Toutefois il voulut savoir si, en changeant de fortune, il avait aussi changé ses habitudes de convoitise ; et, tandis que le nouveau roi passait en litière, il lâcha un escarbot sous ses yeux.
Si sa fortune estoit petite, Elle estoit seure tout au moins.
Il obtint changement de fortune, Et sur l’état d’un Charbonnier Il fut couché tout le dernier.
Alors le pilote, esprit solide, leur dit : « Mes amis, réjouissons-nous, mais comme des gens qui reverront peut-être la tempête. » La fable enseigne qu’il ne faut pas trop s’enorgueillir de ses succès, et qu’il faut songer à l’inconstance de la fortune.
Est-ce que nostre Phrygien a voulu donner à entendre par ceste Fable, la grande foiblesse des hommes, qui ne sont jamais si bien confirmez en l’habitude d’une Vertu, qu’ils ne courent fortune de tomber le lendemain dans le vice contraire, et de deshonnorer en un moment toute la gloire qu’ils s’estoient acquise ? […] Mais si c’estoit là son intention, je ne serois pas d’accord avecque luy ; Car j’estime tout au contraire, que s’il faut manquer de parole à l’un des deux, à sçavoir à l’homme de bien, ou au meschant, il est presque plus à propos que ce soit au premier, pource qu’il tire de si grandes satisfactions de sa propre vertu, qu’il luy est aisé de prendre patience en toute sorte d’accidents, voire mesme de trouver des delices en sa mauvaise fortune. […] Mais je ne m’apperçois pas qu’en alleguant des exemples, je cours fortune de tomber dans la disgrace du Lecteur, qui ne desire icy que des Moralitez.
Il fait une disgression sur la fortune de cét excellent Homme, et conclud, que si de hazard il eust tourné ses armes contre les Romains, ceux qui vivoient pour lors dans la Republique, et nommément Papirius Cursor, eussent esté capables d’arrester ses conquestes, et de mettre un obstacle à la prosperité de ses armes. […] En effect, Plutarque au Traicté qu’il a fait de leur fortune, compare plustost Alexandre à un foudre, ou à un tourbillon, qu’à toute autre chose ; et conclud, qu’il n’y eust jamais de si impetueuses conquestes que les siennes. Tellement que de luy opposer un petit Papirius, ou quelques autres Capitaines de ce temps-là, c’est non seulement oster à la fortune du Macedonien tout le pouvoir qu’elle a d’ordinaire dans les combats, mais aussi c’est beaucoup déroger à sa Vertu.
Ô fortune qui offre et qui ne permet pas de prendre !
Ce que considerant ceux qui ne sont pas affligez de tant de miseres, ils doivent, sans doute, des remerciments au Ciel, plustost que des plaintes à la Fortune.
Le Marchand à sa peau devoit faire fortune.
Te crois-tu si remply de finesse, ô fallacieux Renard, que de pouvoir tromper impunément les gents accorts, sans courir fortune d’estre toy mesme affiné ? […] Car ceux qui ont esté veritablement affinez en une chose de consequence, s’estudient tout de bon à prendre leur revenche, pour se consoler de la perte qu’ils ont faite, et jetter dans la mesme fortune leur ennemy.
Durant qu’il dormoit, il luy sembla voir que la Fortune se presentoit devant luy, et qu’elle mesme luy deslioit la langue, luy donnant non seulement la grace et la facilité du discours, mais encore la science des fables.
Ce n’est pas assez à quelques uns d’être abondamment partagez des dons qui viennent de la naissance, et de la Fortune. […] Tout le monde, disoit-il, est si bien assorty de ce qu’il luy faut pendant le cours de ceste vie, que si nous avions mis ensemble nos bonnes et nos mauvaises fortunes, afin de refaire le partage plus à propos, apres avoir tout veu et tout consideré, nous raporterions chacun nos biens et nos maux au logis, ne jugeant rien de plus sortable à nostre personne, que ce que la naissance ou le destin nous auroit envoyé.
Il s’en trouve assez qui se rendent nos familiers, qui nous flattent, qui nous accostent, et qui nous offrent des services extraordinaires, tant qu’ils nous voyent en prosperité : Mais quand la fortune nous a tourné le dos, ils nous le tournent aussi, et nous des-advoüent indignement. […] Car nous ne voyons pas arriver souvent qu’un homme de bien devot et religieux devienne profane, si son zele est grand et veritable, ny qu’une vraye amitié se destruise par le temps, et par les disgraces de la Fortune, depuis qu’elle est une fois bien conçeuë, et profondement enracinée.
Alors le rat l’entendant gémir accourut, rongea la corde et le délivra. « Naguère, dit-il, tu t’es moqué de moi, parce que tu n’attendais pas de retour de ma part ; sache maintenant que chez les rats aussi on trouve de la reconnaissance. » Cette fable montre que dans les changements de fortune les gens les plus puissants ont besoin des faibles.
Cette fable montre que la fortune est plus puissante que toute notre prévoyance.
S’il en estoit, on auroit tort De l’appeller hazard, ni fortune, ni sort, Toutes choses trés-incertaines.
Vien viste, vien finir ma fortune cruelle.
D’où il faut conclure, que la mesme raison qui nous fait desirer les biens, nous oblige aussi à nous consoler, quand la mauvaise fortune nous les oste. […] Ce qui toutesfois ne semble pas tousjours vray dans le commerce du monde, puis que nous voyons une infinité de gents mal traictez de la fortune, qui ne laissent pas d’avoir l’ame extrémement bonne, et de vivre dans une parfaitte observation des Loix.
Les hommes ont tort de se plaindre des malheurs qui leur arrivent, et d’accuser la Fortune des disgraces dont ils sont eux-mesmes la seule cause.
Tels sont ordinairement ceux qui approchent de la personne des Grands, à qui l’éclat de leur condition, ou l’espoir de la fortune, fait trahir mille fois le jour leur conscience, en leur conseillant des choses illegitimes.
Car ceux-cy ne tendent des pieges qu’à nostre fortune, ou à nostre vie, et n’essayent à ruyner que le corps ; au lieu que le flatteur destruict entierement les Vertus de l’ame, et ne craint rien tant au monde, que de voir le Prince à qui il s’addresse, vertueux, et bien conditionné. […] Que si cela est, comment se peuvent-ils fier au rapport des personnes mercenaires, qui n’aspirent veritablement, qu’à bastir leur fortune, aux despens mesme de leur Seigneur ?
Car l’homme, le plus noble des animaux, et qui a de l’empire sur eux, vange la querelle des petits contre les grands, et nous apprend par cét exemple, qu’il faut que nous soyons protecteurs de l’innocence, quand la fortune nous en donne le pouvoir et l’authorité.
Bien qu’il soit vray, Monseigneur , qu’elles n’ont pour Autheur qu’un pauvre Captif, qui durant tout le cours de sa vie fut le Jouët de la Nature, et de la Fortune : si est-ce que sa condition servile, ny sa mauvaise mine n’ont pû luy oster le glorieux tiltre du plus libre et du plus bel Esprit de son siecle. […] Mais je me trompe bien fort, Monseigneur , Cette mesme Gloire est le vray Prix où vous aspirez ; Elle seule vous tient lieu d’un tresor inestimable ; Vous ne voulés point de Toison plus riche ; Et de la façon que vous en opiniastrés la Conqueste, il paroist visiblement que toutes les faveurs de la Fortune sont au dessous de vostre Vertu.
Si cela m’advenoit, je ne donnerois pas ma fortune pour celle de toutes les autres bestes ». […] La Fortune a le mesme droict parmy nous, autant la bonne que la mauvaise.
Et celui-ci émerveillé le bénissait de tout son cœur, et maudissait sa propre fortune.
Que cela suffise pour la preuve de ceste verité, à sçavoir que les bons amis ne sont pas compatibles avecque les desseins mercenaires, et que d’en admettre de ceste sorte en sa frequentation, c’est courir la fortune de l’Aigle, qui ne gagna que de la honte dans le conseil de la Corneille.
Ce qui arrive, comme dit Aristote, plus aux jeunes gents qu’aux autres, pour la chaleur de leur sang, qui ne leur donne pas la patience de raisonner pour conclure, et pour le peu de pratique qu’ils ont dans le monde, qui ne leur a permis encore de cognoistre les inesgalitez de la fortune, et les divers artifices des hommes ; au lieu que les Vieillards, à cause de la tiedeur, ou plustost de la froidure de leur sang, raisonnent lentement aux occurrences qui leur surviennent, et panchent tousjours devers la crainte, qui comme elle glace les temperaments, elle reside aussi pour l’ordinaire dans les humeurs froides.
Cela ne procede que du peu de generosité des mal-faisants, qui pour assener leurs coups sans peril, cherchent d’ordinaire une foible et nuë simplicité ; pource que s’ils attaquoient des égaux en force et en resistance, ils courroient plus de la moitié de la fortune, et succumberoient possible sous la deffence de leurs ennemis.
S’estant mis alors à parler plus hardiment, « Messieurs », leur dit-il, « pource que la fortune, qui ayme les divisions a proposé un prix de gloire au Maistre et au Valet, quand il arrive que ce dernier est moindre que l’autre, il n’en remporte que des coups ; Que s’il est trouvé plus excellent, cela n’empesche pas qu’il ne soit encore tres-bien battu : De ceste façon, quoy qu’il en advienne, à droit ou à tort, le Maistre est tousjours oppressé. […] La fortune nous monstre en ceste vie deux chemins bien differents, dont l’un est celuy de la liberté, l’entrée duquel est grandement difficile ; mais l’issuë aysée ; Et l’autre celuy de la servitude, qui tout au contraire a un commencement fort doux, et une fin espineuse ».
Un avare convertit en or toute sa fortune, en fit un lingot et l’enfouit en un certain endroit, où il enfouit du même coup son cœur et son esprit.
Car, à le bien considerer, il n’est fondé, ny sur aucun plaisir des sens, ny sur aucune esperance de fortune, ou de gloire.
Ce Loup avoit beaucoup de raison de juger de la perte du trouppeau par la division des Chiens, puis qu’il n’est point d’intestine partialité qui ne soit capable de ruyner une fortune, quelque florissante qu’elle puisse estre.
Aussi est-il vray que par l’esloignement, la lueur du bien que nous en esperons, se respand sur nous avec moins de force ; comme, au contraire nous courons fortune de nous brusler tout à fait si nous en sommes trop proches, et trop ardents à l’importuner.
Que sa laideur donc, je vous prie, sa mauvaise mine, et sa fortune encore pire, ne le vous fassent point rejetter : tout ce qu’il a de recommendable est interieur, il a corrigé ses defauts naturels par la force de sa raison ; et jamais homme n’a mieux que luy fait mentir les Physionomistes.
En effect, ce seroit mal profiter des advertissements de la fortune, que de rentrer en la conversation de celuy qui nous auroit une fois trahis.
Car celuy là ne merite pas d’avoir part à l’heureuse fortune de ses amis, qui ne l’a voulu prendre à leur disgrace ; Autrement ce seroit recompenser de mesme sorte les meschants et les gens de bien, et donner à la trahison les mesmes avantages qu’à la probité.
Celuy-cy courant fortune d’estre pris, à cause de la soudaine esmotion du Peuple, se jetta dans une ruë auprés de celle où estoit arrivé le combat, et se lança teste baissée dans la premiere porte qu’il pût rencontrer, où après avoir monté le degré, et passé par deux ou trois anti-chambres de plain pied, il vint à la fin en celle d’une Dame, qu’il trouva pour l’heure au lict, à cause de quelque indisposition.
Car comme en l’amour d’une femme, c’est retrancher ce qu’il y a de plus charmant, que de venir à des caresses forcées, et la reduire à nous favoriser plustost par contraincte, que par affection ; De mesme il semble que les ames genereuses ne vueillent rien exiger de la fortune avec importunité.
Tout ainsi que dans le commerce de ceste vie, l’on repute bien souvent à honte ce qui est loüable de sa nature, comme la devotion ; ou ce qui est indifferent à la loüange et au blâme, comme la pauvreté ; De mesme attribuë-t’on à gloire ce qui est blâmable de soy, comme la quantité des duels, ou la corruption des filles, et des femmes, que nous appellons bonnes fortunes ; ou ce qui est indifferent, comme les charges, et les richesses.
Ce sont eux que Plutarque appelle au gouvernement des Estats, et qui par consequent doivent apprendre à s’accommoder à toutes les deux fortunes, plus pour le respect de la multitude, qui est remise sous leur conduite, que pour leur interest propre.
Mais en effect, le vray repos de leur fortune devroit consister en l’amour des Peuples, et en la tranquilité de la conscience ; Car celuy-là ne crainct rien, qui ne fait aucun tort aux autres, et ne craignant rien, il marche sans artifice, et sans soupçon, ne jugeant digne de luy que la voye la plus ordinaire, et la plus naïfve.
Mais il semble que la Bonté Divine, pour nous convier à cela plus puissamment, y a joinct quantité de recompenses ; Car nous ne voyons guere de personnes charitables, dont la Fortune ne prospere en ceste vie, et ne soit suyvie d’une bonne fin pour les mener en l’autre.
C’est alors que leurs sujects inconsiderez representent le personnage de nos Colombes, et qu’ils ont recours aux pleurs et au repentir, à la maniere des femmes, regrettant l’estat de leur premiere fortune, et souhaittans en vain d’y estre rappellez.
D’ailleurs, ne jugeant pas qu’il ait beaucoup à pretendre à l’heritage, et au cœur des siens, il ne fait aucuns desseins domestiques : il ne borne point sa fortune dans le clos de son pere : les successions qu’il pretend sont des charges magnifiques.
Elle naist en mesme temps que les plaisirs des autres, et se tourne en rage à mesure qu’ils prennent accroissement : mais elle ne cesse pas quand ils deviennent calamiteux, car nous avons tous-jours peur que ceux que nous envions ne se relevent apres leur cheute ; pource que cela se peut en effect, à cause des changemens ordinaires de la fortune.