Ce qu’ils ne feroient jamais, s’ils sçavoient bien considerer qu’en nos affaires propres nous sommes tous-jours interessez, et que par cette raison notre esprit ne voyant pas les choses toutes pures, mais par les yeux du profit tant seulement, n’est point capable de les examiner avec tant de soing, ny si sainement, que s’il n’y avoit aucune part. Ce qui neantmoins est tellement vray, que de deux Esprits égaux, l’un sera moins clair-voyant en ses affaires propres, qu’en celles de son compagnon. […] De là vient cét endurcissement d’esprit, qui nous fait tenir pour suspects nos meilleurs amis, jusques à les accuser de perfidie, combien qu’ils ne soient guidez que du veritable zele de nous servir. […] Sans doute, si nous estions tant soit peu sensibles aux salutaires advis qu’il nous donne, nous aurions tous-jours l’esprit comblé de consolations, et ne tomberions jamais dans les fautes qui nous arrivent par nostre incredulité.
Description du corps, et de la vivacité de son esprit. […] Mais quelque imparfaict qu’il fust de corps, cela n’empeschoit pas, qu’il n’eust naturellement un esprit habile, et qui réüssissoit heureusement en toute sorte d’inventions.
Aussi ne douté-je point que par la Tortuë on ne puisse entendre un esprit tardif, bien que vigilant ; par le Liévre, un courage prompt, mais mal-advisé ; et par le Renard un homme accort et ingenieux, qui ne juge que de ce qu’il voit, sans s’arrester à la vaine monstre des Presomptueux, ny à la trop bonne opinion qu’ils ont ordinairement de leur Vertu pretenduë. […] C’est, à la verité, une belle chose que l’esprit, à qui l’on peut donner ceste gloire d’estre l’Image de la Divinité, le Chef-d’œuvre le plus accomply de tous, et la meilleure partie de nous-mesmes. […] Toutesfois comme l’eau croupit insensiblement, et devient puante, si elle n’est remüée, et le feu s’esteint si on l’empesche d’agir, en luy ostant la matiere qui l’entretient ; Ainsi, pour en parler sainement, ny la beauté de l’esprit, ny la force du corps, ne sont que des qualitez inutiles à l’homme, s’il ne s’en sert au besoin, et s’il ne reduict la puissance en acte. […] Dequoy, ce me semble, l’on ne pourra pas douter, si l’on considere indifferemment que ceux qui ont excellé, soit aux Lettres, ou aux Armes, comme un Platon, un Aristote, un Seneque, un Cesar, un Alexandre, un Agesilaüs, et ainsi des autres, n’auroient jamais rien advancé dans ceste lice d’honneur, si par le conseil du Proverbe Grec ils ne se fussent hastez doucement ; Et c’est en cela, sans doute, qu’ils ont imité la Tortuë, plustost que le Liévre de ceste Fable, puis qu’en matiere d’Esprit et de Force, toutes les fois qu’il leur a fallu agir, ils l’ont fait sans differer, et ont tous-jours joinct la Prudence et le Soing ensemble.
Le renard prenant la parole dit : « Combien je suis plus beau que toi, moi qui suis varié, non de corps, mais d’esprit. » Cette fable montre que les ornements de l’esprit sont préférables à la beauté du corps.
Mais afin d’en venir au dessein que j’ay pris : Un Rat plein d’en-bon-point, gras, et des mieux nourris, Et qui ne connoissoit l’Avent ni le Carême, Sur le bord d’un marais égayoit ses esprits. […] Déja dans son esprit la galande le croque.
» se mit-il à dire : « il y a sans doute beaucoup d’art en toy, mais point d’esprit, ny de sentiment ». […] Cognoistre plus au vray les choses, est un avantage qui appartient aux personnes doüées d’un esprit vif, et subtil. […] D’où il est aisé de conclure, que celuy-là aura l’ame plus belle qui aura plus d’esprit et plus de Vertu. […] » comme voulant monstrer que la beauté corporelle est tousjours moindre que celle de l’esprit, et que les excellents visages ne doivent estre estimez qu’une chetiue Sculpture, s’ils ne sont animez par l’interieur, ou pour mieux parler, s’ils n’ont autant de gentillesse que de beauté.
Ceste Fable me met en l’esprit une opinion que j’ay presque tous-jours euë touchant les Anciens ; à sçavoir, que les plus sages d’entr’eux n’ont creu la pluralité des Dieux que par feinte, affin de s’accommoder à la brutalité du Peuple. […] Et comment nostre Esope mesme, qui n’avoit pas moins de sagesse que les plus sobres Esprits, et à qui Plutarque a voulu assigner une place au Banquet des sept Sages, auroit-il religieusement introduit en ceste Fable un homme si peu respectueux envers son Dieu, que de le mettre en pieces, et luy dire quantité d’injures, apres l’avoir ainsi mal traité ? […] Cela se verifie en la personne d’Aristote et de Platon, qui passerent une grande partie de leur âge sans vouloir devenir riches, et n’y consentirent qu’à la fin, lors qu’ils recognurent leur esprit assez fortifié contre la corruption qu’apportent les biens du monde. Or soit qu’ils le fissent, pour ce qu’ils apprehendoient les incommoditez du dernier âge, où possible pour publier avecque plus d’efficace leurs sages maximes, et qu’à ce besoin ils se servissent des biens qui frappent l’esprit du Peuple d’un certain respect accompagné de docilité ; tant y a, comme j’ay dit, qu’ils ne voulurent s’enrichir que sur le tard, quoy qu’il leur fût bien aisé de le faire plustost, veu l’estime particuliere que faisoient d’eux les plus grands Princes de leur siecle.
Quelqu’un vit l’erreur, et lui dit : Maistre Baudet, ostez-vous de l’esprit Une vanité si folle : Ce n’est pas vous, c’est l’Idole A qui cet honneur se rend, Et que la gloire en est deuë.
Viens ça donc, ô Esprit trop affamé de reputation, et considere à quel poinct d’imprudence aboutissent tes fantasies. […] Car il n’est pas à croire combien grande est la foiblesse de ceste sorte d’esprits. Ils sont pleins de faste, et volages comme elle ; ils sont foibles et bourdonnent comme elle ; et quand ils auroient fait tout ce qu’ils disent, et merité la gloire qu’ils s’attribuënt, tous-jours n’auroient-ils excité que de la poussiere ; car la loüange des hommes n’est autre chose : Et comme dit un des meilleurs Esprits de nostre âge.