La seconde, d’avoir esté mal satisfaictes du premier qu’on leur envoya. […] La seconde impertinence que remarque Esope en ces Grenoüilles, c’est le mescontentement qu’elles eurent de leur Roy ; voulant donner à entendre par là, que dés qu’un Estat a franchy les bornes de sa liberté, il doit cherir tous les Roys qui luy sont donnez de la main de Dieu, fussent-ils plus insensibles, ou plus stupides qu’une souche.
Mais le Lion, qui ne prenoit pas plaisir à cela ; « Tout beau », leur dit-il en rugissant, « la premiere de ces parts est mienne, pour-ce qu’il n’y a pas un de vous qui me vaille ; la seconde l’est aussi, à cause des grands advantages que ma force me donne par dessus vous ; et la troisiesme m’appartient encore, pour avoir plus travaillé que tous à prendre le Cerf ».
Ceste Allegorie a esté de mesme suffisamment expliquée en quelqu’une des precedentes Fables, où nous avons dit, qu’il ne faut pas tomber pour la seconde fois entre les mains des meschants, mais se mesfier tous-jours d’eux, et interpreter toutes leurs actions à mal, quand mesme elles seroient plaines d’une apparence de pieté.
Il prophetisoit vray ; nostre maistre Mitis Pour la seconde fois les trompe et les affine ; Blanchit sa robe, et s’enfarine ; Et de la sorte déguisé Se niche et se blotit dans une huche ouverte : Ce fut à luy bien avisé : La gent trote-menu s’en vient chercher sa perte.
L’on peut apprendre deux choses dans la Fable des Loups et des Brebis ; la premiere, qu’il ne faut pas inconsiderément se fier à un Ennemy reconcilié ; et la seconde, qu’il ne couste rien aux meschants, de supposer un faux pretexte, pour envahir et perdre leurs Ennemis.
Ainsi en prit-il à Minutius, qui enflé par le succés d’une escarmouche, s’attribua les honneurs qui estoient deubs à Fabius Maximus, et brigua contre toute raison d’entrer en part avecques luy au souverain commandement de l’armée, dont toutesfois il descheut avecque honte, en la seconde attaque qu’il fit à Annibal, où il fust demeuré avecque plusieurs Citoyens Romains, sans le genereux secours de celuy-là mesme qu’il avoit offensé.
Au contraire, pour revenir à la seconde partie de la Fable, le Renard dés qu’il s’est enflé le ventre, ne peut repasser par la mesme ouverture par où il avoit passé auparavant ; Nous enseignant par là, qu’aussi-tost que nos esprits sont abestis apres les voluptez, et qu’ils s’abandonnent à l’excés des convoitises corporelles, avec ce que tous leurs mouvements sont retardez, leur vivacité se diminuë, et se tourne en une importune pesanteur.
La seconde chose que je considere en ceste Fable, c’est l’orgueil de l’Asne, qui pour voir fuyr le Lion devant luy, vient à tel point de stupidité, que de croire que ce soit à son occasion.
La seconde, c’est l’enchantement des Amoureux, qui transmüent en un instant dans leur fantasie les defectueuses Creatures qu’ils ayment, en des modelles de perfection, ce qui nous est figuré par l’advanture de ceste Chatte, que Venus transforme en femme. […] Je viens donc à la seconde partie de mon Discours, qui est la transformation que nostre Autheur nous propose icy ; Dequoy je ferois des Volumes entiers, si j’avois plus de dessein d’escrire beaucoup, que de bien instruire.
Discours sur la seconde Fable.
Que si le Vicieux est de soy-mesme un object digne d’estre fuy, à plus forte raison le sera-t’il à ceux qu’il aura trahis, non pour la premiere offense, mais pour le peril de la seconde.
Mais pource que nous avons des-jà traitté plusieurs fois de la premiere, je me contenteray de dire un mot de la seconde.
Il vaut mieux venir à la preuve de la seconde partie de mon Allegorie, qui est, que les enfans le moins caressez, deviennent les plus vertueux, et les plus honnestes.
La seconde sera tirée du danger qu’apporte l’un, et de la parfaicte asseurance que l’autre nous donne.
Il n’y a que la seconde de ces deux propositions qui en puisse improuver la consequence ; Et toutesfois il n’est rien de si veritable ; Car quelle conformité y peut-il avoir entre la condition d’un Vicieux, et celle d’un homme de bien ?