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2. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Ennus est adopté par Esope, qui en reçoit une grande injure. Chapitre XXVI. »

Ennus est adopté par Esope, qui en reçoit une grande injure. […] Cette lettre estant cachetée avec la propre bague d’Esope, il la presenta au Roy ; qui transporté de colere, commanda tout aussi tost à Hermippus, que sans autre forme d’enqueste, il s’en allast tuër Esope, comme traistre qu’il estoit. […] Ce qui reüssit si bien au profit d’Ennus, qu’il eust toutes les charges d’Esope, par le don que luy en fist Lycerus. […] Il s’affligea donc d’une estrange sorte, disant qu’en Esope il avoit perdu la principale colomne de son Estat. […] Ceste nouvelle plût grandement à Lycerus, à qui le pauvre Esope fut amené tout crasseux, et plain d’ordure.

3. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — D’un seul grain de lentille qu’Esope fit cuire en un Pot, et de quelques autres choses facetieuses. Chapitre X. »

Esope partit incontinent, et ne fût pas plustost arrivé en la maison, que faisant le commandement de son Maistre, il ne mit cuire qu’une lentille. […] Esope courut aussi tost prendre de l’eau du bain, et leur en donna : Mais Xanthus en eust à peine gousté, que n’en pouvant supporter la puanteur […] » « C’est de l’eau du bain », respondit Esope, « que tu as voulu que je te donnasse ». […] » « Tu l’as euë », luy respondit Esope : « Quoy ?  […] Esope s’y en alla tout aussi-tost, et fit ce qui luy estoit commandé.

4. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope ne laisse entrer qu’un seul de tous ceux que son Maistre avoit conviez. Chapitre XXI. »

Esope ne laisse entrer qu’un seul de tous ceux que son Maistre avoit conviez. […] L’heure du disner estant donc venuë, et Esope se tenant à l’entrée du logis, qu’il avoit fermé sur luy, un des conviez s’en vint heurter à la porte, et soudain Esope luy fist cette question, « Que remuë le chien ?  […] Apres donc qu’Esope luy eût fait la mesme question, et qu’à ces paroles, « Que remuë le chien ?  […] A ces mots Xanthus tout enflammé de colere, envoya chercher Esope, et luy demanda, pour quelle raison il avoit ainsi honteusement chassé ses amis. « Mon Maistre », luy dit Esope, « ne m’as-tu point commandé exprés, de ne laisser venir à ton Festin des gents du commun, et des ignorants mais seulement des hommes doctes ?  […] A ces paroles, toute la compagnie ne sçeut respondre autre chose, sinon qu’Esope avoit parlé doctement.

5. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Du thresor trouvé par Esope, et de l’ingratitude de Xanthus. Chapitre XXII. »

Du thresor trouvé par Esope, et de l’ingratitude de Xanthus. […] Sur ces entrefaictes, Esope ayant fortuitement apperçeu les lettres suivantes R.  […] Alors Esope le regardant, « Seigneur », luy dit-il, « si par le moyen de ce petit pilier que voila, je te descouvre un thresor, quelle recompense me feras tu ?  […] Xanthus estonné du grand esprit d’Esope ; « Je suis d’advis », luy dit-il, « de ne te point affranchir, puis que tu és si plein de subtilité ». « Si tu ne le fais », repliqua Esope, « je m’en sçauray bien revencher ; Car je m’en iray plaindre au Roy de Bizance, pour qui l’on a icy caché ce thresor ». « A quoy cognois-tu cela », continüa Xanthus ; « A ces lettres », adjousta Esope, « R.  […] Ce n’est point toy qui me le donnes, respondit Esope, mais celuy qui l’a icy caché.

6. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — De quelle façon Esope nourrit, et dressa quatre Poussins d’Aigle. Chapitre XXVIII. »

De quelle façon Esope nourrit, et dressa quatre Poussins d’Aigle. […] En cét esquipage, s’estant assis en son Throsne, il fist appeller Esope, qui fust à peine entré, qu’il luy demanda tout haut, « à qui me compares-tu Esope, et ceux qui sont avec moy ? » « Au Soleil du Printemps », respondit Esope, « et tes Conseillers aux Espics meurs ». […] « Voila qui ne va pas mal », dit Esope, « mais je vous feray demain response à cela ». […] Il fist donc compter à Esope l’argent du tribut accordé entr’eux, et le renvoya paisiblement.

7. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — La vente d’Esope. Chapitre V. »

La vente d’Esope. […] Ces paroles d’Esope estonnerent fort le Mestayer Zenas, si bien qu’apres y avoir un peu pensé. « Certes », dit-il à part soy, « je ne dois point mettre en doute que mes affaires n’aillent tres-mal, s’il arrive qu’Esope fasse sa plaincte tout le premier. […] Apres donc que Zenas pouvant disposer d’Esope, luy eust fait sçavoir combien grand estoit l’empire qu’il avoit sur luy, Esope sans s’estonner ; « Je n’empesche pas », luy dit-il, « que tu ne fasses de moy ce qu’il te plaira ». […] Le marchand l’ayant alors voulu voir, Zenas fist incontinent venir Esope. […] Il voulut là dessus passer outre : mais Esope le suivant, « Arreste un peu », luy dit-il.

8. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope est derechef vendu. Chapitre VII. »

Ce qu’oyant Esope, le rire luy échappa, comme auparavant. […] Là dessus estant retourné vers Esope ; « Réjouy-toy », luy dit-il. « Pourquoy ? » respondit Esope, « estois-je maintenant triste ? » « Je te saluë », adjoûta Xanthus ; « Et moy je te saluë aussi », dit Esope. […] » continüa Xanthus. « Rien », respondit Esope ; « D’où vient cela ? 

9. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope découvre le derriere de sa Maistresse. Chapitre XX. »

Esope découvre le derriere de sa Maistresse. […] Un peu apres Xanthus voulant donner à disner à ses escoliers, fist venir Esope, et luy commanda qu’il eust à tenir prest le festin. Esope s’en alla donc au Marché, d’où il apporta tout ce qu’il pût trouver de plus exquis, pour faire un banquet. […] Esope ayant donc appresté tous les autres mets, les apporta en la mesme salle, où il trouva que sa Maistresse dormoit, les fesses tournées devers la table. […] Xanthus survint en mesme temps avecque ses escoliers, et tout scandalisé de voir une chose si honteuse ; « Paillard », dit-il à Esope, « d’où vient tout ce beau mesnage ? 

10. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — De la response qu’Esope fist à un Juge. Chapitre XVII. »

De la response qu’Esope fist à un Juge. […] Esope estant donc retourné vers son Maistre ; « Seigneur », luy dit-il, « tu peux aller aux estuves, si tu veux, car je n’y ay veu qu’un seul homme ». […] Mais comme il y fust arrivé, y trouvant du monde à la foule, « Qu’est-cecy », luy dit-il, « ô menteur Esope, ne m’as tu pas asseuré que tu n’as veu ceans qu’un homme ? » « Il est vray », respondit Esope, « et je le soustiens encore. […] Xanthus approuvant cela, « Sans mentir », dit il, « rien ne peut empescher Esope, d’estre toûjours prompt en ses reparties ».

11. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Partement d’Esope, et son arrivée en Lydie. Chapitre XXIV. »

Comme ils furent arrivez en Lydie, Esope se presenta devant le Roy, qui s’estant mis en colere ; « Voyez », dit il, « si ce n’est pas une chose estrange, qu’un si petit homme m’ait empesché de subjuguer une si grande Isle ?  […] Esope s’estant mis alors à parler, il le fist ainsi. « Puissant Monarque, je ne suis venu vers toy, ny par force, ny par contraincte, ny par necessité non plus ; mais de mon bon gré seulement. […] Ces paroles d’Esope donnerent ensemble de l’admiration et de la pitié au Roy, qui luy respondit ; « ô Esope ce n’est pas moy qui te donne la vie, mais bien le destin. Demande moy donc ce que tu voudras, et je te l’accorderay ». « Seigneur », adjousta Esope, « toute la priere que j’ay à te faire, c’est qu’il te plaise laisser en paix les Samiens ». « Je le veux », dit le Roy et alors Esope prosterné à ses pieds, l’en remercia tres-humblement.

12. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Du present fait à la maistresse de Xanthus. Chapitre XII. »

« Rien », dit Esope, « mais elle t’en a remercié à par soy ». […] N’est-ce pas à toy seule que j’ay envoyé les viandes, qu’Esope te doit avoir données ?  […] » « A ta bien aymée », respondit Esope. […] Il falloit donc bien, ce me semble, Seigneur, que tu me disses, Esope porte cecy à ma femme, et non pas à ma bien aymée ». […] Ce que voyant Esope, « hé bien !

13. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — De quelles viandes Esope traicta les Hostes de Xanthus. Chapitre XIV. »

De quelles viandes Esope traicta les Hostes de Xanthus. […] » Xanthus s’estant mis alors en colere : « Esope », dit-il, « n’as-tu donc point autre chose à nous donner ? » « Nenny », respondit Esope. « Vilain bout d’homme », continüa Xanthus, « ne t’avois-je pas commandé d’achepter tout ce que tu trouverois de bon, et d’excellent ? » « C’est par là que j’ay gaigné », replicqua Esope, « et je suis bien aise de ce que tu me reprends en la presence des Philosophes que voicy. […] Ces raisonnements d’Esope furent approuvez par les escoliers, qui le loüant d’avoir bien parlé, donnerent le tort à leur Maistre, et s’en retournerent chacun chez soy.

14. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Xanthus fait un present d’Esope à sa femme. Chapitre VIII. »

Xanthus fait un present d’Esope à sa femme. […] « Pource », respondit Esope, « que je ne pourray jamais servir un tel Maistre. […] » repartit Esope, « Tu t’arrestes donc à l’amour d’une femme » […] A ces mots, Esope frappant du pied. « O Dieux », s’écria-t’il, « le Philosophe Xanthus se laisse gouverner par sa femme !  […] Alors Xanthus s’addressant à Esope : « Te voila bien, puis que tu és reconcilié avec ta Maistresse ». « Il est vray », respondit Esope, en riant, « Car ce n’est pas peu de chose, que d’appaiser une femme ». « Tay-toy, luy dit Xanthus, car je t’ay achepté pour me servir, et non pour me contredire ».

15. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — L’ingratitude de Xanthus. Chapitre XIX. »

Comme ils furent de retour au logis, Esope s’addressant à son Maistre ; « Seigneur », luy dit-il, « n’ay-je pas bien merité d’estre affranchy, pour les fidelles services que je t’ay rendu toute ma vie ». « Quoy ?  […] Esope sortit doncques du logis, et apperçeut fortuitement deux Corneilles, qui s’estoient branchées sur un arbre ; ce qu’il fist sçavoir incontinent à son Maistre. Xanthus sortit aussi pour les voir ; mais pendant qu’il s’y en alloit, l’une s’envola ; ce qui fit que s’estant mis à tancer Esope ; « Malheureux homme », luy dit-il, « ne m’as-tu pas asseuré qu’il y en avoit deux ? » « Ouy », respondit Esope, « mais l’une s’en est volée ». « Et quoy », reprit Xanthus, « chetif Banny que tu és, n’as tu rien à faire qu’à te mocquer ainsi de moy ?  […] Ces langages surprirent Xanthus, qui plus estonné qu’auparavant, de la merveilleuse vivacité de l’esprit d’Esope, ne voulut point qu’on le battist d’avantage.

16. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Par quelle advanture Esope reçeut le don de bien parler. Chapitre IIII. »

Par quelle advanture Esope reçeut le don de bien parler. […] Le jour suivant, apres que le Maistre d’Esope fut de retour en la Ville, et qu’il l’eust laissé aux champs pour faire la tasche qu’il luy avoit ordonnée, il arriva que les Sacrificateurs de Diane, ou quelques autres hommes, s’estant fortuitement égarez de leur chemin, firent rencontre d’Esope, et le prierent instamment, par Jupiter l’Hospitalier, de leur monstrer par où il falloit aller à la Ville. Alors Esope les ayant premierement fait asseoir à l’ombre d’un arbre, leur donna dequoy manger sobrement : puis il leur servit de guide, et les remit dans le chemin, qu’ils luy demandoient. […] Ces choses ainsi passées, Esope s’en retourna, et fut saisy d’un profond sommeil, tant pour son travail continuel, que pour la grande chaleur qu’il faisoit. […] De ceste façon Esope tout réjouy d’une si belle advanture, se remit à son travail.

17. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope se justifie devant son Maistre, et luy fait voir qui avoit mangé les figues. Chapitre III. »

Esope se justifie devant son Maistre, et luy fait voir qui avoit mangé les figues. […] Sur ses entre-faites, Esope s’en estant allé au logis pour quelques affaires, Agatopus sçeut prendre son temps, et donna ce conseil à l’un de ses compagnons : « Saoulons-nous », luy dit-il, « de ces figues : Que si nostre Maistre les demande, nous luy ferons accroire qu’Esope les aura mangées, et témoignerons nous deux contre luy. […] Ces choses ainsi concluës, ils se mirent à manger les figues : Et à chaque morceau qu’ils en faisoient ; « malheur sur toy », disoient-ils, « miserable Esope ». […] Mais apres qu’on luy eust respondu qu’Esope les avoit mangées, il se mit fort en colere, et commanda qu’on l’appellast. […] » Esope bien estonné de ces langages, les escoutoit tout confus, et ne sçavoit qu’y respondre, pour n’avoir la liberté de la langue.

18. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — De l’affranchissement d’Esope. Chapitre XXIII. »

De l’affranchissement d’Esope. […] » Voila comme ils se mocquoient d’Esope, qui toutesfois ne s’en troubla point. […] Tout le peuple s’escria pour lors d’un commun accord : « ô Xanthus, affranchy Esope : obey aux Samiens, et fay ce bien à leur Ville !  […] Alors n’estant pas possible à Xanthus de s’en dédire, il s’y accorda, et ainsi Esope fût declaré affranchy par un cry public qu’un trompette de la ville fit en ces termes. « Le Philosophe Xanthus donne aux Samiens la liberté d’Esope », et ainsi se trouva veritable, ce qu’un peu auparavant Esope avoit dit à son Maistre par ces paroles, je t’advise que malgré toy tu m’affranchiras. […] Les Samiens comprirent incontinent le sens de la Fable, et resolurent entr’eux de retenir Esope.

19. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Invention d’Esope, pour faire retourner sa Maistresse avec Xanthus. Chapitre XIII. »

Invention d’Esope, pour faire retourner sa Maistresse avec Xanthus. […] Ce qui fit qu’Esope s’adressant à luy : « Seigneur », luy dit-il, « tu ne te fâcheras point, si tu me veux croire, Car je sçay le vray moyen de faire en sorte, que demain avant qu’il soit nuict, ta femme revienne icy bien viste, et de son bon gré ». […] » « C’est le Philosophe Xanthus », respondit Esope, « Car il se doit marier demain ». Le valet ayant appris ces belles nouvelles, laissa là Esope, et monté qu’il fût en la chambre, il fit sçavoir à la femme de Xanthus, ce que l’autre venoit de luy dire. […] Voylà quelle fut l’invention d’Esope, qui trouva moyen de rappeller en la maison la femme de Xanthus, comme auparavant il l’avoit aussi trouvé, pour l’en faire sortir.

20. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Du second service de Langues. Chapitre XV. »

Esope s’en alla donc au marché, et sans rien changer de mets precedents, il achepta derechef des langues, les fit cuire, et les servit sur la table. […] » Mais sans s’arrester à leurs discours, Esope en apporta d’autres, et d’autres encore, jusqu’à la troisiesme fois. […] » « Et quoy, mon Maistre », respondit Esope, « y a-t’il rien de plus mauvais que la langue ? […] » Esope n’eust pas plustost achevé ces mots qu’un des Assistants se tournant vers Xanthus ; « Asseurément », luy dit-il, « si tu ne prends garde à toy, j’ay belle peur que ce poinctilleux ne te fasse devenir fol, Car tel qu’est son corps, tel est son esprit » ; Mais Esope le renvoya bien viste, et sans s’émouvoir autrement : « Va », luy dit-il, « tu me sembles étre un tres mauvais homme de te mesler des affaires d’autruy, et d’irriter sans raison le Maistre contre le serviteur ».

21. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Subtile response d’Esope, touchant les superfluitez que la Nature rejette. Chapitre XVIII. »

Subtile response d’Esope, touchant les superfluitez que la Nature rejette. […] Esope estant donc prés de luy, « Mon Maistre », dit-il, « je vous advise que Bacchus a trois temperaments, ou, si vous voulez, trois divers degrez ; le premier aboutit à la volupté ; le second à l’yvrognerie, et le troisiesme aux injures. […] Alors Xanthus, qui commençoit des-ja d’estre yvre, s’offençant de ces remonstrances, « Tay-toy », luy dit-il, « et t’en va faire le conseiller là bas aux enfers ». « Ce sera donc toy qu’on y traisnera », luy respondit Esope. […] « Pource », repartit Esope, « que hier estant yvre tu demeuras d’accord de boire la Mer, et laissas ta bague pour gage » […] Apres donc que tout le Peuple se fût assemblé au rivage de la Mer, pour voir l’issuë de ceste entreprise, et que Xanthus eust dit et executé de poinct en poinct ce qu’Esope luy avoit enseigné, le Peuple s’en estonna, et le loüa grandement.

22. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Le voyage d’Esope en Delphes. Chapitre XXIX. »

Le voyage d’Esope en Delphes. […] Quelque temps apres, Esope ayant resolu de faire un voyage en Grece, pria le Roy de luy permettre de s’y en aller. […] Pour cét effect ils s’adviserent de prendre un flacon d’or dans le fameux Temple d’Apollon, qui estoit en leur Ville, et de le mettre secrettement dans la male ou la valise d’Esope. […] Esope cognoissant bien par là que c’étoit une partie qu’ils luy jouoient meschamment, affin de le perdre, les pria d’avoir égard à son innocence, et de luy laisser passer chemin. […] J’en fay de mesme », conclud Esope, « et ne me feints point en mes regrets : Car m’estant sauvé cy devant de plusieurs dangers, je ne voy point qu’il y ait moyen de me tirer de celuy-cy, et n’attends d’aucun lieu la delivrance de mon mal ».

23. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope ameine à son Maistre un homme niais, et sans soucy. Chapitre XVI. »

Esope ameine à son Maistre un homme niais, et sans soucy. […] Esope ne respondit rien à cela, mais s’en alla le lendemain à la place, où regardant les passants, il en vid un fortuitement, qui se tenoit assis en un coing, où il demeuroit oisif. […] », dit-il : « C’est l’homme sans soucy », respondit Esope. Alors Xanthus parlant tout bas à sa femme, « fay luy », dit-il, « ce que je te commanderay, et ne manque point, affin que je trouve un sujet de bien estreiller Esope ». […] Là dessus, il fist derechef signe à sa femme de luy obeyr, à cause d’Esope, et commanda en mesme temps, qu’on luy apportast des fagots, ausquels il mit le feu, et tira sa femme auprés, avec apparence de l’y vouloir jetter.

24. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — La response d’Esope à un Jardinier. Chapitre IX. »

La response d’Esope à un Jardinier. […] Le jour d’apres, Xanthus commanda à Esope de le suivre, et le mena en un Jardin, pour y achepter des herbes. Le Jardinier en ayant fait un faisseau, Esope le prit, et alors comme Xanthus voulust payer, le Jardinier s’addressant à luy […] Ce qu’oyant Esope, qui étoit là present, il se prit à rire ; Son Maistre luy demanda pour lors, si c’estoit pour se mocquer, qu’il rioit ainsi ? « Je me mocque voirement », respondit Esope, « non pas de toy, mais de celuy qui t’a instruict.

25. (1300) Fables anonymes grecques attribuées à Ésope (Ier-XIVe s.) « Chambry 19 » p. 8

Chambry 19 Αἴσωπος ἐν ναυπηγίῳ - Esope dans un chantier naval. […] Un jour Esope le fabuliste étant de loisir entra dans un chantier de construction navale. […] Alors Esope leur dit : « Autrefois il n’y avait que le chaos et l’eau ; mais Zeus voulant faire apparaître un autre élément, la terre, l’engagea à avaler la mer par trois fois.

26. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — D’un fardeau, dont Esope se chargea. Chapitre VI. »

D’un fardeau, dont Esope se chargea. […] Esope se mit alors à les prier de luy donner le moins pesant, comme à celuy qui pour n’avoir esté vendu que depuis peu, n’étoit pas encore bien accoustumé à tels services. […] Dequoy le marchand bien estonné ; « Asseurément », dit il, « Esope a des-jà gaigné l’argent que il me couste, puis qu’il est si ardant et si prompt à la fatigue, car, à ce que je voy, il porte la charge d’un cheval ». Mais apres qu’ils furent arrivez au logis où ils devoient disner, et qu’on eust commandé au subtil Esope de distribuër à châcun sa portion de pain, ils en mangerent beaucoup, pource qu’ils estoient plusieurs de compagnie, et ainsi sa corbeille demeura à demy vuide. […] De ceste mesme façon, comme le soir fût venu, il fit la distribution des pains au lieu où ils soupperent, de sorte que ne restant plus rien dans sa corbeille, il la chargea tout à son aise sur ses espaules, et se mit à marcher si viste, que devançant de bien loing ses compagnons, ils ne sçavoient qu’en penser, et mettoient en doute si celuy qu’ils voyoient devant eux estoit ce vilain Esope, ou bien quelque autre que luy.

27. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope instruit Ennus, et luy donne des preceptes pour vivre en homme de bien. Chapitre XXVII. »

Esope instruit Ennus, et luy donne des preceptes pour vivre en homme de bien. […] Ennus estant remis en grace, Esope l’accueillit si genereusement, qu’il ne le voulut fascher en rien ; au contraire il le traicta mieux que jamais, et comme son propre fils, luy donnant plusieurs belles instructions, dont les principales furent celle-cy. « Mon fils, ayme Dieu sur toutes choses, et rends à ton Roy l’honneur que tu és obligé de luy rendre. […] Voila quelles furent les instructions d’Esope à Ennus son fils adoptif, qui le toucherent si avant dans l’ame, qu’étant frappé comme d’une flesche, tant par la remonstrance d’Esope, que par le remors de sa conscience, il en mourut quelques jours apres.

28. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — En quel temps Esope composa ses Fables. Chapitre XXV. »

En quel temps Esope composa ses Fables. […] Ce fut en ce mesme temps qu’Esope composa ses Fables, qu’il laissa au Roy Cresus, et tient on qu’elles se monstrent encore aujourd’huy en sa Royale Maison de Lydie. […] Ainsi Esope entendant fort bien tous les problesmes qu’on envoyoit au Roy Lycerus, luy en donnoit aussi-tost l’explication ; et par ce moyen, il le mettoit en grande estime de toutes parts.

29. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Description du corps, et de la vivacité de son esprit. Chapitre II. »

Esope ne fût pas seulement serf de condition, mais le plus difforme de tous les hommes de son temps. Car il avoit la teste poinctuë, le nez plat, le col court, les lévres grosses, et le teinct noir, d’où luy fust donné son nom, car Esope signifie le mesme qu’Ethiopien.

30. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Du Pays, et de la condition d’Esope. Chapitre J . »

Du Pays, et de la condition d’Esope. […] Mais comme il n’est pas hors d’apparence, que par une secrette inspiration des Dieux immortels, Esope n’ait parfaictement sçeu la Moralle, il est vray-semblable aussi, qu’en bons sens et en vivacité d’esprit, il a de beaucoup surpassé la plus part de ces gens-là, et les a laissé bien loing apres luy. […] Car la Nature ayant fait naistre Esope d’un Esprit libre, la Loy des hommes livra son corps à la servitude.

31. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre premier. — XVI. La mort et le Buscheron. » p. 60

Ce sujet a esté traité d’une autre façon par Esope, comme la Fable suivante le fera voir. […] Mais quelqu’un me fit connoistre que j’eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissois passer un des plus beaux traits qui fust dans Esope. […] Je joints toutefois ma Fable à celle d’Esope : non que la mienne le merite : mais à cause du mot de Mecenas que j’y fais entrer, et qui est si beau et si à propos que je n’ay pas cru le devoir omettre.

32. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — II. Le Lion et le Chasseur. » p. 326

Esope en moins de mots s’est encore exprimé. […] Voyons-le avec Esope en un sujet semblable. […] Voicy comme à peu prés Esope le raconte.

33. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — La mort d’Esope. Chapitre XXX. »

La mort d’Esope. […] Ces choses s’estant ainsi passées, les Delphiens s’en allerent treuver Esope, et le tirerent de la prison, pour le traisner en quelque lieu haut eslevé, dont ils le peussent precipiter. […] Il en est de mesme de moy », reprit Esope : « vous me traisnez injustement à la mort, mais cela vous coustera cher, pource que Babylone et toute la Grece me vangeront ». […] Esope tenoit ce langage aux Delphiens, qui luy témoignoient de s’en soucier si peu, qu’ils ne laissoient pas pour cela de le mener au supplice. […] Quelque temps apres, la contagion s’estant mise parmy eux, ils consulterent l’Oracle, qui leur respondit qu’il falloit expier la mort d’Esope.

34. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre deuxiéme. — XX. Testament expliqué par Esope. » p. 512

Testament expliqué par Esope. Si ce qu’on dit d’Esope est vray, C’estoit l’Oracle de la Grece : Luy seul avoit plus de sagesse Que tout l’Areopage. […] Esope seul trouva Qu’aprés bien du temps et des peines, Les gens avoient pris justement Le contrepied du Testament.

35. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — XVII. Le Chien qui lâche sa proye pour l’ombre. » p. 133

Au Chien dont parle Esope il faut les renvoyer.

36. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LIV. De l’Asne, et du Lion. »

Ce que l’ingenieux Esope nous represente accortement par la Fable du Lion, qui estant Roy absolu sur tous les animaux, comme plus vaillant qu’il est, et plus courageux, reçoit neantmoins la honte de s’enfuyr, en oyant chanter un simple Coq. […] Pour la mesme raison, tant Alciat qu’Esope, ont fort judicieusement attribué ceste action au grossier animal d’Arcadie, pour nous donner à entendre qu’une faute si pesante que celle-là, ne peut provenir que d’une extrême ignorance. […] Laissons-les donc joüyr à leur aise de la fausse gloire qu’ils pensent avoir acquise, et detestant en nostre ame, non seulement ceste vaine et trompeuse apparence de valeur, mais encore toutes disputes et contentions, retournons, comme de coustume, moraliser avec nostre Esope.

37. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — XII. Le Soleil et les Grenoüilles. » p. 314

Esope seul trouvoit que les gens estoient sots De témoigner tant d’allegresse.

38. (1692) Fables choisies, mises en vers « A monseigneur, le dauphin. »

Je chante les Heros dont Esope est le Pere.

39. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE VIII. Du Laboureur et du Serpent. »

La mesme Escriture nous apprend dés le commencement de la Genese, qu’il represente quelquesfois l’ennemy de Dieu ; Et aujourd’huy nostre Sage Esope luy fait joüer un personnage presque aussi mauvais que le precedent, à sçavoir celuy d’un Ingrat. […] Mais je laisse en arriere tous ces exemples, pour alleguer seulement celuy qui est arrivé à la personne mesme de nostre Autheur, et qui est escrit cy-devant en l’Histoire de sa vie ; A sçavoir, qu’Esope estant dans Babylone, à la Cour du Roy Lycerus, adopta pour fils un jeune homme, qui luy sembla le plus aymable, et le mieux conditionné de toute la Ville, auquel il donna une entiere esperance de ses biens, et mit toute son affection en luy, comme s’il eust esté veritablement son enfant. […] Jugeons par cecy de la foiblesse de nostre nature, puis qu’un homme tel qu’Esope, si excellent en esprit, et qui avoit si bien parlé de l’ingratitude, ne pût s’empescher d’estre deçeu au choix de son fils adoptif, et que ce Perfide, qu’il avoit comme enchanté des promesses de son heritage, ne laissa pas de luy tendre un piege mortel, et de le traicter comme le pire de tous ses ennemis.

40. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXVII. Du Chien, et de la Brebis. »

Ce qu’Esope a fort bien donné à cognoistre, en faisant le Chien accusateur de la Brebis, bien que neantmoins il la deût proteger continuellement, estant destiné à cela par la coustume, et par la raison. […] L’on ne peut donc accuser Esope d’avoir traitté trop rudement les faux tesmoins, en les comparant au Loup, au Milan, et au Vautour, puisque mesme ils sont pires que les demons.

41. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXXVIII. De l’Esprevier, et de la Colombe. »

Mais supposons que le Paysan n’en eust point sur l’Esprevier, et qu’il agist en cela, non comme protecteur de l’un mais comme cruel et injuste persecuteur de l’autre, si est-ce qu’Esope n’auroit pas feint ceste Fable sans sujet, puis que nous voyons d’ordinaire dans le monde que les meschants sont punis, et les gens de bien vangez par d’autres meschants. […] Voylà ce qu’Esope nous a voulu representer en ceste Fable : passons maintenant à la trenteneufviesme.

42. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre cinquiéme. — XVII. Le Liévre et la Perdrix. » p. 473

Le sage Esope dans ses Fables Nous en donne un exemple ou deux.

43. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — XIII. Le Villageois et le Serpent » p. 176

Le Villageois et le Serpent Esope conte qu’un Manant Charitable autant que peu sage, Un jour d’Hyver se promenant A l’entour de son heritage, Apperçut un Serpent sur la neige étendu, Transi, gelé, perclus, immobile rendu, N’ayant pas à vivre un quart d’heure.

44. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XLVIII. Du Renard, et des Raisins. »

C’est la feinte qu’Esope attribuë à son Renard, qui ne pouvant manger des Raisins, disoit qu’ils n’estoient pas encore meurs.

45. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE IV. Du Cerf, et de la Brebis. »

Aussi est ce pour cela qu’Esope baille ceste cause à disputer à la Brebis, qui est le plus innocent, mais le plus timide de tous les animaux. […] Mais c’est assez justifier la Brebis d’Esope.

46. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XIX. Des Grenoüilles, et de leur Roy. »

Quant à la premiere, il semble qu’Esope ait voulu blasmer la conduitte des hommes, qui preferent la pluspart du temps la servitude à la liberté ; comme fit jadis le Peuple Hebrieu. […] La seconde impertinence que remarque Esope en ces Grenoüilles, c’est le mescontentement qu’elles eurent de leur Roy ; voulant donner à entendre par là, que dés qu’un Estat a franchy les bornes de sa liberté, il doit cherir tous les Roys qui luy sont donnez de la main de Dieu, fussent-ils plus insensibles, ou plus stupides qu’une souche.

47. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXI. Du Larron, et du Chien. »

Quant au premier, tout bon Domestique n’escoutera jamais les propositions qui luy seront faites pour le seduire, ou s’il les escoute, il y repartira de la dent, ou de la patte, comme le fidele Chien d’Esope. […] Venons maintenant à l’autre condition du Chien d’Esope, qu’on ne peut mieux appeller que sagacité, qui consiste proprement à discerner la mauvaise intention d’avecque la bonne, et le flateur d’avecque l’amy.

48. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXVIII. Du Berger, et du Loup . »

De là vient aussi qu’Esope n’attribuë cette sottise qu’à un enfant, jugeant indigne un homme, de s’exercer à des mensonges nuisibles, et hors de saison. […] Que si j’estois aussi adroit à les commenter, qu’Esope le fût à les faire, je ne croirois pas qu’il y eût au monde un meilleur ouvrage que celuy-cy.

49. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XLV. Du Loup, et du Chien. »

Nous pouvons bien croire Esope sur la douceur de la liberté, pour avoir depuis son Enfance, jusques à la moitié de son âge, esprouve tous-jours le pesant joug de la servitude, sans le pouvoir secoüer durant ce temps-là, quoy qu’il employast pour cét effect toute la subtilité de son esprit, et toute la gentillesse et la promptitude de ses responses. […] De toutes ces choses il est aisé à conclurre, que pas un de nous n’est exempt de servitude, et que mesme ce seroit une impieté de le desirer ; aussi n’est-ce point de la façon que nostre sage Esope entend de nous persuader l’amour de la liberté. […] Que si lon m’objecter à ceste raison, qu’il n’est point de serviteur qui ne doive aymer ses chaisnes, pourveu qu’elles soient dorées ; Je responds à cela, qu’un homme libre, qui a les choses necessaires, se fait tort de se rendre esclave, pour avoir les superfluës, et concluds avec Esope ; qu’il vaut beaucoup mieux s’en passer, que les achepter à si haut prix, approuvant extrémement que le Loup retourne en sa Caverne, plustost que de s’aller faire mettre un colier chez le Laboureur.

50. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XX. L’Avare qui a perdu son tresor. » p. 225

L’homme au tresor caché qu’Esope nous propose, Servira d’exemple à la chose.

51. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXXIV. D’un Laboureur et de ses Enfants. »

Ce qu’Esope a judicieusement inventé du Laboureur, nous l’avons desja dit cy dessus en la personne d’un Roy de Scythie, nommé Silurus, qui appella ses enfans à l’article de la mort, et leur fit faire la mesme experience, qui est contenuë dans le discours de ceste Fable. […] Mais il faut accuser Esope de redire aussi les mesmes choses, quoy que sous la representation de Fables differentes.

52. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXXIV. Du Singe, et du Renard. »

Je ne raporteray pas tant l’Alegorie de ceste Fable à l’envie et à la malignité du Renard, qu’à l’impertinence des autres animaux tant pource qu’aux discours precedents j’ay assez parlé contre les personnes envieuses du bien d’autruy, qu’à cause qu’il me semble veritablement qu’Esope luy fait joüer icy le personnage d’un homme sage et consideré, plustost que d’un meschant ; et qu’au contraire il represente en la sottise des autres animaux, celle que commettent fort souvent les hommes, à sçavoir de donner les grandes charges aux mal habiles. […] Il suffit d’avoir monstré l’intention du sage Esope, à sçavoir que les gents bien avisez n’ont jamais creu que la Souveraineté se peust acquerir par le seul merite du corps, mais qu’au contraire, elle estoit deuë aux excellentes parties de l’ame.

53. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LII. De l’Oyseleur, et du Merle. »

Tellement que plus ceste probité aura de force, plus la Republique s’augmentera ; Et partant le Merle d’Esope avoit raison de dire à l’Oyseleur, qu’il n’auroit guere de Citoyens, s’il faisoit bastir une Ville pleine de pieges.

54. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre deuxiéme. — FABLE I. Contre ceux qui ont le goust difficile. » p. 

Quand j’aurois, en naissant, receu de Calliope Les dons qu’à ses Amans cette Muse a promis, Je les consacrerois aux mensonges d’Esope : Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.

55. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXXI. Du Dieu Mercure, et d’un Charpentier. »

Si mon dessein estoit d’examiner les Fables d’Esope à la maniere des Humanistes, je m’arresterois quelque temps à m’enquerir, pourquoy nostre Autheur fait invoquer Mercure plustost qu’une autre Divinité à ce pauvre Charpentier, pour le recouvrement de sa coignée, et à quelle occasion les Anciens tenoient ce Dieu pour tutelaire des Artisants. […] A quel propos Esope auroit-il introduit un Dieu, pour la consolation de ce pauvre homme, si ce n’estoit à dessein de nous apprendre, que c’est en Dieu que les Vertueux ont à mettre leur espoir ?

56. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXXV. De la Nourrice, et du Loup. »

Il semble qu’Esope ait voulu dire par ceste Fable, qu’il ne faut point se fier aux paroles d’une femme. […] Ils font comme cét Avare dont parle nostre Esope en la septante-quatriesme Fable, qui outragea son Idole, pource qu’il n’en estoit pas satisfait.

57. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXIV. De l’Asne, et du Loup. »

Esope se moque à bon droict en cette Fable, de ceux qui se veulent mesler d’un mestier qui ne leur est pas ordinaire, ny propre, et laissent pour cét effet leur vray et naturel exercice, chose, ce me semble, la plus digne de reprehension qu’on puisse faire, pource que, non seulement on hazarde en cela sa reputation, mais aussi on y ruyne ses affaires, et celles d’autruy ; ce qui ne peut proceder que d’une excessive vanité, joincte à une foiblesse d’esprit encore plus grande.

58. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XCIV. Du Taureau, et du Bouc. »

Aussi ceste maniere de bassesse a esté attribuée par Esope au Bouc, le plus infect, et le plus vilain de tous les animaux.

59. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CXII. D’un Malade, et d’un Medecin. »

Ce qu’Esope dit icy du Medecin, nous le pouvons appliquer à un faux Amy.

60. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XLVI. Du Ventre, et des autres Membres. »

Ces paroles prononcées avec authorité, eurent tant de pouvoir sur ces Mutins, qu’elles les rappellerent à leurs maisons ; ce qui nous donne à cognoistre combien sont puissantes et judicieuses les inventions du sage Esope.

61. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XXII. L’Aloüette et ses petits, avec le Maistre d’un champ. » p. 325

Voicy comme Esope le mit En credit.

62. (1692) Fables choisies, mises en vers « Livre cinquiéme. — FABLE I. Le Buscheron et Mercure. » p. 173

Quant au principal but qu’Esope se propose, J’y tombe au moins mal que je puis.

63. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XVIII. De l’Arondelle, et des autres Oyseaux. »

Ce qu’Esope a fort judicieusement remarqué en la personne de l’Arondelle, qui voyant que les autres Oyseaux mesprisoient les profitables enseignements qu’elle leur avoit donnez, changea de party contre leur esperance ; Et se tournant du costé de l’homme, elle y trouva plus de satisfaction qu’avec ses premiers compagnons.

64. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « AU LECTEUR. Sur le sujet des Fables. »

La Raisonnable est celle où l’on feint l’homme estre autheur de quelque chose qu’on se figure ; La Morale, qui tasche d’imiter la façon de vivre des Creatures raisonnables : La Meslée, qui comprend ensemble ce qui est pourveu de raison, et qui ne l’est pas : La Propre, qui par l’exemple des bestes, et des choses inanimées demonstre tacitement ce que l’on veut enseigner, comme fait Esope en toutes ses Fables ; Et la tres-propre, qui convient aux hommes, et aux fabuleuses Deïtez, en ce qui regarde les actions. […] Mais tout cela seroit superflu, puisque dans celles d’Esope vous avez, ce me semble, une matiere assez ample, pour juger de l’utilité qui en peut revenir, et en profiter vous-mesmes.

65. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE V. Du Chien, et de l’Ombre. »

Pour le regard des Amants, c’est presque l’ordinaire de voir, que n’estant pas rassasiez de la possession d’une femme legitime, ou de la conqueste d’une belle Maistresse, ils se jettent inconsiderément dans de nouvelles amours, où la cognoissance qu’on a de leur legereté, empesche le succés de leur dessein, et ne leur laissant attrapper que l’ombre, les rend semblables au Chien d’Esope, en leur faisant perdre le vray morceau de chair qu’ils avoient en leur possession.

66. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE J. Du Coq, et de la pierre precieuse. »

D’où il est aisé de voir, qu’Esope a eu bonne grace en cette premiere Fable, de les representer par la pierre precieuse, qui semble estre plus belle à nos sens que toute autre chose, et plus rare aussi à nostre rencontre.

67. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LVIII. Du Chevreau, et du Loup. »

Que s’ils leur respondent, c’est en termes pleins de froideur, sans se laisser emporter à la passion ; Ce que remarque fort bien Esope dans la repartie du Loup : Car il ne luy fait point repousser les outrages par les outrages, mais l’introduit seulement avec une voix posée, tançant ses Ennemis de l’asseurance qu’ils ont dans l’enclos de leurs murailles.

68. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXXI. Du Geay. »

L’extravagante ambition de ces Presomptueux, qui démentent leur naissance pour se jetter dans une volée trop éminente, est icy tresbien dépeinte par le sage Esope, en la personne du Geay.

69. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXXII. De la Mouche, et du Chariot. »

Quand on n’en use pas ainsi, on redouble sa honte, au lieu de grossir son estime : on sert de risée à ceux qu’on demande pour admirateurs : bref, on passe pour plus impertinent que la Mouche d’Esope, qui se vante d’avoir fait toute la poussiere de la lice.

70. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CXVIII. De l’Ours, et des Mouches à Miel. »

Le sens de ceste Fable est clair de soy-mesme, et bien digne de consideration, puis qu’en cét Ouvrage l’ingenieux Esope s’est imaginé diverses peintures de ceste maniere, et toutes semblables à celle-cy.

71. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CXIII. Des Coqs, et de la Perdrix. »

Mais Esope fournit bien une autre raison aux Courages Vertueux, pour leur servir de consolation, quand les Meschants les affligent ; C’est qu’il feint la Perdrix mesme mal traittée par les Coqs, en leurs contentions mutuelles, d’où il luy fait prendre sujet de s’appaiser. […] Voila donc la principale raison pour laquelle Esope veut que la Perdrix souffre patiemment sa desconvenuë.

72. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE CIV. De la Corneille, et de la Cruche. »

Ce qu’Esope invente de ceste Corneille, certains Autheurs le content d’un Chien, qui estant extrémement alteré sur un Vaisseau, et ne pouvant boire dans un Vase, qui n’estoit qu’à demy plain, décendit industrieusement au fonds du Navire, et apporta tant de pierres de celles qui se trouvent dans la Carene, qu’il fist hausser l’eau par ceste invention, et ainsi il contenta sa nature par le moyen de son artifice. […] Car Esope ayant si bien fait parler les Animaux, ce seroit, à mon advis, un manquement à nostre livre, de ne traicter point de leur façon de discourir, et de n’examiner pas jusques à quel poinct peut s’estendre la portée de leur entendement, pour en tirer une consequence de ce que nostre Autheur attribuë à la Nature, et sçavoir par mesme moyen pourquoy il s’est voulu servir de l’introduction des bestes, pour apprendre la sagesse aux hommes. […] On dit que nostre Esope estoit de ceste opinion, et qu’il étoit l’homme de son temps qui sçavoit le mieux expliquer les voix des bestes, et les chants des oyseaux. […] Il n’est donc pas à propos de s’imaginer qu’ils le fassent par art ; mais il est bien à croire que si nostre Esope n’eust point eu de plus excellent sçavoir, que celuy qu’on luy attribuë d’avoir entendu le langage des bestes, nous ne serions pas maintenant en peine de luy servir de Mythologistes. […] D’ailleurs, il estoit à propos d’aller au devant de l’opinion de ceux, qui pouvoient dire qu’Esope n’eust jamais fait debitter ses moralitez à des animaux reptiles, volatiles, et quadrupedes, s’il ne les eût creu capables de raisonnement.

73. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXVIII. Du Laboureur et du Serpent. »

Pour nous figurer cette verité, le subtil Esope introduict en cette Fable le plus prudent des animaux, à sçavoir le Serpent, qui se despoüille bien veritablement de toute rancune contre le Laboureur qui l’a offensé, mais qui n’est plus resolu de retourner en sa maison.

74. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXXVII. Des Oyseaux, et des Bestes à quatre pieds. »

C’est au reste avec une grande sagesse qu’Esope fait ordonner de la punition d’une si cruelle perfidie.

75. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXI. Du Renard, et du Bouc. »

Contentons-nous doncques pour ceste fois du conseil d’Esope, qui nous deffend d’entreprendre une chose, sans estre asseurez de l’évenement.

76. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXXIV. De l’Homme, et d’une Idole. »

Et comment nostre Esope mesme, qui n’avoit pas moins de sagesse que les plus sobres Esprits, et à qui Plutarque a voulu assigner une place au Banquet des sept Sages, auroit-il religieusement introduit en ceste Fable un homme si peu respectueux envers son Dieu, que de le mettre en pieces, et luy dire quantité d’injures, apres l’avoir ainsi mal traité ?

77. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XC. De deux Chiens. »

si ces choses nous arrivent à nous-mesmes, nous faisons gloire du souvenir de nos exploicts, comme le Chien que nous represente Esope en ceste Fable, qui se glorifioit du baston qu’on luy avoit attaché au col, pource qu’il estoit hargneux.

78. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XXIII. De l’Enfantement des Montagnes. »

Ce sera, sans doute, celuy qui par un excés d’Ambition met dix-huict cents mille hommes sur pied, et n’aboutit qu’à la desfaicte de son Armée, tandis que ce Philosophe se rit de la vanité de ce Temeraire, et qu’il condamne sa presomption, jugeant fort à propos avec Esope, que c’est la grossesse d’une Montagne, qui n’accouche que d’une Souris.

79. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXIII. De l’Arbre, et du Roseau. »

Ces distinctions estans supposées pour la clarté de ce Discours, je dis que par l’Allegorie de nostre Fable, Esope n’a pas entendu ceste derniere espece de Sages, et qu’il n’a non plus voulu parler du Sage consideré selon soy mesme, mais plustost à l’egard des autres hommes.

80. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE LXVI. Du Renard, et du Chat. »

Il faut seulement sçavoir, s’il est le plus asseuré ; en quoy je diray avec Esope, qu’il l’est en effet, et que les ruses ne font qu’advancer la ruyne de leur Autheur, si ce n’est d’avanture quand il est question de s’opposer aux pieges d’un Ennemy, et de chercher son salut dans la contre-finesse.

81. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LES FABLES D’ESOPE PHRYGIEN. — FABLE XCII. De deux Amis, et de l’Ours. »

Or pour revenir à nostre moralité, il y a quelque chose en ceste Fable, qui ne s’accommode pas bien à l’experience de nostre siecle : car au lieu de nous representer l’infidelité de quelqu’un, qui dans les ennuys de la pauvreté, du bannissement, ou de la disgrace d’un Prince, delaisse ingrattement celuy qu’il se vante d’aymer, Esope nous rapporte icy l’exemple d’un homme, qui abandonne son Amy dans le peril de la mort ; ce qui doit estre plustost imputé à peur, qu’à perfidie.

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