(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — II. Le Lion et le Chasseur. » p. 326
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre sixiéme. — II. Le Lion et le Chasseur. » p. 326

II.

Le Lion et le Chasseur.

Les Fables ne sont pas ce qu’elles semblent estre ;
Le plus simple animal nous y tient lieu de Maistre.
Une Morale nuë apporte de l’ennuy :
Le conte fait passer le precepte avec luy.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire ;
Et conter pour conter me semble peu d’affaire.
C’est par cette raison qu’égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fuy l’ornement et le trop d’étenduë.
On ne voit point chez eux de parole perduë.
Phedre estoit si succint, qu’aucuns l’en ont blâmé.
Esope en moins de mots s’est encore exprimé.
Mais sur tous certain 3Grec rencherit et se pique
D’une élegance Laconique.
Il renferme toujours son conte en quatre Vers ;
Bien ou mal, je le laisse à juger aux Experts.
Voyons-le avec Esope en un sujet semblable.
L’un ameine un Chasseur, l’autre un Pâtre en sa Fable.
J’ay suivi leur projet quant à l’évenement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voicy comme à peu prés Esope le raconte.

Un Pâtre à ses Brebis trouvant quelque méconte,
Voulut à toute force attraper le Larron.
Il s’en va prés d’un antre, et tend à l’environ
Des laqs à prendre Loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,
Si tu fais, disoit-il, ô Monarque des Dieux,
Que le drosle à ces laqs se prenne en ma presence,
Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt Veaux je veux choisir
Le plus gras, et t’en faire offrande.
À ces mots sort de l’antre un Lion grand et fort.
Le Pâtre se tapit, et dit à demy mort,
Que l’homme ne sçait guere, helas ! ce qu’il demande !
Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces laqs pris avant que je parte,
O Monarque des Dieux, je t’ay promis un Veau ;
Je te promets un Bœuf, si tu fais qu’il s’écarte.
C’est ainsi que l’a dit le principal Auteur :
Passons à son imitateur.

Un Fanfaron, amateur de la chasse,
Venant de perdre un Chien de bonne race,
Qu’il soupçonnoit dans le corps d’un Lion,
Vid un Berger. Enseigne-moy, de grace,
De mon voleur, luy dit-il, la maison,
Que de ce pas je me fasse raison.
Le Berger dit : C’est vers cette montagne
En luy payant de tribut un Mouton
Par chaque mois, j’erre dans la campagne
Comme il me plaist, et je suis en repos.
Dans le moment qu’ils tenoient ces propos,
Le Lion sort, et vient d’un pas agile.
Le Fanfaron aussi-tost d’esquiver.
O Jupiter ! montre-moy quelque azile,
S’écria-t-il, qui me puisse sauver.

La vraye épreuve de courage
N’est que dans le danger que l’on touche du doigt.
Tel le cherchoit, dit-il, qui, changeant de langage,
S’enfuit aussi-tost qu’il le void.