Le Loup et la Cicogne. […] Un Loup donc estant de frairie, Se pressa, dit-on, tellement, Qu’il en pensa perdre la vie. […] De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvoit crier, Prés de là passe une Cicogne. […] dit le Loup, Vous riez, ma bonne comere.
Le Loup devenu Berger. Un Loup qui commençoit d’avoir petite part Aux Brebis de son voisinage, Crut qu’il faloit s’aider de la peau du Renard, Et faire un nouveau personnage. […] Le pauvre Loup dans cet esclandre, Empêché par son hoqueton, Ne pût ny fuïr ny se défendre. […] Quiconque est Loup, agisse en Loup ; C’est le plus certain de beaucoup.
Le Loup, la Mere et l’Enfant. […] Comme elle disoit ces mots, Le Loup de fortune passe. […] Ce Loup me remet en memoire Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris. […] Messer Loup attendoit chape-chute à la porte. […] La mere aussi-tost le gourmande, Le menace, s’il ne se taist, De le donner au Loup.
Le Cheval et le Loup. Un certain Loup, dans la saison Que les tiedes Zephirs ont l’herbe rajeunie, Et que les animaux quittent tous la maison, Pour s’en aller chercher leur vie. Un Loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l’Hyver, Apperceut un Cheval qu’on avoit mis au vert. […] C’est bien fait, dit le Loup en soy-mesme fort triste ; Chacun à son métier doit toûjours s’attacher.
Le Loup plaidant contre le Renard pardevant le Singe. Un Loup disoit que l’on l’avoit volé. […] Aprés qu’on eut bien contesté, Repliqué, crié, tempesté, Le Juge instruit de leur malice, Leur dit : Je vous connois de long-temps, mes amis ; Et tous deux vous payrez l’amende : Car toy, Loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris ; Et toy, Renard, as pris ce que l’on te demande.
De l’Asne, et du Loup. L’Asne passant sur un buisson, se mit une espine au pied, et vid à mesme temps un Loup, à qui s’addressant ; « Helas ! […] Le Loup se mit incontinent à luy rendre ce bon office ; mais il eust à peine arraché l’espine, que l’Asne ne sentant plus de douleur, luy donna un si grand coup de son pied, qui estoit ferré, qu’il luy rompit le front, le museau, et les dents, puis il s’échappa bien viste. Le pauvre Loup se voyant ainsi trompé, et s’en prenant à soy-mesme ; « Cela m’est bien deu, dit-il, car à quel propos ay-je voulu maintenant estre Chirurgien, moy qui n’ay jamais esté qu’un Boucher ? […] Car au lieu qu’en discours ils n’ont merité que des risées, en de semblables actions, ils sont dignes de recevoir des coups de pied, comme le Loup de cette Fable.
Le Loup et l’Agneau. […] Un Loup survient à jeun qui cherchoit avanture, Et que la faim en ces lieux attiroit. […] Là-dessus au fond des forests Le Loup l’emporte, et puis le mange, Sans autre forme de procés.
Du Renard, et du Loup. Le Renard tombé dans un puits, en danger d’estre noyé, pria le Loup, qui estoit en haut, de luy jetter une corde, pour le retirer de ce peril. « Pauvre malheureux ! », luy respondit le Loup, « comment t’es-tu laissé choir ?
Du Loup, et de la Truye. La Truye estant une fois en travail de ses Cochons, le Loup luy promit de l’accoucher, et de luy bien garder sa portée. Mais elle luy respondit, qu’elle n’avoit nullement besoin de son ayde, et que le plus grand plaisir qu’il luy pût faire, c’estoit de se retirer bien loing. « Car », adjousta-elle, « tout le bon office qu’on peut attendre d’un Loup, vient de son absence, et non pas de sa presence ». […] Ceste Beste proche de son accouchement, refuse de fort bonne grace l’assistance du Loup, qui ne luy peut estre, ny agreable, ny utile ; donnant à entendre que la meilleure ayde que nous pouvons tirer d’un meschant, c’est de ne le point voir, quand mesme il nous pourroit estre proffitable d’ailleurs.
Du Loup, et de la Gruë. Le Loup venoit de manger une Brebis, dont quelques os luy étoient demeurez dans la gueule, ce qui l’incommodoit fort. […] Mais le Loup se mocquant d’elle ; « Va-t’en », luy dit-il, « sotte que tu és et te retire bien loing d’icy ; ne te doit-il pas suffire que tu vis encore, car tu m’és asseurément redevable de la vie, pour ce qu’il n’a tenu qu’à moy que je ne t’aye arraché le col ». […] En la septiesme invention de nostre Phrygien, je trouve une excellente peinture de l’ingratitude humaine, tesmoignée par le Loup infidele, qui frauda les esperances de la Gruë. […] Je laisseray à part le perfide Ganes, qui perdit les douze Pairs, à qui il avoit mille sortes d’obligations, tant à cause de leurs bons offices, que de la parenté, et une infinité d’autres de l’histoire ancienne et de la moderne, qui non seulement ont sçeu peu de gré à leurs bien-facteurs, mais encore ont procuré leur totale destruction ; En cela plus cruels, que le Loup de ceste Fable, qui se contente de faire perdre à la Gruë l’esperance de son salaire, luy representant plaisamment qu’elle est encore trop heureuse d’estre eschappée de sa gueule, pendant qu’elle avoit le bec dans le gosier du Loup.
Du Loup, et des Chiens. Le Loup contemploit du haut d’un Rocher deux Chiens, qui au lieu de se tenir en paix prés du troupeau qu’ils avoient en garde, s’entre-battoient, et se deschiroient à belles dents. […] « Je l’ay fait », respondit le Loup, « pour m’estre laissé tromper à leur differend particulier ». […] Ce Loup avoit beaucoup de raison de juger de la perte du trouppeau par la division des Chiens, puis qu’il n’est point d’intestine partialité qui ne soit capable de ruyner une fortune, quelque florissante qu’elle puisse estre. […] Mais tous ces exemples ne sont que la centiesme partie de ceux que l’on pourroit alleguer pour preuve de ceste verité, où toutesfois il faut prendre garde qu’à la fin de ceste Fable le Loup se trouva trompé dans l’esperance qu’il eust d’abord de profiter en la division des chiens.
Du Loup, et du Renard. Le Loup ayant fait des provisions pour un assez long-temps, menoit une vie oysive, quand le Renard qui s’en apperçeut le fût visiter, et luy demanda la cause de son repos. […] Ce procedé du Loup dépleut au Renard, qui bien fasché de n’estre venu à bout de ses intentions, s’addressa finement à un Berger, et luy conseilla de s’en aller à la taniere du Loup, l’asseurant qu’il luy seroit facile d’accabler cét ennemy, pource qu’il ne se doutoit de rien, et ne se tenoit point sur ses gardes. Le Berger s’en alla donc assaillir le Loup, et fit si bien qu’il le tua, tellement que par cette mort le Renard demeura Maistre, et de la taniere, et de la proye. […] Tels furent les déportements du perfide Ganes, qui voyant fleurir en gloire et en vertu les unze Pairs ses Compagnons, veilla jour et nuict à leur commune ruyne, et fit amitié avec les Roys Sarrasins, tout de mesme que le Renard la fait icy avec un Berger, pour l’obliger à surprendre le Loup qu’il envioit.
Le Loup, la Chevre, et le Chevreau.
Du Chevreau, et du Loup. Le Chevreau voyant d’une senestre passer le Loup, se mocquoit de luy, et osoit bien le poursuivre à belles injures. Mais le Loup, sans s’esmouvoir autrement ; « Meschant », luy dit-il, « ce n’est point toy qui m’injuries, mais bien l’avantage du lieu, qui te fait ainsi parler ». […] Que s’ils leur respondent, c’est en termes pleins de froideur, sans se laisser emporter à la passion ; Ce que remarque fort bien Esope dans la repartie du Loup : Car il ne luy fait point repousser les outrages par les outrages, mais l’introduit seulement avec une voix posée, tançant ses Ennemis de l’asseurance qu’ils ont dans l’enclos de leurs murailles.
Du Loup, et du Chien. Le Loup ayant trouvé fortuitement un Chien dans un bois environ le poinct du jour, se mit à le saluër, se réjoüyssant d’une si bonne rencontre. […] Avecques cela, je ne dors jamais à découvert, et n’est pas à croire combien je suis agreable à tous ceux de la maison ». « O Chien mon amy », reprit le Loup, « que tu és heureux, d’avoir rencontré un Maistre si doux, et si débonnaire ! […] Le Chien voyant l’extrême desir qu’avoit le Loup de changer de condition, luy promit de faire en sorte envers son Maistre, qu’il luy donneroit quelque charge dans sa maison, pourveu qu’il voulust retrancher un peu de sa felonie accoustumée, et s’addonner à le bien servir. […] Le Loup l’ayant ouy parler ainsi ; « Est-ce donc cela ?
Du Loup, et de l’Aigneau. Le Loup beuvant à la source d’une fontaine, veid un Aigneau qui beuvoit aussi beaucoup plus bas. […] Mais pour tout cela le Loup ne laissant pas de crier plus fort ; « En vain », luy dit-il, « tu me fais toutes ces belles excuses : c’est ta coustume de m’estre nuisible ; ce mal là te vient de race, car tes pere et mere, et tous les tiens generallement, me hayssent au mourir. […] Or quoy que le procedé que tiennent ordinairement ceux qui veullent accabler l’Innocence, soit en tout temps des-agreable à Dieu et aux hommes ; si est-ce que les plus artificieux ont accoustumé de le colorer d’un faux pretexte de justice, imitant le Loup de ceste Fable, qui imposoit au malheureux Aigneau d’avoir troublé l’eau de la riviere pendant qu’il beuvoit, quoy que la delicate bouche de cét animal ne peut faire beaucoup d’agitation, eu égard à la distance qui estoit entre l’un et l’autre.
Le Cerf accusa la Brebis devant le Loup, luy demandant un muy de froment. Or quoy qu’elle fust bien asseurée de ne luy rien devoir, si ne laissa t’elle pas, à cause du Loup, qui estoit là present, de luy promettre, qu’elle satisferoit à sa demande. L’on prit donc jour pour le payement, qui fût à peine venu, que le Cerf en advertit la Brebis : mais elle nia la debte, et luy dit, que si elle luy avoit promis quelque chose, elle l’avoit fait de peur du Loup, adjoustant à cela, qu’on n’estoit pas obligé de tenir promesse à ceux qui l’avoient exigée par la force. […] Celle-cy ayant fait promesse au Cerf, en la presence du Loup, de luy payer un muy de froment, fut obligée de s’en desdire, à cause de sa pauvreté, et de rejetter sur la contraincte la fausse confession qu’elle avoit fait de la debte.
Le Chien ayant fait adjourner la Brebis, pour se voir condamner à luy payer un pain qu’il luy avoit presté, elle ny a de luy rien devoir ; mais le Milan, le Loup, et le Vautour, en estans pris à tesmoins, ils déposerent contre la pauvre Brebis, qui fut condamnée à rendre le pain, que le Loup luy osta en mesme temps, et le devora. […] L’on ne peut donc accuser Esope d’avoir traitté trop rudement les faux tesmoins, en les comparant au Loup, au Milan, et au Vautour, puisque mesme ils sont pires que les demons.