Quant à la recognoissance du Rat envers le Lion, elle a esté tres-sagement inventée par Esope, pour nous donner à entendre, qu’il n’est point de si chetifve personne, de qui les Grands ne puissent avoir besoin ; et par consequent qu’il est bon d’user de clemence envers eux ; ce qu’il ne faudroit pas laisser de faire, quand mesme on n’en devroit esperer aucune sorte de recompense.
Que si Esope rend icy les Colombes capables de ces fautes, ce n’est pas que les animaux le soient veritablement d’aucun crime, non plus qu’ils ne le sont pas de la parole et du discours, mais il represente en leur personne la faute des hommes, et nous départ ainsi ses enseignements.
Ceste maniere de presomption a esté remarquée par Esope, comme la plus commune de celles qui tombent d’ordinaire en praticque parmy les hommes, qui estans presque tous naturellement enclins à l’émulation, aspirent à de mesmes desseins que les autres, sans mesurer leurs forces avecque celles de leurs rivaux.
Esope nous represente fort bien cela par le moyen de la Fourmy, qui durant l’esté ne fait autre chose qu’assembler des grains, pour se nourrir en hyver, au lieu que l’imprudente Cigale consomme vainement ses beaux jours à chanter, et se trouve reduite à la fin à mandier sa vie, pendant la rigueur de l’hyver ; ce qui luy est d’autant plus insupportable, qu’elle y est moins accoûtumée.
Mais c’est trop nous arrester, pour verifier par les exemples ces deux veritez qu’Esope nous veut enseigner dans le combat du Tygre contre l’homme, à sçavoir que les plus meschants rencontrent bien souvent leurs Maistres, et que l’industrie est ordinairement victorieuse de la force, pourveu toutesfois qu’elle soit accompagnée d’un bon courage.
Qui s’estonnera donc si Esope donne de l’avantage au Rat villageois, et luy fait porter impatiemment le temps qu’il demeura dans ceste cave, où le Rat de ville luy avoit apresté à manger ?
Ou bien, est-ce qu’Esope a voulu monstrer, qu’on n’est point obligé de garder sa parole aux meschants, en quelque temps qu’on la leur ait donnée, et qu’à ceste occasion l’Aigle ne fist point difficulté de trahir le Renard, en luy ravissant ses petits, pour en repaistre les siens propres ?
Cela nous apprend à souffrir patiemment nos afflictions par l’espoir d’une future prosperité ; et à n’estre si altiers par la jouyssance des biens presents, que de n’apprehender pas les maux à venir : C’est à quoy nous convie le sage Esope, par l’exemple de ce Cheval temeraire et presomptueux, qui dés le lendemain de son triomphe, fût attaché à la charruë, et assujetty aux risées de l’Asne, qu’il avoit si fort mesprisé le jour precedent.
Le troisiesme poinct de mon Discours sera le vray but d’Esope, compris dans la fin de la Fable, à sçavoir qu’on ne change pas de mœurs, pour changer de condition.
Esope nous donne, ce me semble, a entendre par cette Fable, qu’il avoit de l’aversion à la Polygamie, c’est à dire au Mariage de plusieurs femmes ensemble.
Esope a donc tu raison de la joindre à l’Avarice, pour la conformité qu’elles ont ensemble, au moins quant à l’object de la passion.
Préface de la première édition Je me propose de publier, en faisant précéder les textes de leur histoire et de leur critique, tout ce qui reste des œuvres des fabulistes latins antérieurs à la Renaissance. C’est une vaste tâche que personne encore ne s’est imposée, et qui, je le crains du moins, m’expose à être un peu soupçonné de présomption. Pour me prémunir contre un pareil soupçon, je désire expliquer comment j’ai été conduit à l’assumer. De tous les auteurs anciens qui guident les premiers pas de l’enfant dans l’étude de la langue latine, Phèdre est celui qui lui laisse les plus agréables souvenirs. Ses fables sont courtes, faciles à comprendre et intéressantes par l’action qui en quelques vers s’y déroule.