Les Tyrans de Sicile n’ont jamais inventé de tourments semblables à ceux qu’elle nous donne ; De sorte que le Poëte Martial en conseillant à ses Envieux de s’aller pendre, sembloit user d’un charitable advis envers eux, pource qu’il n’y a point de mort plus cruelle que la violence de ceste peste : Aussi a-t’elle tous-jours esté si fort en horreur aux honnestes gents, qu’à peine trouverons-nous un Autheur qui ne l’ayt peinte si odieuse, que Tisiphone mesme paroistroit aymable auprés d’elle.
Au contraire d’avoir toutes ces aydes pour devenir honnestes gents, il arrive la pluspart du temps que nous avons des parents ou des amis, qui pour mieux participer à nostre fortune, nous conseillent follement de la porter au delà de l’impossible, au lieu que s’ils nous aymoient veritablement, ils nous prescheroient sans cesse la moderation, et tascheroient de retenir nos ames dans les limites de la modestie.
D’ailleurs, les gents de haute condition, comme les Souverains, et ceux qui en approchent, entretiennent d’ordinaire des Historiens à gages, qui ne peuvent de moins que loüer hautement les mediocres Vertus de leurs Maistres, et taire, ou paslier leurs defauts.
Il prend plaisir d’assembler les Cedres aux Buissons, les Europeans aux Affriquains, les jeunes aux vieux, les beaux aux laids, les stupides aux galants, bref les plus gents de bien aux meschants, et aux vicieux.
Or ces trois sortes de gents s’enflamment plus aisément contre les riches, que contre les mediocres, estant veritable que les Grands les attaquent par Soupçon, les Petits par Insolence, et les Esgaux par Envie.
Mais je m’amuserois en vain à rapporter des exemples touchant la fidelité des Chiens, puis que les Histoires publiques, et toutes les maisons des particuliers sont plaines de ces merveilles, la consideration desquelles a convié beaucoup de gents à croire qu’ils estoient capables de raisonner ; Ce qui toutesfois ne vient pas de ceste seule experience. La source, à mon advis, en est tirée de bien plus loing, à sçavoir de la Metempsicose de Pythagore, qui ayant publié par toute l’Italie, que les ames humaines passoient d’un corps à l’autre jusques à la fin des siecles, donna sujet à ceste opinion, et fist croire à beaucoup de gents, que les esprits vertueux avoient leur retraicte asseurée dans des corps aggreables et tranquilles, comme sont le Cygne, la Brebis, et quantité d’autres ; que les genereux ranimoient des Aigles ou des Lions, et que les Malicieux avoient à devenir Renards, les Voluptueux, Pourceaux, les Bien-advisez, Elephants, les Fideles, Chiens, les Ingenieux, Singes, et ainsi des autres ; Puis il disoit, que ces mesmes ames rentroient dans des corps humains, et revenoient faire une course en leur premiere lice, continüant de cette sorte jusqu’à l’entiere revolution des siecles, qu’ils appelloient la Grande Année, à sçavoir celle-là qui ramenoit les choses à leur premier poinct, et faisoit revenir en mesme estat, en mesme circonstance, et en mesme progrez toutes les actions de la vie.
Préface de la première édition Je me propose de publier, en faisant précéder les textes de leur histoire et de leur critique, tout ce qui reste des œuvres des fabulistes latins antérieurs à la Renaissance. C’est une vaste tâche que personne encore ne s’est imposée, et qui, je le crains du moins, m’expose à être un peu soupçonné de présomption. Pour me prémunir contre un pareil soupçon, je désire expliquer comment j’ai été conduit à l’assumer. De tous les auteurs anciens qui guident les premiers pas de l’enfant dans l’étude de la langue latine, Phèdre est celui qui lui laisse les plus agréables souvenirs. Ses fables sont courtes, faciles à comprendre et intéressantes par l’action qui en quelques vers s’y déroule.