Secondement, on tire les fables de la ressemblance de la Nature, et des operations ensemble, comme ce qu’on feint des hommes et des Dieux sous l’une et l’autre forme ; Et troisiesmement, des operations qu’on attribuë aux feintes Divinitez, et aux Creatures humaines. Mais possible qu’il ne seroit pas hors de propos d’en adjouster une quatriesme, tirée de la ressemblance tantost de la Nature, et des operations, et tantost des operations, et non pas de la Nature. […] Les Platoniciens expliquent cela bien delicatement, quand ils disent que par Venus il faut entendre une forte union de plusieurs choses discordantes, comme la celeste, où des Idées sans nombre sont joinctes à la Nature ; et celle de ce bas monde, qui est tres-estroicte, bien que composée de diverses Creatures, entre lesquelles il y a de la repugnance. […] Je laisse à part plusieurs autres fictions de ceste nature, qu’il me seroit facile de rapporter icy, pour vous faire voir les hauts mysteres que les Anciens ont cachez dessous le voile des fables ; où je pourrois dire encore que S.
C’estoit un Buste creux, et plus grand que nature.
En cecy il faut remarquer si ce glorieux mespris des foibles, qui nous oblige à souffrir patiemment leurs injures, vient de la seule raison, ou si l’instinct de la nature mesme est capable de nous y porter. […] La pluspart des choses de la nature, ont accoustumé de s’irriter par leurs contraires, et de desployer toutes leurs forces, contre une resistance presque semblable à leur portée. […] Si donc ceste experience est visible, et au temperamment de nos personnes, et en la nature du feu, n’aurons-nous pas raison de dire aussi, qu’il en arrive de mesme en la vengeance des animaux, à sçavoir que le sang leur boüillant autour du cœur par le moyen de la colere, ne s’aigrit pas si aisément pour une petite resistance, que pour une grande, ny ne desploye pas toutes ses forces naturelles contre un petit object, voire mesme le laisse aller bien souvent sans le toucher, pource qu’une si chetive presence n’est pas assez forte sur sa fantasie, pour l’esmouvoir à courroux. […] Cela se fait donc, à mon advis, par la naturelle amour que nous portons à la gloire, qui nous empesche de nous arrester à des actions faciles et ravalées, pource que la vraye nature de la gloire consiste en la difficulté.
Le loup une fois dressé lui dit : « Maintenant que tu m’as habitué à voler, prends garde qu’il ne te manque beaucoup de moutons. » Les gens que la nature a faits redoutables, une fois dressés à la rapine et au vol, ont souvent fait plus de mal à leurs maîtres qu’aux étrangers.
Marie de France, n° 1 Le coq et la pierre précieuse Del cok [re]cunte ke munta sur un femer e si grata ; sulum nature [se] purchaçot sa vïande cum il meuz sot ; une chere gemme trova, clere la vit, si l’esgarda.
Car la Nature nous a donné une juste passion pour ce qui nous touche, et un legitime desir de nostre conservation. Comme nous devons doncques à la Vertu ce charitable office de nous bien remettre avecque nos ennemis, nous devons aussi ce droict à la Nature de ne nous y plus fier à l’advenir, de peur d’user d’inhumanité, en mesme temps que nous userons de Clemence, et de joindre une sottise à une belle action. […] Au reste, ce n’est pas une vengeance de ne l’aymer plus, puis que l’indifference n’est ny bien ny mal ; Mais ce seroit une injustice de l’aymer derechef, puis que l’amitié estant un bien, il se trouveroit que nous aurions recompensé un forfaict, qui est une chose de sa nature odieuse et impertinente.
Cela nous arrive par je ne sçay quel malheur de nostre nature, soit qu’elle se porte d’inclination à penetrer tous-jours plus avant dans les choses, et par consequent à violer les limites qu’on luy prepare, soit que la grande amour de la liberté nous y convie, et que ce soit une espece de gehenne pour nostre humeur, de voir un obstacle, ou une barriere devant nous, comme il en advint à ce Vieillard Milannois, qui ayant vescu jusqu’à soixante ans sans sortir des fauxbourgs de sa ville, reçeut un commandement de l’Empereur Charles V. de n’en bouger jamais, afin que tous les Estrangers peussent admirer le peu de curiosité de cét homme ; dequoy toutesfois il eût un déplaisir si extrême, qui ayant fait instamment prier l’Empereur de luy permettre de voyager, comme il se veid rebutté de toutes ses demandes, il en mourut de regret dans sa maison. […] Puis venant à moraliser là dessus, je m’estendrois bien au long à déduire comment les passions demesurées transforment nostre nature en une pire, et nous font déchoir de la dignité de nostre aise. […] Je veux donc dire que ceste transformation de Chatte en femme est une marque de la foiblesse des Amants, qui ne sont pas si-tost abandonnez à leurs passions, que toutes choses leur semblent changer de nature. Les laides s’embellissent en leur imagination : les belles s’y rendent divines : un don de Nature qui n’estoit que mediocre, y devient extrême : un défaut y passe pour une assez bonne qualité. […] Si elle est démesurément grande, ils allegueront, que d’une belle chose on n’en sçauroit trop avoir, et que la Nature a voulu rendre toutes ses perfections infinies.
La courte et sage response de l’Asnon, dément tellement sa nature, que je doute si un subtil et avisé Philosophe pourroit avoir plus judicieusement parlé.
Elle voulut s’excuser alors, alleguant qu’elle estoit de ce genre d’animaux que la nature avoit destinez à vivre comme elle ; Surquoy le priant tres-instamment de la laisser, puis qu’aussi bien elle ne pouvoit luy faire beaucoup de mal ; « Tu t’abuses », luy respondit l’homme en soubs-riant ; « et c’est pour cela mesme que j’ay sujet de te vouloir tuer, pource qu’il ne faut offencer personne, ny peu, ny prou ». […] Au contraire, on pourroit dire que ceste circonstance aggrave leur peché, puis qu’estant de leur nature incapables de nuire, et par consequent moins poussez à cela par la violence de leur sang, ou par la force de leur complexion, il n’est pas hors d’apparence qu’ils n’ayent une plus maligne volonté que les autres, et qu’ils ne desirent le mal comme mal.
Tout le dommage qu’on pretend faire à un ennemy de ceste nature là, retombe sur celuy qui l’attaque.
Ore ai perdu tute m’entente : jeo quidoue si haut munter, ore me covient a returner e encliner a ma nature. » — « Teus est le curs dë aventure. Va a meisun, e si te retien que ne voilles pur nule rien ta nature mes despiser.
Ainsi, quand on a des désirs contraires à la nature, non seulement on n’arrive pas à les satisfaire, mais encore on encourt les plus grands malheurs.
Le Paon se plaignoit à Junon : Deesse, disoit-il, ce n’est pas sans raison Que je me plains, que je murmure ; Le chant dont vous m’avez fait don Déplaist à toute la Nature : Au lieu qu’un Rossignol, chetive creature, Forme des sons aussi doux qu’éclatans ; Est luy seul l’honneur du Printemps.
Les gens vulgaires et jaloux envient les qualités contraires à leur nature et perdent celles qui y sont conformes.
Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part ; L’une encor verte, et l’autre un peu bien mûre ; Mais qui reparoit par son art Ce qu’avoit détruit la nature.
Cette fable montre que les gens de rien ont beau prendre des dehors plus brillants, ils ne changent pas de nature.
Alors la belette produisit un autre grief et l’accusa d’outrager la nature par les rapports qu’il avait avec sa mère et ses sœurs. […] Cette fable montre qu’une mauvaise nature, déterminée à mal faire, quand elle ne peut pas se couvrir d’un beau masque, fait le mal à visage découvert.
Or quoy que cela ne semble pas ordinaire en la Nature, si est-ce qu’on en peut donner des raisons tres legitimes ; Et premierement on peut dire, que ces Ennemis fiers et presomptueux vont la pluspart dans le Combat avec tant de negligence contre les foibles, qu’ils dédaignent de mettre en œuvre tout ce qui est d’ordinaire praticqué pour la seureté des Combattans, à sçavoir d’estre couverts de bonnes armes, montés sur un cheval adroict, et faire avec soin tous les passages de l’escolle. D’ailleurs, comme nous avons dit en quelques-uns de nos Discours precedents, la Nature repare les defauts du corps par les qualitez de l’esprit, de sorte qu’il arrive presque tous-jours aux hommes moyennement adroits et robustes, d’avoir un entendement plus que mediocre, au lieu que ces grands Colosses, et ces membres de Geants, fortifiez et munis en guise de Citadelle, sont bien souvent dépourveus de conduitte. […] Sertorius et Spartacus le suyvirent, à mon advis, de bien prés en ceste nature de gloire.
de quelque nature que l’on se figure cét accommodement, n’est-il pas imparfait, et non necessaire ? […] Apres cela y aura t’il quelque chose que nous trouvions estrange en la Nature ? […] De peu de biens Nature se contente. […] Ceste invention n’est pas de la Nature : elle appartient proprement au luxe. […] La Nature n’a non plus besoin de viandes exquises et voluptueuses.
Alors le lion l’accusa de trahison. « Ce n’est pas à moi, répliqua le dauphin, mais à la nature qu’il faut t’en prendre : elle m’a fait aquatique et ne me permet pas de marcher sur terre ».
Aussi avez-vous, comme luy, la science de les cognoistre, et vostre affection, comme la sienne, n’est pas vne temeraire et aveugle inclination de nature ; mais un pur effect de jugement et de raison. […] Aussi est-il vray que des divers personnages que cet Autheur leur fait joüer si plaisamment sur ce theatre, j’ay tiré de riches secrets de la Nature, de la Morale, et de la Politique ; comme vous verrez dans les Discours que j’ay formez là dessus selon l’occurrence des matieres.
Ce qui estant hors de doute en l’opinion de tout le monde, ce seroit destruire la nature du don que de le rendre forcé ; et par consequent, il est permis d’inferer qu’une cession contraincte n’est pas un present, et que la chose ainsi cedée est encore de nostre legitime possession. Tellement que le droict de la nature, et des peuples, nous permet de le demander, et mesme il nous y convie.
En effect, je pense qu’elle avoit quelque sujet de le remercier, de ce qu’ayant une nature si sanguinaire, et si accoustumée au mal, il luy avoit permis d’eschapper saine et sauve d’entre ses dents, ce qui n’avoit jamais esté veu qu’alors. […] Apres avoir violé les loix qui obligent la creature au Createur, apres avoir franchy toutes les regles de la nature et de la Religion, est-il à croire que tels ingrats observent les loix d’une simple amitié, et encore vaine et fausse, puis que selon le dire d’Aristote, il n’en est point de vraye, que celle dont la Vertu est le fondement ?
La Nature l’ayant donnée à ceux du premier âge, ne furent-ils pas bien mal-heureux de la laisser perdre, pour la seule dispute du tien et du mien, d’avoir esté obligez de chercher à leur convoitise des moderateurs, dont ils n’auroient jamais eu besoin, s’ils eussent demeuré dans les sacrées bornes de la mediocrité ? […] Et quant à la troisiesme extravagance des Grenoüilles, fondée sur les plaintes qu’elles firent de leur second Roy, elle represente l’imparfaicte condition de nostre nature, qui ne peut estre satisfaite dans un mesme estat, et aspire incessamment à la nouveauté.
Ce partage que fait le Lion aux animaux, ses inferieurs, de la venaison qu’ils ont prise ensemble, represente les injustes avantages que les riches prennent sur les pauvres, qu’ils ont accoûtumé de tromper, en retenant leurs salaires ; de s’attribuër des honneurs immoderez, de rehausser l’excellence de leur protection, de rendre leur conduitte necessaire à l’appuy des affligez, et par toutes ces raisons usurper injustement ce que la nature, ou le hazard leur fait escheoir.
Mais ce qu’il y a de pire en cela, et que l’on peut appeller proprement un crime contre nature, et insupportable aux gents de bien, c’est l’infame profanation des caresses et des tesmoignages d’amitié. Quelle honte, ô bon Dieu, que des hommes créez sociables par la Nature, et susceptibles de bien-veillance, se servent des actions les plus humaines en apparence pour executer des cruautez inoüyes, et les plus tragiques effects de leur vengeance ?
Ce n’est pas toute Nature de sujetion qu’il condamne. […] Son intention n’est donc autre, que de reprendre les personnes, qui pouvant demeurer libres en une petite Maison avec innocence et seureté, sans dépendre d’autres loix que de celles où la Nature nous lie necessairement, vont destruire par leur propre élection toute leur vraye felicité, et s’abandonnent malheureusement au pouvoir d’autruy, aux brocards des Courtisants, à la censure des Envieux, et à toutes les gesnes d’une servile et deshonorable complaisance. […] Ce qui arrive necessairement à ceux qui prennent d’autres devoirs à rendre, que ceux de la Nature et des Loix : Avecque cela, l’on peut dire que c’est estre cruel à soy-mesme, que de s’astreindre à trop déferer à autruy.
Mais le foulon lui répondit : « C’est pour moi totalement impossible : car ce que je blanchirais, tu le noircirais de suie. » La fable montre qu’on ne peut associer des natures dissemblables.
ma ruse même n’a fait aucun effet sur toi, mon homme ; car non seulement tu n’es pas assagi, mais encore tu es devenu pire, et ton défaut est devenu une seconde nature. » Cette fable montre qu’il ne faut pas s’invétérer dans la mauvaise conduite ; car il vient un moment où, bon gré, mal gré, l’habitude s’impose à l’homme.
Ceci prouve que par nature les hommes ont moins d’amour et de respect pour la justice que d’acharnement au gain.
Bref, c’est l’accomplissement de la Nature humaine que le Masle, au lieu que la femme luy doit ceder, soit quant aux conditions de l’esprit, soit pour la force du corps. […] Le mesme paroist encore en la longueur de leurs cheveux, que la Nature ne boucle point comme aux hommes, marque infaillible de moiteur, et non de vivacité.
S’il nous veut du mal sans raison, c’est un préjugé d’une tres mauvaise nature, et par consequent de la durée de sa haine.
Il n’est nullement besoin de nous arréter à de plus grandes instructions touchant ceste nature d’évenements.
Par ce Taureau, qui se souleve sans cesse contre le Laboureur, nous apprenons qu’il y a certaines natures si revéches, et si mal traictables, que l’on ne les peut divertir, ny par art, ny par conseil.
Son camarade le voyant gras et en bon corps, lui rappela sa promesse et lui reprocha de ne lui avoir rien rapporté. « Ne t’en prends pas à moi, répondit-il, mais à la nature du lieu : il est possible d’y trouver à vivre, mais impossible d’en emporter quoi que ce soit. » On pourrait appliquer cette fable à ceux qui poussent l’amitié jusqu’à régaler leurs amis, mais pas plus loin, et qui refusent de leur rendre aucun service.
Car en mesme temps que la nature leur refuse la jouyssance de leurs brutales delices, la coustume leur en augmente le desir.
Car comme l’intention de la Nature est, que le semblable produise son semblable ; aussi a-t’elle imprimé certains desirs d’imitation du fils envers le Pere, qui le rend docile, et susceptible de tout ce qu’il luy void faire.
De telle nature sont ceux qui plaident, ou qui persecutent les Orphelins, qui tourmentent les femmes veufves, qui dépoüillent les pauvres du peu de bien qui leur est resté, qui se joüent des maladies et des affligez ; et bref, tous ces courages dénaturez, qui se rendent malfaisants à ceux pour qui la fortune n’a point de caresses ny de bon traictement.
De pareille nature sont encore ceux qui voyant leurs Amis malades à l’extremité, n’osent toutesfois leur parler de confession, pource, disent-ils, que la peur redouble l’accez du mal, et que c’est les hazarder que de leur nommer le nom d’un Prestre.
Car s’il est ainsi que toy qui as un empire absolu sur mes volontez, et qui ne crains personne, ne donnes point toutesfois aucun relâche à ta nature, puis que tu pisses en marchant ; que faudra-t’il que je fasse, si tu m’envoyes à quelque affaire ? ne seray-je pas contraint de décharger mon ventre en volant, si mesme ceste nature exige de moy quelque chose de semblable ?
A toute force enfin elle se resolut D’imiter la Nature, et d’estre mere encore.
Cette Furie, fatale aux peuples et aux familles, arma Cain contre Abel, Etheocle contre Polinice, et Romulus contre Remus, encore que la nature les eût lié pour jamais des sacrez interests du parantage. […] Or quoy qu’elle soit extrémement execrable et hydeuse de sa nature, si a-t’elle une chose excellente en soy, à sçavoir la punition tres-juste du peché mesme qu’elle fait commettre.
Pour prouver à plain ceste verité, jettons les yeux depuis le commencement jusques à la fin sur toutes les choses du monde, et nous trouverons qu’une nation usurpatrice, a tousjours esté chastiée par une autre, de mesme ou de pire nature qu’elle.
Le principal avantage que t’a donné la Nature ne consiste pas en cela : C’en est bien un plus grand pour toy, d’avoir la legereté de tes jambes.
Je pense qu’il y a deux ou trois Fables dans ce livre, qui contiennent le mesme sens de celle-cy, à sçavoir que la Nature a doüé châque animal de quelque vertu, capable de rendre tout le monde satisfaict, et cela avec tant de justesse et de proportion, que nul n’est mécontent de son partage.
Ils ne sont pas si heureux que les Roys d’Egypte, qu’on alloit advertir tous les matins de la fragilité de leur nature, en portant une teste de mort dans leur chambre. […] Car ceste mesme Nature aymant sa conservation et son bien estre, arme nos desirs contre les traverses qui nous attacquent, et nous fait souhaitter ardemment de nous en voir bien-tost garantis.
Mais prenons qu’elles ayent une vertu assez heroïque pour resister, ce qui n’est pas du tout impossible en la nature des choses ; de quelque façon qu’on le prenne, c’est tousjours épouser une crainte perpetuelle : c’est attacher au chevet de son lict un eternel resveille-matin : c’est se donner en proye à un Vautour pire que celuy de Promethée. […] De plus, remettons-nous en memoire l’advis que nous donne à ce propos la Saincte Escriture, à sçavoir, « Que l’une des trois choses contre Nature, c’est le Vieillard amoureux ». […] Pour cét effet, ils se doivent proposer les malheurs que j’ay des jà representez, et croire qu’ils les communiqueront tous à la personne qu’ils ont dessein d’espouser ; action d’autant plus odieuse, que c’est une chose contre Nature, de rendre infortunez ceux avec qui nous voulons passer le demeurant de nostre âge.
Comme au contraire, il n’est rien de si hazardeux, que les entreprises des jeunes gents, qui ne daignent suyvre les advis des hommes sages, et de ceux là mesmes que la Nature commet pour leur gouvernement.
Car estant de sa nature tout bon, il est hors de propos de s’imaginer qu’il fournisse des armes pour destruire la bonté.
Telles sont pour le jourd’huy la pluspart des Meres, qui dorlottent et idolatrent leurs enfants, comme les chefs-d’œuvre les plus accomplis de la Nature.
De cette nature sont les sciences, les arts, la prudence, et la sagesse, quant aux vertus de l’entendement ; Et quant aux Morales, la valeur, la liberalité, la continence, et ainsi des autres.
La premiere, c’est la crainte que le Lion a du Coq, marque irreprochable que rien n’est si asseuré, ny si accomply de sa nature, qui n’ayt son escueil, ou son sujet d’achopement et de honte.
Nous avons en butte en ceste Fable ceux qui s’attribuënt la gloire des actions d’autruy, quoy que de leur nature ils soient stupides et impuissants.
Nous pouvons trouver d’assez beaux exemples à ces Veritez, en la pluspart des choses de la Nature.
Si celuy-cy, bien que Vicieux et hayssable de sa nature, n’a pas laissé d’attirer sur soy plus d’horreur qu’il n’en avoit auparavant, en l’action qu’il a faite contre moy, combien plus serois je noircy en luy rendant la pareille, moy qui ay vescu jusqu’à maintenant en quelque consideration d’honneste homme ? […] Il est donc certain qu’une ame genereuse, et bien née, pour estre outragée n’en perdra jamais la tranquillité, principalement si elle prevoit de loing les conseils des malicieux, et si elle cognoist que leur nature, semblable à celle du feu, ne se peut soustenir sans destruire et consumer le sujet où il faut qu’elle s’attache de necessité.
Jugeons par cecy de la foiblesse de nostre nature, puis qu’un homme tel qu’Esope, si excellent en esprit, et qui avoit si bien parlé de l’ingratitude, ne pût s’empescher d’estre deçeu au choix de son fils adoptif, et que ce Perfide, qu’il avoit comme enchanté des promesses de son heritage, ne laissa pas de luy tendre un piege mortel, et de le traicter comme le pire de tous ses ennemis.
Car d’y proceder plus rigoureusement, ce seroit violenter un Mal-heureux, et luy faire porter la penitence des defauts de sa nature.
De telle nature fût à mon advis Ciceron, homme de grand esprit, et de petit cœur, qui changea deux ou trois fois de party pendant les Guerres Civiles de Rome, non par le zele du bien public, mais pour satisfaire à son ambition démesurée.
Tout ainsi que dans le commerce de ceste vie, l’on repute bien souvent à honte ce qui est loüable de sa nature, comme la devotion ; ou ce qui est indifferent à la loüange et au blâme, comme la pauvreté ; De mesme attribuë-t’on à gloire ce qui est blâmable de soy, comme la quantité des duels, ou la corruption des filles, et des femmes, que nous appellons bonnes fortunes ; ou ce qui est indifferent, comme les charges, et les richesses.
C’est un Enfant que vous avez mis au monde ; Il n’est donc pas raisonnable que vous en desiriez la perte ; autrement vous adjousteriez crime sur crime, et vous dépoüilleriez quant et quant de vostre nature.
Subtile response d’Esope, touchant les superfluitez que la Nature rejette.
Ne semble-t’il point que la Nature desdaigne nos plus hautaines resolutions, et qu’elle deffende à des Pigmées d’outrepasser les bornes qu’elle s’est prescripte ?