De là est, à mon advis venuë la coustume que nous avons, d’appeller Gruës ceux qui se laissent affiner par les meschants, apres avoir donné leur peine et leur temps pour les obliger.
Ce Chef l’ayant deffendu pour Scanderbeg, avec une vigilance et une valeur parfaicte, fut convié par ce Prince à luy laisser ceste Place de son bon gré, sous les plus avantageuses conditions qui se pouvoient faire à un homme de qualité, à sçavoir de le rendre le plus grand de sa Cour, de luy donner à commander ses Armées, et des possessions terriennes en abondance.
Je laisse à part les larcins qui se font de nostre temps, et me contente pour ceste fois de changer les exemples en raisons, pour confondre la vanité de ceux qui ne la puisent que chez autruy.
Quant au Barbier, il fut laissé plus de quatre heures attaché au potteau, sans que personne songeast à le deslier, jusqu’à ce que sur le soir il survint quelqu’un qui en fit l’office, touché de la compassion qu’il en eut.
Cela fait, elle laissa son Ennemy en une rage mortelle, et se sauva dans la Ruche, que l’Ours s’advisa de rompre s’imaginant par ce moyen d’avoir tiré raison de l’injure qu’il venoit de recevoir.
Si celuy-cy, bien que Vicieux et hayssable de sa nature, n’a pas laissé d’attirer sur soy plus d’horreur qu’il n’en avoit auparavant, en l’action qu’il a faite contre moy, combien plus serois je noircy en luy rendant la pareille, moy qui ay vescu jusqu’à maintenant en quelque consideration d’honneste homme ? […] Si elle est aisée, il la laissera en arriere, comme une chose peu digne de luy, et qui est aussi capable de tomber dans un courage vulgaire, que dans le sien.
En quoy certes les grands Rieurs ont, comme je croy, moins d’avantage que les autres : Car encore qu’ils sçachent donner un coup de bec fort à propos, et de bonne grace, à cause de l’habitude qu’ils y ont acquise, si est-ce qu’ils ne laissent pas d’estre plus examinez que les autres, pour le grand nombre de gents qu’ils obligent à cela, l’exercice desquels n’est que d’esplucher leur vie, afin de trouver où mordre à leur tour, et rendre la pareille à l’aggresseur.
A quoy j’adjousteray le raisonnement, qui pour estre en nous tres-imparfaict, ne laisse pas toutes-fois de contenir quelque chose d’excellent et de grand par dessus tout ce qui est dans le monde : Or que la beauté du corps nous rende semblables aux animaux, cela se découvre assez en ce que la leur consiste comme la nostre, et en couleur, et en proportion ; Et ne sert de rien de dire, qu’ils n’ont pas les traits de leur corps semblables aux nostres, puis qu’il est certain que nous ne leur ressemblons pas, ny du visage, ny de la stature.
Car de dire que ce fût une haute resolution d’aymer mieux mourir que souffrir un Tyran, c’est ce qu’on ne peut alleguer pour sa deffense, veu que s’il avoit à se precipiter à une mort certaine, pour ne voir le Peuple Romain en subjection, il le pouvoit faire beaucoup mieux du temps de Cesar, au lieu de changer foiblement de party, et se laisser conduire à la bonne fortune du Vainqueur.
Mais laissons là ce prelude, comme estranger à nostre discours, et venons à l’Allegorie de nostre Fable, par laquelle il nous est enseigné, que les meschants font mieux leur profit par la force, que par une bonne et franche acquisition.
Que si l’on m’objette qu’aprés ces désolations l’Empire ne laissa pas de se rétablir, tousjours faudra-t’il avoüer que ce fut autant de mal enduré, et que la visible décadance de la Monarchie vint du partage d’Orient et d’Occident.
Vous luy laissez prendre une habitude, dont il ne luy sera pas aisé de se destourner : Elle le plongera dans les Vices, dont l’âge ne l’excusera plus à l’advenir.
Dequoy sont témoins à leur dommage ceux de nostre nation, qui par les merveilles de leur Valeur, que leurs ennemis redoutent comme la foudre, ayant conquis à diverses fois tant de superbes Provinces, chassé tant de Mécréans, et fait tributaires tant de Royaumes, n’ont pas laissé de les perdre ; au lieu que les Espagnols, à qui les Mariages ont plus servy que les batailles, se vantent, comme c’est leur coustume, de posseder aujourd’huy les plus belles parties de l’Europe, sans mettre en compte la domination du nouveau monde.
Mais laissons là leurs foiblesses, comme indignes de la censure d’un honneste homme ; et venons à faire une plus haute application de ce sujet, à sçavoir, à la vanité des plus grandes entreprises du monde.
Et neantmoins ils ne laissoient pas de trouver je ne sçay quoy de contemptible en la beauté corporelle.
Mais on leur laisse former insensiblement ceste vicieuse habitude, dés leur plus tendre jeunesse, lors qu’ils sont encore exempts de l’apprehension des Loix.
Ce qui toutesfois ne semble pas tousjours vray dans le commerce du monde, puis que nous voyons une infinité de gents mal traictez de la fortune, qui ne laissent pas d’avoir l’ame extrémement bonne, et de vivre dans une parfaitte observation des Loix.
A ces mots, Esope frappant du pied. « O Dieux », s’écria-t’il, « le Philosophe Xanthus se laisse gouverner par sa femme !
« Pource », respondit Esope, « qu’on a accoustumé de tirer le laict à la Brebis, et de luy tondre la laine, ce qui est cause qu’elle suit paisiblement, et se laisse prendre par les pieds, ne se doutant point qu’on luy vueille faire du mal, ny qu’elle doive rien endurer plus que l’ordinaire.
Dequoy m’est témoin Turne dans Virgile, qui ayant remply l’Italie de ses loüanges, et menacé tous ses ennemis d’un bras plus violent que la foudre, ne laissa pas de trouver un Enée, qui avec toute sa modestie, et sa pieté le reduisit vigoureusement à la raison.
Mais pendant que je m’esgare apres ces vaines exclamations, je laisse en arriere nostre Autheur, qui nous veut monstrer par la meschanceté du Renard, que les personnes atteintes de ceste maladie contagieuse, n’ont jamais de repos en leur ame qu’elles n’ayent brassé quelque embusche à ceux qu’ils envient.
Avec cela neantmoins ils ne laissent pas d’en cognoistre les infortunes, autrement leur ignorance pourroit passer pour felicité.