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2. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — D’un seul grain de lentille qu’Esope fit cuire en un Pot, et de quelques autres choses facetieuses. Chapitre X. »

Esope courut aussi tost prendre de l’eau du bain, et leur en donna : Mais Xanthus en eust à peine gousté, que n’en pouvant supporter la puanteur […] Ce que voyant Xanthus, « quoy ?  […] Xanthus se tournant alors vers ses amis : « à ce que je vois », leur dit-il, « je n’ay pas achepté un esclave, mais bien un Maistre ». […] » reprit Xanthus, « n’y en a-t’il qu’un seul grain de cuict ?  […] Ceste fourbe despleut grandement à Xanthus, qui pour s’en excuser à ses amis : « Jugez, Messieurs », leur dit-il, « si cét homme n’est pas capable de me faire enrager ».

3. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Xanthus voulant tromper Esope, est trompé luy-mesme. Chapitre XI. »

Xanthus voulant tromper Esope, est trompé luy-mesme. […] Cependant, l’apprehension qu’eust Xanthus, qu’Esope ne s’enfuyt, apres qu’il auroit apperçeu le larcin qu’il avoit fait de ce pied, fut cause qu’il le remit dans le pot. […] « Ils en ont cinq », continua Xanthus : « Il y en a donc cinq dans ce plat », repartit Esope, « et le Porc qu’on engraisse là bas, n’en a que trois ». Xanthus bien fâché qu’Esope luy avoit joüé ce tour là, devant ses amis. « Hé bien », leur dit-il, « Messieurs, me suis-je trompé, quand je vous ay advisé n’aguere que ce Malheureux me feroit devenir fol ?  […] » ainsi Xanthus fût contrainct de s’appaiser, comme il vid qu’il n’avoit point de juste sujet de frapper Esope.

4. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Subtile response d’Esope, touchant les superfluitez que la Nature rejette. Chapitre XVIII. »

Une autre fois Xanthus s’estant mis à banqueter avecque des Philosophes, comme ils furent un peu avant dans le vin, diverses questions s’émeurent entr’eux touchant plusieurs choses ; ce qui donnoit des-jà bien à penser à Xanthus, qui ne sçavoit presque où il en estoit. […] » « Je veux perdre ma maison », repliqua Xanthus, « et suis content de la gager tout maintenant ». […] Le lendemain matin, Xanthus s’estant éveillé, comme il se voulut laver le visage, il fut tout estonné qu’il ne trouva plus sa bague en son doigt. […] » respondit Xanthus, « pourray-je bien faire quelque chose, qui soit plus grande, et plus à estimer que la foy ? […] Ce conseil fût d’autant plus agreable à Xanthus, qu’il se promit apparemment que par ce moyen la convention seroit rompuë.

5. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — L’ingratitude de Xanthus. Chapitre XIX. »

L’ingratitude de Xanthus. […] » respondit Xanthus, en le tançant aigrement, « ne veux-je pas t’affranchir aussi ? […] Xanthus sortit aussi pour les voir ; mais pendant qu’il s’y en alloit, l’une s’envola ; ce qui fit que s’estant mis à tancer Esope ; « Malheureux homme », luy dit-il, « ne m’as-tu pas asseuré qu’il y en avoit deux ? » « Ouy », respondit Esope, « mais l’une s’en est volée ». « Et quoy », reprit Xanthus, « chetif Banny que tu és, n’as tu rien à faire qu’à te mocquer ainsi de moy ?  […] Ces langages surprirent Xanthus, qui plus estonné qu’auparavant, de la merveilleuse vivacité de l’esprit d’Esope, ne voulut point qu’on le battist d’avantage.

6. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Xanthus fait un present d’Esope à sa femme. Chapitre VIII. »

Xanthus fait un present d’Esope à sa femme. […] » ; reprit Xanthus […] » « Quoy », adjoûta Xanthus, « cela te met-il si fort en peine ? […] A ces mots, Esope frappant du pied. « O Dieux », s’écria-t’il, « le Philosophe Xanthus se laisse gouverner par sa femme !  […] Alors Xanthus s’addressant à Esope : « Te voila bien, puis que tu és reconcilié avec ta Maistresse ». « Il est vray », respondit Esope, en riant, « Car ce n’est pas peu de chose, que d’appaiser une femme ». « Tay-toy, luy dit Xanthus, car je t’ay achepté pour me servir, et non pour me contredire ».

7. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Invention d’Esope, pour faire retourner sa Maistresse avec Xanthus. Chapitre XIII. »

Invention d’Esope, pour faire retourner sa Maistresse avec Xanthus. […] Quelques jours apres, Xanthus voyant qu’il ne pouvoit fléchir sa femme, ny faire sa paix avec elle, si fort elle estoit fâchée, luy envoya quelques uns de ses Alliez, pour l’obliger à revenir au logis. […] » « C’est le Philosophe Xanthus », respondit Esope, « Car il se doit marier demain ». Le valet ayant appris ces belles nouvelles, laissa là Esope, et monté qu’il fût en la chambre, il fit sçavoir à la femme de Xanthus, ce que l’autre venoit de luy dire. […] Voylà quelle fut l’invention d’Esope, qui trouva moyen de rappeller en la maison la femme de Xanthus, comme auparavant il l’avoit aussi trouvé, pour l’en faire sortir.

8. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope est derechef vendu. Chapitre VII. »

», luy dit Xanthus, « Toutes choses », repartit le Musicien. […] », reprit Xanthus : « Toutes choses », replicqua l’Esclave. […] » « Je te saluë », adjoûta Xanthus ; « Et moy je te saluë aussi », dit Esope. […] » continüa Xanthus. « Rien », respondit Esope ; « D’où vient cela ?  […] Apres cecy, Xanthus l’ayant derechef interrogé s’il vouloit qu’il l’acheptast ?

9. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope ameine à son Maistre un homme niais, et sans soucy. Chapitre XVI. »

Ceste nouveauté ne sembla pas estrange à ce Rustre, qui ne s’enquerant de rien, et ne daignant pas mesme demander le nom de l’homme qui l’invitoit, s’en alla droict au logis de Xanthus, où il se mit à la table, avec des souliers tous sales et tous crottez. Xanthus le voyant d’abord ; « Qui est celuy-cy ?  […] Alors Xanthus parlant tout bas à sa femme, « fay luy », dit-il, « ce que je te commanderay, et ne manque point, affin que je trouve un sujet de bien estreiller Esope ». […] La femme de Xanthus fist donc le commandement de son Mary, et mit de l’eau dans un bassin, pour laver les pieds de son hoste. […] » Durant ces choses, Xanthus ne sçavoit que penser de son hoste, et ne trouvoit guere bon de voir, qu’il avoit si peu de soing et de curiosité, qu’il ne daignoit, ny s’enquerir, ny se soucier de rien que ce fut.

10. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Du present fait à la maistresse de Xanthus. Chapitre XII. »

Du present fait à la maistresse de Xanthus. […] Le lendemain un des Disciples de Xanthus fist un beau festin, où il invita son Maistre, et les autres escoliers. […] Cependant la femme de Xanthus bien fâchée de voir que son Mary ne l’aymoit pas tant, qu’il n’aymât encore d’avantage une chienne, entra dans sa chambre, où toute desolée, elle protesta de n’avoir jamais sa compagnie. […] Xanthus ayant fait à mesme temps appeller Esope : « Vien çà », luy dit-il, « à qui as-tu baillé ce dequoy je t’avois chargé ?  […] » « A ma bien aymée », continua Xanthus, Esope fit alors venir la chienne, et s’adressant à Xanthus : « Il est bien à croire », adjousta-il, « que celle-cy t’ayme grandement ; Car quelque bonne inclination que ta femme se die avoir, pour toy, si est-ce que si elle s’offense de la moindre chose, elle en vient incontinent aux injures ; Elle contredit à tout ; elle s’en va : Il n’en est pas ainsi de ta chienne : Tu as beau la chasser, elle ne bouge et ne crie point.

11. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope ne laisse entrer qu’un seul de tous ceux que son Maistre avoit conviez. Chapitre XXI. »

Quelques jours apres, Xanthus ayant derechef invité à disner des Orateurs, et des Philosophes, commanda à Esope de se tenir à la porte, et de ne laisser entrer que les Doctes. […] Ceste nouvelle mit grandement en peine Xanthus, pour-ce qu’il s’imagina d’abord, que ceux qu’il avoit invitez, se mocquoient de luy. […] » « Ce que vous me contez là », reprit Xanthus, « est-ce quelque songe, ou bien une chose vraye ?  […] A ces mots Xanthus tout enflammé de colere, envoya chercher Esope, et luy demanda, pour quelle raison il avoit ainsi honteusement chassé ses amis. « Mon Maistre », luy dit Esope, « ne m’as-tu point commandé exprés, de ne laisser venir à ton Festin des gents du commun, et des ignorants mais seulement des hommes doctes ?  […] » continua Xanthus, « ceux-cy ne sont-ils donc pas sçavants ? 

12. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — De la response qu’Esope fist à un Juge. Chapitre XVII. »

Le lendemain, Esope eust commandement de son Maistre de s’en aller aux estuves, pour s’enquerir de quelqu’un s’il y avoit beaucoup de gents, pource que Xanthus se vouloit baigner. Mais comme il passoit son chemin, il rencontra fortuitement le Preteur, qui le cognoissant pour estre au Philosophe Xanthus, luy demanda où il alloit ? […] Ces paroles obligerent Xanthus de s’y acheminer. […] Xanthus approuvant cela, « Sans mentir », dit il, « rien ne peut empescher Esope, d’estre toûjours prompt en ses reparties ».

13. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — La response d’Esope à un Jardinier. Chapitre IX. »

Le jour d’apres, Xanthus commanda à Esope de le suivre, et le mena en un Jardin, pour y achepter des herbes. Le Jardinier en ayant fait un faisseau, Esope le prit, et alors comme Xanthus voulust payer, le Jardinier s’addressant à luy […] « Seigneur », luy dit-il, « vous m’obligeriez fort, si vous me vouliez resoudre d’une question que j’ay à vous faire ». « Quelle est donc ceste question », respondit Xanthus ; « D’où vient », reprit le Jardinier, « qu’encore que je cultive, et que j’arrose avec tout le soing qui m’est possible, les herbes que j’ay plantées, elles ne prennent toutesfois leur accroissement que bien tard, au contraire de celles, que la terre produict de soy-mesme, qui ne laissent pas d’estre plustost advancées, encore qu’on n’y prenne pas tant de peine ? » Combien que ce fust le faict d’un Philosophe, de resoudre ceste question, si est ce que Xanthus ne sçeut qu’y respondre, sinon que cét évenement entre les autres, estoit un effet de la Providence Divine. […] Laisse moy donc respondre à cét homme, et je le contenteray » : Xanthus se tournant alors vers le Jardinier ; « Mon amy », luy dit-il, « je trouve qu’il ne seroit pas bien seant, que moy qui ay disputé en tant de fameuses assemblées, m’amusasse maintenant à resoudre des difficultez en un Jardin ; Mais je m’asseure que mon garçon que voicy, te rendra raison de ce que tu desires sçavoir, si tu luy en fais la proposition.

14. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope découvre le derriere de sa Maistresse. Chapitre XX. »

Un peu apres Xanthus voulant donner à disner à ses escoliers, fist venir Esope, et luy commanda qu’il eust à tenir prest le festin. […] Xanthus survint en mesme temps avecque ses escoliers, et tout scandalisé de voir une chose si honteuse ; « Paillard », dit-il à Esope, « d’où vient tout ce beau mesnage ? » « Seigneur », respondit Esope, « quand j’ay mis les viandes sur la table, j’ay prié Madame, de prendre garde que les chiens ne les mangeassent, et elle m’a fait response que ses fesses avoient des yeux, à cause dequoy la trouvant endormie, je les luy ay découvertes ». « Infame Boufon », dit Xanthus, « tu peux bien remercier mes amis : car n’estoit le respect que je leur porte, et que je les ay conviez, je te punirois si bien, que tu n’aurois pas sujet de t’en mocquer ».

15. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — De quelles viandes Esope traicta les Hostes de Xanthus. Chapitre XIV. »

Quelques jours s’estans écoulez, Xanthus convia derechef ses escoliers à disner, et commanda pour cét effect à Esope qu’il acheptast ce qu’il trouveroit de meilleur, et de plus exquis. […] » Xanthus s’estant mis alors en colere : « Esope », dit-il, « n’as-tu donc point autre chose à nous donner ? » « Nenny », respondit Esope. « Vilain bout d’homme », continüa Xanthus, « ne t’avois-je pas commandé d’achepter tout ce que tu trouverois de bon, et d’excellent ? 

16. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Du second service de Langues. Chapitre XV. »

Le lendemain, les Disciples de Xanthus l’ayant blâmé derechef de ce qui s’estoit passé, il leur dit pour response, que cela n’avoit pas esté fait de son consentement, mais par la malice de son Valet. « Toutesfois », adjousta-il, « je m’asseure qu’il nous traictera d’autres mets à soupper, et vous verrez ce que je luy en diray en vôtre presence ». […] Voila cependant que Xanthus bien irrité contre son Valet : « Qu’est-cecy, meschant », luy dit il ? […] » Esope n’eust pas plustost achevé ces mots qu’un des Assistants se tournant vers Xanthus ; « Asseurément », luy dit-il, « si tu ne prends garde à toy, j’ay belle peur que ce poinctilleux ne te fasse devenir fol, Car tel qu’est son corps, tel est son esprit » ; Mais Esope le renvoya bien viste, et sans s’émouvoir autrement : « Va », luy dit-il, « tu me sembles étre un tres mauvais homme de te mesler des affaires d’autruy, et d’irriter sans raison le Maistre contre le serviteur ».

17. (1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — De l’affranchissement d’Esope. Chapitre XXIII. »

Cela fit que les Samiens, non moins espouvantez de cét évenement, qu’ils en furent attristez, s’assemblerent tous en un certain lieu, et prierent Xanthus, pource qu’il estoit le premier de la ville, et avec cela Philosophe, de leur expliquer ce que signifioit un si merveilleux prodige ; Mais Xanthus aussi empesché qu’eux de leur en rendre raison, leur demanda terme pour y respondre. […] Xanthus rasseuré par ces paroles d’Esope, se resolut de le croire, et ne faillist point le lendemain de se trouver en la Maison de Ville, ou, suivant le conseil de son serviteur, il se mit à parler aux Assistants, qui le prierent incontinent de faire venir Esope A son arrivée, il se tint debout devant les Samiens, qui bien estonnez de voir un homme de ceste mine, s’en rioient ouvertement, et disoient tout haut. « Vrayment voila un bel homme, pour nous expliquer le Prodige, dont nous sommes si fort en peine. […] Tout le peuple s’escria pour lors d’un commun accord : « ô Xanthus, affranchy Esope : obey aux Samiens, et fay ce bien à leur Ville !  […] Alors n’estant pas possible à Xanthus de s’en dédire, il s’y accorda, et ainsi Esope fût declaré affranchy par un cry public qu’un trompette de la ville fit en ces termes. « Le Philosophe Xanthus donne aux Samiens la liberté d’Esope », et ainsi se trouva veritable, ce qu’un peu auparavant Esope avoit dit à son Maistre par ces paroles, je t’advise que malgré toy tu m’affranchiras.

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