Nous avons de si bonnes preuves de tous les deux, et par les raisons, et par les exemples, que ce seroit une chose superfluë de s’estendre beaucoup là dessus. […] S’il nous veut du mal sans raison, c’est un préjugé d’une tres mauvaise nature, et par consequent de la durée de sa haine. Car quiconque a conçeu une animosité sans sujet, est capable de la continuer long-temps, pource que c’est une espece de raison en une chose qui n’en a point, que de la poursuyvre pour cela seulement qu’on l’a commencée ; Et si au contraire il a eu sujet de nous hayr, nous ne l’avons pas de nous y fier beaucoup, à cause que nous l’avons aigry. Pour ce qui est de l’autre poinct, dont ceste Fable nous peut instruire, à sçavoir que les Ennemis reconciliez à faux, ne demandent qu’un pretexte pour nous attaquer, c’est une question de fait, qui a plus besoin d’exemples que de raisons.
L’exemple et la raison sont en cela joincts ensemble. […] Or toutes ces trois raisons s’accommodent à la ruyne des nouveaux Eslevez. […] Il y a encore une seconde raison, pour laquelle les Petits, nouvellement appellez à la grandeur, se font plus hayr que les autres, à qui elle eschet par droict de naissance. […] Aussi est ce pour cela que l’on appelle fort à propos telle espece de calamité un revers de medaille, comme s’il estoit aussi necessaire à toute prosperité d’estre sujette au changement, comme à une medaille d’avoir son revers ; au lieu qu’une personne qui est éminente en qualité, n’en a pas l’obligation à la fortune, mais à sa naissance, et qu’ainsi elle n’en doit point craindre la cheute avecque tant de raison.
MONSIEUR, La deformité du corps estant, comme elle est, une marque ordinaire de celle de l’ame, j’auois un juste sujet d’apprehender que pour cette raison ce pauvre Esclave estranger, à qui je fais parler nostre langue, ne fust mal venu aupres de vous. […] Que sa laideur donc, je vous prie, sa mauvaise mine, et sa fortune encore pire, ne le vous fassent point rejetter : tout ce qu’il a de recommendable est interieur, il a corrigé ses defauts naturels par la force de sa raison ; et jamais homme n’a mieux que luy fait mentir les Physionomistes. […] Aussi avez-vous, comme luy, la science de les cognoistre, et vostre affection, comme la sienne, n’est pas vne temeraire et aveugle inclination de nature ; mais un pur effect de jugement et de raison. […] C’est une école où les creatures capables de raison, apprennent de celles qui n’en ont point ce qu’elles doivent eviter ou suivre, pour la conduitte et l’instruction de leur vie.
Toute la raison que je puis alleguer de cela, c’est que la faute consistant en la seule volonté, il semble qu’elle ne soit pas moindre aux foibles qu’aux puissants, et que pour la mesme raison ils ne soient pas aussi moins dignes de punition que les autres. […] Ainsi le sage Phrygien a eu beaucoup de raison de faire dire à l’homme de ceste fable, que plus l’animal estoit petit, moins il luy falloit pardonner, pour estre digne de plus grand blâme, et capable de moindre resistance.
Cela se verifie par les raisons et par les exemples. Quant aux raisons, elles sont fondées sur le juste partage des qualitez. Car la Nature ayant donné à tous les animaux dequoy se contenter dans le monde, et dequoy s’empescher de la violence et de l’oppression, il ne faut pas que les forts et les puissants s’imaginent de pouvoir avec raison gourmander les foibles, qui ne sont pourveus d’aucune invention pour se deffendre, mais qui peuvent faire suppléer l’addresse au défaut de la puissance. […] On peut alleguer une autre raison, pourquoy les ennemis foibles sont fort à craindre ; c’est qu’ils ont tous les Genereux de leur costé. […] Que si les parties de nostre corps veillent à la conservation de leurs compagnes, si la paupiere garantit l’œil de la poudre, si l’œil prend garde aux choses nuisibles ; si la main va au devant du coup, pour parer la teste ; si la chair environne les parties nobles ; si la crane couvre le cerveau, bref si la peau enveloppe le crane et la chair, à combien plus forte raison devons-nous croire que ce puissant Protecteur garantira ses membres de toute sorte de violences ?
Il luy a dit luy-mesme ce qu’il falloit, pour l’asseurer, et luy a tesmoigné son mespris par la moderation de sa colere : En cela semblable aux grands courages, qui n’aspirent qu’aux vengeances malaisées, et ne se resolvent pas librement à tirer raison d’une personne lasche, et mal estimée. […] En cecy il faut remarquer si ce glorieux mespris des foibles, qui nous oblige à souffrir patiemment leurs injures, vient de la seule raison, ou si l’instinct de la nature mesme est capable de nous y porter. J’estime pour moy, que les deux causes ensemble, et l’une sans l’autre et accompagnées, nous peuvent induire à ceste magnanimité, quoy que la raison, comme plus noble, et plus relevée que toutes les choses de ceste vie, produise cét effect en nos ames avec plus de perfection. […] Si donc ceste experience est visible, et au temperamment de nos personnes, et en la nature du feu, n’aurons-nous pas raison de dire aussi, qu’il en arrive de mesme en la vengeance des animaux, à sçavoir que le sang leur boüillant autour du cœur par le moyen de la colere, ne s’aigrit pas si aisément pour une petite resistance, que pour une grande, ny ne desploye pas toutes ses forces naturelles contre un petit object, voire mesme le laisse aller bien souvent sans le toucher, pource qu’une si chetive presence n’est pas assez forte sur sa fantasie, pour l’esmouvoir à courroux. […] Il est temps maintenant de faire voir comment ceste action procede de la raison, bien que toutesfois il me semble superflu de le prouver, veu la prodigieuse quantité d’exemples que nous voyons tous les jours de gents estimables et bien nez, qui donnent la vie à un ennemy abattu, ou ne le considerent pas, s’il est foible.
Avec plus de raison nous aurions le dessus, Si mes confreres sçavoient peindre.
Quelle raison aura donc l’homme de bien de se plaindre, si la raison luy fait cognoistre que sa fortune est plus souhaittable que celle de son Ennemy ? […] Ceste raison n’est bonne qu’en la bouche du vil Populaire, mais non pas en celle du Judicieux, ny du Sage, qui ne tiennent point une offense moins blasmable pour estre faite en suitte d’une autre, que pour estre commise la premiere. […] L’experience et la raison nous confirment également ceste verité. […] Bref, c’est une chose asseurée, que jamais les Méchants ne se sont gardez la foy les uns aux autres, dont apres l’experience il n’est pas hors de propos d’alleguer icy la raison. […] Voila donc la principale raison pour laquelle Esope veut que la Perdrix souffre patiemment sa desconvenuë.
Ce qui est tellement vray, que nulle autre proposition ne l’est d’avantage, et cela pour beaucoup de raisons. […] Tellement que plus ceste probité aura de force, plus la Republique s’augmentera ; Et partant le Merle d’Esope avoit raison de dire à l’Oyseleur, qu’il n’auroit guere de Citoyens, s’il faisoit bastir une Ville pleine de pieges.
Quand le malheur ne seroit bon Qu’à mettre un sot à la raison, Toujours seroit-ce à juste cause Qu’on le dit bon à quelque chose.
Le bon Socrate avoit raison De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Un trompette qui sonnait le rassemblement ayant été pris par les ennemis, criait : « Ne me tuez pas, camarades, à la légère et sans raison ; car je n’ai tué aucun de vous, et, en dehors de ce cuivre, je ne possède rien. » Mais on lui répondit : « Raison de plus pour que tu meures, puisque, ne pouvant toi-même faire la guerre, tu excites tout le monde au combat. » Cette fable montre que les plus coupables sont ceux qui excitent au mal les princes méchants et cruels.
Le lion lui en fit des reproches et lui demanda pourquoi, n’ayant souffert aucun mal, il s’en allait sans raison. Il répondit : « Ce n’est pas sans raison que j’en use ainsi ; car je vois des ustensiles comme on en prépare non pour un mouton, mais pour un taureau. » Cette fable montre que les gens sensés ne se laissent pas prendre aux artifices des méchants.
Les raisons theoriques cedent en force aux experimentales : l’on ne sçauroit tant donner de foy aux paroles, qu’à la chose mesme. […] Que si toutes ces veritez se rencontrent en la personne des Amis qui essayent à nous exhorter ; à plus forte raison se trouveront-elles en la remonstrance d’un Pere à son fils.
C’est par cette raison qu’égayant leur esprit, Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit. […] Enseigne-moy, de grace, De mon voleur, luy dit-il, la maison, Que de ce pas je me fasse raison.
Dequoy m’est témoin Turne dans Virgile, qui ayant remply l’Italie de ses loüanges, et menacé tous ses ennemis d’un bras plus violent que la foudre, ne laissa pas de trouver un Enée, qui avec toute sa modestie, et sa pieté le reduisit vigoureusement à la raison. […] Or quoy que cela ne semble pas ordinaire en la Nature, si est-ce qu’on en peut donner des raisons tres legitimes ; Et premierement on peut dire, que ces Ennemis fiers et presomptueux vont la pluspart dans le Combat avec tant de negligence contre les foibles, qu’ils dédaignent de mettre en œuvre tout ce qui est d’ordinaire praticqué pour la seureté des Combattans, à sçavoir d’estre couverts de bonnes armes, montés sur un cheval adroict, et faire avec soin tous les passages de l’escolle. […] Que si l’on admet cela dans l’égalité des partis, à plus forte raison le doit-on faire quand l’un des Combattans est entierement disproportionné en force ou en vigueur à son Ennemy. […] Car en ce cas là on auroit plus de raison de l’appeller supercherie, qu’adresse loüable, et permise aux hommes valeureux.
Aux raisons de l’hirondelle la corneille répliqua : « Ta beauté ne fleurit que pendant la saison du printemps, tandis que moi, j’ai un corps qui défie même l’hiver. » Cette fable montre qu’il vaut mieux prolonger sa vie que d’être beau.
Les Renards gardant la maison, Un d’eux en dit cette raison.
En elle je tirerois raison de mes desplaisirs : en elle je trouverois tous les points de ma satisfaction, et l’évenement me feroit cognoistre qu’elle seule me vengeroit de ses injures par les continuels élancemens de peur, qu’elle donneroit à son fâcheux. […] Que s’il faut aller plus avant, et donner à la satisfaction des vielles gents, qu’ils ne soient ny trompez de leurs femmes, ny jaloux d’elles, ny mocquez du monde, tout cela n’empesche pas qu’il n’y ait d’autres raisons qui les peuvent rendre malheureux. […] Certes on a bien raison de dire : Qu’amour et majesté ne sont pas bien ensemble. […] La raison en est fondée sur ce que les Vieillards ne sçauroient avoir beaucoup d’amour, sans faire beaucoup d’excez, ny sans joüer de leur reste en des actions pleines d’effort, y employant ce peu de vigueur naturelle qui leur reste. […] Mais pour ne faire ressembler mon discours à quelque regime de Medecin, je viens à une raison plus delicate pour prouver la misere des hommes âgez, quand ils se rendent amoureux de telles femmes.
Il arriva par là que les hommes de petite taille, remplis par leur portion, furent des gens sensés, mais que les hommes de grande taille, le breuvage n’arrivant pas dans tout leur corps, eurent moins de raison que les autres.