L’on nous permet quelquesfois de jurer le nom de Dieu avec des begayements enfantins, et d’offrir à un Ennemy les premices de nos pensées. […] Comment croyez-vous qu’il soit benit de Dieu, si vous en faites un vase de profanation ? […] Est ce ainsi que vous violez le Temple de Dieu ? […] Dieu l’a creé capable d’une felicité dont vous ne le devriez pas destourner. […] Mais vous me respondrez possible, que vostre fils n’estant pas en âge de discretion, n’est pas en âge de mal faire aussi, et par consequent que son innocente gayeté, ny ses jurements, ny ses ordures, ne sont pas coûpables devant Dieu.
A la fin le mesme Dieu luy en fit voir une emmanchée de bois, que le Charpentier recognût pour celle qu’il avoit perduë. […] Mais ce Dieu le voulant punir de son impudence, et de son mensonge, ne luy donna, ny la coignée d’or, ny celle que cet Artificieux avoit tout exprés jettée dans la riviere. […] Si mon dessein estoit d’examiner les Fables d’Esope à la maniere des Humanistes, je m’arresterois quelque temps à m’enquerir, pourquoy nostre Autheur fait invoquer Mercure plustost qu’une autre Divinité à ce pauvre Charpentier, pour le recouvrement de sa coignée, et à quelle occasion les Anciens tenoient ce Dieu pour tutelaire des Artisants. […] A quel propos Esope auroit-il introduit un Dieu, pour la consolation de ce pauvre homme, si ce n’estoit à dessein de nous apprendre, que c’est en Dieu que les Vertueux ont à mettre leur espoir ? […] Mais quant aux desseins des hypocrites, qui sous un pretexte de probité n’aspirent qu’à la richesse et à l’interest, nous ne devons point douter que Dieu ne se mocque de leur fausse apparence, et qu’il ne prenne soin de les chastier, au lieu de répandre sur eux ses benedictions.
Certain Payen chez luy gardoit un Dieu de bois ; De ces Dieux qui sont sourds, bien qu’ayans des oreilles. […] La pitance du Dieu n’en estoit pas moins forte.
Premierement les hommes puissants et injurieux se peuvent representer qu’ils ne tiennent leur force que de Dieu, qui ne la leur donne point à dessein d’affliger les foibles, mais plustost pour leur faire du bien, et les secourir. […] D’ailleurs, quelqu’un de ces gents-là peut raisonner de ceste sorte et raisonner veritablement. « Si Dieu m’a voulu faire tant de bien, à moy qui suis sans merite et sans vertu, que de m’eslever à la grandeur et au commandement sur les autres, n’est-il pas juste que le les traitte avecque douceur, et sans user envers eux d’aucune inhumanité ? […] Car ce ne sont pas les grandeurs de la terre qui establissent nostre condition devant Dieu, mais plustost c’est la seule vertu ; et celuy-là est le plus considerable en sa Cour, qui est le moins vicieux. […] Que si pour toutes ces raisons les foibles ne laissent point d’estre en butte à la persecution des plus puissants, en tel cas, pour les reduire à la patience, il leur faut representer la courte durée de nos jours, la justice de Dieu, qui ne laisse rien sans payement, l’égalité des conditions dans la tombe ; et bref la bonne fortune que ce leur est de trouver une occasion de meriter le Ciel, et d’estre imitateurs de la patience de leur Maistre.
C’est aussi par elle que nous sommes semblables à Dieu, comme il est dit dans l’Escriture, « Faisons l’homme à nostre ressemblance ». Car de croire qu’il ait voulu entendre par là des traicts de visage, et des proportions de corps, ce seroit rendre ces termes ridicules, puis que Dieu est incapable de matiere et de lineaments. Il y a donc une espece de Beauté, par qui nous ressemblons aucunement à Dieu, à sçavoir la beauté de l’ame. […] Le premier est celuy que nous avons desja touché, à sçavoir, que l’une nous rend semblables à Dieu, l’autre nous est commune avecque les bestes. Quant à la ressemblance de Dieu, outre l’authorité de l’Escriture, j’allegueray que l’ame est separée de la matiere comme luy, quoy que non pas en si haut degré de perfection.
Pour cela mesme les Poëtes ont fait Déesse, et non pas Dieu, la Divinité qui preside à la Prudence, possible pour nous monstrer qu’il faut user des choses avec modestie, et non pas brusquement, ny trop à la haste. C’est un Dieu qui regne sur les Armes, un Dieu qui preside au Bien-dire, et à la Medecine, et un Dieu de qui les Arts mecaniques relevent. On a fait Dieux (bien que faussement) ceux qui ont charge de la Mer, de la Terre, et du Ciel : on a fait Dieu, et non pas Déesse, l’Amour ; Mais quant à la Prudence, c’est à dire à la conduite des actions, on l’attribuë justement à une Déesse, et encore à la plus modeste de toutes, pour apprendre que nous devons nous conduire avec que que lenteur, et quelque attrempance dans nos desseins, affin de les faire reüssir.