Du Chévreau, et du Loup. […] Mais apres qu’elle s’en fust allée, le Loup qui l’avoit ouye de loing, s’en vint heurter à la porte, et contre-faisant la voix de la Chévre, commanda qu’on luy ouvrit. Alors le Chévreau cognoissant sa tromperie ; « Je n’en feray rien », dit-il, « car bien que ce soit la voix d’une Chévre, je voy neantmoins à travers les fentes, que c’est un Loup ».
Le Cheval s’approchant luy donne un coup de pied, Le Loup un coup de dent, le Bœuf un coup de corne.
De la Nourrice, et du Loup. Vne Nourrice voyant pleurer son Enfant, le menaça de le faire manger au Loup, s’il ne s’appaisoit. Elle eust à peine proferé ces mots, que le Loup qui les ouyst, esperant de trouver quelque butin, s’approcha de la porte du logis ; Mais il fût contraint de s’en retourner au bois à jeun, pource qu’à la fin l’Enfant s’endormit. La Louve le voyant donc de retour, luy demanda où estoit la proye. « Il n’y en a point », respondit le Loup extrémement triste, « car la Nourrice qui promettoit de me livrer son Enfant s’il pleuroit, ne m’a donné que des paroles, et m’a trompé meschamment ».
Du Berger, et du Loup 1. Un petit Berger faisant paistre ses Brebis sur une coline, s’estoit mocqué trois ou quatre fois des autres Bergers2 d’alentour, qu’il appelloit à son ayde, en criant au Loup. Mais quand ce fut tout de bon qu’il en implora le secours, ils le luy dénierent, le laissant crier tout à son aise : Tellement que sa Brebis fut la proye du Loup.
Du Loup, et de la Teste peinte. Le Loup ayant treuvé dans la boutique d’un Sculpteur une teste de relief, se mit à la tourner de tous costez ; et bien estonné de voir veritablement qu’elle n’avoit point de sens : « O la belle teste !
Par la fuite du Loup en la Loge du Bucheron, nous sommes advertis de ne chercher jamais nostre asyle dans les maisons suspectes. […] Quant au Bucheron, qui blâme le Loup d’ingratitude, il nous apprend que telle personne nous a mortellement offencez, qui demande apres des compliments et du retour.
Cependant jusqu’icy d’un langage nouveau J’ay fait parler le Loup, et répondre l’Agneau.
Mais d’en venir là sans quelque sujet extraordinaire, c’est acquerir deux Ennemis au lieu d’un ; et attirer le Loup dans son bercail, pour se faire manger à luy.
Préface de la première édition Je me propose de publier, en faisant précéder les textes de leur histoire et de leur critique, tout ce qui reste des œuvres des fabulistes latins antérieurs à la Renaissance. C’est une vaste tâche que personne encore ne s’est imposée, et qui, je le crains du moins, m’expose à être un peu soupçonné de présomption. Pour me prémunir contre un pareil soupçon, je désire expliquer comment j’ai été conduit à l’assumer. De tous les auteurs anciens qui guident les premiers pas de l’enfant dans l’étude de la langue latine, Phèdre est celui qui lui laisse les plus agréables souvenirs. Ses fables sont courtes, faciles à comprendre et intéressantes par l’action qui en quelques vers s’y déroule.
Il represente pour cét effet les Ames rampantes par les Serpens attachez à la terre ; La Ruze et la Cruauté par le Renard et le Loup ; L’Aveuglement de l’esprit, et la malice noire, par le Chat-huant, et par le Corbeau ; Comme au contraire, il nous depeint les plus hautes de toutes les Vertus par les plus nobles de tous les Animaux, le Lion, et l’Aigle.