Nous voyons que les Amis, et les Dames, deviennent aussi quelquesfois de ceste humeur pour nous, et mesme les Republiques, quoy qu’elles fassent profession d’une parfaicte et judicieuse conduicte.
Horace et Martial loüent à tout propos certaines maisons de plaisance de leurs amis, voire les leurs propres. […] Car de flotter incessamment dans le doute, d’avoir de la peine pour son Maistre, pour ses Ennemis, et pour ses amis, de ne voir point d’heure ny d’occasion où le danger ne se mesle, d’estre sujet à rendre un severe compte de son administration, de veiller, sans recompense, pour les affaires publiques, et de s’incommoder pour les querelles des particuliers ; Ces miseres où vivent les gens de la Cour, ne sont-elles pas capables d’ennuyer les plus resolus d’entr’eux, et de leur donner du tourment ?
Un quidam l’ayant vu se lamenter ainsi, et s’étant informé du motif, lui dit : « Ne te désespère pas ainsi, l’ami ; car, tout en ayant de l’or, tu n’en avais pas.
Jamais deux amis ne tombent en dissention, qu’un tiers ne s’appreste à jouyr des avantages dont ils debattent : Bref, c’est estre en tout temps exposé aux aguets d’autruy, que de prendre des querelles inconsiderées, principalement ayant un voisin, ou un envieux, de puissance suspecte.
« Merci », fet il, « de mun mesfait, que nus fuissums ici amis cum nus avums esté jadis !
Ce sont mes pieds, qui devaient me trahir, qui me sauvaient ; et ce sont mes cornes, en qui j’avais toute confiance, qui me perdent. » C’est ainsi que souvent dans le danger les amis que nous suspectons nous sauvent, et ceux sur qui nous comptons fermement nous trahissent.
L’une est, de l’incorruptibilité quant aux presents, et l’autre de la sage conjecture que nous devons faire de ceux qui sont amis, ou ennemis, loyaux, ou trompeurs, naïfs, ou artificieux.
En quoy, il me semble que pour un vain plaisir de mentir, l’on perd une chose bien precieuse, à sçavoir la Foy ; Action certes d’un tres-mauvais mesnager, et d’un imprudent, puis-qu’il n’y a rien de si commode en tout le commerce de la vie, que de passer pour veritable, autant pour servir ses amis, que pour son interest propre.
Durant ces choses, Esope voyant qu’il n’y avoit point de subtilité qui fust capable de le tirer d’un si grand mal-heur, tout ce qu’il pouvoit faire pour son allegement, c’estoit de se plaindre dans la prison : Ce que voyant un de ses amis, qu’on appelloit Damas, il luy demanda la cause de sa plaincte, qu’Esope luy fit cognoistre en ces termes. « Une femme », dit-il, « ayant depuis peu ensevely son mary, s’en alloit tous les jours à son tombeau, qu’elle arrosoit de ses larmes : Il arriva cependant qu’un certain paysan, qui labouroit la terre assez prés de là, fust surpris de l’amour de ceste femme : ce qui fut cause que delaissant et bœufs et charruë, il s’en alla droict au tombeau ; où s’estant assis, il commença de pleurer comme elle.
Au reste leurs amis mesme vivent avec eux, comme s’ils devoient un jour estre leurs ennemis, et s’attendent à rompre aux premieres mocqueries, ou pour le moins à s’aymer avecque mediocrité.
Car celuy là ne merite pas d’avoir part à l’heureuse fortune de ses amis, qui ne l’a voulu prendre à leur disgrace ; Autrement ce seroit recompenser de mesme sorte les meschants et les gens de bien, et donner à la trahison les mesmes avantages qu’à la probité.
Alors un des assistants prenant la parole lui dit : « Mais, mon ami, si c’est vrai, tu n’as pas besoin de témoins ; voici Rhodes ici même : fais le saut. » Cette fable montre que lorsqu’on peut prouver une chose par des faits, tout ce qu’on en peut dire est superflu.
De ceste nature il falloit que fût Alexandre le Grand, lors que partant pour la conqueste de l’Asie, il distribua tout ce qu’il avoit à ses amis, et ne se reserva que l’esperance. […] Il y a bien plus encore en nos débordements : l’insatiable convoitise d’acquerir nous porte jusqu’à égorger nos proches et nos amis, et nous fait violer inhumainement le droict de Parentage et d’Hospitalité, pour nous soüiller du sang des nostres. […] Pareille fût l’avanture de ces deux Amis, qui voyageants ensemble par toute la Grece, arriverent de hazard en une Ville, où ils furent contraints de se separer, à cause que l’un des deux estoit obligé de visiter la maison de son ancien hoste, et de laisser son amy dans une hostellerie.
Comme on le menoit ainsi à la mort, il leur disoit en s’y en allant. « Au temps que les bestes parloient, le Rat ayant fait amitié avec la Grenoüille, luy voulut donner à souper, et l’amena pour cét effect au Cellier d’un riche homme, où il y avoit quantité de viandes, l’invitant à se saouler par ces mots qu’il luy reïteroit, “Mange m’amie Grenoüille”.
Au contraire d’avoir toutes ces aydes pour devenir honnestes gents, il arrive la pluspart du temps que nous avons des parents ou des amis, qui pour mieux participer à nostre fortune, nous conseillent follement de la porter au delà de l’impossible, au lieu que s’ils nous aymoient veritablement, ils nous prescheroient sans cesse la moderation, et tascheroient de retenir nos ames dans les limites de la modestie.
Est-ce ainsi que tu nous soupçonne », nous, tes amis ?
Apres qu’un de ses amis luy eust conseillé de faire voile à Samos, sur l’esperance qu’il luy donna d’y tirer plus de gain de ses Esclaves, il se laissa vaincre à ses persuasions, et se mit sur mer.
Le jour d’apres s’estant advisé de s’habiller au contraire de la journée precedente, à sçavoir d’une robe blanche, il en fit prendre de rouges à ses amis ; puis quand Esope fut derechef entré ; « Que penses-tu de moy », luy dit-il, « et de ceux qui sont à l’entour de ma personne ?