Le lendemain, Esope eust commandement de son Maistre de s’en aller aux estuves, pour s’enquerir de quelqu’un s’il y avoit beaucoup de gents, pource que Xanthus se vouloit baigner.
A ces mots Xanthus tout enflammé de colere, envoya chercher Esope, et luy demanda, pour quelle raison il avoit ainsi honteusement chassé ses amis. « Mon Maistre », luy dit Esope, « ne m’as-tu point commandé exprés, de ne laisser venir à ton Festin des gents du commun, et des ignorants mais seulement des hommes doctes ?
Il faudroit dire à telles gents ce que dit autresfois Apelles à un Cordonnier, qui se mesloit de reprendre quelque chose en un visage de sa façon ; « Mon amy, ne juge que de ta Pantoufle ».
Ainsi passa ses vieux jours le grand Tamberlan, oublieux des belles actions qu’il avoit faites, et tellement perdu apres ses infames desirs, qu’il découploit par trouppes de jeunes gents de sa Cour, sur un tas de filles abandonnées, pour repaistre ses yeux de ce brutal spectacle, au defaut d’y prendre part, comme les autres.
C’est estre coûpable envers telles gents, que d’avoir de la mauvaise fortune.
Mais telles gents ne considerent pas que c’est bien les hazarder plus grievement, que de les reduire au dernier article, sans les avoir fait souvenir de leur salut.
Mut est mauveise ta pramesse, unc[es] mes n’oï peiur messe. » — « Par ma fei, sire », dist li bucs, « tut autresi priai pur vus cum vus vousistes pur mei feire, kar fel estes e de put eire ; ja ne poeie jeo merci aveir que jeo vesquisse tresque al seir : pur ceo m’estut de mei penser e vus leisser u ublïer. » Ceo veit hum de meinte gent, que quident tut a escïent que autre deive pur eus preer e lur message bien porter ; si parolent le plus pur eus e leissent si ublïent iceus a ki il eurent bel premis, ne lur funt unc[es] fors le pis.
Il est temps maintenant de faire voir comment ceste action procede de la raison, bien que toutesfois il me semble superflu de le prouver, veu la prodigieuse quantité d’exemples que nous voyons tous les jours de gents estimables et bien nez, qui donnent la vie à un ennemy abattu, ou ne le considerent pas, s’il est foible. […] Tellement que n’y ayant rien de si aisé que de surmonter un ennemy par trop inferieur à nos forces, nous venons à inferer que cela n’est pas honorable aussi, et par consequent nous nous despartons de nostre vengeance, puis que les combats des gents raisonnables ne sont entrepris ordinairement que pour la loüange.
S’il ne reste aux vieillards pour le soulagement de leurs chagrins, que le repos et le respect dont la jeunesse est obligée de leur donner des témoignages continuels, n’est-ce pas une maniere de desespoir à ces pauvres gents, de se voir accueillis d’une inquietude necessiteuse, et abandonnez au mespris de tous les autres hommes ? […] Ce qu’ils font asseurément d’un pur zele, et non par aucune consideration humaine, comme gents qui ne mendient que pour l’amour de Jesus-Christ, et qui rejettent bien loing ceste honte, dont Cardan veut qu’ils ne soient affranchis, qu’à cause du general consentement des hommes.
Car l’homme ne doit pas estre mescontent quand il se void dans une condition preferable à celle de son Ennemy, comme il arrive ordinairement aux gents de Vertu. […] Car le des-honneur suit l’action, et ne s’attache point à la personne offensée : autrement elle est injuste, et par consequent elle ne doit pas estre mise en consideration par les gents de bien. […] Cela estant, l’on ne doit pas s’estonner si elle s’attaque à son contraire, c’est à dire à l’ame des gents de bien, comme directement opposée aux Meschants, qui ne peuvent compatir avec elle, sans un contraste mortel.
Celuy cy ne se mit point autrement en peine de desployer envers ces petites gents les hautes raisons que luy pouvoit fournir son éloquence ; mais il leur conta mot à mot toute ceste Fable, et leur fit voir par l’exemple du ventre, et des parties du corps humain, la mutuelle dépendance qu’a le Senat avecque la populace.
Il faut donc estre soigneux de ne voir, s’il est possible, que des gents de bien, et de fuyr le commerce des meschants, quand mesme le parentage, ou l’habitude nous convieroit à les pratiquer.
D’un costé la Mouche plaide la cause des gents de Cour, et de ces Ambitieux, qui ne vivent que pour l’orgueil, ou pour le luxe, et songent tant seulement à faire voir leur magnificence à leurs semblables. […] Car c’est une maxime reçeuë parmy tous les gents d’esprit, que l’homme qui ne desire point une chose, n’est pas moins heureux, que celuy qui la possede.
D’ailleurs, quelqu’un de ces gents-là peut raisonner de ceste sorte et raisonner veritablement. « Si Dieu m’a voulu faire tant de bien, à moy qui suis sans merite et sans vertu, que de m’eslever à la grandeur et au commandement sur les autres, n’est-il pas juste que le les traitte avecque douceur, et sans user envers eux d’aucune inhumanité ?
C’est de telles gents que la Cour est tellement pleine aujourd’huy, qu’on ne void autre chose dans les compagnies ; jusques là mesme que les plus honnestes hommes encourent ce blâme, et n’en sont non plus exempts que les autres.
Ils le feroient plustost de nostre émulation, qui est une Vertu par laquelle nous sommes poussez à nous rendre aussi gents de bien, et aussi grands hommes que les autres. […] Ne voyons-nous pas tous les jours quantité de gents, qui pour s’enrichir du jeu, apostent de faux dez, font des tromperies aux cartes, mentent, blasphement, et corrompent les assistans ? […] Ce Perfide neantmoins, sans mettre en conte la confiance du Pere, sans craindre la punition de Jupiter Hospitalier, et sans se ressouvenir du droict des Gents, fit cruellement mourir le petit Polydore, et l’enterra dans la greve, vis à vis des rivages paternels. […] A quoy si l’on m’objecte, que ces gents là sont Barbares, premierement je mettray en question, si leur rusticité ne vaut pas mieux que nostre luxe. […] Les plus gents de bien de l’antiquité n’ont-ils pas estimé ceste passion indigne d’eux, comme Socrate, Epaminondas, Diogene, Phocion, Crates, et Anacarsis.
Ce fut ainsi qu’en usa le Milan d’Esope, durant le combat du Rat et de la Grenoüille, qui nous figure une sotte et une impertinente animosité, conçeuë entre gents, qui n’ont aucun sujet de se hayr, ou de se rien demander, mais qui sont tous esgalement interessez contre quelque fascheux voisin, dont ils peuvent à toute heure aprehender les embusches, principalement tandis qu’ils sont mal ensemble ?
Telle espece d’orgueil est fort ordinaire à ceux qui vivent familierement auprés de la personne des Princes, ou des gents extrémement qualifiez.
Pur ceo mustre li sage bien, que hum ne deüst pur nule rien felun hume fere seignur ne trere lë a nule honur : ja ne gardera leauté plus a l’estrange que al privé ; si se demeine envers sa gent cum fist li lus del ser[e]ment.
Li vilein ne l’ad pas ublïé que li në ad lait aporté ; ele li duna mut grant or, si li enseigna un tresor, sa tere li fist bien arer, si li enseigna a semer, tant li duna or e argent que merveille fu a la gent ; mes bien li dist qu’il le perdreit, de quel hure ke li plareit, si [il] de rien li mesfeseit ; kar bien e mal fere poeit.
Mais ce qu’il y a d’insupportable en leur humeur, c’est qu’il ne s’en trouve que trop parmy eux, qui sont bien contents de faire comme l’Ours de ceste Fable, c’est à dire, de manger la plus pure substance des Innocents, et de ne vouloir pas toutesfois que ces pauvres gents s’en ressentent ; Car alors s’ils en reçoivent le moindre déplaisir, il n’est pas à croire combien est grande la violence où leur passion les porte.
Aymer plus les choses aymables, c’est l’exercice et la condition des gents de bien, d’autant qu’ils se portent aux bons objects, pour se transformer en eux, et pratiquent incessamment les actions de la Vertu, pource qu’elle est la meilleure de toutes les choses.
Mais plus que tous ces gents-là, les Ambitieux sont sujets à faire de pernicieux desseins, et qui n’aboutissent en fin qu’à leur confusion.
Si vous estes gents de bien, vous aurez de la facilité à le rendre semblable à vous.
Y eut il jamais des gents si fideles que les Lacedemoniens, ny des hommes si fallacieux que les Cretois ?
Car nous voyons assez de gents qui s’exposent au danger pour nostre consideration, jusques à mettre l’espée à la main pour nostre deffence ; En cela plus interessez pour éviter l’infamie, et acquerir de la loüange, qu’ils ne nous sont veritablement Amis.
Ce qu’ayant veu le Prince, il dit au Capitaine qui les luy monstroit ; « Il me semble voirement que ceux-cy sont braves gents, mais j’estime encore plus braves ceux qui les ont ainsi marquez ».