Du Renard, et du Buisson. Le Renard se voulant sauver du danger qui le menaçoit, sauta sur une haye, qu’il prit à belles pattes, avec que tant de malheur, qu’il se les perça d’espines Comme il se veid ainsi blessé, tout son recours fût aux plainctes. « Perfide Buisson », dit-il, « je m’estois retiré vers toy, pensant que tu m’ayderois ; mais au lieu de le faire, tu as rendu mon mal pire qu’il n’estoit ». « Tu t’abuses », luy respondit le Buisson, « car c’est toy-mesme à qui rien n’eschappe, qui m’as voulu prendre par les mesmes ruses que tu pratiques envers les autres ». […] A quoy pensois-tu, ô mal advisé Renard, de happer imprudemment avecque tes ongles un buisson tout herissé d’espines ?
Ce défi accepté, et tous deux estans demeurez d’accord du lieu jusques où ils devoient courre, ils prirent le Renard pour leur Juge. […] Mais le Renard s’en mocquant ; « Mal-advisé que tu es », luy dit-il, « apprends une autrefois à ne croire point ta folle teste, et à te servir de tes jambes au besoin ». […] Aussi ne douté-je point que par la Tortuë on ne puisse entendre un esprit tardif, bien que vigilant ; par le Liévre, un courage prompt, mais mal-advisé ; et par le Renard un homme accort et ingenieux, qui ne juge que de ce qu’il voit, sans s’arrester à la vaine monstre des Presomptueux, ny à la trop bonne opinion qu’ils ont ordinairement de leur Vertu pretenduë.
Du Corbeau, et du Renard. Le Corbeau ayant trouvé quelque proye, s’en resjouyssoit, et faisoit un merveilleux bruict sur un arbre, lors que le Renard, qui luy vit faire toutes ces mines, estant accouru à luy ; « Bien te soit, dit-il, Monsieur le Corbeau : J’ay souvent ouy dire d’estranges choses de toy, mais à ce que je vois maintenant, elles sont bien fausses. […] Ces termes de flatterie allecherent si bien le Corbeau, qu’il luy prit envie de chanter ; mais comme il s’apprestoit pour cela, il laissa cheoir un fourmage qu’il avoit au bec, et le Renard s’en saisit incontinent. […] Ils vont du contraire au contraire, et donnent impunément le titre de bonté à ce qui est une pure malice ; Semblables en cela au Renard de ceste Fable, qui ose bien dire au Corbeau qu’il est blanc, et démentir en luy l’experience de tout le monde.
L’Elephant devait sur son dos Porter l’attirail necessaire, Et combattre à son ordinaire : L’Ours s’apprester pour les assauts : Le Renard ménager de secrettes pratiques : Et le Singe amuser l’ennemi par ses tours.
Le Lion malade, et le Renard.
Du Renard, et du Chat. Le Renard devisant avecque le Chat, se vantoit d’étre si fin, qu’il avoit, disoit-il, une plaine besasse de tromperies. […] Alors le Chat monta vistement sur un arbre ; Ce que le Renard ne pouvant faire, il fût à l’instant assiegé des Chiens, qui le prirent.
Un Loup qui commençoit d’avoir petite part Aux Brebis de son voisinage, Crut qu’il faloit s’aider de la peau du Renard, Et faire un nouveau personnage.
Et puis vostre Cheval de bois, Vos Heros avec leurs Phalanges, Ce sont des contes plus étranges Qu’un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix.
Du Tygre, et du Renard. […] Le Renard le voyant de retour de la guerre, et bien empesché à tirer la fléche hors de sa playe ; « Et quoy », luy dit-il, « un si fâcheux accident te peut-il estre arrivé, à toy qui és si vaillant ?
Comme la Fable precedente contient la mesme Allegorie, qu’une de celles que nous avons des-ja traitées ; Aussi pouvons-nous dire, que celle-cy a quelque ressemblance avecque la Fable du Renard et de la Cygogne, en laquelle la ruse fust payée par la ruse.
Il vaut donc mieux se contenter de ce que nous en avons dit, et jetter les yeux sur le Renard de ceste Fable, qui se mocque agreablement, quand il dit; « ô la belle teste, si elle avoit un cerveau !
Préface de la première édition Je me propose de publier, en faisant précéder les textes de leur histoire et de leur critique, tout ce qui reste des œuvres des fabulistes latins antérieurs à la Renaissance. C’est une vaste tâche que personne encore ne s’est imposée, et qui, je le crains du moins, m’expose à être un peu soupçonné de présomption. Pour me prémunir contre un pareil soupçon, je désire expliquer comment j’ai été conduit à l’assumer. De tous les auteurs anciens qui guident les premiers pas de l’enfant dans l’étude de la langue latine, Phèdre est celui qui lui laisse les plus agréables souvenirs. Ses fables sont courtes, faciles à comprendre et intéressantes par l’action qui en quelques vers s’y déroule.
Il represente pour cét effet les Ames rampantes par les Serpens attachez à la terre ; La Ruze et la Cruauté par le Renard et le Loup ; L’Aveuglement de l’esprit, et la malice noire, par le Chat-huant, et par le Corbeau ; Comme au contraire, il nous depeint les plus hautes de toutes les Vertus par les plus nobles de tous les Animaux, le Lion, et l’Aigle.