Viens ça donc, ô Esprit trop affamé de reputation, et considere à quel poinct d’imprudence aboutissent tes fantasies. […] Car il n’est pas à croire combien grande est la foiblesse de ceste sorte d’esprits. Ils sont pleins de faste, et volages comme elle ; ils sont foibles et bourdonnent comme elle ; et quand ils auroient fait tout ce qu’ils disent, et merité la gloire qu’ils s’attribuënt, tous-jours n’auroient-ils excité que de la poussiere ; car la loüange des hommes n’est autre chose : Et comme dit un des meilleurs Esprits de nostre âge.
Cecy s’adresse à vous, esprits du dernier ordre, Qui n’estant bons à rien cherchez sur tout à mordre, Vous vous tourmentez vainement.
Cette fable s’applique à un homme grand de taille, mais dépourvu d’esprit.
Ce dernier loüoit hautement sa peau tachetée de diverses couleurs ; Ce que le Renard ne pouvant dire dire de la sienne, ny la preferer par consequent à celle du Leopard ; « J’advoüe », luy dit-il, « que tu as quelque raison de ce costé-là ; mais en recompense, l’advantage que j’ay sur toy, qui n’est pas petit, c’est d’avoir l’esprit madré, et non pas le corps ».
Il est en effect tellement hideux, qu’il les rend plus execrables que les mauvais esprits : car encore que ce soit leur mestier de mentir incessamment, si est-ce qu’il y a des circonstances où ils font forcez à dire la verité, et ne sçauroient en ce cas là porter un faux tesmoignage, comme il arrive aux adjurations et aux exorcismes. […] Avecque cela, les malins esprits sont en quelque façon excusables, à cause des peines qu’ils souffrent depuis tant d’années, et qu’il leur faudra souffrir eternellement.
Enfin il se trahit luy-mesme Par les esprits sortans de son corps échauffé.
Tu peux bien sous l’espoir d’vne conduite sage Au milieu de la Mer hazarder ton vaisseau ; Mais non pas t’exposer à l’amoureux orage, Car l’esprit d’une fille est plus leger que l’eau. […] Bref, c’est l’accomplissement de la Nature humaine que le Masle, au lieu que la femme luy doit ceder, soit quant aux conditions de l’esprit, soit pour la force du corps. […] Je ne veux pas toutesfois conclure cela si generalement, que je n’en excepte plusieurs de leur sexe, qui surpassent de bien loing les hommes mediocres, et égalent quelquesfois ceux qu’on estime les plus illustres, non pas seulement en esprit et en sçavoir, mais encore en ce qui regarde la force du cœur, et le genereux mespris de la mort.
Un homme qui s’aimoit sans avoir de rivaux, Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde.
Un suppost de Bacchus Alteroit sa santé, son esprit, et sa bourse.
Zeus, émerveillé de l’intelligence et de la souplesse d’esprit du renard, lui conféra la royauté des bêtes.
Quelle que soit la pente et l’inclination Dont l’eau par sa course l’emporte, L’esprit de contradiction L’aura fait floter d’autre sorte.
N’ay-je en l’esprit que son affaire ?
Alors le pilote, esprit solide, leur dit : « Mes amis, réjouissons-nous, mais comme des gens qui reverront peut-être la tempête. » La fable enseigne qu’il ne faut pas trop s’enorgueillir de ses succès, et qu’il faut songer à l’inconstance de la fortune.
Quelques-uns rapporteront le sujet de ceste Fable à la richesse, qui rend chagrins et embroüillez les Esprits de ceux qui l’ont acquise, au lieu qu’auparavant ils estoient contents et libres. […] Au contraire, pour revenir à la seconde partie de la Fable, le Renard dés qu’il s’est enflé le ventre, ne peut repasser par la mesme ouverture par où il avoit passé auparavant ; Nous enseignant par là, qu’aussi-tost que nos esprits sont abestis apres les voluptez, et qu’ils s’abandonnent à l’excés des convoitises corporelles, avec ce que tous leurs mouvements sont retardez, leur vivacité se diminuë, et se tourne en une importune pesanteur.
Car estans honorez pour la plus grande part, à cause de leurs Seigneurs, ils n’ont pas l’esprit de mettre une difference entr’eux et leurs livrées, c’est à dire, qu’ils ne sçavent pas adjuger le respect à qui il est deu, mais ils s’enflent hors de raison, comme l’Asne de la Déesse Isis, ou comme celuy de nostre Fable. […] Ce que l’experience ne nous preuve pas moins bien que l’explication de la Fable, puis que tous les jours nous voyons tomber en pareille presomption la pluspart de ceux qui se picquent, ou d’esprit, ou de courage.
Ils en sont doncques touchez à la maniere des autres hommes ; et n’ayant pas assez de force pour en venir aux effects, qui sont les vrays moyens de s’acquerir de l’estime, ils s’aydent pour cela des paroles, esperant d’ebloüyr les esprits foibles, et de se debiter pour hardis par la seule invention des injures. C’est cela mesme qui les rend querelleux en compagnie, pource qu’ils veulent imprimer une opinion de leur fierté, et prevenir les esprits des hommes avecque le son des paroles hardies, ce qu’ils ne font neantmoins que lors qu’ils se voyent en estat d’estre empeschez, ou separez, si d’avanture des outrages il en falloit venir aux mains.
Toutesfois en ceste extraordinaire calamité, jointe à un aveuglement perpetuel, il posseda si bien le repos de son esprit : il s’occupa à de si hautes pensées, et composa des ouvrages si Divins, qu’on luy donna depuis à bon droict le tiltre de Pere des Lettres, et à bon droict aussi sept Villes fameuses débatirent entr’elles apres sa mort, l’honneur de sa naissance et consacrerent des honneurs Divins à celuy qu’ils n’avoient daigné regarder durant sa vie. […] Il supporta toutesfois ceste incommodité avec une merveilleuse resolution, et ne perdit pour cela, ny sa belle humeur, ny la raillerie à l’heure de sa mort, quoy qu’il rendit l’esprit sous un Arbre, à faute d’avoir une malheureuse retraicte pour se loger. Voylà l’exemple de deux hommes, qui ont eu l’esprit assez fort pour souffrir en patience une pauvre et contemptible vieillesse.
Son corps est esclave d’un maistre ; mais son ame est libre et Reyne de ses passions, et quelque laid que soit son visage, son esprit est pourtant extrémement beau. […] Mais j’ose bien me promettre qu’un esprit tel que le vostre, qui excelle en la connoissance des bonnes choses, jugera tout aussi tost du haut merite de celles-cy.
Je n’ay donc pas mauvaise raison de les imiter, en vous offrant celuy-cy, qui pour estre d’une invention aussi belle que profitable, et où le bon sens et l’esprit éclattent par tout, n’a pas esté mal nommé de quelques Sçavans, Un ingenieux Amas de Fictions utilement imaginées. Bien qu’il soit vray, Monseigneur , qu’elles n’ont pour Autheur qu’un pauvre Captif, qui durant tout le cours de sa vie fut le Jouët de la Nature, et de la Fortune : si est-ce que sa condition servile, ny sa mauvaise mine n’ont pû luy oster le glorieux tiltre du plus libre et du plus bel Esprit de son siecle. […] Il represente pour cét effet les Ames rampantes par les Serpens attachez à la terre ; La Ruze et la Cruauté par le Renard et le Loup ; L’Aveuglement de l’esprit, et la malice noire, par le Chat-huant, et par le Corbeau ; Comme au contraire, il nous depeint les plus hautes de toutes les Vertus par les plus nobles de tous les Animaux, le Lion, et l’Aigle.
L’effroi m’ôte l’esprit, et je ne sais que faire : je suis partagé entre mon amour des richesses et ma couardise naturelle.
Sur ces entrefaites Athéna lui apparut et lui dit : « Arrête, frère ; cet objet, c’est l’esprit de dispute et de querelle ; si on le laisse tranquille, il reste tel qu’il était d’abord ; si on le combat, voilà comment il s’enfle. » Cette fable montre que les combats et les querelles sont cause de grands dommages.
Ces langages surprirent Xanthus, qui plus estonné qu’auparavant, de la merveilleuse vivacité de l’esprit d’Esope, ne voulut point qu’on le battist d’avantage.
que n’ay je autant d’esprit que mon Compagnon ! […] Car il se void d’ordinaire qu’un homme extrémement laid, sera doüé d’un esprit excellent, et s’il est stupide, ou hideux tout ensemble, il aura une tranquilité d’humeur, preferable à tous les agréements du monde.
A quelle utilité, pour exercer l’esprit De ceux qui de la Sphere et du Globe ont écrit ?
dit la premiere, Faut-il que l’amour propre aveugle les esprits D’une si terrible maniere, Qu’un vil et rampant animal A la fille de l’air ose se dire égal ?
» Esope n’eust pas plustost achevé ces mots qu’un des Assistants se tournant vers Xanthus ; « Asseurément », luy dit-il, « si tu ne prends garde à toy, j’ay belle peur que ce poinctilleux ne te fasse devenir fol, Car tel qu’est son corps, tel est son esprit » ; Mais Esope le renvoya bien viste, et sans s’émouvoir autrement : « Va », luy dit-il, « tu me sembles étre un tres mauvais homme de te mesler des affaires d’autruy, et d’irriter sans raison le Maistre contre le serviteur ».
Esope se moque à bon droict en cette Fable, de ceux qui se veulent mesler d’un mestier qui ne leur est pas ordinaire, ny propre, et laissent pour cét effet leur vray et naturel exercice, chose, ce me semble, la plus digne de reprehension qu’on puisse faire, pource que, non seulement on hazarde en cela sa reputation, mais aussi on y ruyne ses affaires, et celles d’autruy ; ce qui ne peut proceder que d’une excessive vanité, joincte à une foiblesse d’esprit encore plus grande.
Voicy l’exemple de la moins supportable lascheté qui puisse tomber en l’esprit d’un homme, à sçavoir de courir sus à un Malheureux.
Chassons de nostre esprit ceste humeur servile, et faisons plus d’estat du proffit de nos amis, que de leurs chagrins.
De vigilance, pour surveiller aux moyens d’agir, et de venir à bout de quelque haute entreprise ; De bonne conduitte, pour ne laisser en arriere aucune industrie de celles qui peuvent faciliter une affaire ; Et de probité, affin que les Ministres n’ayant l’Esprit qu’à des interests mercenaires, ne tournent à leur proffit particulier les advantages qu’ils sont obligez de rapporter au bien du public.
La loüange chatoüille, et gagne les esprits.
C’est par cette raison qu’égayant leur esprit, Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
D’ailleurs, comme nous avons dit en quelques-uns de nos Discours precedents, la Nature repare les defauts du corps par les qualitez de l’esprit, de sorte qu’il arrive presque tous-jours aux hommes moyennement adroits et robustes, d’avoir un entendement plus que mediocre, au lieu que ces grands Colosses, et ces membres de Geants, fortifiez et munis en guise de Citadelle, sont bien souvent dépourveus de conduitte. D’où il s’ensuit qu’il est aisé à l’homme industrieux de les surmonter, et de rendre son esprit victorieux sur les forces Ennemies.
Momos, jaloux de leurs ouvrages, commença par dire que Zeus avait fait une bévue en ne mettant pas les yeux du taureau sur ses cornes, afin qu’il vît où il frappait, et Prométhée aussi en ne suspendant pas dehors le cœur de l’homme, afin que la méchanceté ne restât pas cachée et que chacun laissât voir ce qu’il a dans l’esprit.
De toutes les passions qui ont accoustumé de ronger l’esprit des hommes, il n’y en a point de plus detestable que celle de l’Envie. […] Car toutes les autres passions illicites contiennent pour le moins quelque apparence de plaisir, et recréent l’esprit d’une douce imagination, ou par l’espoir de posseder ce qu’il desire, ou par le souvenir d’en avoir joüy.
Ceux qui ont creu l’Esprit des Brutes capable de quelque raison, n’ont jamais asseuré qu’il le fût à la perfection de nostre espece, c’est à dire jusques à pouvoir nettement tirer une consequence apres deux propositions, et juger qu’elle se fait par un acte de l’entendement, qu’ils appellent une reflexion. […] Car nous ne voyons aucuns animaux inventer des Arts, ny mesme comprendre ceux qui sont des-jà inventez, autrement que par je ne sçay quelle memoire, et par une confuse cognoissance ; ny changer de biais en ce qu’ils font, quand on leur change la circonstance, ny adjouster à ce qui est proposé par autruy ; Ce qui neantmoins est une des plus foibles marques de nostre esprit, témoing ce dire des Anciens, On adjouste aisément aux choses inventées. […] Plusieurs autres exemples se disent des Elephants, qui les font semblables non seulement à l’esprit de l’homme, mais encore à son naturel, comme, l’amour des femmes, la jalousie des Rivaux, le courroux, les menaces, et quantité d’autres sentiments approchants de nostre nature, parmy lesquels il n’y en a point de plus memorable, que celuy dont Lipse fait mention, qui est tel. […] Mais il arriva que l’Artisan estonné au possible de la docilité de cét animal, et plus encore de son esprit, se resolut de le tromper en l’ouvrage qu’il luy avoit apporté. […] Mais ces raisons laissées à part, nous dirons avec les Chrestiens, et avec les Peripateticiens, que le seul homme est capable de discourir, et que toutes les actions que nous admirons aux animaux, procedent de l’instinct naturel, qui est en eux, et qui se sert de leurs cinq sens, de leur imagination, et de leur memoire, si ce n’est que Dieu les éleve miraculeusement à la faculté de parler, comme il fit à l’Asnesse de Balaam ; et en ce cas là, nous n’aurions besoin que d’un acquiescement d’esprit, et d’une creance humble et soubmise.
Ceste proposition d’Esope plust fort à son Maistre, qui bien estonné du bon sens, et de l’esprit de son nouveau serviteur, voulut que les deux autres beussent comme luy de l’eau tiede.
Là les maladies, et la pauvreté les accueillent de toutes parts, outre les inquietudes et les défauts que donne à leur Esprit une servitude perpetuelle.
Que si quelqu’un n’est pourveu de ces Vertus, que l’on appelle éminentes, il n’est pas incompatible que pour recompense il ne possede les plus solides ; qui sont la tranquilité de l’esprit, la constance, la moderation, et la modestie.
Tantost on se divertit à la chasse, où parmy l’exercice du corps, l’esprit ne reçoit pas une petite satisfaction. […] Ils les cognoissent donc, et les cherissent aussi : ils se repentent à tout moment d’avoir choisi ceste condition, puis ils s’en dédisent : La felicité des hommes champestres leur touche quelquesfois l’esprit, s’il arrive qu’ils aillent à la chasse avec eux.
Car c’est une maxime reçeuë parmy tous les gents d’esprit, que l’homme qui ne desire point une chose, n’est pas moins heureux, que celuy qui la possede. […] Il est vray que je ne sçaurois asseurer s’ils en parloient de ceste sorte, ou par aucun veritable sentiment qu’ils en eussent, ou pour monstrer combien ils le sçavoient dire agreablement, ou plustost par un caprice ordinaire aux esprits des hommes, qui est de n’estre jamais satisfaits de leur profession ; ce qu’Horace a fort bien sçeu remarquer par ces vers : D’où vient, cher Mecenas, que nul n’est satisfaict De ce genre de vie, Que le Sort a voulu que la raison ait fait, Ou mesme son envie.
En un mot, c’est achetter des soucis, et chasser pour jamais hors de sa maison la Philosophie et la tranquillité de l’esprit. […] Je veux dire par là, que puis-qu’il est vray que tant d’excellens hommes ont fait l’Amour sur le declin de leur âge, et que cette dangereuse passion les a perdus à la fin, il faut inferer de necessité qu’elle est estrangement violente, et juger comme cela pour nostre regard ; Que si des gents si habiles en ont senti les atteintes à leur dommage, à plus forte raison nous en devons-nous deffendre, veu les ruines qu’elle pourroit faire à nostre esprit. […] Que s’il ne tient qu’à monstrer comme quoy l’esperance de contenter ce qu’ils ayment leur est entierement retranchée, cela ne sera pas difficile, ce me semble ; Car avec ce que leur humeur froide ne s’accommode pas bien à l’ardeur d’une jeune femme, ils ont d’ailleurs le visage déguisé de rides, le corps catarreux, et l’esprit bizarre pour l’ordinaire.
L’homme le ramassa et s’écria : « Tu as l’esprit à rebours, à ce que je vois, et tu es un ingrat ; car, quand je t’honorais, tu ne m’as point aidé, et maintenant que je viens de te frapper, tu me réponds en me comblant de bienfaits. » Cette fable montre qu’on ne gagne rien à honorer un méchant homme, et qu’on en tire davantage en le frappant.
O le grand malheur que c’est : Sus donc, bon-homme, as-tu bien autant d’esprit qu’il en faut, pour satisfaire à ma question ».
Ces Presomptueux naissent avec tant d’amour propre ; Ils s’estiment si grands, et si excellents personnages, et sont si charmez de leur bon sens, que toute autre chose leur semble ridicule, horsmis la production de leur esprit.
Les Pauvres qui font les Riches, les Roturiers qui se disent Nobles, et les insolents qui veulent passer pour discrets, courent la mesme fortune que ceux-cy : leur artifice peut quelquefois surprendre l’esprit, mais il est impossible qu’on ne le descouvre bien tost aprés.
ô esprit qui n’étoit ny foible ny interessé de l’amour propre, à la maniere des autres femmes, et des hommes mesmes, qui trouvent seulement loüable et beau ce qui est en leur possession ; Le reste, ils le jugent imparfaict, et de tout poinct defectueux, en cela semblables à ceste Lamie, qui portoit les pechez d’autruy dans le devant de sa besace, et les siens au derriere, pour ne les regarder jamais.
Un avare convertit en or toute sa fortune, en fit un lingot et l’enfouit en un certain endroit, où il enfouit du même coup son cœur et son esprit.
Xanthus estonné du grand esprit d’Esope ; « Je suis d’advis », luy dit-il, « de ne te point affranchir, puis que tu és si plein de subtilité ». « Si tu ne le fais », repliqua Esope, « je m’en sçauray bien revencher ; Car je m’en iray plaindre au Roy de Bizance, pour qui l’on a icy caché ce thresor ». « A quoy cognois-tu cela », continüa Xanthus ; « A ces lettres », adjousta Esope, « R.
Mais en fin, toute crainte laissée à part, elles s’apprivoiserent si bien, que ce fust à qui sauteroit la premiere sur ce beau Roy, jusques à se mocquer ouvertement de luy, disant qu’il n’avoit ny esprit, ny mouvement.
Ce qu’ils en font, c’est par un vain espoir de s’acquerir de l’esclat en leur compagnie, et de jetter dans l’esprit du peuple autant de respect qu’il en a pour les plus qualifiez.
» Par ceste responce, il se mit si bien dans l’esprit du Roy, qu’il l’estima grandement pour son sçavoir, et pour sa prudence : de maniere qu’un peu apres, ayant fait venir de la ville d’Eliopolis un bon nombre d’hommes sçavants, fort versez aux questions Sophistiques, il se mit à les entretenir sur la suffisance d’Esope, et voulut que luy-mesme fust de la partie, en un festin où il les avoit invitez. […] Le lendemain apres que Nectenabo eust fait appeller ceux de son conseil ; « Sans mentir », leur dit-il, « j’ay belle peur que l’esprit d’Esope ne nous fasse tributaires du Roy Lycerus ». « Avant que cela soit », respondit un de l’assemblée, « je suis d’advis que nous luy proposions des questions, que nous-mesmes n’avons jamais sçeuës, ny ouyes »
Il se remarqua pour lors que la premiere parole que dit ce causeur, fut de s’enquerir si le Capitaine General n’avoit pas esté tué sur la place, tant cette maudite demangaison de parler s’estoit emparée de son esprit.
Toutesfois je m’ose promettre que le Lecteur favorable excusera mes défauts, par la sincerité de mon intention, et qu’il prendra seulement pour luy ce qu’il trouvera de plus propre à contenter son Esprit, et à moderer ses passions.
Jugeons par cecy de la foiblesse de nostre nature, puis qu’un homme tel qu’Esope, si excellent en esprit, et qui avoit si bien parlé de l’ingratitude, ne pût s’empescher d’estre deçeu au choix de son fils adoptif, et que ce Perfide, qu’il avoit comme enchanté des promesses de son heritage, ne laissa pas de luy tendre un piege mortel, et de le traicter comme le pire de tous ses ennemis.
De telle nature fût à mon advis Ciceron, homme de grand esprit, et de petit cœur, qui changea deux ou trois fois de party pendant les Guerres Civiles de Rome, non par le zele du bien public, mais pour satisfaire à son ambition démesurée.
Au contraire, suivant la petite portée de son esprit, il estimera la chose bonne, pource qu’il la verra faire à ses parents.
le temps, à qui rien ne peut resister, ne vient-il pas à bout de tout ce que nous faisons, tant pour la production de l’esprit, que pour les ouvrages materiels ?
L’on peut voir par là de quelle sorte le Sage doit s’accommoder à l’occasion, sans déchoir toutesfois de l’égalité de son esprit, à l’imitation de nostre Roseau, qui ploye veritablement sous l’effort de la tempeste, mais qui conserve ses racines fermes et durables, au lieu que cét arbre orgueilleux, pour s’estre roidy contre les coups de l’orage, se trouve entierement déplacé de son assiette, voire mesme enveloppé de ses propres ruynes.
Mais nul n’a jamais veu qu’on se soit rendu plaisant, sans y avoir une grande disposition naturelle, soit que la gentillesse du Bouffon consiste aux postures, et au maniment du corps, comme aux Histrions, et aux Pantomimes ; soit qu’elle dépende entierement de la grace de l’esprit, comme aux diseurs de bons mots, soit qu’elle participe de tous les deux, comme aux Comediens.
Il est, certes, mal-aisé de sçavoir au vray d’où procede en nous ceste imperfection : car de l’imputer à un defaut d’esprit, nous voyons d’ordinaire que les plus habiles sont les plus sujets à l’amour des choses naturelles, et qu’ils troublent ordinairement la tranquilité de leur Patrie.
A cela sont sujets entre les autres les mauvais Poëtes, qui recitent leurs Poëmes apres ceux dont ils ne sont qu’aprentifs : Les ignorants Peintres, qui opposent leurs peintures à celles de Michel l’Ange, ou du Titian : Les inutiles Autheurs, qui n’ont pour but que la vaine gloire, et une infinité d’autres Esprits que la bonne opinion d’eux-mesmes met quelquesfois aussi bas, qu’ils se croyent bien hautement eslevez.
Je me contenteray doncques de recueillir icy quelque chose, pour l’instruction des mœurs, et diray premierement, que par l’excessive douleur de ce Charpentier, il nous est enseigné, que c’est à faire à des Esprits foibles et ravallez de s’affliger de la perte des choses temporelles, qui pour leur bassesse ne sont non plus à priser qu’un mauvais outil, ou qu’une vile coignée.