Ceste proposition n’a pas besoin de grandes preuves, puis qu’elle se verifie presque par l’induction de toutes les choses du monde. […] Car de là viennent les dissolutions et les débauches, qui les perdent entierement, et qui mettent dans le tombeau celuy qui les a mis au monde. […] C’est pourquoy dans les affaires du monde, il faut du moins prendre garde à ne dire, ou à ne faire rien, qui nous puisse nuire, principalement si nous avons à traicter avec des personnes suspectes.
Car encore que l’homme du monde qui a le plus d’habitude au vice, ne soit pas incapable d’une action vertueuse, si est-ce qu’il deshonore en quelque façon les gents de bien, lors qu’il les approche pour les assister, à cause qu’il rend leur Vertu suspecte, et semble la vouloir faire dépendre de sa malice. […] Il me seroit bien aisé d’alleguer d’autres Histoires de grands et excellents Personnages qui ont refusé l’amitié des Vicieux, bien qu’elle leur semblast étre profitable dans le monde, et reputé leur loüange à blasme, comme fist un ancien Philosophe, qui sçachant qu’un homme fort desbordé disoit tousjours du bien de luy ; « Et moy », dit-il, « je me plais à le blasmer incessamment ».
Car en la possession des biens temporels, nous ny trouvons que les avantages qui sont en une hâche, à l’égard du Charpentier, puis qu’elle n’est autre chose qu’un outil pour en user, et que tous les biens du monde non plus ne sont considerables, que tant qu’ils servent à nostre commodité, et sont les instruments de nostre aise. […] Premierement, à cause de la grande disproportion qu’il y a entre la dignité de nostre estre, et la bassesse des biens du monde ; puis par la raison mesme de l’usage et de l’accommodement, qui nous les rendent aimables. […] Ce qui toutesfois ne semble pas tousjours vray dans le commerce du monde, puis que nous voyons une infinité de gents mal traictez de la fortune, qui ne laissent pas d’avoir l’ame extrémement bonne, et de vivre dans une parfaitte observation des Loix. […] Que si nous les voyons bien avant dans les prosperitez du monde ; s’ils sont environnez d’une suitte de gens serviles, et peu genereux ; s’ils ébloüyssent les hommes de l’éclat de leur ostentation, il ne s’ensuit pas pour cela qu’on les doive croire heureux.