» « Je m’en vay te le dire », repartit Esope : « n’as-tu point chez toy quelques enfans qui soient fâcheux, et sujets à pleurer ?
Il est, certes, mal-aisé de sçavoir au vray d’où procede en nous ceste imperfection : car de l’imputer à un defaut d’esprit, nous voyons d’ordinaire que les plus habiles sont les plus sujets à l’amour des choses naturelles, et qu’ils troublent ordinairement la tranquilité de leur Patrie.
A cela sont sujets entre les autres les mauvais Poëtes, qui recitent leurs Poëmes apres ceux dont ils ne sont qu’aprentifs : Les ignorants Peintres, qui opposent leurs peintures à celles de Michel l’Ange, ou du Titian : Les inutiles Autheurs, qui n’ont pour but que la vaine gloire, et une infinité d’autres Esprits que la bonne opinion d’eux-mesmes met quelquesfois aussi bas, qu’ils se croyent bien hautement eslevez.
Car quant aux contes que l’on nous fait de Thisbé, de Philis, de Didon, et de quelques autres, ce sont des choses que je tiendray tousjours pour estre sujettes à caution, jusqu’à ce qu’on m’en ait donné des asseurances, et croiray cependant que ce n’est pas estre advisé d’adjouster foy aux paroles d’une femme, si on ne la connoist bien, ce qui me semble tresdifficile.
N’est-ce pas luy qui s’est reservé la vengeance, non pour autre sujet, que pour la satisfaction des affligez ?
Mais je suppose qu’elle vive comme une Vestale, et que le Mary ne soit point jaloux ; tousjours est il travaillé d’une autre espece de douleur, à sçavoir de celle qui se fonde sur l’opinion : car il faudroit vivre en un siecle plus modeste que celuy-cy, ou dans une Republique de Lacedemone, pour n’estre point sujet à la calomnie. […] A cela l’on m’objectera l’exemple de plusieurs grands personnages, qui ont esté amoureux sur leurs vieux jours, et sujets à ceste passion déreiglée, autant que la foiblesse de leur âge l’a pû souffrir.
Alors Hermès lui apparut à lui aussi, et apprenant le sujet de ses pleurs, il plongea et lui rapporta aussi une cognée d’or, et lui demanda si c’était celle qu’il avait perdue.
Car si elle estoit excessive, au lieu d’un contraste esgal entre les deux agents, ce seroit la soudaine destruction de l’un des deux : comme en un brasier allumé, si l’on n’y verse qu’une petite goutte d’eau, cela n’est pas capable de renforcer la violence du feu, à cause de la petitesse du sujet qu’on oppose à son activeté ; D’ailleurs si l’on y en jette une grande quantité, la flamme en sera bien-tost esteincte, au lieu de se reschauffer, n’étant pas capable de resister à une si forte oppression.
Que si elle les a mis en un estat si déplorable, qu’ils soient sans esperance de ressource, encore ne nous arrestons-nous pas là : Ce n’est pas un sujet de consolation pour nous, car en mesme temps ceste peste que nous couvons dans l’ame, cherche de nouveaux objects pour se nourrir, et s’addresse aux prosperitez des autres hommes.
Car de flotter incessamment dans le doute, d’avoir de la peine pour son Maistre, pour ses Ennemis, et pour ses amis, de ne voir point d’heure ny d’occasion où le danger ne se mesle, d’estre sujet à rendre un severe compte de son administration, de veiller, sans recompense, pour les affaires publiques, et de s’incommoder pour les querelles des particuliers ; Ces miseres où vivent les gens de la Cour, ne sont-elles pas capables d’ennuyer les plus resolus d’entr’eux, et de leur donner du tourment ?
Voyons à ce propos la honteuse fin de Polycrates Samien, qui ayant eu toutes choses à souhait, jusques à trouver dans le ventre d’un poisson un anneau qu’il avoit expressément jetté dans la Mer, afin qu’il eût sujet de s’en attrister, fût à la fin pendu en public, par le commandement d’un Satrape du Roy de Perse.
Il y a quantité d’histoires et de preuves à produire de part et d’autre dont il ne sera pas hors de propos, de dire icy quelque chose, tant pour délasser le Lecteur de ces longues Moralitez, que nous avons enchaisnées l’une à l’autre en la suitte de cét Ouvrage, comme pour traicter d’une matiere fort plausible, souvent disputée parmy les compagnies, et qui approche en quelque façon de nostre sujet. […] La source, à mon advis, en est tirée de bien plus loing, à sçavoir de la Metempsicose de Pythagore, qui ayant publié par toute l’Italie, que les ames humaines passoient d’un corps à l’autre jusques à la fin des siecles, donna sujet à ceste opinion, et fist croire à beaucoup de gents, que les esprits vertueux avoient leur retraicte asseurée dans des corps aggreables et tranquilles, comme sont le Cygne, la Brebis, et quantité d’autres ; que les genereux ranimoient des Aigles ou des Lions, et que les Malicieux avoient à devenir Renards, les Voluptueux, Pourceaux, les Bien-advisez, Elephants, les Fideles, Chiens, les Ingenieux, Singes, et ainsi des autres ; Puis il disoit, que ces mesmes ames rentroient dans des corps humains, et revenoient faire une course en leur premiere lice, continüant de cette sorte jusqu’à l’entiere revolution des siecles, qu’ils appelloient la Grande Année, à sçavoir celle-là qui ramenoit les choses à leur premier poinct, et faisoit revenir en mesme estat, en mesme circonstance, et en mesme progrez toutes les actions de la vie. […] Je m’estendrois plus au long sur un si ample sujet, n’estoit que ma diggression a esté trop importune, et peut-estre hors de saison, bien qu’à la verité l’austere reprehension des Vices, que nous avons faite en tous les Discours precedents, nous semblast permettre en celuy-cy de prendre quelque espece de recreation, soit au recit de ces Histoires, soit en proposant une si aggreable question.
Son ouvrage sera désormais la base de tout ce qu’on écrira sur le même sujet. […] Eude, en effet, a rarement emprunté à autrui les sujets de ses fables, et par suite j’ai fini par penser, comme le savant critique, que je devais le distraire des dérivés de Phèdre, pour lui faire, quand son tour serait venu, prendre rang parmi les fabulistes originaux. […] (Cet opuscule, qui occupe 44 pages, contient des poèmes latins, dont les sujets sont empruntés à la Bible.) […] Mais, par cela même qu’il l’avait imaginée, on trouvera peut-être que j’ai pu, sans trop m’écarter de mon sujet, parler un peu du Querolus. […] Il avait pris pour sujet de sa satire intitulée Eumolpe, l’histoire de la matrone d’Ephèse.