.
Mais que l’on fasse attention que les Mandemens, ainsi que les Rituels, sont
une conséquence nécessaire des sentimens reçus dans l’Eglise.
Rien n’est au-dessus de la vérité. La généreuse hardiesse d’un Casuiste qui
nous montre que le mal n’est pas où en effet il ne se trouve point, est
peut-être plus admirable & plus utile à la Religion, que le zele outré
de celui qui nous dégoûte de nos obligations en les exagérant.
C’est dans ce principe que tant d’illustres Personnages, & tant de saints
Docteurs, que l’on appelle Scholastiques, ont laissé entrevoir combien ils
étoient indulgens à la Comédie.
On ne terminera pas ces Observations sans les citer. Pour le moment, on
choisit
sit seulement le célébre M. Huet, Evêque d’Avranches,
qui, dans sa Lettre sur les Romans, nous fait entendre que l’Allégorie, que
l’Ironie même sont permises ; & que ces deux figures n’ont point été
bannies de ce Livre sacré, dont toutes les expressions sont si sublimes
& si mesurées, dans le Livre enfin le plus cher aux Chrétiens.
Il ne faut pas perdre de vue que la Comédie est un plaisir.
Un des plus honnêtes Hommes que le Théâtre ait possédés depuis
long-tems,4 proposa,
il y a quelques années, un plan de réforme ? mais il faut avouer que ses
bonnes intentions l’ont conduit à un plan qui est impraticable. Ses Statuts
conviendroient, pour ainsi dire, à une Communauté de Religieux ; & il
n’est pas possible, ni même du bon ordre, que le Théâtre ait l’air d’un
Monastère.
Il est constant que si les Théologiens
prenoient la peine de
réfléchir attentivement sur la nature des Piéces de Moliere, ils
conviendroient, avec quelques exceptions, qu’elles sont suffisamment bonnes
pour les mœurs ; à plus forte raison notre Comédie, depuis que la Cour a
institué des Censeurs pour l’examiner & la corriger, avant qu’elle soit
présentée au Public.
La Bruyere, dont les sentimens ont été reconnus si orthodoxes par son fameux
Chapitre contre les Esprits forts, ne peut dissimuler que les Personnes
pieuses ne connoissent qu’un seul péché au monde, qui est l’amour.
Mais l’Epoux qui devient le tyran de sa Femme, & qui est si bien
contrasté dans l’Ecole des Maris, par le galant homme qui
laisse une honnête liberté à la sienne ;
Celui qui abuse d’un dépôt confié, qui veut séduire, en sa faveur, une Enfant
qu’il a mal instruite, & qui compte lui enlever & les douceurs de la
vie & les biens ;
Un faux Philosophe, rempli de lui-même, qui se complaît dans le mérite
sauvage de détester l’humanité ;
Un avare sordide, ingrat envers ses Enfans :
Tous ces objets ne sont-ils pas vicieux ?
Ne voudra-t-on jamais
se persuader que l’Amour, au Théâtre, n’est représenté qu’avec les nuances
convenables !
Dans les Tragédies, il est la source de tous les malheurs qui arrivent aux
hommes ; dans les Comédies, il a pour but l’union la plus légitime. S’il est
criminel, il cause la mort ; s’il ne l’est pas, il fait un mariage.
Un objet dont les Ecclésiastiques se mêlent peu, & qui cependant, dans la
Bourgeoisie, est d’une grande conséquence, est le juste assortiment des
mariages. Ainsi l’obsession des Vieillards, les poursuites maussades des
sots amoureux, les vues intéressées des Parens, ont toujours dû paroître
importantes aux Poëtes Comiques, & sur-tout à un aussi grand Philosophe
que Moliere.
C’est dans des vues aussi utiles à la société, qu’il a peint la stupidité de
certains Gentillâtres, l’entêtement des Roturiers qui veulent être
Gentilshommes, les fausses caresses des gens de Cour, les Fats, les
Précieuses.
Moliere n’étoit ni impie, ni méchant ; & pour se convaincre qu’il n’a
jamais eu que des intentions sages, que l’on songe
un instant
au fond de deux de ses Piéces, qui sont le plus attaquées pour les
mœurs.
Au sujet du Festin de Pierre, il fut imprimé une Critique faite par un
Ecclésiastique, où l’on se récrie beaucoup sur ce que, dans cette Piéce, les
intérêts du Ciel sont remis entre les mains d’un Valet, & sur ce que Dom
Juan est puni par une ridicule fusée.
Quelle solidité y a-t-il dans une pareille Critique ? Cette Piéce, adoptée
par Moliere, & ensuite par Thomas Corneille, est, comme l’on sçait,
tirée de l’Espagnol ; & l’on y reconnoît aisément le goût de la Nation,
pour mettre des moralités dans la bouche des Valets. Le Sganarelle de Dom
Juan n’est autre chose que le Sancho de D. Quichotte, qui rend mal de fort
bonnes pensées ; mais les Auteurs n’ont eu assurément en cela aucune idée de
jouer le Ciel. S’ils eussent manqué de probité, il leur auroit été facile de
rendre le Libertin moins détestable. On n’est responsable que des couleurs
que l’on prête aux vices ; & à l’égard de la punition Théâtrale que Dom
Juan éprouve à la fin, qu’elle soit bien ou mal représentée, il n’en résulte
pas moins l’aveu des Auteurs, que l’impiété de Dom
Juan est
digne du dernier supplice.
Quel est le but principal de Moliere dans la Piéce de George Dandin ? C’est
de railler la faute que fait un homme de rien, en épousant une fille de
qualité. Mais on peut ajouter que, dans cette Piéce, il se trouve une
correction bien plus essentielle ; car si la femme de George Dandin est
visiblement coquette, elle est aussi visiblement ridicule ; & c’étoit
bien là l’intention de Moliere, qui, sur l’infidélité conjugale, portoit
plus loin que personne le chagrin & la jalousie, que, dans l’autre
siecle, on voyoit si fort à la mode.
Il est peu d’hommes qui souhaitassent que les femmes, dont ils sont écoutés,
fussent semblables à celle-là, & qui fussent bien flattés d’une intrigue
qui ne subsisteroit que par des tours aussi malins.
Ce n’est pas que dans les Piéces de Moliere il n’y en ait, comme Amphitrion
& le Tartuffe, que les Censeurs n’approuveroient pas aujourd’hui. L’une
n’ayant rien d’intéressant pour nous, & ne pouvant produire aucune
utilité, & l’autre étant dangereuse à beaucoup d’égards.
Il est vrai que le Tartuffe n’a peut-être pas été infructueux envers ceux qui
se sont
le plus courroucés contre lui, & que les gens
d’Eglise pouvoient avoir alors un extérieur affecté, & une ardeur à se
mêler des affaires des familles, que l’on ne remarque plus en eux à
présent.
Quand un vice ou un ridicule n’existent plus, on s’apperçoit moins de la
nécessité de l’Ouvrage qui les a détruits.
Mais, quelques bons effets que le Tartuffe ait pu produire, tous les sujets
de Piéces qui conduisent à employer des termes, ou sacrés ou mystiques,
doivent être bannis du Théâtre.
C’est la raison pour laquelle les sujets tirés des Ecritures Saintes,
auroient dû n’y jamais paroître ; & c’est dans ce sentiment, sans doute,
que, de nos jours, les Magistrats n’ont point permis le Moyse de M. l’Abbé
Nadal, ni d’autres Tragédies modernes.
Il y a encore dans les Comédies les plus morales de Moliere, quelques traits
que l’on n’approuveroit pas, comme quand Arnolphe dit à Agnès, dans l’Ecole des Femmes.
Et ce que je vous dis ne sont pas des
Chansons.
On sçait bien que le ridicule tombe sur un homme qui emploie,
& qui outre les expressions de la Religion, pour un intérêt charnel,
ainsi que dans le Tartuffe ; mais ces peintures, quoique naïves, sont trop
sujettes à être mal interprétées.
Il en est de même de cette maxime de l’Œdipe de M. de Voltaire ;
Quoique les Prêtres de Jocaste soient assurément reconnus pour des
imposteurs, ces Vers, dans l’esprit des jeunes gens, occasionnent trop une
mauvaise application.
M. de Voltaire, qui a si bien suivi les traces du grand Corneille, & qui
a fait plus que lui, en enrichissant la Nation d’un Poëme Epique, auroit dû
imiter son noble empressement à retrancher dans le Cid, les quatre fameux
Vers sur le Duel, dès qu’on lui eût fait entendre qu’ils étoient contre les
bonnes mœurs. Personne n’ignore que la vraie gloire ne peut s’acquérir que
par les plus chers sacrifices.
Si donc, dans les Piéces de Théâtre, on entrevoit encore aujourd’hui quelques
maximes douteuses, d’un autre côté quelle politesse, quelle
élévation de sentimens, quelles grandes leçons ne renferment elles pas !
La politesse qui regne au Théâtre peut être comparée à celle du Courtisan le
plus attentif.
Le danger que pourroient causer les Spectacles (à des cœurs qui
succomberoient par-tout) n’est-il pas bien compensé par l’utilité que
d’autres en retirent ?
Combien de jeunes gens, peu assidus aux Prédications les plus saintes &
les plus éloquentes, ne conserveroient aucune idée des bonnes mœurs, s’ils
n’étoient attirés aux Spectacles par l’appas du plaisir ; & il faut
avouer que lorsqu’un trait de morale s’y rencontre, il frappe d’autant plus
que l’on s’attendoit moins à l’y trouver.
Un amusement si instructif sera-t-il toujours accusé, & doit-on se faire
un nouveau titre des regrets que Corneille & Racine ont témoignés sur la
fin de leurs jours ?
Corneille & Racine ont gémi ; ils en ont eu raison, sans doute,
puisqu’ils ont passé leur vie dans une occupation condamnée : mais n’est-il
pas bien cruel que les Auteurs
de Cinna,
d’Héraclius & de Phédre, ayent
été fondés à verser des larmes d’un juste repentir ?
Plus les désordres pourroient paroître grands dans les mœurs des Comédiens,
& plus un cœur, vraiment pénétré de charité, devroit se hâter d’en
écarter tout prétexte.
Ce n’est pas que de tout tems, il n’y ait eu parmi eux de très-honnêtes gens.
Ce n’est pas que le corps des Comédiens n’ait, en tout tems, fait de
très-bonnes actions ; peut-être même s’en est-il trouvé qui, par des
dévotions fréquentes, ont taché de racheter devant Dieu, le malheur d’une
profession dans laquelle ils étoient nécessairement engagés.
Mais en général seroit-il étonnant que des personnes, sur qui l’on veut
imprimer une tache continuelle, ne se piquassent pas de beaucoup de
régularité ?
Indépendamment de cela : le Théâtre
est-il le seul endroit où
les femmes trouvent des Amans ?
Les femmes de Théâtre, par leur profession, sont, pour ainsi dire, des hommes
de Lettres, & elles sont si laborieuses, qu’il n’en est peut-être pas
dans le monde qui, par leurs occupations, soient si fort au-dessus d’une
oisive volupté.
Si donc les galanteries des Comédiennes font du bruit, il ne faut pas s’en
prendre à leur profession. Ajoutez à cela que leurs aventures sont plus
difficilement ignorées, & que l’on se plaît volontiers à médire des
personnes qui paroissent en public.
Il y a encore une autre prévention de la part de ceux qui blâment les
Spectacles sans les avoir fréquentés.5 C’est de penser que les Actrices y soient habillées
plus immodestement qu’ailleurs.
Une Comédienne qui n’observeroit pas exactement les modes reçues à la Cour
& à la Ville, & qui iroit au-delà, feroit une faute contre son état,
& s’exposeroit à des désagrémens.
Jettons donc à présent les yeux sur la disgrace des Comédiens, même chez les
Payens.
Cette disgrace vient de la témérité des Poëtes, dont ils se sont
rendus les Organes.
Aristophane est le Pere de cette proscription qui, aujourd’hui, malgré leurs
supplications & leurs réformes, subsiste encore, contre les Comédiens,
parmi nous.
La Comédie fut regardée, dans sa naissance, comme un effet de la sagesse des
Grecs, & elle resta long-tems dans la plus haute estime ; mais quand un
Poëte osa se mocquer publiquement des Dieux, des Ministres de l’Etat, &
des Philosophes les plus respectés, les choses changerent de face, & ces
Comédiens, auparavant si aimés, furent alors chassés comme ils le
méritoient.
Les Romains, tant que la Comédie chez eux fut honnête, ne proscrivirent leurs
Comédiens, que par l’affectation qu’ils avoient d’imiter en tout les Grecs,
& plus encore, par l’ombrage qu’ils concevoient de tout ce qui pouvoit
diminuer leur vanité ; car on ne peut s’empêcher d’être surpris qu’un Peuple
si belliqueux, fût si puérile en tant de choses, & si souvent sujets aux
terreurs paniques.
Une preuve de contradiction chez les Romains, sur le compte de
leurs Comédiens, est que ceux qui jouoient dans les Piéces Attelanes, qui
étoient des espéces d’in-promptu, n’étoient point notés, parce que les
Citoyens eux-mêmes se plaisoient à s’en mêler.
La disgrace des Comédiens chez les Grecs est donc accidentelle, & chez
les Romains contradictoire.
Il est par-conséquent visible, que le bien & le mal de cette profession
consistent dans les bonnes ou mauvaises maximes qu’on y débite, & que la
profession n’a rien de déshonnête en soi.
Ira-t-on incendier toute une Bibliothéque parce que l’on sçaura qu’elle
renferme des Livres obscénes ou impies, & ne vaut-il pas mieux l’en
purger ?
Sera-t-il nécessaire de renouveller ici la question, que les défenseurs de la
Comédie ont faite tant de fois ? Pourquoi la représentation du même sujet,
dans les Colléges & sur le Théâtre public, est d’un côté une bonne
action, & de l’autre un crime ?
Faut-il que tout ce qui touche à ce Théâtre se souille dans l’instant ? Et à
cette occasion,
on demandera si l’on doit, comme le font de
certains Ecrivains, rendre les Comédiens responsables de toutes les
iniquités des hommes ?
Que l’on nomme une Ville où jamais la plus petite Troupe de Campagne ne se
soit établie : y verra-t-on les hommes moins brutaux, moins yvrognes, les
femmes moins galantes ? L’avarice, la perfidie, l’indévotion, & tous les
vices y seront-ils moins communs ?
On pourroit, au contraire, citer la Capitale d’une Province de France, du
côté du Nord, où les bonnes mœurs se font remarquer ; où l’on remplit avec
la plus grande piété, les devoirs du Christianisme ; où les hommes sont
laborieux, & les femmes rarement infidelles, & où cependant
l’inclination pour les Spectacles est si grande, que dans les tems où ils
sont suspendus ailleurs, c’est-à-dire, dans les jours saints, ils y
subsistent encore, & souvent alors quelques bons Acteurs de Paris s’y
sont transportés pour s’y joindre aux Troupes qui y sont fixées.
Peut-on être insensible à ces raisons, & seroit-il possible que l’on
restât aujourd’hui dans l’indifférence ?
On convient que ce n’est point aux Ecclésiastiques à se rendre
ouvertement les défenseurs d’un Spectacle qu’ils ne fréquentent pas, qu’ils
voyent condamné dans la plupart des Livres qui se présentent à leurs yeux,
& dont ils devroient même blâmer le trop grand usage, en le regardant
comme un plaisir permis.
Mais doivent-ils se refuser aux raisons les plus évidentes, & peuvent-ils
ne pas ressentir quelque douleur, en prévoyant que les Spectacles seront
difficilement détruits, par l’attachement que les Peuples ont fait voir de
tous tems pour cette sorte d’amusement ; & qu’ainsi un grand nombre
d’hommes Chrétiens, qui y sont employés, seront toujours chargés de la haine
de l’Eglise ?
Une opinion encore bien étonnante, est de croire que les occupations d’un
Comédien ne lui laissent pas le tems des plus graves réflexions. Quoique cet
état soit pénible, par toutes les études qu’il exige, l’exercice n’en est
pas journalier. Un Acteur sera quelquefois plusieurs mois sans paroître sur
la scene ; & dans les tems où les Spectacles sont le plus courus, ce
n’est que trois jours de la Semaine que l’Acteur
le plus
nécessaire paroît en public.
Il est donc incontestable qu’un Comédien peut avoir l’esprit porté aux choses
sérieuses, tout autant que les Sculpteurs, les Peintres, & tous les
Professeurs des Arts agréables.
A Londres, il n’est guères de Comédiens qui n’ayent une profession étrangere
à la Comédie.
Est-ce, enfin, un faux bruit, ou s’il est vrai que la Cour de Rome n’exerce
plus contre cette profession la rigueur qu’elle s’est attirée autrefois avec
tant de justice ?
Et lorsque quelques Théologiens disent : Mais, si les pompes du Démon ne sont
pas là, où sont-elles donc ? On leur répond, sur l’autorité de plusieurs
autres Théologiens, que les pompes du Démon sont dans le péché, &
spécialement dans l’orgueil ; que les choses les plus riches & les plus
brillantes ne sont point, en elles-mêmes, criminelles ; que le plus beau de
tous les Spectacles est la contemplation du Ciel, de la Terre, & de la
Mer ; que Salomon, dans sa gloire, n’étoit pas si artistement vêtu que le
Lys des champs ; & que tous les efforts de magnificence, que peuvent
faire les Souverains, ne valent pas un simple boccage que nous offre la
Nature.
Il est des matieres qu’il n’est pas permis à tout le monde de
traiter ; mais on croit, au sujet du rapport des actions à Dieu, que le
rapport continuel des actions les plus indifférentes, comme le
jeu de cartes, de dez, conduit à une spéculation que bien des
esprits ne sont pas capables de supporter.
Cependant, il y a des exemples que quelques Comédiens, même dans l’état où
sont les choses, croyoient sans doute le pouvoir faire. Thomassin, de la
Comédie Italienne, suivant l’usage Ultramontain, ne montoit jamais au
Théâtre qu’il ne fît le signe de la Croix. Beaubour dans les Eglises
édifioit tous ceux qui l’environnoient. Du côté de la bonne conduite, &
de la piété, on cite encore Mademoiselle Beauval, ainsi que plusieurs
autres, qui ont rempli tous les devoirs d’honnêtes femmes, avec la plus
grande exactitude, & qui n’ont jamais été soupçonnées de la moindre
galanterie.
On peut donc, sans avoir égard aux paralleles injurieux, que font de certains
Critiques, soutenir hardiment, qu’il est possible qu’un Comédien soit, dans
son métier, un homme très-juste devant Dieu.
Et la possibilité ne consiste qu’en deux
choses. 1°. Que ses
actions, & les Piéces dans lesquelles il joue, soient suivant les bonnes
mœurs. 2°. Que l’Eglise veuille bien le purger d’une indignation qui paroît
n’avoir plus de fondement.
Des raisons que l’on vient d’exposer, on peut conclure que la Comédie, telle
qu’elle a été dans sa naissance, & telle qu’elle est aujourd’hui, doit
passer pour l’effet de la sagesse des Peuples les plus polis, & que sa
disgrace vient :
Chez les Grecs, de la témérité d’Aristophane.
Chez les Romains, de leur affectation à imiter les Grecs.
Chez les premiers Chrétiens, de l’impureté, de l’idolâtrie, & des
abominations des derniers tems de l’Empire de Rome.
Au septieme Siecle, des jeux sacriléges des Iconoclastes.
Quelques tems après, de l’établissement en France des jeux homicides des
Tournois, qui ont duré jusqu’au seizieme Siecle.
Et enfin depuis le seizieme Siecle jusques peu avant le Regne de Louis XIV,
du défaut de considération que méritoient les Drames que l’on
représentoit.
Avant même qu’elle fût aussi réglée, & aussi honnête qu’elle est
aujourd’hui, on peut compter de très-grands Personnages qui en ont fait une
juste évaluation, & qui lui ont été favorables.
De ce nombre sont, Saint Thomas d’Aquin, Saint François de Sales, un Evêque
de Florence, Monsieur Huet, que nous avons déjà cité, Fabricius, Dacier,
& beaucoup d’autres, entre lesquels nous distinguerons deux célebres
Philosophes, l’un Prophane, & l’autre Chrétien, que l’on cite
mal-à-propos, comme contraires à la Comédie.
Sénèque, que l’on met de ce rang, fait un grand éloge des Mots &
Sentences qui se trouvoient dans les Mimes de Publius-Syrus6, qui n’étoient, cependant, que des especes de
Farces.
Saint Charles, au milieu des acclamations de toute l’Italie, vint
effectivement
réprimer les excès qui se commettoient pendant le
Carnaval de Milan ; mais quand il fut informé du peu de danger, & de la
nécessité de la Comédie, il la permit pourvû que les Piéces eussent
auparavant été présentées au Juge ; & Riccobini prétend, que ce Saint
Archevêque n’a pas dédaigné d’approuver quelques Canevas Italiens, de sa
propre main.
Doit-on, d’ailleurs, parmi les Théologiens de France, ne compter pour rien la
protection marquée que les Cardinaux de Richelieu & de Mazarin ont
accordée à la Comédie ; l’un par sa passion pour la Poësie, & l’autre
par son goût exquis pour les Machines Théâtrales ; & M. le Cardinal de
Fleuri a-t-il dérogé à cette protection ?
Tout ce qu’un esprit sage & orné peut produire de plus équitable, ne se
trouve-t-il pas dans le discours récité par le P. Porée, il y a quelques
années, au sujet des Spectacles ? Il y avoue à la vérité, que par la faute
des Acteurs, des Auteurs, & des Spectateurs, le Théâtre n’est pas
irreprochable ; mais il conclut, qu’il pourroit être propre à former les
mœurs, & c’est, sans doute, la décision la plus favorable qui fût
permise à un homme de son état.
Comment en a usé un illustre Prélat7 à la réception de M. de la
Chaussée, à l’Académie ? Après avoir parlé avec toute la délicatesse que la
circonstance exigeoit, il reconnoît Moliere pour le fléau du ridicule, il
loue M. de la Chaussée de la pureté de ses Piéces, & convient que, par
le bien qu’il en a entendu dire, ses Piéces semblent concourir au but que la
Chaire se propose, de rendre les hommes meilleurs.
Pourquoi donc, enfin, seroit-on scandalisé d’une absolution aussi juste, que
celle que l’on espere pour les Comédiens ? Et quels inconvéniens
pourroit-elle causer ?
Du côté de la Politique.
En se rendant, de plus-en-plus, sévere sur le choix des Sujets, il n’est pas
à craindre qu’une trop grande quantité de jeunes gens s’engagent avec fureur
dans une profession qui ne seroit plus défendue : l’excellence des talens
est souvent une barriere plus difficile à franchir que le scrupule.
Outre cela, il n’y a pas d’apparence que beaucoup de personnes, partagées des
biens de la fortune, veuillent jamais embrasser
un genre de
vie, qui exige tant d’étude & de sujettion.
Du côté de la Conscience.
Une Piéce de Théâtre, est un Livre. Un Livre peut être bon ou mauvais ; c’est
l’affaire des Censeurs de n’en point permettre de mauvais.
Un Comédien, est un Académicien, qui, sans se mêler d’enseigner les grands
préceptes réservés à la Chaire de Vérité, peut, comme tous les autres
Membres des Académies, prétendre à inspirer la politesse &
l’honneur.
Dans le nombre des Spectateurs, tout est dangereux pour un cœur qui n’est pas
formé ; la promenade, les assemblées, les Temples mêmes. D’ailleurs, le trop
grand usage des plaisirs permis est répréhensible, & peut toujours être
l’objet de l’attention des Théologiens ; mais, pour le général des hommes,
un honnête délassement d’esprit a toujours été reconnu absolument
nécessaire.
Et dire, que le mal des Spectacles réside dans la réunion de tant de gens
assemblés pour un objet agréable, n’est qu’un raisonnement spécieux.
A l’égard de l’Opéra, qui paroît être-plus difficile à justifier, c’est
encore l’affaire
des Censeurs de le rendre plus digne du titre
honorable qu’il porte d’Académie Royale de Musique. On dira seulement, au
sujet de la Morale qui y est répandue, que l’on ne croit pas qu’il y ait au
monde une personne assez simple, ou environnée de gens assez simples, pour
prendre des Chansons pour des vérités, que quand Quinault a dit :
Et beaucoup d’autres choses semblables ; il n’a dit que ce qui est sans cesse
exprimé dans les Chansons que l’on chante par tout l’Univers, & que, sur
cet article, il ne faut pas tout-à-fait écouter Despréaux, qui étoit piquant
& envieux.
Il y a encore une autre espece de Piéces, dont, à la vérité, le plus grand
mérite semble être la Satyre & les Equivoques ; mais, comme elles ne
paroissent pas ordinairement sur des Théâtres reglés, tout ce que l’on peut
dire est que, quand elles existent, les Censeurs doivent redoubler leur
attention pour les corriger.
Suivant le plan que l’on s’est ici tracé,
toute la réforme de la
Comédie se réduit à deux choses :
1°. Du côté de la Politique, à se rendre, de plus-en-plus, sévère sur le
choix des Sujets.
2°. Du côté de la Conscience, à maintenir, avec force, les Réglemens déjà
établis, lesquels consistent :
A ne point permettre de Piéces tirées des Ecritures Saintes, ainsi que
plusieurs Magistrats s’en sont déjà déclarés.
A mettre ordre à la conduite des Acteurs & Actrices qui éclateroit trop,
comme on en a vu plusieurs exemples.
A recommander enfin aux Censeurs de redoubler leur exactitude, pour ne
souffrir, dans les Piéces, ni impiété, ni satyre personnelle, ni
obscénité.
On se flatte d’avoir exposé un si grand nombre de raisons, que l’on espere
qu’elles produiront des effets utiles ; & une remarque digne
d’attention, c’est que les Personnes les plus pieuses & les plus
éclairées, s’écartent de leur objet, sans y penser ; car un moyen certain de
rendre les Acteurs, les Auteurs & les Spectateurs plus sages, est de
lever l’Excommunication prononcée contre les Comédiens.
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