5. SIECLE.
J'avais en même temps une passion violente pour les Spectacles du Théâtre, qui
étaient pleins des images de mes misères, et des flammes amoureuses qui
entretenaient le feu qui me dévorait: mais quel est ce motif qui fait que les hommes
y courent avec tant d'ardeur, et qu'ils veulent ressentir de la tristesse en
regardant des choses funestes et tragiques qu'ils ne voudraient pas néanmoins
souffrir ? Car les spectateurs veulent ressentir de la douleur, et cette douleur est
leur joie ? D'où vient cela, sinon d'une étrange maladie d'esprit ? puis qu'on est
d'autant plus touché de ces aventures poétiques, que l'on est moins guéri de ses
passions, quoi que d'ailleurs on appelle misère le mal que l'on souffre en sa
personne ; et miséricorde, la compassion qu'on
on a des
malheurs des autres: Mais quelle compassion peut-on-avoir en des choses feintes, et
représentées sur un Théâtre, puisque l'on n'y excite pas l'auditeur à secourir les
faibles et les opprimés, mais que l'on le convie seulement à s'affliger de leur
infortune ; de sorte qu'il est d'autant plus satisfait des Acteurs, qu'ils l'ont
plus touché de regret et d'affliction ; et que si ces sujets tragiques, et ces
malheurs véritables ou supposés, sont représentés avec si peu de grâce et
d'industrie, qu'il ne s'en afflige pas, il sort tout dégoûté et tout irrité contre
les Comédiens. Que si au contraire il est touché de douleur, il demeure attentif et
pleure, étant en même temps dans la joie, et dans les larmes. Mais puisque tous les
hommes naturellement désirent de se réjouir, comment peuvent-ils aimer ces larmes,
et ces douleurs ? N'est ce point qu'encore que l'homme ne prenne pas plaisir à être
dans la misère, il prend plaisir néanmoins à être touché de miséricorde ; et qu'à
cause qu'il ne peut être touché de ce mouvement sans en ressentir
de la douleur, il arrive par une suite nécessaire qu'il chérit et
qu'il aime ces douleurs ?
Ces larmes précèdent donc de la source de l'amour naturel que nous nous portons les
uns aux autres. Mais où vont les eaux de cette source, et où coulent-elles ? Elles
vont fondre dans un torrent de poix bouillante, d'où sortent les violentes ardeurs
de ces noires, et de ces sales voluptés : Et c'est en ces actions vicieuses que cet
amour se convertit et se change par son propre mouvement, lorsqu'il s'écarte et
s'éloigne de la pureté céleste du vrai amour. Devons-nous donc rejeter les
mouvements de miséricorde et de compassion ? Nullement : Et il faut demeurer
d'accord qu'il a des rencontres où l'on peut aimer ses douleurs. Mais, ô mon âme,
garde toi de l'impureté; Mets-toi sous la protection de mon Dieu, du Dieu de nos
Pères, qui doit être loué et glorifié dans l'éternité des siècles. Garde toi mon âme
de l'impureté d'une compassion folle: Car il y en a une sage et raisonnable dont je
ne laisse pas d'être
touché maintenant. Mais alors je
prenais part à la joie de ces amants du Théâtre ; lors que par leurs artifices ils
faisaient réussir leurs impudiques désirs, quoi qu'il n'y eût rien que de feint dans
ces représentations, et ces Spectacles; et lors que ces amants étaient contraints de
se séparer, je m'affligeais avec eux comme si j'eusse été touché de compassion, et
toutefois je ne trouvais pas moins de plaisir dans l'un que dans l'autre.
Mais aujourd'hui j'ai plus de compassion de celui qui se réjouit dans ses excès et
dans ses vices, que de celui qui s'afflige dans la perte qu'il a faite d'une volupté
pernicieuse, et d'une félicité misérable: Voilà ce qu'on doit appeler une vraie
miséricorde ; Mais en celle-là ce n'est pas la douleur que nous ressentons des maux
d'autrui qui nous donne du plaisir : Car encore que celui qui ressent de la douleur,
en voyant la misère de son prochain, lui rende un devoir de charité qui est louable,
néanmoins celui qui est véritablement miséricordieux aimerait mieux n'avoir point de
sujet de ressentir cette douleur : Et il
est aussi peu
possible qu'il puisse désirer qu'il y ait des misérables, afin d'avoir sujet
d'exercer sa miséricorde, comme il est peu possible que la bonté même puisse être
malicieuse, et que la bienveillance nous porte à vouloir du mal à notre prochain.
Ainsi il y a bien quelque douleur que l'on peut permettre ; mais il n'y en point que
l'on doive aimer: Ce que vous nous faites bien voir, ô mon Seigneur et mon Dieu,
puisque vous qui aimez les âmes incomparablement, et plus purement que nous ne les
aimons, exercez sur elles des miséricordes d'autant plus grande, et plus parfaites,
que vous ne pouvez être touché d'aucune douleur. Mais qui est celui qui est capable
d'une si haute perfection ? Et moi au contraire j'étais alors si misérable, que
j'aimais à être touché de quelque douleur, et en cherchais des sujets, n'y ayant
aucunes actions des Comédiens qui me plussent tant, et qui me charmassent davantage,
que lors qu'ils me tiraient des larmes des yeux par la représentation de quelques
malheurs
étrangers et fabuleux qu'ils représentaient
sur le Théâtre : Et faut-il s'en étonner, puisqu'étant alors une brebis malheureuse
qui m'étais égarée en quittant votre troupeau, parce que je ne pouvais souffrir
votre conduite, je me trouvais comme tout couvert de gale ?
Voilà d'où procédait cet amour que j'avais pour les douleurs, lequel toutefois
n'était pas tel que j'eusse désiré qu'elles eussent passé plus avant dans mon cœur
et dans mon âme : car je n'eusse pas aimé à souffrir les choses que j'aimais à
regarder ; mais j'étais bien aise que le récit et la représentation qui s'en faisait
devant moi, m'égratignât un peu la peau, pour le dire ainsi ; quoi qu'en suite ;
comme il arrive à ceux qui se grattent avec les ongles ; cette satisfaction
passagère me causât une enfleure pleine d'inflammation d'où sortait du sang corrompu
et de la boue. Telle était alors ma vie ; Mais peut-on l'appeler une vie, mon
Dieu ?
Rien n'est plus malheureux que le bonheur des pécheurs, qui nourrit pour ainsi dire
une impunité, qui est en effet une peine, et qui fortifie la mauvaise volonté comme
un ennemi intérieur. Mais les cœurs des hommes sont si pervertis et si rebelles,
qu'ils s'imaginent que le monde est dans une pleine félicité, lors que ceux qui
l'habitent ne pensent qu'à orner et à embellir leurs maisons, et qu'ils ne prennent
pas garde à la ruine de leurs âmes : qu'on bâtit des Théâtres magnifiques, et qu'on
détruit les fondements des vertus : qu'on donne des louanges et des applaudissements
à la fureur des Gladiateurs, et qu'on se moque des œuvres de miséricorde; lors que
l'abondance des riches entretient la débauche des Comédiens, et que les pauvres
manquent de ce qui leur est nécessaire pour l'entretien de leur vie ; lors que les
impies décrient par leurs blasphèmes la doctrine de Dieu, qui par la
voix de ses Prédicateurs crie contre cette infamie publique,
pendant qu'on recherche de faux Dieux à l'honneur desquels on célèbre ces Spectacles
du Théâtre, qui déshonorent et corrompent le corps et l'âme. Si Dieu permet que ces
désordres arrivent, c'est alors qu'il en est plus irrité : s'il laisse ces crimes
impunis, c'est alors qu'il les punie plus sévèrement ; et quand il ôte aux hommes
les moyens d'entretenir leurs vices, et que par la pauvreté il détruit l'abondance
et la multiplication des voluptés ; ce traitement qui paraît contraire à leurs
désirs, est un effet de sa miséricorde.
Quant à ce que les Païens se plaignent que le Christianisme a diminué la félicité
du monde ; s'ils lisent les livres de leurs Philosophes, qui reprennent ces choses
dont ils sont privés maintenant
malgré eux, ils
trouveront que cela tourne à la louange de la Religion Chrétienne ; car quelle
diminution souffrent-ils de leur félicité, sinon à l'égard des choses dont ils
faisaient un très mauvais usage, s'en servant pour offenser leur Créateur ? Il leur
semble peut-être que le temps est mauvais, parce que presque dans toutes les Villes
les Théâtres, ces lieux infâmes, où l'on fait une profession publique de l'impureté,
tombent en ruine, d'où vient cela, sinon de la pauvreté, qui ne leur permet pas de
réparer ces lieux qu'ils avaient bâtis autrefois avec une profusion honteuse et
sacrilège ? Leur Cicéron louant un certain Comédien nommé Roscius, n'a-t-il pas dit
qu'il était si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui seul qui fut digne de
monter sur le Théâtre; et que d'ailleurs il était si homme de bien, qu'il n'y avait
que lui seul qui n'y dût point monter, marquant par-là, en termes bien exprès, que
le Théâtre est si infâme, que plus un homme est vertueux, plus il doit s'en
éloigner.
C'est avec raison, Peuple Romain, que vous avez exclus les Comédiens du droit de
bourgeoisie. Eveillez-vous encore peu davantage, et reconnaissez qu'on ne se rend
point agréable à la Majesté de Dieu par les exercices qui déshonorent la dignité des
hommes. Comment donc pouvez-vous mettre au rang des saintes puissances du Ciel ces
Dieux qui se plaisent à recevoir un culte, qui rend indignes parmi vous ceux qui le
rendent, d'être mis au nombre des Citoyens Romains ? Cette Cité céleste est
incomparablement plus illustre, où la vérité est toujours victorieuse, où la
dignité, est inséparable de la sainteté, où il y a une paix, et une félicité
perpétuelle, où la vie est éternelle. Si vous avez eu honte de recevoir ces sortes
de personnes dans votre ville pour être vos concitoyens, à plus forte raison cette
sainte Cité ne reçoit point ces sortes de Dieux: C'est pourquoi si vous désirez
d'avoir part à la félicité de
cette bienheureuse
Cité, fuyez la compagnie des Démons. C'est une chose honteuse à des personnes
vertueuses d'adorer des Dieux qui regardent d'un œil favorable le culte déshonnête
que leur rendent des infâmes. Embrassez la pureté du Christianisme, et éloignez de
vous ces profanes divinités ; comme les Censeurs ont exclus les Comédiens de vos
honneurs et de vos dignités les notant d'infamie.
C'est aux hommes injustes et méchants à se ré jouir dans ce monde: le monde finira,
et leur joie finira avec le monde ; Mais il faut que les justes mettent leur joie
dans le Seigneur, afin qu'elle soit permanente, et immuable comme lui. Il faut que
nous mettions notre complaisance et notre joie, et que nous nous appliquions à le
louer ; Il est le seul dans lequel il n'y ait rien qui nous déplaise ; comme au
contraire, il n'y a personne en qui les infidèles trouvent tant de
choses qui leur déplaisent : Tenez ce peu de mots pour une maxime
indubitable, que l'homme à qui Dieu plaît, plaît aussi à Dieu. Ne pensez pas mes
très chers frères que ce que je disais d'une petite importance, vous voyez aussi
bien que moi, combien il y a d'hommes qui disputent contre Dieu ? Combien il s'en
trouve à qui ses œuvres, et sa conduite déplaisent, car lorsqu'il veut quelque chose
de contraire à la volonté des hommes, à cause qu'il est le Souverain maître, et
qu'il sait bien ce qu'il fait, et qu'il ne considère pas tant nos inclinations que
notre utilité, ceux qui voudraient que leur volonté s'accomplît plutôt que celle de
Dieu, voudraient aussi réduire sa volonté à la leur, au lieu de corriger et de
régler la leur par la sienne.
C'est à ces hommes infidèles impies, méchants (j'ai honte de le dire, je le dirai
pourtant, parce que vous savez combien ce que je vais dire est véritable) c'est à
ces sortes de personnes qu'un Comédien plaît davantage que Dieu, c'est pourquoi le
Prophète après avoir dit
justes réjouissez-vous en Dieu,
(parce que nous ne saurions nous réjouir en lui, qu'en le louant, et que nous ne
pouvons le louer, si nous ne lui plaisons, d'autant plus qu'il nous plaît
davantage.) Il ajoute, c'est aux justes qu'il appartient de louer Dieu ; Qui sont
les justes ? Ce sont ceux qui conforment leur cœur à la volonté de Dieu, qui règlent
te conduisent leur volonté par la sienne. Si la faiblesse humaine leur cause quelque
trouble dans les fâcheuses rencontres de cette vie ; l'équité divine les console, et
les remet dans le calme.
Combien y a-t-il de personnes qui se reconnaissent ici dans la peinture que je vous
fais des gens du monde ? Ces personnes converties se regardent avec étonnement les
unes les autres, et parlent avec joie dans l'Eglise de Dieu, des miséricordes qu'il
leur a faites. Se voyant dans le sein de l'Eglise, elles considèrent avec une
extrême reconnaissance l'affection
que Dieu leur a déjà
donnée pour la parole, pour les offices et les œuvres de charité, pour être souvent
dans l'assemblée des Fidèles, et ne sortir quasi point de l'Eglise.
Elles font attentivement réflexion sur toutes ces grâces que Dieu leur a faites, et
qu'il a faites en même temps à d'autres pécheurs, et se plaisent à s'en entretenir
avec ceux qui participent au même bonheur. Quel changement, disent ces personnes,
voyons-nous en cet homme, qui était si passionné pour le Cirque ? Combien est changé
cet autre qui aimait et qui louait si fort ce chasseur, ou ce Comédien ? Cet homme
converti parle ainsi des autres, et les autres parlent de lui de la même sorte.
Certainement nous voyons par la grâce de Dieu de ces conversions merveilleuses, et
elles nous sont un sujet d'actions de grâce, et de joie: Mais si nous nous
réjouissons à cause de ceux qui sont convertis, ne désespérons pas de ceux dont nous
voyons des égarements et des désordres. Prions pour eux, mes très chers frères ;
c'est du nombre de ceux
qui étaient méchants et impies,
que Dieu se plaît à faire croître le nombre des Saints.
Que notre Dieu devienne donc notre unique espérance : celui qui a fait toutes
choses est meilleur que toutes choses: Celui qui a fait les belles choses, est plus
beau que tous ses ouvrages. Celui qui a fait les choses fortes, est plus fort que
tout ce qu'il y a de plus fort. Celui qui a fait tout ce qui est grand surpasse tout
ce qu'on se peut figurer de plus grand; il vous tiendra lieu de tout ce que vous
aimez.
Apprenez à aimer le Créateur en la créature, et l'ouvrier en son ouvrage; Il ne
faut pas vous laisser occuper par les choses qui sont les effets de la puissance de
Dieu, et perdre ce Dieu même qui les a faites, et par qui vous avez été tiré du
néant. Bienheureux donc est l'homme qui met son espérance dans le nom du Seigneur,
et qui n'a nul égard aux vanités, et aux folies trompeuses du siècle.
Celui qui se sentira touché de ce que j'ai dit, qui voudra se corriger de ses
vices, qui sera occupé de la crainte des jugements de
Dieu, que la Foi lui représente, et qui commencera de vouloir marcher dans la voie
étroite, craindra peut-être de n'avoir pas la force de persévérer, et nous dira ; ma
volonté ne durera pas, et je ne continuerai pas dans la voie que vous m'avez
proposée, si vous ne donnez des Spectacles à mes yeux, et des objets à mon esprit,
qui me tiennent lieu de ceux auxquels je renonce. Comment faut-il donc, mes frères,
que nous traitions ces personnes qui sortent ainsi du dérèglement, et qui renoncent
aux plaisirs du siècle ? Que leurs donnerons-nous en la place de ce que nous leur
faisons quitter ? Les laisserons-nous sans leur donner des Spectacles qui leur
plaisent, et qui les occupent ? Ils mourraient de tristesse, ils ne subsisteraient
pas, ils ne pourraient pas nous suivre. Que pourrons-nous donc faire pour les
contenter, et les retenir ? Il faut sans doute que nous leur donnions des Spectacles
pour d'autres Spectacles.
Mais quels Spectacles pouvons-nous
offrir à un homme
Chrétien que nous voulons retirer des Spectacles vains, et profanes du monde ? Je
rends grâces à notre Seigneur de ce qu'il nous a marqué dans le Verset suivant,
quels Spectacles nous devons fournir aux amateurs des Spectacles. Oui nous
consentons, et nous approuvons que le Chrétien qui se prive des divertissements du
Cirque, du Théâtre, de l'Amphithéâtre, cherche d'autres Spectacles. Nous ne voulons
point qu'il en manque. Que lui donnerons-nous donc à leur place ? Ecoutez ce que dit
notre Prophète : Seigneur, mon Dieu, vous avez fait une multitude de choses qui sont
autant de merveilles que vous nous mettez devant les yeux. Ce Chrétien se plaisait
auparavant à considérer les frivoles merveilles des hommes ; Qu'il s'arrête
maintenant aux merveilles de Dieu; Qu'il les contemple, et qu'il les admire, puisque
ce sont des miracles d'une magnificence e d'une sagesse toute divine qui mérite
d'être toujours également un sujet d'admiration. Pourquoi l'accoutumance à voir
toutes les merveilles du monde
et de la nature dont Dieu
est l'auteur, les lui a-t-elle rendues moins estimables et moins précieuses ?
Quand je dis, un homme pécheur se présente à vous, je marque deux noms, e ce n'est
pas inutilement et sans raison; car être homme, et être pécheur sont deux choses
bien différentes ? Etre homme c'est l'ouvrage de Dieu ; être pécheur, c'est
l'ouvrage de l'homme. Pourquoi, me direz-vous, ne m'est-il point, permis de donner à
l'ouvrage de l'homme. Qu'est-ce que donner à l'ouvrage de l'homme ? C'est donner à
un pécheur à cause de son péché, parce qu'il vous divertit par son impiété. Mais qui
fait cela, dites-vous ? Plût à Dieu que personne ne le fit, ou qu'il y eut peu de
gens qui le fissent, ou qu'on ne le fit point publiquement. Ceux qui donnent aux
Comédiens, pourquoi leur donnent-ils ? Ne sont-ce pas des hommes à qui ils donnent ;
mais ils ne considèrent
pas en eux la nature de l'ouvrage
de Dieu ; ils ne regardent que l'iniquité de l'ouvrage de l'homme.
Donner son bien aux Comédiens; c'est un vice énorme, bien loin d'être une vertu.
Vous savez aussi bien que moi ce que l'Ecriture dit de ces sortes de personnes
auxquelles le monde donne d'ordinaire des applaudissements et des louanges: On loue
le pécheur de ses passions, et on bénit le méchant à cause de ses méchancetés.
Sachez, mes bien aimés, que le Démon notre ennemi séduit et prend plus de gens par
la volupté, que par la crainte ; Car pourquoi tend-il tous les jours les pièges des
Spectacles ? pourquoi
présente-t-il tant de vanités et
d'infâmes plaisirs, qui ne sont que folie, et qu'illusion ; sinon afin de prendre
ceux qui l'avaient abandonné, et pour se réjouir d'avoir trouvé ceux qu'il avait
perdus ? Il n'est point nécessaire de nous étendre plus au long sur ce sujet, il
suffit de vous représenter en peu de mots, ce que vous devez rejeter, et ce que vous
devez aimer. Fuyez les Spectacles, mes bien aimés, fuyez ces Théâtres infâmes du
Diable, afin de ne vous point engager dans les liens de cet esprit malin: Mais s'il
faut relâcher votre esprit, si vous vous plaisez aux Spectacles, l'Eglise notre
sainte et vénérable Mère vous en fournit de plus excellents et de plus agréables ;
ce sont des Spectacles salutaires qui remplissent l'esprit de joie.
Un bon Chrétien ne veut point aller aux Spectacles, et en cela même qu'il réprime
sa passion, et qu'il ne va pas au Théâtre, Il crie après Jésus-Christ, et le
prie de le guérir: Cependant
il y en a d'autres qui y courent ; mais ce sont peut-être des Païens, ou des Juifs.
Certes si les Chrétiens n'y allaient point, le nombre des spectateurs serait si
petit, que la honte et la confusion qu'ils en auraient les feraient retirer. Il y a
donc des Chrétiens qui sont si malheureux que d'aller aux Spectacles, et d'y porter
un si saint nom pour leur condamnation ; Mais vous qui n'y allez pas, criez sans
cesse après Jésus-Christ pour implorer son assistance.
Les Comédiens ne s'étudient principalement qu'a pervertir le peuple, et non pas à
le rendre meilleur ; car c'est la débauche de leurs spectateurs qui fait leur
félicité ; de sorte que s'ils s'appliquaient à la vertu, le métier de Comédien
serait aussitôt anéanti. C'est pourquoi ils n'ont jamais pensé a corriger
les dérèglements des hommes ; et quand ils le voudraient
entreprendre, ils ne le sauraient faire, parce que la Comédie d'elle-même, et par sa
nature, ne peut être que pernicieuse et nuisible.
S'il est certain, comme on n'en peut pas douter, que le jour du Jugement viendra ;
il faut pratiquer la vertu. Que si cela paraît difficile et fâcheux à quel
quelques-uns, il vous sera facile de le faire si vous fuyez les Théâtres, et le
Cirque; ces Lieux infâmes qui perdent tout le monde, ou plutôt les Villes ou ces
Spectacles sont représentés, et particulièrement les personnes qui se laissent
emporter à la passion de ces honteux divertissements.
Celui qui a une passion violente pont les Spectacles du Théâtre, ne sera pas moins
transporté pour l'amour infâme. Fuyez donc ce premier dérèglement, pour ne pas
tomber dans l'autre ; car il est plus facile de détruire le vice avant qu'il soit
enraciné, que de l'arracher après qu'il a pris de profondes racines; ce qui est très
difficile, et quelques-uns même l'estiment impossible.
Quelle monstrueuse folie ? Quoi, s'il nous arrive quelque bon succès ; si nous
remportons des victoires sur nos ennemis ; enfin si Jésus-Christ
nous comble de ses faveurs, nous lui offrons des Jeux publics, et ce sont nos actions
de grâces. Nous imitons en cela celui
qui payerait d'une
injure le plaisir qu'il viendrait de recevoir, et qui percerait le visage et le cœur
de celui qui lui se ferait des caresses. Je demanderais volontiers à ceux que les
grandeurs et les richesses font reconnaître par-dessus les autres, de quel supplice
serait digne un esclave qui outragerait son maître de qui il viendrait de recevoir la
liberté ? Il est hors de doute que celui-là est tout à fait méchant qui rend le mal
pour le bien, n'étant pas même permis de rendre le mal pour le mal. Nous faisons
toutefois ce que je viens de dire, nous nous disons Chrétiens, et par nos impuretés
nous excitons contre nous un Dieu miséricordieux ; nous l'irritons alors qu'il
s'apaise, et nous l'outrageons alors qu'il nous caresse : Nous offrons donc à Dieu des
Jeux infâmes pour les bienfaits qui viennent de lui, nous lui faisons des sacrifices
exécrables, comme s'il avait pris notre chair pour nous donner de si mauvaises
instructions, où qu'il nous les eût fait entendre par la bouche de ses Apôtres. Ce fut
peut-être pour cela que Dieu voulut naître
ici-bas comme un
homme, et qu'il daigna prendre notre honte et notre bassesse en naissant comme nous ?
Ce fut peut-être pour cela qu'il naquît dans une étable où les Anges le servaient ? Ce
fut peut-être pour cela que Dieu qui enveloppe le Ciel et la Terre se laissa
envelopper de petits linges dans lesquels il gouvernait toutes choses ? Ce fut
peut-être pour cela que Dieu qui se fit pauvre pour nous enrichir, qui s'est humilié
même jusqu'à mourir en la Croix, et dont la mort fit trembler tout le monde, voulut
être pour nous attacher sur une Croix ainsi qu'un criminel ? Nous nous imaginons
peut-être qu'il nous a fait des leçons d'impiété, alors qu'il vivait, et qu'il
souffrait tant de peines et tant d'injures pour nous ? Nous reconnaissons d'une
étrange façon les effets de ses souffrances ; nous avons reçu notre rédemption et
notre vie par le moyen de sa mort, et ce bienfait n'est payé que par les vices d'une
vie débordée. Saint Paul dit, que la grâce s'est montrée, qu'elle nous a enseigné à
vaincre l'impiété, et à perdre
les appétits déréglés ;
qu'elle nous commande de vivre sobrement ; d'être pieux et justes dans ce monde, en
attendant l'effet d'une bienheureuse espérance, et la venue de la gloire de Jésus, qui
s'est donné lui-même pour nous à dessein de nous racheter, et de laver par son Sang un
peuple agréable à sa divinité, et sectateur des bonnes œuvres. Où sont maintenant ceux
qui mettent en usage les choses pour lesquelles l'Apôtre dit que Dieu est venu ? Où
sont les Chrétiens qui retranchent de leurs cœurs ces appétits déréglés ; qui fassent
profession de la piété, et tout ensemble de la sobriété, et qui témoignent par leurs
actions qu'ils ont l'espérance d'une gloire qui doit toujours durer. Quiconque vit
bien et ne se laisse pas emporter aux tempêtes du temps, montre qu'il attend cette
gloire, et qu'il mérite de la recevoir. Dieu (dit l'Apôtre) est venu pour laver de son
Sang un peuple agréable à sa Majesté, et amateur des bonnes actions. Où est ce peuple
pur et net ? Où est ce peuple agréable à Dieu ? Où est ce peuple
qui fait gloire des bonnes actions ? L'Ecriture nous apprend que
Dieu souffrant pour nous, a fait les chemins que nous devons suivre; peut-être que ces
chemins nous conduisent aux Jeux publics et aux Spectacles qu'il défend ? Dieu nous a
peut-être laissé ce témoignage pour ce sujet ? Dieu, dis-je, de qui nous ne lisons
point qu'on l'ait vu rire, il a pleuré pour nous, parce que les pleurs sont des
témoignages d'un esprit touché, et n'a point voulu rire, d'autant que c'est ainsi que
les meilleures disciplines se corrompent ; Aussi a-t-il dit par la bouche de
l'Evangéliste, Malheur sur vous qui riez, pource que vous pleurerez: Et au contraire
vous êtes bienheureux vous qui pleurez maintenant, car vous rirez quelque jour.
Nous ne nous contenterions pas de rire et de nous réjouir si nous ne rendions nos
réjouissances criminelles, par le moyen des vices que nous y mêlons. Nous ne
pouvons-nous divertir sans faire des péchés de nos divertissements ; nous penserions
que nos plaisirs seraient en quelque façon défectueux s'ils ne nous
rendaient coupables, et qu'il n'y aurait point de contentement à
rire si l'on n'offensait Dieu. Rions même sans mesure ; réjouissons-nous sans cesse
pourvu que ce soit innocemment. N'est-ce pas une étrange folie que s'imaginer que nos
divertissements ne seraient pas agréables s'ils n'étaient injurieux à Dieu.
Dans ces Spectacles dont nous avons parlé, nous nous déclarons en quelque façon
apostats, transgresseurs de la Loi, et ennemis des Sacrements ; car la première
protestation que les Chrétiens font au Baptême, n'est-ce-pas de renoncer au Diable, à
ses Pompes, à ses Spectacles, à ses ouvrages. Nous les suivons toutefois après le
Baptême ; nous savons bien que ces Spectacles sont des inventions du Diable: nous y
avons renoncé ; d'où s'ensuit nécessairement qu'en y allant volontairement et avec
dessein, nous devons reconnaître que nous retournons au Diable ; car après tout nous
avons en même temps renoncé à l'un et à l'autre, et avons confessé que l'un et l'autre
sont la même chose.
Si bien que si nous retournons à l'un, il est véritable que nous retournons à
l'autre.
Je renonce, dit-on en se faisant baptiser, au Diable, à ses Pompes, à ses Spectacles,
et à ses œuvres: et l'on ajoute aussitôt après, je crois en Dieu le Père
Tout-puissant, et en Jésus-Christ son fils. L'on renonce donc
premièrement au Diable, afin que l'on croie en Dieu, d'autant que quiconque ne renonce
pas au Diable ne croît pas en Dieu ; et partant quiconque retourne au Diable, méprise
et quitte son Dieu: Or les Démons se trouvent dans les Spectacles et dans les Pompes
solennelles, de sorte que quand nous y retournons nous quittons la Foi de Jésus-Christ: Le mérite des Sacrements de notre Religion se perd en
nous; tout ce qui suit dans notre Symbole est choqué, et tout ensemble affaibli ; Car
le moyen de s'imaginer qu'une chose puisse demeurer debout quand son appui est à bas :
Dis-moi donc, ô Chrétien, qui que tu sois, ayant perdu par tes mépris et par ta
rébellion les principes de ta croyance, comment pourras-tu
faire état de sa suite ? et comment t'imagineras-tu que le reste te pourra profiter ?
Les membres sans la tête ne peuvent rien ; toutes choses dépendent de leur principe,
et ne profitent pas sans lui. Quand les fondements d'un édifice sont sapés, tout le
reste tombe en ruine ; les arbres qui n'ont plus de racine ne durent pas longtemps, et
les ruisseaux de qui l'on tarit les sources se diminuent e se perdent bientôt : Enfin
rien ne subsiste sans la tête.
Mais si l'on ne trouve pas que ces Spectacles dont nous avons parlé soient de si
grande conséquence, que l'on considère attentivement ce que nous avons dit, et sans
doute on reconnaîtra qu'au lieu de contentement ils nous apportent la mort, qu'ils
nous perdent au lieu de nous divertir ; car en se retirant de ce qui peut entretenir
la vie, ne se met-on pas au hasard de la perdre entièrement ; et lors qu'on a ruiné le
fondement de sa Religion, n'a-t-on pas sujet d'appréhender la perte de son salut ?
Retournons maintenant à ce que nous avons si souvent dit, retournons aux Barbares,
puisque les Chrétiens sont si détestables. Où trouvera-t-on chez eux tant de
malheureux Spectacles ? Où sont leurs gladiateurs, et tous ces prodiges d'impureté qui
paraissent chez nous ? Mais quand on verrait entre eux tout ce que je viens de dire,
ils ne seraient pas toutefois si coupables que nous, parce que l'offense qu'ils
feraient en voyant de si grandes impuretés ne serait pas suivie de la transgression de
la Loi. Que pouvons-nous répondre au contraire qui nous excuse, et qui ne nous
condamne ? Nous sommes en possession de la véritable croyance, et nous la ruinons ;
nous confessons que nous avons le gage de notre salut, et tout ensemble nous le nions;
Où est en nous le caractère de Chrétien ? Il semble que nous ne prenions les
Sacrements du Christianisme, que pour nous rendre plus coupables par le mépris que
mépris en faisons. Nous préférons les choses vaines au service de Dieu, nous méprisons
les Autels, et nous respectons le
Théâtre, nous aimons
toute chose, nous avons toute chose en vénération e en comparaison de tout, il n'y a
que Dieu qui nous semble méprisable. Bien que cette vérité ne manque point de preuves,
je dirai néanmoins une chose qui la rendra visible à tout le monde. S'il arrive qu'en
un jour de Fête on fasse des Jeux publics, les Eglises seront elles plus remplies, que
les Lieux destinés aux Spectacles ? Les paroles de l'Evangile sont-elles une plus vive
impression sur les cœurs que celles des Théâtres ? Je laisse pour juge de cette
demande, la conscience de tous les Chrétiens, et je n'ai que faire de dire ce qu'une
pernicieuse coutume fait voir trop clairement, l'on retient plus facilement un mauvais
mot, qu'une sentence de l'Evangile, et l'on est plus content d'écouter les paroles de
la mort, que celles de la vie: ainsi le Criminel aime mieux entendre ce qui le
condamne, que ce qui lui donne la grâce.
Si un jour de Fête on apprend dans les Eglises, où l'on ne va bien souvent que pour
adorer les créatures, qu'il y
a de ces divertissements en
quelques lieux, l'on méprise le Temple, et l'on court au Théâtre; l'on quitte le Ciel
pour aller aux Enfers. L'Eglise est vide en peu de temps, et en moins de temps encore
le lieu qui reçoit les Spectateurs au Théâtre est rempli. L'on laisse sur les Autels
un Dieu qui se donne à nous pour nourriture, et l'on va se repaître de la viande du
Diable : L'on va commettre des adultères par la vue, l'on va applaudir à sa perte ; et
lors que l'on se réjouit ainsi dans ses prospérités, l'on ne songe pas à ces paroles
que Dieu prononce par la bouche du Prophète, vous serez perdus pour vos péchés, et les
autels du ris et de la réjouissance seront abattus.
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