Ces spectacles, dit saint Augustin, ne sont que des images de la vérité, ou plutôt d’une
chose imaginée à plaisir, comme la représentation d’une idole est la figure d’une divinité
feinte,
« eorum imagines lambunt cogitatione famelica »; or rien ne nous est plus dangereux, susceptibles d’erreur au point où nous le sommes, que de prendre l’habitude de quitter les choses réelles pour nous attacher à leur ombre, et de mettre notre plaisir dans le néant, c’est pourquoi Tertullien ne fait aucune difficulté de dire que tout ce qui tient de la fiction passe devant l’auteur de la vérité pour une espèce d’adultère,
« adulterium est apud illum omne quod fingitur », et comme ces fables sont ingénieuses, et embellies de tous les ornements de l’art, et des traits de l’éloquence, elles viennent non seulement à vous plaire plus que la vérité, mais encore à en inspirer le mépris et le dégoût.
Comme ceux qui aiment sincèrement la parole de Dieu et trouvent leur joie dans la
méditation de ses saintes Ecritures, ont un souverain mépris de ces fadaises, et ces
folies pleines de mensonges, ceux aussi qui courent après elles conçoivent de
l’éloignement de la parole de Dieu, et n’ont aucun attrait pour la lecture de ses divins
oracles. Une faim déréglée leur fait perdre le goût de cette manne céleste, ce sont
raisins verts (pour me servir de l’expression du Prophète.) qui agacent les dents de ceux qui en mangent, c’est-à-dire
qui se repaissant de ces joies déplorables, leurs sens spirituels s’engourdissent, et
deviennent incapables d’entendre les choses de Dieu.
On s’y remplit de mille maximes fausses, directement opposées à celles de l’Evangile, car
la morale des comédies, (il y faut joindre les romans) n’est fondée que sur des principes
d’erreur et d’illusion, et ne peut conduire
que dans des voies perdues et
égarées. Le bien y est appelé mal, le mal bien, les ténèbres lumières, on y fait passer le
doux pour amer, et l’amer pour doux, on élève jusqu’aux Cieux des actions pour lesquelles
Dieu précipite irrémissiblement dans les enfers ; plus elles sont colorées d’une image de
grandeur et de générosité, plus leur représentation est dangereuse. Ainsi un parricide, un
inceste, exciteront bien moins d’horreur que de pitié, mais elles ne gâtent pas simplement
l’esprit, elles le rendent idolâtre et tout Païen, comment cela ? En formant de grandes et
pompeuses images des créatures, en les relevant sans cesse, en leur attribuant une
grandeur, une force, une puissance qu’elles sont bien éloignées d’avoir, disons plus, une
espèce de divinité, en sorte que l’esprit s’abat et se prosterne devant l’ouvrage de
l’esprit d’un homme, comme faisaient autrefois les peuples abusés sous le règne de
l’idolâtrie, devant celui d’un sculpteur ou d’un peintre.
Un vrai Chrétien qui a reçu de Dieu ces yeux de la foi dont parle saint Paul, considère
tout dans le véritable point de vue ; et dans cette
heureuse situation tout
ce qui est dans le monde lui paraît un bagage d’hôtellerie, une vaine décoration de
théâtre où ceux qui ont joué les plus grands rôles vont être dépouillés de leurs ornements
comiques. Tous ces vastes projets de Monarchie universelle, et les mouvements qu’on se
donne pour les faire réussir comme des jeux d’enfants, des toiles d’araignées, le
mouvement irrégulier de ces petits moucherons qui voltigent au hasard dans l’air, toute
leur prétendue gloire comme de l’herbe, non pas celle qui a quelque racine telle que le
blé, mais que la fraîcheur de la terre produit en un moment, et que la chaleur du soleil
brûle et sèche aussi vite, comme un songe dont il ne reste aucun souvenir, ou bien un
tourbillon de fumée qui plus il occupe d’espace, plus il fait paraître en se dissipant le
vide dont il était composé. Si vous étiez élevé sur une haute montagne, les plus grosses
villes vous paraîtraient à peine comme des hameaux, leurs Palais les plus superbes et les
plus magnifiques comme des huttes et des cabanes, et les hommes des fourmis, si toutefois
vous pouviez les apercevoir, tel est celui qui
habite déjà dans le Ciel par
l’ardeur de ses désirs ; toute la grandeur humaine n’est pour lui que bassesse, qu’un
atome éclatant, un point qui en impose aux yeux par quelque apparence d’enflure, il a
peine à comprendre l’excès de folie et l’ensorcellement des hommes qui se laissaient
captiver et transporter par ces niaiseries, si quelque objet sollicite son cœur par
quelque monstre de beauté pour s’en faire aimer, il le dépouille aussitôt de ce fard et de
cette vaine apparence qui pourrait l’éblouir parce qu’il est homme, et lui dit vous n’êtes
rien, vous n’avez qu’une faible lueur de cette lumière immense, de cette beauté originale
qui est en Dieu, lui seul mérite d’occuper nos esprits et nos cœurs, adorons-le ; il lui
tarde que nous soyons tous arrivés à ce jour qui sera le dernier de tous, où Dieu seul
paraîtra grand,
Les volages amateurs du monde qui ne vivent que de la vie des sens, et n’ont des yeux
qu’à la tête le verront alors tel qu’il est, mais pour leur confusion et leur désespoir
éternel, présentement ils substituent ses créatures en sa place, ils y cherchent cet
agrément, cette joie, cette paix, ce repos qui ne se trouvent qu’en lui seul
ils prétendent fixer leur mobilité, en un mot, ils ne conçoivent point d’autre réalité que
celle d’une figure qui passe, et ils y rapportent tout comme à leur dernière fin ; quel
abus, quelle impiété !
C’est pourtant là que conduit la représentation des vains spectacles. Elle fait encore un
effet plus malin sur le cœur que sur l’esprit, car si elle gâte ce dernier, elle corrompt
l’autre en y excitant les passions et les remuant avec d’autant plus de promptitude et de
vivacité, qu’elle y trouve de correspondance, c’est là son but et sa fin principale, c’est
ce qui lui attire les applaudissements des spectateurs, la plupart acteurs secrets dans la
pièce ; autrement ils s’ennuient, ils languissent, ils s’endorment, et comme dans la
lecture ou le chant des Psaumes, on entre dans tous les mouvements et les saintes passions
du chantre sacré, qu’on prie avec lui, qu’on gémit, qu’on se réjouit, qu’on passe de
l’espérance à la crainte, de la tristesse à la joie, des plaintes aux remerciements, de la
frayeur à l’assurance, du trouble à la paix, ici on
entre encore plus
naturellement dans les divers mouvements des acteurs introduits sur la Scène, le lecteur
ou le spectateur est transporté hors de lui-même, tantôt il se sent le cœur plein d’un feu
martial, et s’imagine combattre, tantôt agité de mouvements plus doux, il est amoureux, il
estime, il craint, il désire, il n’y a point de passion dont il ne sente les atteintes et
les émotions. Ainsi il fait un exercice continuel d’ambition, de vanité, de fausse
tendresse, de vengeance, tout est en combustion chez lui, sans qu’il en sente seulement la
fumée parce qu’il en est dehors, l’appareil de son supplice y est tout dressé par le
déchaînement des passions sans qu’il l’aperçoive, tout occupé qu’il est de ces aventures
imaginaires qui font des plaies très réelles et très profondes dans son âme, il ne voit
pas les précipices que ses ennemis lui creusent, et les chaînes qu’ils lui forgent, je
pleurais, dit saint Augustin dans les Confessions, une Reine Didon qui
s’était tuée par un violent transport de son amour, et je ne pleurais pas mon âme, ô mon
Dieu, à qui je donnais la mort, en m’éloignant de vous sa vraie vie, par l’attachement
déréglé à ces fictions dangereuses. Est-ce donc pour de vains fantômes que vous
avez imprimé en nos cœurs tant de différentes affections, d’estime, de crainte, de désir,
de joie, de tendresse ? Ne sont-ce pas autant de ressorts pour nous attirer à vous qui
êtes notre centre et l’océan de tout bien, n’a ce pas étéa pour estimer vos
diverses perfections, nous élever vers vous et vous sacrifier les créatures qui sont un
néant universel. Pourquoi sommes-nous assez malheureux pour détourner dans des égouts et
des cloaques, ces eaux claires destinées à arroser un parterre de fleurs.
« exaltabitur Deus solus in die illa ».
L’amour sensuel et profane qui est la plus dangereuse de toutes les passions y est la
plus excitée, car la plupart des pièces ne roulent que sur ces sortes d’intrigues, il en
est l’âme et le mobile. Cette passion insensée qui fait des ravages incroyables dans le
monde, ce feu d’enfer qui enflamme le cercle de la vie de la plupart des enfants d’Adam,
l’impureté dont saint Paul ne veut pas que le nom même soit prononcé parmi des Chrétiens,
parce que son image est contagieuse, ou si l’on est obligé d’en parler, ce ne doit être
qu’avec horreur, qu’en
la flétrissant, la traitant avec exécration comme une
maladie honteuse qui ravale l’homme à la condition des bêtes, ce vice, dis-je, y est
transformé en vertus, il est mis en honneur et en crédit, regardé comme une belle
faiblesse dont les âmes les plus héroïques ne sont pas exemptes, et qui leur sert
d’aiguillon pour entreprendre les choses les plus difficiles, on s’y remplit du plaisir
qu’on se figure à aimer et à être aimé, on y ouvre son cœur aux cajoleries, on en apprend
le langage, et dans les intrigues de la pièce les détestables adresses que l’auteur
suggère pour réussir, or n’est-ce pas là une idolâtrie dont se souille le cœur humain ?
N’est-ce pas en quelque sorte le plus grand péché qu’on puisse commettre ? Puisque la
créature y chasse Dieu de son trône pour y dominer en sa place, y recevoir des hommages et
des sacrifices, y régler ses mouvements, ses intérêts, y exercer toutes les fonctions de
souverain,
Il y a encore d’autres vices dont nous ne sommes pas moins susceptibles que de celui-là
qui y sont pareillement
excités, tels sont l’orgueil, l’ambition, les maximes
du faux honneur, la jalousie, la vengeance, tous peints avec des couleurs si belles, qu’on
se sent forcé d’estimer ceux en qui ils se trouvent. A l’image animée de ces passions, il
ne manque guère de s’en élever de pareilles du fond de corruption qui est en nous, tel est
l’empire d’une représentation vive sur le cœur humain, lorsqu’elle est accompagnée de
discours passionnés, tout y concourt, la déclamation, le port, la geste, les ajustements,
la symphonie, n’est-ce pas là jeter de l’huile sur du feu, et aplanir le chemin à un
torrent ?
« idolum zeli ad provocandam æmulationem », peut-on pousser la profanation plus avant ?
Si le but principal de la comédie est d’exciter les passions, parce qu’elle sait que
l’homme ne hait rien tant que le repos, et ne se plaît qu’à être remué, celui de la
religion Chrétienne est de les calmer, les réprimer, arrêter leurs fougues et leurs
saillies, tenir renfermées dans leurs cachots ces bêtes farouches qui ne sont enchaînées
que par les liens invisibles de la grâce, c’est le principal exercice de la morale
Chrétienne, c’est notre lutte, notre tâche, notre combat journalier, le tout de l’homme
Chrétien,
la grâce que Jésus-Christ nous a apportée du Ciel est une grâce
militaire qui arme l’homme contre lui-même, et le met dans la nécessité de tenir ses
passions sous ses pieds, s’il n’en veut bientôt devenir le jouet et le misérable esclave,
Or si ceux qui marchent en la présence de Dieu dans une continuelle attention sur
eux-mêmes, et s’engagent à une vie austère et solitaire, pour affaiblir ces ennemis
domestiques ont encore des combats à soutenir dans lesquels ils reçoivent quelquefois des
blessures, quelle est votre témérité, votre présomption, votre aveuglement ! Ces
expressions sont trop faibles, votre fureur et votre manie ? Faibles, infirmes et désarmés
comme vous êtes, de rechercher de gaieté de cœur une pareille tentation,
et
d’ouvrir tous vos sens à de cruels ennemis qui ont juré vôtre perte.
Ils ne s’empareront pas seulement de votre esprit et de votre cœur, ce qui n’est
néanmoins que trop suffisant pour vous perdre, ils infecteront encore votre imagination et
votre mémoire, en y imprimant des traces qu’ils savent bien réveiller dans les temps les
plus favorables à leurs noirs desseins, c’est une semence funeste qui produira en son
temps des fruits de mort, si elle ne le fait pas directement, ce sera indirectement en
éteignant en vous l’esprit de prières et de dévotion, or qu’est-ce qu’une âme vide de cet
esprit ? Sinon une lampe sans huile qui doit s’attendre à la destinée des vierges,
lesquelles s’en trouvèrent destituées lorsqu’elles furent appelées aux noces de l’époux.
Sainte Thérèse nous apprend dans l’histoire qu’elle a écrite elle-même de sa vie, que la
lecture des comédies et des livres de chevalerie (que eût-ce été de la représentation
effective) refroidit tellement en elle la piété et les bons sentiments dont le Seigneur
l’avait prévenue, que sans une grâce spéciale elle se fût engagée dans la
voie de perdition où marche le plus grand nombre des hommes. Quoi une sainte, pure comme
un Ange, qui avait reçu de Dieu un esprit solide et une horreur extrême de tout ce qui
blesse la pudeur faillit à se perdre sans retour, si Dieu ne l’eût regardée des yeux de sa
miséricorde, et n’eût ouvert les siens sur l’abîme où elle se précipitait, et vous qui
êtes plus faibles que des roseaux, plus fragiles que du verre, vous prétendez que vôtre
chasteté ne court aucun risque en vous enivrant de ces folies. Ha ! Une telle présomption
mérite seule que Dieu vous abandonne à vous-mêmes, et si vous n’êtes pas tombée aux yeux
des hommes, vous l’êtes déjà peut-être aux siens.
Les Païens mêmes ont reconnu que rien n’était plus dangereux pour les bonnes mœurs que
ces sortes de spectacles, ils avouent qu’ils faisaient de grands changements en leur cœur,
qu’ils en retournaient non seulement plus avares, plus ambitieux, plus enclins aux
plaisirs et au luxe, mais encore plus cruels, et moins hommes.
Jugez si les Pères auront invectivé contre, et employé les ornements de
l’éloquence et l’autorité dont Jésus-Christ les avait revêtus dans son Eglise pour les
en détourner, et extirper ce scandale. Je puis dire avec vérité qu’il n’y a point de
désordre qu’ils aient combattu plus souvent et avec plus de force. On voit en une infinité
d’endroits de leurs écrits, surtout de ceux de saint Chrysostome, les marques d’un zèle
Apostolique contre cette pernicieuse inclination qui commençait déjà à corrompre
l’innocence des fidèles, ils les ont considéréb comme une invention du diable pour amollir le courage des soldats de
Jésus-Christ, ils déplorent l’aveuglement extrême de ceux qui croient qu’on peut assister
à ces représentations dont on n’a guère coutume de remporter que des imaginations
honteuses, ou des desseins criminels, ils font voir l’obligation indispensable qu’on a de
quitter ces occasions prochaines d’incontinence, ils appellent ces assemblées des sources
publiques de lubricité, où la grande Babylone mère des fornications de la terre fait boire
le vin de sa prostitution, ils les décrient comme des fêtes du diable, et obligent ceux
qui y ont assisté de se purifier par la pénitence
avant que de rentrer dans
l’Eglise, enfin ils font des peintures si affreuses de l’état où l’on se trouve au sortir
de ces divertissements profanes, qu’on ne peut les voir sans frémir et sans s’étonner de
l’éffroyable aveuglement des hommes, à qui les plus grands dérèglements ne font horreur,
que lorsqu’ils sont rares, mais qui cessent d’en être choqués dés qu’ils deviennent
communs.
Tertullien dans un ouvrage exprès qu’il a composé contre cet abus, entreprend de faire
voir qu’il est incompatible avec la sainteté de la religion que nous professons, car il
est certain dit ce docte Africain, que la recherche des plaisirs sensuels est une des
passions la plus violente et la plus tyranniquec de l’homme, et qu’entre les plaisirs, celui des
spectacles transporte davantage, ils font revivre les passions dans les cœurs les plus
mortifiés, les animent, les fortifient, et après avoir comme extasiés ceux qui se
repaissent de ces funestes divertissements, et avoir excité des mouvements d’amour, de
haine, de joie, de tristesse, le cœur se ferme à ceux de la grâce plus calmes et plus
modérés, et y devient impénétrable.
Si ce ne sont pas là les pompes de Satan auxquelles vous avez renoncé au
Baptême ? A quoi donnerez-vous ce nom ? L’Eglise n’admettait anciennement personne à ce
Sacrement qu’en exigeant de lui qu’il renoncerait aux spectacles du théâtre. L’instinct du
Christianisme va si fort à en éloigner, que les Païens reconnaissaient qu’un homme était
devenu Chrétien dés qu’ils ne le voyaient plus dans ces lieux, et la curiosité y ayant un
jour conduit une Chrétienne, le démon prit possession d’elle aussitôt, et comme on le
conjurait dans les exorcismes de dire ce qui l’avait rendu assez insolent pour s’emparer
du corps de cette servante de Jésus-Christ, il répondit par sa bouche qu’il l’avait
trouvée dans sa maison, in meo inveni.
Nous voyons encore aujourd’hui (car la grâce est uniforme) qu’une des choses qui pèse le
plus sur la conscience de ceux qui reviennent à Dieu après de longs égarements, et qui
leur cause le plus de douleur, est de s’être livrés autrefois à l’amour de ces spectacles
dont ils ont remporté des blessures profondes qu’ils ne sentaient pas alors, et d’y avoir
consumé tant de temps.
Peut-on, (avouez-le de bonne foi, je n’en veux point d’autres témoins que
vous) peut-on conserver des sentiments de piété dans un lieu où tous les objets ne sont
propres qu’à détourner de Dieu, et attacher à la créature ? Où l’on respire un air
contagieux, où tous ceux qui y assistent sont ravis de se donner eux-mêmes en spectacle,
où tous les sens sont assiégés et ouverts à ce qui les flatte, où les vertus Chrétiennes
telles que l’humilité, la modestie, le recueillement passeraient pour ridicules.
Ce seraient des vérités trop fortes dans ce temps de relâchement d’ajouter avec le même
Tertullien, que l’état d’un Chrétien l’engage de fuir les plaisirs des sens, et de faire
consister toute sa joie dans les larmes de la pénitence, la rémission de ses péchés, la
paix d’une bonne conscience, festin continuel, la connaissance de la vérité et le mépris
même des plaisirs.
« actiones carnis spiritu mortificare quotidie affligere minuere, frænare, interimere », c’est à raison de cela qu’il est dit que le Royaume des Cieux souffre violence, il ne faut se promettre aucune trêve, avez-vous étouffé un mauvais désir, déraciné une habitude, vaincu une inclination vicieuse, foulez-la aux pieds passez à celle qui est vivante,
« calca mortuum, transi ad vivum ».
Je ne vous tairai pourtant pas que les Chrétiens d’aujourd’hui servant le même Dieu,
attendant les mêmes récompenses, ne sont pas moins obligés de renoncer aux passions du
siècle, de mortifier en eux les désirs déréglés
du plaisir sensuel, d’éviter
tous les objets qui peuvent blesser la pureté, ou les dissiper trop, que leurs yeux et
leurs oreilles doivent être aussi chastes que leur langue à laquelle toutes les paroles
folles et bouffonnes sont interdites. 5..
Si l’Eglise n’exerce pas la sévérité de ses censures sur ceux qui vont à la comédie, parce
que le nombre de ces coupables est trop grand, elle exclut les comédiens à la vie et à la
mort de la participation des Sacrements s’ils ne promettent sincèrement de renoncer à ce
métier infâme, on les passe à la table de la communion comme des pécheurs publics s’ils
sont assez hardis que de s’y présenter. Nos rituels y sont formels, ils sont encore
irréguliers pour les ordres sacrés, et la sépulture Ecclésiastique leur est déniée après
leur mort, or si leur profession est illicite et reprouvée par les lois du Christianisme,
en quelle conscience peut-on contribuer à les entretenir et les autoriser par sa
présence ? Otez les auditeurs, vous ôterez les acteurs, c’est pour vous, dit saint
Chrysostome, qu’un Chrétien se fait bouffon, et renonce par là à la dignité du nom qu’il
porte, vous ne faites aucun scrupule de contribuer à faire
vivre dans
l’abondance, et même dans le luxe des gens qu’il faudrait laisser mourir de faim et qu’on
devrait lapider, voudriez-vous que vos enfants ou quelqu’un de votre famille exerçât un
art si honteux, ne les désavouerez-vous pas aussitôt ?
Mais supposé qu’il n’y ait rien dans les comédies qui puisse blesser l’innocence, exciter
des images dangereuses, et réveiller les passions, supposé qu’il n’y ait rien dans les
ajustements, cultu meretricio
, la nudité, les gestes, les airs lascifs des comédiens et comédiennes
qui soit contraire à la modestie, supposé que les personnes qui y assistent ne puissent
inspirer l’esprit du monde et de la vanité qui éclate dans leur parure, leurs actions, et
tout leur maintien extérieur, supposé que tout ce qui s’y passe, les vers tendres et
passionnés, les habits, le marcher, les machines, les chants, les regards, les mouvements
du corps, la symphonie, les intrigues amoureuses ; enfin que tout n’y soit pas plein de
poison, et semé de pièges, vous devez pourtant vous abstenir d’y aller, (je parle toujours
avec saint Chrysostome) car ce n’est pas à des Chrétiens à passer le temps
dans la joie, aux Disciples d’un Dieu homme qui n’a jamais pris sur la terre le moindre
divertissement, à qui le rire a été inconnu, qui a donné au contraire sa malédiction à
ceux qui rient, que l’Athlète qui étant dans la lice tout prêt d’en venir aux mains avec
son adversaire, quitte le soin de le combattre pour prêter l’oreille à des folies, le
démon nous attaque et tourne de tous côtés pour nous dévorer, il n’y a rien qu’il ne tente
pour surprendre, il grince des dents, il rugit, il jette feu et flamme, et vous vous
arrêtez tranquillement à ouïr ces extravagances, pensez-vous que ce soit par là que vous
le surmonterez ? C’est ici le temps de la guerre, et vous ne pensez qu’à danser et à vous
réjouir, c’est ici le temps de veiller et se tenir sur ses gardes, c’est le temps de
répandre des larmes sur les périls qui vous environnent, et sur la longueur de cet exil,
il n’y a point de moment pour rire, cela n’appartient qu’au monde qui verra dans peu une
étrange catastrophe.
Le temps ne permet pas de m’étendre sur les désordres et les inconvénients du bal, la
plupart des raisons qui prescrivent l’un, condamnent l’autre,
les danses sont
aussi bien que les comédies un reste du paganisme, car les idolâtres croyaient rendre par
là un grand honneur à leurs fausses divinités dans leurs fêtes solennelles. Les plus sages
d’entre les Païens les ont traitées d’excès et de folie, ils n’ont souffert ces pernicieux
passe-temps qu’à celles qui sont la corruption et la ruine des jeunes gens, non aux femmes
pudiques, le S. Esprit les réprouve en divers endroits de l’Ecriture, et le seul massacre
de S. Jean est suffisant pour en inspirer de l’horreur, car qui donna occasion à ce
meurtre horrible, à ce crime l’un des plus énormes qui ait jamais été commis après
l’attentat des Juifs sur la personne du Saint des Saints, ce fut la danse de la fille
d’Hérodias, elle plut tellement à Hérode, que s’étant indiscrètement engagé avec serment
de lui donner tout ce qu’elle voudrait, il crut ne lui pouvoir refuser la tête de
Jean-Baptiste dans un bassin, ainsi la tête du précurseur du Messie, de l’ami de l’Epoux,
du plus grand d’entre les enfants des hommes, fut le prix de quelques pas en cadence d’une
baladine. Comment sortir innocent de ces assemblées profanes où Dieu est déshonoré,
où le démon préside, où la raison entraînée par les sens devient incapable
d’éclairer et de conduire la volonté, où la concupiscence sans mord et sans frein, ne voit
rien qui ne l’irrite, où la modestie et la retenue devient un vice, ô combien de fois dans
la suite ces réjouissances séculières ont-elles été changées en deuil par les événements
les plus tragiques que produit le transport furieux de la jalousie. Là se forment des
intrigues, des liaisons secrètes, d’où procèdent des mariages dont on a tout le loisir de
se repentir, quelle licence effrénée ne s’y donnent pas les yeux, les oreilles, la langue,
les mains, l’imagination. Et après cela le bal trouvera des partisans et des apologistes
aussi bien que la comédie, on traitera de divertissement honnête, d’action indifférente,
ce qui est la honte et l’opprobre du christianisme. Je pourrais mépriser de pareilles
objections qui ne sont que des feuilles dont on s’efforce de couvrir sa nudité, mais la
charité de Jésus-Christ nous oblige à ne rien négliger, et à dissiper tous les vains
prétextes dont on se sert pour autoriser de pareils désordres. C’est à quoi j’ai
destiné cette seconde partie de mon Discours.