Car en la possession des biens temporels, nous ny trouvons que les avantages qui sont en une hâche, à l’égard du Charpentier, puis qu’elle n’est autre chose qu’un outil pour en user, et que tous les biens du monde non plus ne sont considerables, que tant qu’ils servent à nostre commodité, et sont les instruments de nostre aise. […] Premierement, à cause de la grande disproportion qu’il y a entre la dignité de nostre estre, et la bassesse des biens du monde ; puis par la raison mesme de l’usage et de l’accommodement, qui nous les rendent aimables. […] Ce qui toutesfois ne semble pas tousjours vray dans le commerce du monde, puis que nous voyons une infinité de gents mal traictez de la fortune, qui ne laissent pas d’avoir l’ame extrémement bonne, et de vivre dans une parfaitte observation des Loix. […] Que si nous les voyons bien avant dans les prosperitez du monde ; s’ils sont environnez d’une suitte de gens serviles, et peu genereux ; s’ils ébloüyssent les hommes de l’éclat de leur ostentation, il ne s’ensuit pas pour cela qu’on les doive croire heureux.
Les anciens Poëtes ont feint que Celius, Dieu par dessus tous les autres, engendra Saturne, que de Saturne nâquit Jupiter, puis Neptune Dieu de la mer, et Pluton Roy des Enfers : Ce que les Platoniciens expliquent fort doctement, quand ils disent que par Celius se doit entendre Dieu, en qui sont comprises toutes les creatures d’une maniere inefable ; et par Saturne le premier esprit Angelique, ou le monde exemplaire, selon la doctrine du mesme Platon, et de Mercure Trismegiste. En suite de cela, ils adjoustent la generation de l’ame du monde, qu’ils appellent Jupiter, entant que par sa lumiere, et son mouvement, elle gouverne, et fait agir la partie d’en haut. […] J’obmets que ceste fable se peut encore expliquer du petit monde, à sçavoir de l’Homme, en qui sous les noms de Celius, de Saturne, de Jupiter, et de Pluton nous pouvons entendre la partie Divine, la Contemplative, l’Œconomique, et la Terrestre. […] Ce qui nous apprend que les hommes qui s’ayment par trop, et qui semblent faire gloire de mespriser autruy, enchantez par la bonne opinion qu’ils ont d’eux-mesme, ne sont dans le monde que des Plantes inutiles, Dieu nous ayant fait naistre pour servir nostre Prochain, et l’assister charitablement. […] Les Platoniciens expliquent cela bien delicatement, quand ils disent que par Venus il faut entendre une forte union de plusieurs choses discordantes, comme la celeste, où des Idées sans nombre sont joinctes à la Nature ; et celle de ce bas monde, qui est tres-estroicte, bien que composée de diverses Creatures, entre lesquelles il y a de la repugnance.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout Bourgeois veut bastir comme les grands Seigneurs ; Tout petit Prince a des Ambassadeurs : Tout Marquis veut avoir des Pages.
En ce monde il se faut l’un l’autre secourir.
Illustre Rejetton d’un Prince aimé des Cieux, Sur qui le Monde entier a maintenant les yeux, Et qui faisant fléchir les plus superbes Testes, Comptera desormais ses jours par ses conquestes : Quelqu’autre te dira d’une plus forte voix Les faits de tes Ayeux et les vertus des Rois.
J’en sçais beaucoup de par le monde A qui cecy conviendroit bien : De loin c’est quelque chose, et de prés ce n’est rien.
Ils vous tiennent noircis de tous les vices du monde, si vous ne possedez hautement la bonne volonté d’un homme, et encore d’un homme bien souvent imparfaict, et mal conseillé. […] Ceste mauvaise methode est ordinaire à ceux qui nous persecutent en nostre affliction, qui sont par consequent les hommes du monde que nous devons le plus apprehender, à cause que nos autres ennemis ne sont redoutables qu’entant qu’ils nous ameinent ceux-cy.
Ce qu’il courut annoncer à la haste dans la ville, avec aussi peu de jugement, que s’il eût apporté la meilleure nouvelle du monde. […] Mais pleust à Dieu que tous les mensonges du monde fussent aussi solides, et aussi utiles que ceux de ce livre. […] Que si j’estois aussi adroit à les commenter, qu’Esope le fût à les faire, je ne croirois pas qu’il y eût au monde un meilleur ouvrage que celuy-cy.
Par ceste Fable nous apprenons que l’amour extraordinaire des Peres est quelquesfois tres nuisible aux enfants ; Et qu’au contraire ceux qu’ils ont traicté trop durement en sont mieux fortunez dans le monde, et mesme plus vertueux. […] Certes, les femmes de Scythie, et les Meres Lacedemoniennes n’en usoient pas ainsi, bien que toutesfois cela ne les empeschât point de mettre au monde de fort vigoureux enfans, chez qui la santé florissoit, à l’égal de la Vertu. […] Comment donc pourra t’on excuser ces mauvais parents, qui accoustument aux delicatesses les enfans qu’ils viennent de mettre au monde ? […] O qu’il eût bien mieux vallu pour telles femmes, d’avoir esté steriles, que de mettre au monde des Miserables abandonnez à toutes les delicatesses du corps, et à tous les débordements de l’ame !
Le Soldat le plus ambitieux du monde ne laissera pas en arriere une charge de Capitaine, qui luy tombera toute acquise entre les mains, pour attendre avec incertitude, celle de Mareschal de Camp, ou de Colonnel. […] Y a-t’il quelque chose dans le monde où vous trouviez assez de charmes pour la preferer au Ciel ? […] Qu’est-ce qui vous charme tant dans le monde ? […] Certes, il n’est pas à croire que de tant de milliers de personnes, qui ont vescu depuis la naissance du monde, non seulement en Europe, mais dans les Royaumes estrangers, il n’y ait eu que ceste poignée d’honnestes gents, dont les Historiens nous ont parlé. […] On a beau se picquer de rendre immortel son nom en depit des Parques et des tenebres : tous ces contes sont Poëtiques et Fabuleux ; la vraye Gloire n’est perdurable qu’au Ciel, et par consequent celle du monde n’est à proprement parler qu’une ombre, et une fumée.
Il n’arrive rien dans le monde Qu’il ne faille qu’elle en réponde.
Nous avons traité ce suject assez amplement, pour estre dispensez d’y revenir, joinct qu’encore qu’il n’y ait que trop de personnes dans le monde qui souhaittent plus ardemment la possession d’un beau corps, que celle d’un bel esprit, si est-ce qu’il est impossible, ce me semble, qu’en leur ame ils ne trouvent ce dernier plus estimable que l’autre.
Un homme qui s’aimoit sans avoir de rivaux, Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde.
Le Chiaoux homme de sens Luy dit : Je sçais par renommée Ce que chaque Electeur peut de monde fournir ; Et cela me fait souvenir D’une avanture étrange, et qui pourtant est vraye.
Je laisse à part les Histoires de Pyrrhus, du mesme Annibal, de Turne chez Virgile, d’Hector et d’Achille chez Homere ; et finallement de la pluspart des vaillants hommes du monde, qui ont bien souvent perdu la vie et l’honneur par un ambitieux desir de gloire, dont ils estoient travaillez. […] Quelques-uns mettent Dieu en arriere, pour les voluptez sensuelles : D’autres l’oublient, pour les grandeurs de ce monde : Certains, pour un desir de vengeance : D’autres, pour les biens perissables et mortels ; Mais veritablement tous ensemble l’abandonnent pour une ombre, qui s’eschappe en un instant de nous, et laisse au poinct de la mort tous ceux qui l’ont pour suyvie, privez de la vraye et de l’apparente Beatitude.
Il invoque à la fin le Dieu dont les travaux Sont si celebres dans le monde.
Certes, si cette bonne fortune fust arrivée à un Lapidaire, il en seroit plus joyeux, pource qu’il en sçauroit bien le prix ; Mais pour moy, à qui cela n’est nullement propre, je l’estime si peu, que j’aymerois mieux un seul grain d’orge, que toute la pierrerie du monde ». […] Ce sont elles qu’Aristote et Platon appellent nostre souverain bien, et par consequent la chose du monde qui est le plus à priser.
Car en quel temps un tiers a-t’il plus beau jeu pour profiter du dommage de ses deux concurrents, que lors qu’ils se treuvent affoiblis de coups mutuels, et espuisez par des guerres continuelles ; voire mesme qu’ils sont reduits à ce poinct d’aveuglement, que d’appeller à leur ayde la personne du monde, qui leur doit estre la plus suspecte ? […] Mais il est mieux de ne les alleguer pas pour ceste heure, affin de venir aux modernes, et dire que la puissance du Turc en toutes les parties du monde, et particulierement en Europe, ne vient que de la discorde des Princes.
Le monde n’a jamais manqué de Charlatans.
C’est elle-mesme qui a donné la source aux plus grandes inimitiez du monde, qui a mis mal le pere avec les enfants, la fille avecque la mere, et bref qui a comblé tout l’Univers de misere et d’inconuenients. […] Mais quant à l’Envie, elle est la seule chose du monde qui n’est susceptible d’aucun repos, ny d’aucune consolation. […] Or ce qu’ils nous representent ce corps énorme et prodigieux, de l’étenduë de neuf arpents de terre, c’est affin de nous donner à cognoistre le grand pouvoir que ceste Fureur a dans le monde, et combien elle y est amplement establie.
Aussi est-ce pour cela qu’il en parle icy avec des advantages extrêmes, la preferant à la plus delicieuse vie du monde, si elle est accompagnée de sujetion. Or n’entendons-nous pas icy par ce nom de liberté toute sorte d’affranchissement, veu qu’il ne se trouve personne dans le monde qui n’y soit avec quelque dépendance, voire mesme avecque plusieurs. […] Chacun releve des Loix de la Nature, et des coustumes du pays qu’il habite ; la Mort exerce son Empire sur tout le Monde.
Comme il s’en alloit ainsi par le monde, il arriva en Babilone, et y donna de si belles preuves de son sçavoir, qu’il se mit en faveur auprés du Roy Lycerus, qui le fit un des plus grands de sa Cour.
dit-il à son monde.
Icy je ne puis m’empescher que je ne m’anime contre les tragiques Histoires qu’on a veu arriver par l’Ingratitude, depuis la creation du Monde jusques à nos jours. […] Je voy des enfants qui s’opposent méchamment à leurs peres, et qui desirent la mort de celuy qui les a mis au monde, voire mesme qui les a comblé de de bien-faits, comme Andronis, Empereur de Constantinople, et le fils aisné de Bajazet.
Si c’est en paroles, à sçavoir en reprochant à un homme ses imperfections, il est mal-aisé qu’on n’ait quelque prise sur eux, puis que nul n’est parfaict en ce monde, et que chacun a un endroit par où il est sensible et defectueux, et par consequent sujet à la reprehension d’autruy. […] Ce qui procede, sans doute, de ce que toutes les affaires du monde ayant deux faces, comme ces Rusez peuvent deçevoir par l’une, ils peuvent aussi estre deçeus par l’autre ; et cela d’autant plus asseurément, que les paroles sont moins importantes que les effects.
Elle attendit donc que l’obscurité de la nuict donnast moyen au Meurtrier de s’échapper de ce lieu, et luy ouvrant elle mesme la porte ; « Va », luy dit-elle, « ô miserable, contre qui j’ay plus de haine que contre tous les hommes du monde, joüy à ton ayse des fruicts de ma loyauté ». […] Par la mesgarde des Chasseurs, qui n’apperçeurent point les signes de l’infidele Bucheron, nous est monstré combien vainement on travaille quelquesfois à la ruyne des hommes, et qu’ils eschappent ordinairement des plus visibles dangers du monde, lors qu’ils sont sous la protection du Ciel.
Un renard reprochait à une lionne de ne jamais mettre au monde qu’un seul petit. « Un seul, dit-elle, mais un lion. » Il ne faut pas mesurer le mérite sur la quantité, mais avoir égard à la vertu.
L’Epoux d’une jeune beauté Partoit pour l’autre monde.
N’est-elle point juste et raisonnable dispensatrice ; et pour le dire en un mot n’est-elle pas également Nature à tout le Monde ? […] Car il se void d’ordinaire qu’un homme extrémement laid, sera doüé d’un esprit excellent, et s’il est stupide, ou hideux tout ensemble, il aura une tranquilité d’humeur, preferable à tous les agréements du monde.
Mais nostre siecle en fourmille beaucoup plus que les precedents, et la Cour plus que tous les autres lieux du monde. […] A cela lon peut objecter, que ceste regle n’est pas si generale, qu’elle ne souffre quelque exception ; Que les sinceres amitiez peuvent estre verifiées par les exemples, qu’un Pilade a voulu donner sa vie pour Oreste, un Damon pour un Pithias, un Piritoüs pour un Thesée, et qu’aujourd’huy mesme il s’en trouve assez, à qui toutes les choses du monde sont de petite consideration, à comparaison de leur Amy ; Ce que je leur advoüeray pouvoir estre, et avoir esté.
Les guenons, dit-on, mettent au monde deux petits ; de ces deux enfants elles chérissent et nourrissent l’un avec sollicitude, quant à l’autre, elles le haïssent et le négligent.
Je sçay qu’il s’est trouvé plusieurs grands hommes, de qui la plume excellente s’est employée à nous mettre par écrit l’estat des choses du monde, et leurs naturelles revolutions, affin d’en pouvoir laisser quelque memoire à la posterité.
Mais vous n’estes pas en estat De passer comme nous les deserts et les ondes, Ny d’aller chercher d’autres mondes.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
Ceste faute neantmoins, en matiere d’eslection, n’a pas laissé d’estre commune à divers Peuples du monde, comme aux Agrigentins, lors qu’ils mirent Phalaris en une condition éminente par dessus eux, et porterent bien-tost apres la peine de leur imprudence, quand par ses horribles cruautez il faillist à rendre sa Ville deserte de gents de bien, et la peupla presque toute d’assassins. […] Or ces delices qu’on trouve à changer, viennent, sans doute, de ce que nous nous rassasions facilement d’une mesme action, ou d’un mesme object, et de ce que nostre entendement se portant à tout cognoistre, nostre volonté de mesme se porte à tout esprouver ; En quoy, certes, les animaux ont de l’avantage par dessus nous ; Car ils vivent dés le commencement du monde dans les mesmes regles, et relevent des mesmes principes.
Car la Nature ayant donné à tous les animaux dequoy se contenter dans le monde, et dequoy s’empescher de la violence et de l’oppression, il ne faut pas que les forts et les puissants s’imaginent de pouvoir avec raison gourmander les foibles, qui ne sont pourveus d’aucune invention pour se deffendre, mais qui peuvent faire suppléer l’addresse au défaut de la puissance. […] Les Poëtes nous ont encore voulu figurer ceste verité, par les douze travaux d’Hercule, et par ceux de Thesée, son glorieux Imitateur, qui s’en alloient tous deux par le monde avecque des armes, pour châtier les meschants, et démettre les Usurpateurs.
Il les fit venir et leur dit : « Mes enfants, je vais quitter ce monde ; mais vous, cherchez ce que j’ai caché dans ma vigne, et vous trouverez tout. » Les enfants, s’imaginant qu’il y avait enfoui un trésor en quelque coin, bêchèrent profondément tout le sol de la vigne après la mort du père.
Mais comme il y fust arrivé, y trouvant du monde à la foule, « Qu’est-cecy », luy dit-il, « ô menteur Esope, ne m’as tu pas asseuré que tu n’as veu ceans qu’un homme ?
Certes, il n’y a point de Vertu dans le monde qui soit si grande, que de rendre le bien pour le mal.
Les Aloüettes font leur nid Dans les bleds quand ils sont en herbe : C’est-à-dire environ le temps Que tout aime, et que tout pullule dans le monde ; Monstres marins au fond de l’onde, Tigres dans les Forests, Aloüettes aux champs.
Jugez, je vous prie, si ce n’est pas une belle satisfaction à ces miserables, au lieu de treuver la recompense de leurs travaux, d’estre payez d’ingratitude, et de risée, et encore par la personne du monde, qu’ils ont le plus obligée.
L’on peut appliquer à ceste Fable deux belles Allegories, l’une Politique, et l’autre Moralle, comme, de dire que le riche devenu pauvre se rend tellement esclave des biens du monde, qu’il est esperonné d’une perpetuelle avarice, retenu par la bride de la chicheté, interdit de la possession d’une chose qui luy appartient, et reduit enfin au mesme destin de ce Cheval, qui reçoit bien le plaisir de voir abattu son Ennemy, mais il y perd la liberté, et trouve que toute la Victoire se tourne au profit de celuy qui le monte.
Car comme il n’est point d’homme si vertueux dans le monde, en la vie duquel il n’y ait tous-jours quelque chose à dire : aussi n’en est-il point de si abandonné, qui ne trouve un pretexte à ses malices, et ne colore ses actions par une assez specieuse apparence.
Car comme en la distribution de son heritage, le bon pere de famille accommode son testament à la bien-seance de ses Enfans, donnant à l’un du bien en argent, à l’autre des Vaisseaux plains de marchandise, s’il a l’inclination portée au traffic de la Marine ; à celuy-cy des fonds specieux, s’il se plaist à la campagne, et à celuy là une charge dans les Armées, ou un Office dans les Parlements, si son humeur l’attire à l’un ou à l’autre ; et tous ensemble seront satisfaits de la donation, quoy qu’en effect celuy qui a le plus de bien, ait l’advantage de son costé ; Ainsi nostre vray Pere celeste nous ayant produits au monde, pour nous faire du bien comme à ses legitimes Enfants, il donne à châcun ce qu’il juge luy estre propre, et le fait avecque tant de justesse, que nul ne le voudroit contre un autre, quoy que toutesfois il se puisse faire qu’il en envie les dons et les qualitez particulieres.
L’extrême inégalité des deux partis paroist clairement aux yeux du monde ; mais ce que la femme a d’honneur et de fidelité, n’est pas tellement en son jour, qu’il ne s’y remarque de l’ombrage. […] Que s’il faut aller plus avant, et donner à la satisfaction des vielles gents, qu’ils ne soient ny trompez de leurs femmes, ny jaloux d’elles, ny mocquez du monde, tout cela n’empesche pas qu’il n’y ait d’autres raisons qui les peuvent rendre malheureux. […] Mais quelle consideration y a-t’il assez puissante dans le monde, pour nous faire resoudre à espouser un corps imparfaict et dégoustant, qui affadit nos plaisirs, et choque nostre inclination ?
Car elle ayme ceux qu’elle a mis au monde, et ne se lasse jamais du soing qu’elle prend à les eslever.
Combien voyons-nous de pareilles advantures arriver tous les jours dans le monde !
L’un luy redemande son pere qu’il a esgorgé, l’autre sa mere, et ceux qu’il a le plus cheris dans le monde.
Ce qui arrive, comme dit Aristote, plus aux jeunes gents qu’aux autres, pour la chaleur de leur sang, qui ne leur donne pas la patience de raisonner pour conclure, et pour le peu de pratique qu’ils ont dans le monde, qui ne leur a permis encore de cognoistre les inesgalitez de la fortune, et les divers artifices des hommes ; au lieu que les Vieillards, à cause de la tiedeur, ou plustost de la froidure de leur sang, raisonnent lentement aux occurrences qui leur surviennent, et panchent tousjours devers la crainte, qui comme elle glace les temperaments, elle reside aussi pour l’ordinaire dans les humeurs froides.
Quant à l’aveugle affection que le Singe porte à ses Enfans, elle nous apprend combien nous sommes susceptibles de telles foiblesses, et combien les choses du monde nous sont déguisées, quand nous les voyons par les yeux de l’amitié.
Tesmoins les Peuples du nouveau monde, qui n’ont que trop éprouvé à leur dommage combien pernicieux et detestables sont les effets de l’Avarice. […] Ils sont les premiers à confesser, que l’or est une creature de la terre, qu’avoir des richesses c’est avoir des ennemis, et que les biens du monde ne sont pas aymables pour l’amour d’eux, mais seulement à cause de leur usage ; Qu’au reste ils ne l’ayment, et ne le desirent que pour cela. […] Il y a de l’apparence que Socrate ne fust pas d’abord si Philosophe, ny si Vertueux, mais que venant dans le monde, à dessein d’estaller ses meditations, et charmer les hommes par les belles choses qu’il leur disoit, il demeura luy-mesme charmé de l’excellence de ses maximes, et trouva peu à peu des appas dans sa Moralité, qui la luy firent aymer à cause d’elle-mesme, et non pour l’amour de la Gloire, tellement qu’il laissa depuis le bien apparent pour le solide. […] Si tu n’as besoin que d’un Viatique pour achever ta course, prends mediocrement ce qu’il te faut pour un voyage pareil, et ne t’embarrasse point d’une denrée inutile en l’autre monde. […] A cela l’on peut objecter, qu’un Pere vertueux est bien aise de laisser ses enfans riches, affin qu’ils ne souffrent rien apres leur mort, et qu’ils ne maudissent point la memoire de ceux qui les ont mis au monde.
Sans qu’il soit donc necessaire de dire aucune chose de ses causes, ou de sa definition, il suffira de conclure, qu’il n’y a point de crime au monde si pernicieux, ny si des-agreable à Dieu, que celuy-cy.
A cela l’on peut adjouster, que par cét adveu contre son profit particulier, l’on ne fait tort ny à Dieu, ny aux hommes, ny à soy mesme : A Dieu, pource qu’en la distribution qu’il a faite des biens du monde, il ne nous a pas rendu possesseurs des nostres propres, à condition de les maintenir au peril mesme de nostre vie, qui est un bien infiniment plus cher qu’un heritage, ou une dignité, qui n’en sont que les accessoires.
Je diray seulement, qu’il suffit de considerer les qualitez de la personne qui nous aborde avec des presents, pour cognoistre en quelle estime elle est dans le monde, et juger par ses déportements passez, si elle est capable d’une fourbe, ou d’une meschanceté.
Or encore que ce blasme touche generalement les hommes, et qu’ils s’attribuënt l’honneur de toutes leurs entreprises, au lieu de le donner à Dieu, qui est la vraye source et la legitime cause de tout ce qu’il y a de bien et d’honneste dans le monde ; Encore, dis-je, qu’ils soient tachez presque tous de ceste orgueilleuse espece d’ingratitude, si est-ce qu’il y en a qui s’y portent d’une inclination particuliere, et dérobent artificieusement l’estime des autres pour se la transferer.
La trahison de ces courages felons va jusqu’à ce poinct, qu’il s’en est trouvé plusieurs qui se sont servis d’un festin, pour empoisonner leurs hostes, violant meschamment le droict d’hospitalité, qui est la chose du monde la moins violable.
En quoy, certes, je me suis tenu dans une simple façon de moraliser, et de dire des choses plustost vrayes que subtiles : car en ces Discours tout mon dessein n’a esté que d’acheminer les hommes à la Vertu, combien que je sois l’homme du monde le moins Vertueux.
Tout au monde est mêlé d’amertume et de charmes.
Car l’on ne peut mettre en doute que l’excez ne soit nuisible, au lieu que la mediocrité est une chose commode à la nature du monde, et particulierement à celle des hommes. […] Y a-t’il au monde une plus grande ostentation que celle des Riches ?
A quoy j’adjousteray le raisonnement, qui pour estre en nous tres-imparfaict, ne laisse pas toutes-fois de contenir quelque chose d’excellent et de grand par dessus tout ce qui est dans le monde : Or que la beauté du corps nous rende semblables aux animaux, cela se découvre assez en ce que la leur consiste comme la nostre, et en couleur, et en proportion ; Et ne sert de rien de dire, qu’ils n’ont pas les traits de leur corps semblables aux nostres, puis qu’il est certain que nous ne leur ressemblons pas, ny du visage, ny de la stature.
Il en arrive de mesme à plusieurs, qui charmez d’un petit plaisir, se lancent teste baissée dans des difficultez bien estranges, et d’où ils ne sortent quelquefois qu’en sortant du monde.
Cela se verifie en la personne d’Aristote et de Platon, qui passerent une grande partie de leur âge sans vouloir devenir riches, et n’y consentirent qu’à la fin, lors qu’ils recognurent leur esprit assez fortifié contre la corruption qu’apportent les biens du monde.
C’est un Enfant que vous avez mis au monde ; Il n’est donc pas raisonnable que vous en desiriez la perte ; autrement vous adjousteriez crime sur crime, et vous dépoüilleriez quant et quant de vostre nature.