C’est un point qu’il leur faut laisser ; Et ne pas ressembler à l’Asne de la Fable, Qui, pour se rendre plus aimable Et plus cher à son Maistre, alla le caresser. […] Dans cette admirable pensée, Voyant son Maistre en joye, il s’en vient lourdement, Leve une corne toute usée ; La luy porte au menton fort amoureusement. […] Dit le Maistre aussi-tost.
Asseurément je suis resolu de m’en plaindre à nostre Maistre ». […] Je suis donc d’advis de le prevenir, et de l’accuser envers mon Maistre, avant que luy-mesme m’accuse, et qu’ainsi je ne sois mis hors de charge ». Ceste resolution prise, il s’en alla droict à la Ville trouver son Maistre. […] Ce que son Maistre ayant reconnu ; « D’où vient », luy dit-il, « que tu és si fort émeu, en t’approchant de moy ? […] Ce que voyant Esope ; « Et bien », dit-il à son nouveau Maistre, « ne voila-t’il pas un effect de ma promesse ».
Esope ne laisse entrer qu’un seul de tous ceux que son Maistre avoit conviez. […] » il eust respondu, « La queuë et les oreilles », l’ingenieux Portier approuva fort sa response, et le menant à son Maistre : « Seigneur », dit-il, « voicy le seul Philosophe qui est venu à ton festin ». […] nostre Maistre (luy dirent-ils) t’avons nous donné sujet de nous mespriser jusques à ce poinct, qu’il ait fallu, que pour nous empescher d’aller chez toy, tu ayes mis à la porte ce puant Esope, pour nous injurier, et nous appeller chiens ? […] A ces mots Xanthus tout enflammé de colere, envoya chercher Esope, et luy demanda, pour quelle raison il avoit ainsi honteusement chassé ses amis. « Mon Maistre », luy dit Esope, « ne m’as-tu point commandé exprés, de ne laisser venir à ton Festin des gents du commun, et des ignorants mais seulement des hommes doctes ?
Le lendemain un des Disciples de Xanthus fist un beau festin, où il invita son Maistre, et les autres escoliers. […] Comme il fust donc entré dans la maison, il appella sa Maistresse, et mettant devant elle les viandes qu’il luy apportoit : « Madame », dit-il, « voila un present de mon Maistre, qu’il envoye, non pas à vous, mais à sa bien aymée ». […] Surquoy Xanthus s’estant enquis de sa femme, si elle n’avoit rien reçeu : « Rien du tout », dit-elle « Mais toy mesme (reprit Esope parlant à son Maistre) à qui m’as-tu ordonné de faire ce present ? […] Au contraire, oubliant à l’instant tout le mal que l’on luy peut avoir fait, elle applaudit à son Maistre, et le caresse de la queuë. […] mon Maistre », dit-il, « ne vous avois-je pas bien asseuré, que vostre chienne vous aymoit mieux, que ma Maistresse ne vous ayme ?
Comme ils furent de retour au logis, Esope s’addressant à son Maistre ; « Seigneur », luy dit-il, « n’ay-je pas bien merité d’estre affranchy, pour les fidelles services que je t’ay rendu toute ma vie ». « Quoy ? […] Esope sortit doncques du logis, et apperçeut fortuitement deux Corneilles, qui s’estoient branchées sur un arbre ; ce qu’il fist sçavoir incontinent à son Maistre. […] Mais comme on estoit apres, le Prevost ayant invité Xanthus à soupper, tandis que ce Miserable recevoit les coups, « Malheureux que je suis », s’écrioit-il contre son Maistre, « j’ay veu deux Corneilles, et toutesfois je suis battu ; toy au contraire, n’en as veu qu’une, et cependant tu t’en vas faire bonne chere ; l’espreuve donc bien à mon dommage, que cét Augure n’est que trop faux ».
D’un vieil Chien, et de son Maistre. […] Son Maistre s’estant mis alors à le tancer aigrement, en adjoustant les coups aux menaces, le pauvre Chien luy répondit, qu’il meritoit bien qu’on luy pardonnast, puis qu’il estoit devenu vieil, et qu’en sa jeunesse il avoit esté aussi bon qu’un autre à la prise ; « Mais je voy bien que c’est », continua-t’il, « tu ne prens plaisir à rien, s’il n’y a du profit : Je ne m’étonne donc point si m’ayant aymé tant que j’ay chassé, tu me veux mal maintenant que je n’ay aucunes dents, et ne puis courir. […] Que les grands Seigneurs se viennent instruire icy par la voix d’un pauvre animal, qui reproche de bonne grace à son Maistre une excessive ingratitude. […] Mais de tous les maux qu’endurent les vieux serviteurs, le plus grand, et le plus déplorable, à mon advis, c’est le mespris qu’en fait la pluspart du temps un mauvais Maistre, qui apres avoir eu leur jeunesse, et tiré d’eux tous les services dont ils ont esté capables ne les regarde sur le declin de leur âge, que comme des Creatures inutiles, ou si vous voulez, comme des fardeaux tres-pesants, et tres-ennuyeux.
Un des derniers se vantoit d’estre En Eloquence si grand Maistre, Qu’il rendroit disert un badaut, Un manant, un rustre, un lourdaut, Ouy, Messieurs, un lourdaut, un Animal, un Asne : Que l’on ameine un Asne, un Asne renforcé, Je le rendray Maistre passé ; Et veux qu’il porte la soutane.
L’Aloüette et ses petits, avec le Maistre d’un champ. […] L’Aloüette à l’essor, le Maistre s’en vient faire Sa ronde ainsi qu’à l’ordinaire. […] Pour la troisiéme fois le Maistre se souvint De visiter ses bleds.
L’œil du Maistre. […] Là-dessus le Maistre entre et vient faire sa ronde.
Mais pour toy, mon Maistre, tu ne dois point craindre de perdre ton cœur, car tu n’en as point ». […] Esope estant donc prés de luy, « Mon Maistre », dit-il, « je vous advise que Bacchus a trois temperaments, ou, si vous voulez, trois divers degrez ; le premier aboutit à la volupté ; le second à l’yvrognerie, et le troisiesme aux injures. […] Voila cependant qu’un des Disciples de Xanthus voyant que le vin luy avoit osté la raison, « Mon Maistre », luy demanda t’il, « y a t’il quel-qu’un qui puisse boire la Mer ? […] Ainsi l’escolier se confessa vaincu, et se jettant aux pieds de son Maistre, il le pria que la gajeure demeurât nulle : ce que Xanthus luy accorda tres-volontiers, à la requeste du Peuple.
Quand je songe à cette Fable, Dont le recit est menteur, Et le sens est veritable ; Je me figure un Auteur, Qui dit : Je chanteray la guerre Que firent les Titans au Maistre du tonnerre.
Ce qu’il fist à l’heure mesme, disant à par soy le long du chemin, « j’apprendray bien à mon Maistre à ne point commander mal à propos ». […] Ces raisonnements d’Esope furent approuvez par les escoliers, qui le loüant d’avoir bien parlé, donnerent le tort à leur Maistre, et s’en retournerent chacun chez soy.
» « Et quoy, mon Maistre », respondit Esope, « y a-t’il rien de plus mauvais que la langue ? […] » Esope n’eust pas plustost achevé ces mots qu’un des Assistants se tournant vers Xanthus ; « Asseurément », luy dit-il, « si tu ne prends garde à toy, j’ay belle peur que ce poinctilleux ne te fasse devenir fol, Car tel qu’est son corps, tel est son esprit » ; Mais Esope le renvoya bien viste, et sans s’émouvoir autrement : « Va », luy dit-il, « tu me sembles étre un tres mauvais homme de te mesler des affaires d’autruy, et d’irriter sans raison le Maistre contre le serviteur ».
Esope ameine à son Maistre un homme niais, et sans soucy. […] Ayant jugé d’abord, que c’étoit là l’homme qu’il luy falloit, pource qu’il recognût à sa mine qu’il n’avoit point de soucy, ny beaucoup de sens, il s’en approcha le conviant à venir disner avecque son Maistre. […] si le Maistre de ceans veut battre son serviteur sans qu’il le merite, que m’importe, que cela soit, ou qu’il ne soit pas ? […] » A ces mots Esope se sentant surpris, « Mon Maistre », respondit-il, « s’il se trouve que le gasteau ne soit bien cuict, je suis content que tu me frappes ; mais s’il n’est assaisonné comme il doit estre, le blâme en est à ma Maistresse, et non pas à moy ». « Si cela est », adjousta Xanthus, « et que la faute vienne de ma femme, je la feray sans delay brûler toute vive ».
Le Chien flattoit son Maistre, et tous ceux de la maison, qui l’amadoüoient et le caressoient de mesme. […] Car il croyoit n’y avoir point d’apparence, qu’un petit Chien inutile, fust neantmoins agreable à tous, et nourry des viandes de son Maistre, bien que cependant il ne reçeut tout ce bien que par le plaisir qu’il donnoit, sans avoir aucune peine. […] Cette resolution prise, il arriva quelque temps apres, que voyant son Maistre de retour en la maison, il voulut voir quelle seroit l’issuë de son entreprise ; S’en allant pour cét effet au devant de luy, il se jetta sur ses espaules, et le frappa rudement des pieds, luy pensant faire de grandes caresses. […] C’est ce qui l’enhardit de faire des caresses à son Maistre, affin de gaigner quelque place en son inclination, par le moyen des sauts et des flatteries.
Apres cela, il fût curieux de sçavoir de luy, pourquoy il estoit si net et si poly. « Si je le suis », respondit le Chien, « le soing de mon Maistre en est cause. […] Avecques cela, je ne dors jamais à découvert, et n’est pas à croire combien je suis agreable à tous ceux de la maison ». « O Chien mon amy », reprit le Loup, « que tu és heureux, d’avoir rencontré un Maistre si doux, et si débonnaire ! […] Le Chien voyant l’extrême desir qu’avoit le Loup de changer de condition, luy promit de faire en sorte envers son Maistre, qu’il luy donneroit quelque charge dans sa maison, pourveu qu’il voulust retrancher un peu de sa felonie accoustumée, et s’addonner à le bien servir. […] Mais d’autant que cela ne plaisoit pas à mon Maistre, il joüa si bien du baston sur moy, qu’il me fit perdre cette coustume, me commandant sur toutes choses, de n’attaquer jamais que les voleurs, et les Loups ». […] » luy dit-il, « certes je n’achepte pas si cherement l’amitié de ton Maistre.
Sauvez-vous, et me laissez paistre : Nôtre ennemi c’est nôtre Maistre, Je vous le dis en bon François.
Le lendemain, Esope eust commandement de son Maistre de s’en aller aux estuves, pour s’enquerir de quelqu’un s’il y avoit beaucoup de gents, pource que Xanthus se vouloit baigner. […] Esope estant donc retourné vers son Maistre ; « Seigneur », luy dit-il, « tu peux aller aux estuves, si tu veux, car je n’y ay veu qu’un seul homme ».
Or d’autant que le Coq avoit esté le seul tesmoin de cette prise, il le supplia tres-instamment, ou de luy apporter un coûteau pour coupper ses lacs, ou de n’en dire rien à son Maistre, jusqu’à ce qu’il les eust rompus à belles dents. […] Comme en effect, il courut droit à son Maistre, et luy dit, que le Renard estoit pris.
D’un Oye, et de son Maistre. Vue Oye pondoit tous les jours un œuf d’or à son Maistre, qui neantmoins fût si fol, que pour s’enrichir tout à la fois, il la mit à mort, sur la creance qu’il eust qu’elle avoit apparemment dans le corps une grande quantité de ce metail ; Mais le Malheureux fût bien estonné de n’y trouver rien, et s’abondonna soudainement aux regrets et aux souspirs, se plaignant d’avoir perdu son bien, et son esperance. […] Bien que nous puissions entendre ceste Allegorie en deux façons, et accuser le Maistre de cette Oye, ou d’estre trop immoderé en ses volontez, ou trop violent à les executer, nous ne la prendrons neantmoins que du dernier biais, à cause que nous avons cy devant discouru assez au long, contre l’Avarice et la Convoitise des Richesses.
Un Elephant ayant reçeu commandement de son Maistre de porter une Cruche dessoudée à racommoder, chez le Potier, obeïst sans resistance. […] L’Elephant la rapporta tout aussi-tost à son Maistre, qui au premier service qu’il en voulut tirer, cognût par espreuve que l’eau s’en alloit de mesme qu’auparavant. […] Dequoy se sentant fort satisfaict, il prit une mine plus tranquille, et remporta paisiblement la Cruche à son Maistre. […] Il y en avoit un, extrémement chery de son Maistre, et fort mal traicté par le serviteur. Celuy-cy ne luy donnoit que la moitié de sa portion d’avoine, encore que le Maistre entendist qu’on la luy donnast toute.
Un Envoyé du Grand seigneur Preferoit, dit l’Histoire, un jour chez l’Empereur Les forces de son Maistre à celles de l’Empire.
S’estant pris, dis-je, aux branches de ce saule ; Par cet endroit passe un Maistre d’école.
Esope partit incontinent, et ne fût pas plustost arrivé en la maison, que faisant le commandement de son Maistre, il ne mit cuire qu’une lentille. […] Xanthus se tournant alors vers ses amis : « à ce que je vois », leur dit-il, « je n’ay pas achepté un esclave, mais bien un Maistre ».
Ainsi, mon Maistre, si je puis resoudre ceste doute, toute la gloire t’en reviendra, pour avoir à ton service un si habile valet, sinon le deshonneur n’en sera qu’à moy ». […] S’estant mis alors à parler plus hardiment, « Messieurs », leur dit-il, « pource que la fortune, qui ayme les divisions a proposé un prix de gloire au Maistre et au Valet, quand il arrive que ce dernier est moindre que l’autre, il n’en remporte que des coups ; Que s’il est trouvé plus excellent, cela n’empesche pas qu’il ne soit encore tres-bien battu : De ceste façon, quoy qu’il en advienne, à droit ou à tort, le Maistre est tousjours oppressé. […] Alors n’estant pas possible à Xanthus de s’en dédire, il s’y accorda, et ainsi Esope fût declaré affranchy par un cry public qu’un trompette de la ville fit en ces termes. « Le Philosophe Xanthus donne aux Samiens la liberté d’Esope », et ainsi se trouva veritable, ce qu’un peu auparavant Esope avoit dit à son Maistre par ces paroles, je t’advise que malgré toy tu m’affranchiras.
Jupiter en usa comme un Maistre fort doux.
Le sort de sa plainte touché Luy donne un autre Maistre ; et l’Animal de somme Passe du Jardinier aux mains d’un Corroyeur.
Cet Homme donc par prieres, par larmes, Par sortileges et par charmes, Fait tant qu’il obtient du destin, Que sa Chate en un beau matin Devient femme, et le matin mesme Maistre sot en fait sa moitié.
Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens Portans bastons, et mendians ; Flater ceux du logis ; à son Maistre complaire ; Moyennant quoy vostre salaire Sera force reliefs de toutes les façons ; Os de poulets, os de pigeons : Sans parler de mainte caresse.
Mais en fin, soit qu’il eust blessé quelqu’un des Citoyens, soit qu’il n’en eust fait que la peur, tant y a que son Maistre eût commandement de la chasser, sur peine de punition corporelle, comme un animal monstrueux, et par consequent dommageable au public ; Ce qu’il fist un peu apres, avec un extrême sentiment de douleur, et l’emporta dans une forest, à quelques mille hors de la Ville. […] Mais en fin il arriva que le malheureux Androde fût recogneu, et reconduit à son ancien Maistre, qui apres plusieurs inhumanitez exercées contre luy, le destina pour dernier supplice à servir aux spectacles des bestes farouches.
Saluë volontiers ceux que tu rencontres, et te represente que la queüe du chien donne du pain à son Maistre.
Les Fables ne sont pas ce qu’elles semblent estre ; Le plus simple animal nous y tient lieu de Maistre.
Alors ayant pris garde que son Maistre pissoit en marchant ; apres avoir retiré sa robbe, il la luy prit par derriere, et la tirant à soy ; « Vends-moy », luy dit il, « tout incontinent, autrement je m’enfuïray ». « Pourquoy cela ? […] « Pource », respondit Esope, « que je ne pourray jamais servir un tel Maistre.
Car ces gents-là ne se contentent pas, en clabaudant aux oreilles de leur Maistre, de faire passer un vice sous le nom de la Vertu qui luy est proche, comme d’appeller la prodigalité, une action liberale, la complaisance timidité, la valeur, precipitation, et ainsi de toutes les autres Vertus. […] Il s’ensuit donc, que la plus part des Courtisans sont interessez, et qu’ils ayment leur Maistre pour le seul advantage qu’ils en esperent.
Par ces mots de raillerie il vouloit monstrer, qu’en matiere de valeur il ne faut jamais donner des loüanges excessives à certains hommes, estant veritable que l’on ne voit point de si mauvais garçon, qui ne puisse facilement rencontrer son Maistre. […] Deodat de Gozon, Chevalier de l’Ordre de sainct Jean de Jerusalem, merita depuis d’en estre grand Maistre, ayant dessein de combattre un furieux Dragon, qui affligeoit toute l’Isle de Rhodes de ses meurtres épouvantables, accoustuma si bien un cheval, et deux de ses chiens à un fantosme tout semblable à ce monstre, qu’ils n’apprehenderent point de l’aborder en effect, tellement que par ce moyen ayant sçeu joindre l’addresse à la valeur, il remporta la plus glorieuse Victoire qui fût oncques gaignée.
Ils firent donc tout aussi-tost le commandement de leur Maistre, et partagerent entr’eux les fardeaux qu’ils avoient à porter.
Ce qu’oyant Esope, qui étoit là present, il se prit à rire ; Son Maistre luy demanda pour lors, si c’estoit pour se mocquer, qu’il rioit ainsi ?